Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 16 SEPTEMBRE 2020
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/00341 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2LMY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Décembre 2016 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 15/00750
APPELANTE
SAS CLINEA
Immatriculée au RCS de Nanterre sous le n° 301 160 750
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphanie ZAKS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0277
INTIMÉ
Monsieur [S] [L]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Philippe ACHACHE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 238
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Juin 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Corinne JACQUEMIN LAGACHE, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente
Monsieur Benoît DEVIGNOT, conseiller
Madame Corinne JACQUEMIN, conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [S] [L] a été engagé par la SAS Clinea par contrat de travail à durée indéterminée, le 1er février 2005, en qualité d'aide-soignant.
La convention collective de l'hospitalisation privée du 18 avril 2002 est applicable à la relation de travail.
Le salarié a été reconnu travailleur handicapé par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées à compter du 13 mai 2014.
En son dernier état, la rémunération mensuelle brute du salarié s'élevait à 2 095.29 euros.
M. [L] a fait l'objet d'un arrêt de travail au cours de l'année 2012.
À la suite des deux visites médicales de reprise en date des 27 juin et 11 juillet 2012, il a été reconnu inapte au poste d'aide-soignant mais apte à exercer un travail similaire dans un autre contexte organisationnel.
Par courrier du 23 août 2012, l'employeur a proposé plusieurs postes vacants, qu'il a refusés.
M. [L] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier en date du 4 septembre 2012 puis licencié pour inaptitude non professionnelle et impossibilité de reclassement le 22 octobre 2012.
Au moment des faits, la société comptait plus de dix salariés.
Par acte du 12 juin 2015, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry d'une demande en indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en indemnité de préavis et en dommages-intérêts pour défaut de surveillance médicale renforcée.
Par jugement du 12 décembre 2016, notifié le 19 décembre suivant, la section activités diverses du conseil de prud'homme d'Evry a fait droit à ses demandes jugeant sur le licenciement que le délai de ré'exion imparti au salarie était manifestement insuffisant pour lui permettre de se positionner sur les postes de reclassement proposés et avoir toutes les informations utiles à sa prise de décision.
Les premiers juges ont :
- condamné la société Clinea à lui verser les sommes suivantes :
* 6 285.87 euros à titre d'indemnité de préavis,
* 628.58 euros à titre de congés payés afférents,
* 13 000.00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 6 000.00 euros à titre de dommages-intérêts pour défaut de surveillance médicale renforcée,
* 1 500.00 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile.
- ordonné à la société Clinea de remettre à M. [L] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie conformes à la décision, sous astreinte de 15.00 euros par jours de retard et par document, à compter du 8ème jour de la notification du jugement et ce sur 30 jours en se réservant la liquidation de l'astreinte ainsi prononcée
- débouté la société Clinea de sa demande reconventionnelle.
Par acte du 30 décembre 2016, le conseil de la société Clinea a interjeté appel dudit jugement.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 juin 2019, la société Clinea requiert de la cour, sur le fondement de ce qu'elle a respecté ses obligations de surveillance médicale renforcée et de reclassement, l'infirmation du jugement et le débouté des demandes présentées par l'appelant.
À titre subsidiaire, elle sollicite que les sommes allouées au salarié soient réduites à de plus justes proportions.
En tout état de cause, elle demande la condamnation de M. [L] à lui verser :
- la somme de 8 079 euros en remboursement du trop-perçu au titre de l'indemnité de licenciement,
- la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 28 mars 2019, M. [L] demande la confirmation du jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Evry sauf à porter à 26 000 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (12 mois de salaires) et à 3000 euros l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimé sollicite également le débouté des demandes de la société Clinea.
Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.
Par ordonnance de clôture du 12 avril 2018, le conseiller chargé de la mise en état a prononcé la fin de l'instruction et a renvoyé l'affaire à une audience le 30 juin 2020.
SUR QUOI
Sur les visites médicales
Aux termes de l'article L3122-42 du code du travail, tout travailleur de nuit bénéficie, avant son affectation sur un poste de nuit et à intervalles réguliers d'une durée ne pouvant excéder six mois par la suite, d'une surveillance médicale particulière.
La société Clinea fait valoir que le salarié a bénéficié d'une visite médicale d'embauche, de visites médicales périodiques en juin et décembre de chaque année et de deux visites médicales de reprise, de sorte qu'elle a respecté l'obligation de surveillance médicale.
Toutefois il ressort des pièces du dossier qu'en sept ans, M. [L] a bénéficié d'une visite médicale d'embauche le 13 juin 2007, soit deux ans après son embauche, et trois visites périodiques les 12 décembre 2007, 25 juin 2008 et 6 décembre 2010, soit bien inférieur au nombre de visites périodiques renforcées, en l'occurrence 14, dont il aurait dû bénéficier. (pièce n°9, pièce adverse n°16).
Cependant, M. [L] n'invoque ni donc n'établit aucun préjudice particulier qui justifierait que lui soit alloué la somme de 6.000,00 euros à titre de dommages-intérêts arbitrée par le conseil de prud'hommes .
Par conséquent, par infirmation du jugement, il convient de fixer le montant des dommages et intérêts liés à la perte de chance d'avoir pu bénéficier de visites médicales plus fréquentes, du fait des risques plus importants pour sa santé en raison de la réalisation de son poste de nuit, à la somme de 3.000 euros.
Sur le reclassement
À la suite de la deuxième visite du 11 juillet 2012, le médecin du travail déclarait M. [L] inapte au poste d'aide-soignant avec la mention qu'il pourrait effectuer un travail similaire dans un autre contexte organisationnel (pièce n°2).
Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident non professionnels, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail.
Les possibilités de reclassement doivent être recherchées au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Il appartient à l'employeur de démontrer qu'il s'est acquitté de son obligation de reclassement, laquelle est de moyens, et de rapporter la preuve de l'impossibilité de reclassement qu'il allègue ; les recherches de reclassement doivent être loyales et sérieuses.
Lorsque la proposition de reclassement par l'employeur en application de l'article L.1226-2 du code du travail emporte modification du contrat de travail ou des conditions de travail, le salarié peut la refuser et son refus n'est pas une cause réelle et sérieuse de licenciement ; dans un tel cas, il appartient à l'employeur de tirer les conséquences du refus du salarié soit en formulant de nouvelles propositions de reclassement, soit en procédant au licenciement de l'intéressé aux motifs de l'inaptitude et de l'impossibilité du reclassement.
Au soutien de son appel, la société Clinea fait valoir qu'elle a respecté son obligation de reclassement en suivant les recommandations de la médecine du travail, et en proposant au salarié 62 offres dont la nature, les modalités et le lieu ont été précisés ; qu'elle a aussi mis en place deux entretiens afin d'évoquer les orientations de reclassement, sans que le salarié qui a refusé toutes les offres se présente aux rendez-vous.
M. [L] conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, au motif que la société Clinea a malgré ces propositions manqué à son obligation de reclassement en ce que :
- face au refus du salarié il appartenait à la société Clinea de solliciter l'avis le médecin du travail sur la compatibilité des postes soumis pour avis sur leur compatibilité avec son état de santé.
- Il devait bénéficier d'un délai de réflexion pour se positionner sur les poste proposés or, il ne lui a été laissé que 8 jours et la procédure de licenciement a été engagée avant l'expiration de ce délai de 8 jours.
- Son inaptitude étant liée à une souffrance au travail liée à la Directrice Mme D. qui a quitté la clinique courant septembre début octobre 2012, son ancien poste aurait pu lui être proposé après avis du médecin du travail dans la mesure où le contexte de travail aurait été différent.
- Les 62 postes ne se situent que dans 5 établissements alors que la société en comprend beaucoup plus et aucun organigramme ni livre d'entrée et de sortie du personnel des entreprises du groupe et de la clinique ne sont fournis.
- La société appelante ne démontre pas le périmètre de reclassement, le tableau de postes proposés (pièce n°9 adverse) comporte 9 offres de reclassements avec un salaire inférieur à celui de Monsieur [L], aucune indication d'une éventuelle reprise d'ancienneté, des horaires, notamment en l'espèce à plus forte raison puisque le salarié est travailleur de nuit, sur le salaire, la reprise d'ancienneté, la durée du travail.
Il résulte des pièces versées au dossier qu'après avoir interrogé le médecin du travail sur les possibilités de reclassement de M. [L] (pièce n°4), l'employeur a proposé, au salarié, à partir du 23 août 2012, 62 postes à titre de reclassement (pièce n°9), à titre d'aide-soignant, d'agent de maintenance, d'auxiliaire de vie et d'aide-médico psychologique au sein de divers établissements appartenant au groupe « ORPEA-CLINEA ».
Il est également établi que les postes ont été proposés dans 37 établissements, et non 5 comme indiqué par M. [L], et que beaucoup étaient situés en Région Ile-de-France.
Par ailleurs, les postes correspondaient aux préconisations du médecin du travail qui avait indiqué que M. [L] pouvait occuper un « travail similaire » à celui accompli au sein de la clinique « Le Moulin de Viry ».
De plus, de l'examen de ces offres écrites de reclassement, il apparaît qu'ont été mentionnés le nom de l'établissement, le lieu d'exécution du contrat de travail, la qualification du poste, la nature du contrat de travail, le temps de travail, l'exécution du contrat le jour ou la nuit, la rémunération et les contraintes ou particularités du poste.
Ainsi, la société Clinea a, contrairement à ce que lui oppose l'intimé, satisfait à son obligation de faire une offre de reclassement précise. Quant à la reprise de l'ancienneté acquise au sein de la clinique « Le Moulin de Viry », le contrat de travail du salarié n'étant pas rompu en cas de reclassement au sein d'un autre établissement, M. [L] en aurait bénéficié, le fait que l'employeur ne le lui a pas précisé étant inopérant.
De même, contrairement à ce qui soutient l'intimé, la liste des postes vacants a été adressée au médecin du travail comportant notamment un poste d'aide-soignant de jour qui pouvait être proposé à M. [L] au sein de la Clinique « Le Moulin de Viry » (pièce n°4).
Or, par un courrier du 19 juillet 2012, (pièce n°5) le praticien a indiqué à la société que : « (') le poste d'aide-soignant de jour à la Clinique du Moulin ne répond donc pas à mes préconisations, (...) ».
Ainsi tout poste au sein du même établissement ayant été exclu par le médecin du travail, c'est à bon droit que la société Clinea n'a pas proposé le poste précédemment occupé par M. [L] pour lequel il était déclaré inapte, le départ de la directrice étant sans emport sur ce point.
D'ailleurs, il convient de souligner que ce dernier n'a pas retourné le « formulaire de recueil de souhaits de reclassement » qui lui a été adressé le 12 août 2012 (pièce n°8).
S'il soutient également que le délai de 8 jours qui lui a été imparti par l'employeur pour répondre sur les propositions de poste était trop court et que la procédure de licenciement a été engagée avant l'expiration de ce délai de 8 jours, le salarié a toutefois indiqué dès le 30 août 2012 qu'il refusait les postes proposés, pour raisons personnelles, sans solliciter de délai supplémentaire.
Le délai précité, qui est au demeurant celui prévu légalement en matière de licenciement économique, n'apparait donc pas déraisonnable et la procédure de licenciement initiée par la convocation à l'entretien préalable du 4 septembre 2012 ne peut être considérée comme préamaturée.
En conséquence, l'employeur, qui n'avait aucune obligation de solliciter à nouveau l'avis du médecin du travail, déjà précédemment interrogé, a démontré l'impossibilité de reclasser M. [L] au sein du groupe dès lors que celui-ci avait refusé tous les postes proposés conformément aux préconisations médicales. Il convient par infirmation du jugement de déclarer le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse tenant à l' impossibilité de reclassement à l'issue d'un avis d'inaptitude physique d'origine non professionnelle.
Il s'ensuit que M. [L] doit être débouté de ses demandes présentées au titre de la rupture de son contrat de travail.
Sur la demande reconventionnelle en remboursement d'un trop-perçu au titre de l'indemnité de licenciement
La société Clinea justifie d'une erreur dans l'établissement du solde de tout compte de M. [L] en lui ayant versé une indemnité de licenciement d'un montant de 11 200,78 euros (pièce n°13).
Il est constant qu'à la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [L] avait une ancienneté de 7 ans et 8 mois et percevait un salaire de référence d'un montant de 2 095,29 euros .
Ainsi, le montant de l'indemnité de licenciement due à M. [L] s'élevait à la somme de 3 212,77 euros [ (2095,29/5 x 7) + (2095,29/5 x 8/12)].
Il en résulte que la somme de 8 079 euros (11 200,78 - 3 212,77) a été indûment perçue par M. [L]. Il convient de le condamner à rembourser cette somme à la société Clinea et d'en ordonner compensation avec la créance de dommages et intérêts d u salarié.
De plus, compte tenu de ce la société Clinea est à l'origine de l'erreur, la cour entend d'office accorder au salarié des délais de paiement et dire qu'il sera échelonné sur 24 mois, soit 211, 63 euros mensuels avec déchéance du terme en cas de non paiement d'une seule mensualité la première devant intervenir dans les deux mois qui suivent l'arrêt.
Sur les autres demandes
Il apparaît équitable de ne pas faire droit aux demandes présentées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de confirmer le jugement qui a alloué à M. [L] la somme de 1 500,00 euros sur ce fondement.
M. [L] doit être condamné aux dépens d'appel par application de l'article 696 du code de procédure civile.
SUR QUOI
La cour,
INFIRME le jugement du 12 décembre 2016 du conseil de prud'homme d'Evry sur les dispositions relatives au montant de l'indemnité pour absence de surveillance médicale particulière et sur le licenciement,
et statuant à nouveau sur ces chefs :
DIT le licenciement de M. [S] [L] fondé sur une cause réelle et sérieuse.
DÉBOUTE M. [S] [L] de ses demandes relatives au licenciement;
CONDAMNE la société Clinea à payer à M. [S] [L] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la surveillance médicale particulière.
Ajoutant,
CONDAMNE M. [S] [L] à payer à la société Clinea la somme de 8 079 euros.
ORDONNE la compensation des deux créances et condamnne M. [S] [L] à verser à la société Clinea la somme de 5 079 euros;
DIT que le paiement sera échelonné sur 24 mois, soit 211, 63 euros mensuels, la première mensualité devant intervenir dans le deux mois suivant l'arrêt, avec déchéance du terme en cas de non paiement d'un terme.
DÉBOUTE les parties de leurs demandes fixées sur l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE M. [S] [L] aux dépens d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE