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15/09/2020 | FRANCE | N°17/03598

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 15 septembre 2020, 17/03598


Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2020



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03598 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B23F4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F15/01959





APPELANTE



Madame [D] [I] épouse [R]

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[Localité 4]

Représentée par Me Antoine GROU, avocat au barreau de PARIS, toque : E1083





INTIMÉE



SAS WEST UC EUROPE SAS prise en la personne de ses représentants légaux domic...

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRÊT DU 15 SEPTEMBRE 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/03598 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B23F4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Février 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F15/01959

APPELANTE

Madame [D] [I] épouse [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Antoine GROU, avocat au barreau de PARIS, toque : E1083

INTIMÉE

SAS WEST UC EUROPE SAS prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Arnaud GUYONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Juin 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Sylvie HYLAIRE, Présidente de chambre,

Didier MALINOSKY, Vice-président placé,

Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Mathilde SARRON, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

La société Intercall Europe, désormais dénommée SAS West UC Europe, a engagé Mme [D] [I] épouse [R], née en 1970, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 02 janvier 2001 en qualité d'assistante commerciale.

Le 1er décembre 2012, Mme [R] a été promue responsable des ventes. Le 28 janvier 2014, elle a été élue au Comité d'entreprise.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des télécommunications.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [R] s'élevait à la somme de .407,70 euros.

Le 14 novembre 2014, elle a été victime sur le lieu de travail, d'un malaise à l'issue duquel elle sera en arrêt de travail prolongé.

Le 29 juillet 2015, Mme [R] a saisi le Conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 3 août 2015, Mme [R] a passé sa visite médicale de reprise après ses arrêts de travail pour maladie auprès de la médecine du travail. Le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude en un seul examen pour cause de danger immédiat.

Par lettre datée du 15 septembre 2015, Mme [R] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 28 septembre 2015, auquel elle ne s'est pas présentée.

Le 21 septembre 2015, le CHSCT a rendu un rapport d'enquête sur la situation de Mme [R].

Le 1er octobre 2015, le CE a émis un avis défavorable à son licenciement.

Saisi le 13 octobre 2015, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement de Mme [R] le 21 octobre 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Mme [R] a ensuite été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre datée du 04 novembre 2015.

Le 22 novembre 2016, le Tribunal des affaires de sécurité social de Créteil a débouté Mme [R] de son recours tendant à voir prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l'accident dont elle a déclaré avoir été victime le 14 novembre 2014 et de son recours pour faute inexcusable à l'encontre de son employeur.

A la date du licenciement, Mme [R] avait une ancienneté de 14 ans et 10 mois. La société SAS WEST UC occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

En dernier lieu, devant le conseil de prud'hommes de Créteil saisi le 22 juillet 2015, Mme [R] a demandé qu'il soit constaté l'existence d'un harcèlement moral à l'origine de son arrêt de maladie et que l'employeur n'a pas prévenu en sollicitant diverses indemnités en réparation du harcèlement moral subi.

Le conseil de prud'hommes de Créteil, par jugement du 23 février 2017 a statué comme suit :

- Se dit incompétent pour statuer sur le bénéfice des indemnités liées en réalité à la réparation d'un préjudice né d'une maladie professionnelle non reconnue par le TASS

- Déboute Mme [R] de la totalité de ses demandes

- Condamne Mme [R] aux éventuels dépens de l'instance.

Par déclaration du 07 mars 2017, Mme [R] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par arrêt avant-dire droit rendu le 9 avril 2019, la cour a ordonné la réouverture des débats dans l'attente de la décision rendue par la chambre de la sécurité sociale de la cour de céans avec révocation de l'ordonnance de clôture et fixation d'un nouveau calendrier.

Par arrêt du 24 janvier 2020 la chambre de la sécurité sociale de la cour de céans a confirmé le jugement du TASS du 8 juin 2016.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 10 février 2020, Mme [R] demande à la cour de :

Sur la compétence :

- constater que le conseil de prud'hommes n'a pas précisé quelle juridiction était compétente ;

- constater que l'employeur, qui soulevait l'incompétence, n'a demandé le renvoi vers aucune autre juridiction ;

- constater qu'aucune demande de reconnaissance de « maladie professionnelle » n'a été formulée devant une quelconque juridiction ;

- constater que la demande de reconnaissance d'« accident du travail » a été rejetée par le TASS ;

- constater que la rupture du contrat de travail et le harcèlement moral subi relève de la compétence de la juridiction prud'homale ;

en conséquence :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Créteil le 23 février 2017 ;

- dire et juger que le présent contentieux relève de la juridiction prud'homale

Sur le fond :

- Constater l'existence d'un harcèlement moral,

- Constater que ce harcèlement moral est à l'origine de l'arrêt maladie de Mme [R] ayantdébuté le 14 novembre 2014,

- Constater qu'à l'issue de son arrêt maladie, Mme [R] a été licenciée pour inaptitude,

- Constater que l'employeur avait connaissance de longue date de ce harcèlement moral dont il était d'ailleurs à l'origine,

- Constater que l'employeur n'a rien mis en oeuvre pour faire cesser ce harcèlement moral,

En conséquence, condamner la société WEST UC EUROPE SAS, anciennement dénommée INTERCALL EUROPE:

- Au paiement de 25.223,10 euros à titre d'indemnité de préavis,

- Au paiement de 2.522,31 euros à titre d'ndemnité de congés payés sur préavis,

- Au paiement de 17.481,84 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

- Au paiement de 120.843 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant dela perte d'emploi et des droits à la retraite,

- Au paiement de 100.892,40 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral (12 mois),

- Au paiement de 25.223,10 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des obligations de prévention du harcèlement moral (3 mois),

- Au paiement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- A l'exécution provisoire,

- Au dépens,

- Au paiement de l'anatocisme.

Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 12 mars 2020, la SASU Intrado Europe Holdings intervenante volontaire déclarant venir aux droits de la société SAS WEST UC anciennement dénommée Intercall Europe demande à la cour de :

- dire et juger Mme [R], née [I], mal fondée en son appel et l'en débouter intégralement ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 février 2017 par le conseil de prud'hommes de Créteil ;
en tout état de cause :

- dire et juger irrecevable les demandes d'indemnisation sollicitées pour une inaptitude dont l'origine professionnelle a été définitivement rejetée par le TASS et la cour d'appel  ;

- condamner Mme [R] aux entiers dépens.

En raison de la crise sanitaire, l'audience de plaidoirie initialement fixée au 19 mai 2020 a été reportée au 30 juin 2020.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 juin 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR:

Sur la compétence de la juridiction du travail

Pour infirmation du jugement déféré qui s'est déclaré incompétent, Mme [R] demande à la cour de juger que le présent contentieux relève bien de sa compétence. Elle soutient en effet outre le fait que le conseil de prud'hommes n'a pas indiqué quelle juridiction serait compétente, qu'aucune demande de reconnaissance de maladie professionnelle n'a été formulée, que la demande de reconnaissance d'accident du travail a été rejetée par le TASS et que les demandes indemnitaires relatives à la perte d'emploi et des droits à la retraite du fait du harcèlement subi, d'indemnités de préavis, d'indemnité spéciale de licenciement, de dommages-intérêts pour non-respect des obligations de prévention de harcèlement moral relèvent bien de la compétence de la juridiction prud'homale.

La société intimée conclut à la confirmation du jugement entrepris en faisant valoir que l'incompétence du conseil de prud'hommes pour statuer sur les réparations consécutives à une inaptitude résultant d'un accident du travail motivé par une faute inexcusable de l'employeur dont le TASS a été saisi, n'est pas sans fondement.

Il est acquis aux débats que Mme [R] a été victime le 14 novembre 2014, sur le lieu de travail, d'un malaise à l'issue duquel elle a été hospitalisée puis mise en arrêt de travail.

Lors de la visite de reprise le 3 juillet 2015 elle a été déclarée inapte à tous postes dans l'entreprise, en une seule visite visant le danger immédiat.

Mme [R] étant une salariée protégée, la société a, le 13 octobre 2015, sollicité l'autorisation de licencier Mme [R] pour inaptitude et impossibilité de reclassement auprès de l'inspecteur du travail qui a délivré son autorisation le 21 octobre 2015.

Mme [R] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 4 novembre 2015.

Soutenant que son licenciement et son inaptitude avaient pour origine le harcèlement moral dont elle a été victime de la part de son supérieur hiérarchique, Mme [R] a formé des demandes indemnitaires devant le conseil de prud'hommes de Créteil et a contesté devant le TASS (tribunal des affaires la sécurité sociale) de Créteil l'absence de reconnaissance en tant qu'accident du travail de l'incident survenu le 14 novembre 2014 en sollicitant la reconnaissance d'une faute inexcusable de l'employeur.

Par jugement du 8 juin 2016, le TASS saisi l'a déboutée de ses demandes, décision confirmée par arrêt de la cour statuant en matière de sécurité sociale le 24 janvier 2020.

Il est de droit que l'autorisation du licenciement pour inaptitude physique accordée par l'inspection du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié, s'il s'y estime fondé, fasse valoir devant les juridictions judiciaires compétentes, tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur.

En effet, s'il incombe à l'administration dans ce cas de vérifier que l'inaptitude physique du salarié est réelle et justifie son licenciement, le juge judiciaire et en l'espèce le juge du travail, qui ne peut se prononcer sur le motif de la rupture, est en revanche compétent, par application de l'article L1411-1 du code du travail, pour statuer sur une demande en réparation du préjudice en raison d'un harcèlement moral, de dommages-intérêts pour non-respect des obligations de prévention de harcèlement moral, de la demande d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité légale complémentaire mais aussi des dommages-intérêts pour perte d'emploi ou des incidences sur la retraite sauf si un accident du travail a été retenu.

Or, s'il résulte de la combinaison des articles L142-2, L451-1 et L452-2 du code de la sécurité sociale et L1411-1 du code du travail que le TASS a compétence exclusive pour trancher les litiges relatifs à la réparation des conséquences d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, il ressort du dossier qu'au jour où la cour statue, l'accident du travail revendiqué par Mme [R] n'a pas été admis au titre de la législation professionnelle, de sorte que la juridiction du travail est bien compétente pour connaître de sa demande de dommages-intérêts pour perte d'emploi et perte de droit à la retraite.

Le jugement déféré sera infirmé.

Sur le harcèlement moral

Pour infirmation du jugement déféré qui l'a déboutée de ses prétentions de ce chef, Mme [R] fait valoir qu'elle a été victime d'un harcèlement moral que l'employeur n'a pas empêché, bien qu'il en ait été avisé, et qui est à l'origine de ses arrêts de travail et de son inaptitude.

L'employeur conclut à la confirmation du jugement entrepris en rappelant que le TASS n'a pas reconnu le malaise survenu le 14 novembre 2014 comme étant un accident du travail.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au soutien de sa demande tendant à obtenir la reconnaissance du harcèlement moral qu'elle soutient avoir subi et qui serait à l'origine de son inaptitude professionnelle, Mme [R] fait valoir que pendant de nombreux mois son responsable N+2, Monsieur [C] [G] a adopté à son égard un comportement fait de pressions, brimades, de critiques systématiques de son travail, de dévalorisation de son travail en public devant son équipe, de propos blessants voire sexistes de pressions verbales lors de réunions de CE. Elle précise avoir eu un échange tendu le 13 novembre 2014 avec Monsieur [G] et que le 14 novembre 2014, elle a été prise d'une crise d'angoisse et de tétanie après avoir eu un dialogue oral difficile avec un autre salarié toujours à propos de l'échange de la veille.

Elle s'appuie sur trois témoignages de collègues :

-Monsieur [M] [N], ex-supérieur hiérarchique de Mme [R] jusqu'en juillet 2014 qui rapporte en pièce 17, « avoir pu constater un nombre incalculable d'écart de langage et comportements et de décisions inacceptables de Monsieur [G] à l'encontre de Mme [R]. Et je peux également témoigner qu'elle en a été profondément affectée. »Il décrit à cet égard « des critiques et dénigrements systématiques de son travail, dévalorisation de sa personne toujours ramenée à une vulgaire assistante, propos sexistes. Petites phrases assassines distillées au quotidien (') tu comprends rien, tu racontes que des conneries, arrête de faire semblant de travailler devant ton écran, (...) Monsieur [G] était très dur avec elle, exerçant des pressions verbales lors des réunions des CE. » Il souligne « A maintes reprises, elle est revenue vers moi bouleversée suite à des appels, des propos de Monsieur [G] qui soufflait le chaud et le froid en permanence »

-Monsieur [T] [V] confirme en pièce 16 que « [D] subissait des brimades de la part de son supérieur hiérarchique, Monsieur [C] [G] qui à plusieurs reprises l'a rabaissée devant témoins en disant qu'elle était incompétente »

-Monsieur [O] [P], ex membre de la représentation du personnel, précise en pièce 18 que c'est lorsque Mme [R] a pris des fonctions de manager que les tensions avec Monsieur [C] [G] se sont multipliées rapportant « des prises à partie publiques, des interpellations virulentes toujours en public, des humiliations » et que « ces mêmes tensions ont été observées également dans le cadre de l'exercice de ses fonctions au sein du comité d'entreprise où elle était la cible régulière d'attaques verbales (') jusqu'à des mots très déplacés qui n'avaient pas lieu d'être dans un cadre professionnel « t'es conne ou quoi ».

-le rapport d'enquête du CHSCT d'Intercall dont il ressort du questionnaire recueilli sous l'anonymat que 9 personnes ont témoigné avoir été témoin qu'[C] [[G]] avait mal parlé à l'appelante, que 3 confirmaient avoir entendu [C][[G]] tenir des propos blessants envers [D] [R], que 9 personnes admettaient l'avoir vu la dévaloriser devant son équipe et que 5 au moins attestaient l'avoir vu avoir une attitude discriminatoire à son égard.

S'agissant des conséquences sur son état de santé, elle produit outre le PV de prise en charge des pompiers le 14 novembre 2014, le certificat du médecin hospitalier qui lui a prescrit ce jour des anxiolytiques, les arrêts de maladie qui s'en sont suivis motivés par une crise d'angoisse aigue associée à un syndrome anxiodépressif, situation en rapport avec un burn out, le rapport de la psychologue qui confirme ce diagnostic préconisant du repos et une absence de lien avec sa hiérarchie (pièce 5 salariée) et pour finir l'avis d'inaptitude pour danger immédiat du médecin du travail.

Ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral. Il incombe par conséquent à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

C'est en vain que l'employeur rappelle que le TASS confirmé par la cour d'appel au vu des éléments produits n'a pas reconnu l'accident du travail du 14 novembre 2014 ou qu'il tente de ramener les difficultés de Mme [R] à son état de grande fatigue et qu'il entend discréditer l'attestation de Monsieur [N], au motif inopérant qu'elle aurait été établie 8 mois après son départ de l'entreprise en mars 2015 et qui serait en contradiction avec son courriel de départ dans lequel il était particulièrement laudatif à l'égard de Monsieur [G]. La cour relève à cet égard, comme le faisait observer Mme [R] à juste titre, que dans ce courriel (pièce 22 salariée) il se contente simplement de remercier Monsieur [G] de lui avoir permis de devenir manager ce qui n'enlève rien, tout au contraire, à son témoignage.

La cour retient en outre que l'employeur ne produit aucune attestation de salariés affirmant que Mme [R] n'a pas été victime des propos qu'elle dénonce ou aucun témoignage sur le management de Monsieur [G]. C'est de façon étonnante et un peu rapide, pour finir, qu'il affirme que le rapport du CHSCT aurait retenu l'absence d' harcèlement moral étant rappelé que le CE a donné un avis défavorable au licenciement de Mme [R] au vu de ce rapport, se posant des questions quant à la cause de cette inaptitude (pièce 10 salariée).

La cour retient par conséquent au vu des éléments qui précèdent que l'employeur échoue à démontrer que les agissements dénoncés étaient étrangers à tout harcèlement moral lequel est par conséquent établi et qui est à l'origine de l'inaptitude de la salariée.

Sur les conséquences pécuniaires

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral

Mme [R] est fondée à se voir accorder des dommages-intérêts au titre du harcèlement moral subi. En considération de la durée des faits subis et de l'arrêt de travail de 9 mois avec un traitement médicamenteux d'antidépresseur de plusieurs mois attesté par le psychologue du travail (pièces 5 et 3 salariée) son préjudice sera réparé par l'octroi d'une indemnité de 5.000 euros.

Sur les dommages et intérêts pour non-respect des obligations de prévention du harcèlement moral

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée.

Mme [R] est fondée à se voir accorder des dommages-intérêts pour non-respect des obligations de prévention du harcèlement moral, puisqu'il ressort de l'attestation de Monsieur [N] précité, non utilement contestée, qu'il avait prévenu la direction des ressources humaines de la situation sans susciter de réaction de leur part nonobstant les formations pour prévenir les risques psycho-sociaux dispensées au sein de l'entreprise. Son préjudice sera réparé par l'octroi d'une somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts

Sur l'indemnité compensatrice de préavis

Mme [R] est également en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de licenciement de trois mois quand bien même elle n'a pas pu l'exécuter puisque l'inexécution était imputable aux manquements de l'employeur. Il y a lieu de lui allouer la somme de 25.233,10 euros majorée des congés payés de 2.522,31 euros à ce titre.

Sur le complément d'indemnité de licenciement

Mme [R] réclame par application de l'article L1226-14 du code du travail un solde d'indemnité de licenciement au titre de l'indemnité spéciale qui est égale au double de celle prévue par l'article L1234-9 du code du travail en se prévalent d'une inaptitude d'origine professionnelle.

La société intimée s'oppose à la demande en faisant observer que l'inspection du travail a validé une procédure pour inaptitude d'origine non professionnelle dont le constat incombe exclusivement aux juridictions de sécurité sociale.

Il est constant que le juge du travail est autonome dans l'appréciation du caractère professionnel de l'inaptitude d'un salarié et qu'il n'est pas lié par celle de la caisse de sécurité sociale quant à la prise en charge ou non de l'affection du salarié au titre des risques professionnels.

La législation relative à la maladie professionnelle ou aux accidents du travail a vocation à s'appliquer dès lors qu'il existe un lien de causalité même partiel entre l'incapacité temporaire de travail du salarié et sa maladie ou son accident et que l'employeur a connaissance de l'origine professionnelle de cette affection.

La cour relève que la décision de l'inspecteur du travail ne se prononce pas sur l'origine professionnelle ou non de l'inaptitude.

En l'espèce, l'origine professionnelle de l'inaptitude de Mme [R] se déduit, indépendamment de la reconnaissance ou non d'un accident professionnel, du fait qu'elle est survenue après un malaise survenu sur le lieu de travail qui, dans un contexte de harcèlement moral, a occasionné à la salariée des arrêts de travail pour un syndrome anxio dépressif et une inaptitude à tous postes dans l'entreprise sans qu'elle n'ait jamais pu reprendre son poste.

Elle est en droit par conséquent de prétendre au complément de 17.481,84 euros réclamée au titre du doublement de l'indemnité légale, non contesté dans son quantum.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur la retraite

Mme [R] réclame à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur la retraite une somme de 120.843 euros en précisant qu'elle a été au chômage pendant 11 mois après son licenciement.

L'employeur s'oppose à cette demande en estimant qu'elle relève du TASS.

Il convient de rappeler que la Cour a retenu sa compétence dans des développements ci-avant évoqués.

En considération de l'âge de la salariée au moment de la rupture (46 ans), de son ancienneté (15 années) et de son salaire moyen mensuel brut de 8.407,70 euros au vu des fiches de paye et compte-tenu du fait qu'elle a retrouvé un emploi 11 mois après le licenciement, la cour évalue son préjudice au vu des éléments produits et discutés à un montant de 120.000 euros.

Sur le cours des intérêts

Il convient de rappeler qu'en application des articles 1153 et 1153-1 du code civil, recodifiés sous les articles 1231-6 et 1231-7 du même code par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation,et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2 du même code.

Sur le surplus

Compte tenu de la nature de la présente décision qui n'est susceptible que d'un pourvoi en cassation, recours qui est dépourvu d'effet suspensif, il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire.

La société SASU Intrado Europe Holdings venant aux droits de la société West UC Europe SAS anciennement dénommée Intercall Europe qui succombe est condamnée aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant infirmé sur ce point.

L'équité commande d'allouer à Mme [D] [I] [R] une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, la société SASU Intrado Europe Holdings venant aux droits de la société société West UC Europe SAS anciennement dénommée Intercall Europe étant quant à elle déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Et statuant à nouveau:

SE DECLARE compétente.

CONDAMNE la SASU Intrado Europe Holdings venant aux droits de la SAS West UC Europe anciennement dénommée Intercall Europe SAS à payer à Mme [D] [I] [R] les sommes suivantes:

-5.000 euros pour dommages-intérêts pour harcèlement moral.

-2.000 euros de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral.

-25.223,10 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis majorée de la somme de 2.522,31 euros à titre de congés payés y afférents.

-17.481,84 euros à titre de solde d'indemnité légale doublée.

-120.000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte d'emploi et incidence sur les droits à retraite.

-2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile

DÉBOUTE la SASU Intrado Europe Holdings venant aux droits de la SAS West UC Europe anciennement dénommée Intercall Europe SAS de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

RAPPELLE que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêt au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

ORDONNE la capitalisation des intérêts ainsi dus conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, devenu l'article 1343-2 du même code.

CONDAMNE SASU Intrado Europe Holdings venant aux droits de la SAS West UC Europe anciennement dénommée Intercall Europe SAS aux entiers dépens d'instance et d'appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 17/03598
Date de la décision : 15/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L2, arrêt n°17/03598 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-15;17.03598 ?
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