Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 9
ARRET DU 16 SEPTEMBRE 2020
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/15174 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4VJU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Octobre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° F16/00239
APPELANT
Monsieur [I] [B]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Sandrine BOURDAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0709
INTIME
Monsieur [D] [H]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Vasco JERONIMO, avocat au barreau de MELUN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 01 Juillet 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre chargée du rapport, et Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre.
Ces magistrat ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre
Mme Sandra ORUS, présidente de chambre
Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre
Greffier, lors des débats : Mme Anouk ESTAVIANNE
ARRET :
- contradictoire
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Mme Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Suivant contrat du 14 juin 2012, Mme [C] exerçant sous l'enseigne 'Le domaine des grands crus' a engagé M. [B] en qualité de VRP multicartes. Le contrat a été transféré à M. [H] lors de la cession du fonds de commerce.
Le 8 avril 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, auquel il reproche principalement un défaut de paiement de l'intégralité de ses commissions.
Par jugement du 3 octobre 2017, le conseil de prud'hommes de Melun a dit Mme [C] hors de cause, rejeté la demande de jonction du salarié avec l'affaire l'opposant à Mme [C], débouté le salarié de ses demandes et M. [H] de ses demandes reconventionnelles.
Le 28 novembre 2017, le salarié a interjeté appel de cette décision, qui lui avait été notifiée le 4 novembre.
Par conclusions transmises par voie électronique le 11 juin 2018, l'appelant demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes formées à l'encontre de M. [H] et, statuant à nouveau, de :
- condamner l'intimé au paiement des sommes suivantes :
- 48 018,59 euros de rappel de commissions pour la période comprise entre juillet 2012 et octobre 2014, outre 4 901,85 euros au titre des congés payés afférents,
- 4 800 euros nets de rappel de primes sur cette même période, outre 480 euros au titre des congés payés afférents,
- prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et condamner en conséquence l'intéressé au paiement des sommes de :
- 12 048,84 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1 204,88 euros au titre des congés payés afférents,
- 6 024,42 euros d'indemnité légale de licenciement,
- 53 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
- condamner l'intimé à lui payer la somme de 24 097,70 euros d'indemnité pour travail dissimulé et à procéder à la régularisation des cotisations non versées pour son compte auprès de la CNAV, ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard,
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles de l'employeur et le débouter de son appel incident,
- lui allouer 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Par conclusions transmises le 21 mars 2018 par voie électronique, l'intimé sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté l'appelant de ses demandes, sa réformation en ce qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles et, statuant à nouveau, de condamner l'appelant à lui payer la somme de 18 300 euros au titre de la clause pénale insérée au contrat pour non-respect de la clause d'exclusivité et de non-concurrence, outre 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Il soulève la prescription de la demande de rappel de commissions pour la période antérieure au 8 avril 2013.
La clôture de l'instruction est intervenue le 16 juin 2020 et l'affaire a été plaidée le 1er juillet.
MOTIFS
Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de rappel de commissions pour la période antérieure au 8 avril 2013
Cette demande a été omise par le conseil de prud'hommes.
L'intimé soulève la prescription de la demande des seuls rappels de commissions pour cette période en application de l'article L.3245-1 du code du travail.
L'appelant conclut à la recevabilité de sa demande, en soutenant que le point de départ du nouveau délai de prescription serait le 17 juin 2013, date d'entrée en vigueur de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013.
En cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
En l'occurrence, le point de départ du délai de prescription de trois ans applicable depuis l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013 est le 8 avril 2016, date de réception de la demande du salarié par la juridiction prud'homale, de sorte que la demande de rappel de commissions pour la période antérieure au 8 avril 2013 est prescrite.
La cour accueille cette fin de non-recevoir.
Sur la demande de rappel de commissions pour la période postérieure
L'appelant soutient justifier de sa demande et rappelle, d'une part, que même en présence d'une clause de bonne fin, la commission reste due si l'employeur est à l'origine de l'absence d'encaissement ou d'annulation de la commande, d'autre part, qu'en cas de contestation du salarié, il appartient à l'employeur de produire les éléments de rémunération qu'il détient en vue d'une discussion contradictoire.
L'intimé réplique que l'appelant a été rempli de ses droits, les commissions non versées correspondant à des commandes annulées ou non honorées.
S'il peut être contractuellement prévu que les commandes non menées à bonne fin n'ouvrent pas droit à commission, c'est à la condition que ce soit sans faute de l'employeur et sans que le salarié soit privé des commissions qui lui étaient dues sur des contrats effectivement réalisés.
En l'occurrence, le contrat de travail de l'appelant contient une clause de bonne fin, dont la licéité n'est pas contestée.
Son annexe 1 mentionne un taux de 'commission sur C.A. HT et HD personnel livré' de 40% HT et HD 'mensuel livré de la période du 14 juin 2012 au 14 octobre 2012". Toutefois, les parties s'accordent sur l'application de ce taux de 40% pendant toute la durée de la relation contractuelle.
L'appelant produit les bons de commande et l'intimé justifie de l'annulation de diverses commandes. Si la cour écarte celles effectuées en raison de problèmes de livraison, elle retient en revanche les autres annulations, étant observé que l'intimé verse au débat une lettre d'avocat et une lettre d'un membre de la famille d'un souscripteur reprochant à l'appelant d'avoir fait signer des bons de commande à des personnes âgées vulnérables. Elle déduit également les commandes demeurées impayées, dont l'intimé justifie par la production de ses relevés bancaires sur l'ensemble de la période litigieuse et d'une attestation de son expert-comptable relative au chiffre d'affaires hors taxe réalisé pour les années 2012 à 2014, ainsi que les commissions afférentes à un bon de commande établi en cinq exemplaires portant tous le même numéro mais mentionnant des commandes différentes.
Enfin, l'échelonnement des commissions par l'intimé, en violation des stipulations contractuelles, est néanmoins sans incidence, la cour statuant sur l'ensemble de la période travaillée.
Au vu des documents produits, et déduction étant faite des commissions déjà perçues, la cour condamne l'intimé à payer à l'appelant la somme de 10 577,94 euros au titre des commissions impayées pour la période non prescrite, outre 1 057,79 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement.
Sur la demande de rappel de primes
Le contrat de travail de l'appelant prévoit le versement de primes de 300 euros net les mois où le chiffre d'affaires hors taxes du commercial sera supérieur à 10 000 euros.
Au vu des bons de commandes produits, la cour alloue à l'appelant la somme de 3 900 euros à ce titre, outre 390 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
L'appelant sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur à la date de l'arrêt à intervenir, motifs pris de l'absence de règlement de ses commissions et primes et de fausses déclarations à la CNAV.
L'intimé conteste tout manquement.
La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. Dans ce cas, la résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au cas d'espèce, si le caractère frauduleux des déclarations à la CNAV n'est pas démontré, la cour retient qu'au regard de l'importance des sommes allouées à titre de rappels de commissions et de primes, le défaut de paiement de l'intégralité des rémunérations de l'appelant constitue un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Elle prononce en conséquence la résiliation judiciaire de ce contrat aux torts de l'employeur et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse au jour du prononcé de l'arrêt, par infirmation du jugement.
L'article L.7313-9 du code du travail prévoit une indemnité de préavis de trois mois au-delà de deux ans d'ancienneté.
Compte tenu de la moyenne des rémunérations - commissions et primes - allouées sur les douze derniers mois travaillés ( 2 538,17 euros), la cour condamne l'intimé au paiement de la somme de 7 614,53 euros à ce titre, outre 761,45 euros au titre des congés payés afférents.
En application des articles L.1234-9, R.1234-1 et R.1234-2 du code du travail dans leur rédaction applicable en la cause, et compte tenu des périodes de suspension du contrat de travail de l'appelant en 2015 et 2016, la cour lui alloue la somme de 3 553,43 euros à titre d'indemnité légale de licenciement.
Compte tenu de l'âge du salarié (62 ans), de sa situation personnelle et des circonstances de la rupture, l'appelant ne contestant pas l'exercice d'une activité concurrentielle depuis 2015, le préjudice résultant de son licenciement injustifié sera suffisamment réparé par l'octroi de 3 000 euros de dommages-intérêts.
Sur la demande d'indemnité pour travail dissimulé
Conformément à l'article L.8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, est constitutif de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour l'employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, ainsi que le fait de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales. Cette dissimulation n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi intentionnellement.
L'appelant ne démontrant pas que l'intimé se serait volontairement soustrait à cette obligation et l'intéressé versant au débat ses DADS conformes aux commissions versées, la cour confirme le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande.
Sur l'appel incident de l'intimé
L'intéressé sollicite le versement à son profit de 18 300 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation par l'appelant de la clause d'exclusivité et de non-concurrence insérée à son contrat de travail.
L'appelant conclut au rejet de cette demande en soutenant, d'une part, que ce montant correspond aux dommages-intérêts prévus en cas de violation de la clause de non-concurrence, laquelle n'a pu s'appliquer en l'espèce, et, d'autre part, que l'appelant ne lui a pas interdit de travailler pour une autre maison et qu'il ne justifie pas d'un préjudice.
La violation de la clause de non-concurrence, seule sanctionnée par le versement d'une indemnité forfaitaire selon les stipulations contractuelles, ne peut être utilement invoquée en l'absence de rupture préalable du contrat de travail.
Le contrat de travail de l'appelant comprend une clause intitulée 'Autres représentations' selon laquelle 'En sa qualité de représentant de la société, le Représentant est tenu à une obligation de fidélité et s'interdit formellement de prendre d'autres cartes auprès de sociétés commercialisant des boissons (alcoolisées ou non) sans avoir obtenu l'autorisation préalable de la société.
Pendant toute la durée du contrat, il lui est également interdit de s'intéresser, directement ou indirectement, à une entreprise susceptible de concurrencer la Société ou de collaborer sous quelque forme que ce soit avec une telle entreprise.
Sous cette réserve, le représentant a la possibilité de représenter d'autres sociétés et s'engage à informer préalablement et par écrit la Société des représentations qu'il serait susceptible de prendre.'
Il est constant que l'appelant a, par lettre du 28 avril 2015, sollicité l'autorisation de l'intimé pour 'pouvoir commercialiser des vins de Bourgogne et d'autres vins divers auprès d'une autre société'.
Il n'est pas fondé à se prévaloir de l'absence de réponse de l'intimé, dont l'autorisation préalable était requise, pour justifier l'exercice d'une activité directement concurrente.
Dès lors, la cour considère que la faute commise par l'appelant a occasionné à l'intimé un préjudice commercial qui sera réparé par l'octroi de dommages-intérêts à hauteur de 8 000 euros, par infirmation du jugement.
Sur les autres demandes
La compensation entre les condamnations est ordonnée.
L'intimé devra régulariser les cotisations non versées auprès de la CNAV, sans qu'il apparaisse nécessaire d'assortir cette décision d'une mesure d'astreinte.
Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt.
L'équité commande d'allouer à l'appelant la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
L'intimé, qui succombe principalement, supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
Déclare irrecevable comme prescrite la demande en paiement de rappel de commissions pour la période antérieure au 8 avril 2013 ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [B] aux torts de M. [H] au jour de la présente décision ;
Dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne M. [H] à payer à M. [B] les sommes de :
- 10 577,94 euros au titre des commissions impayées pour la période postérieure au 8 avril 2013 ;
- 1 057,79 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3 900 euros à titre de rappel de primes ;
- 390 euros au titre des congés payés afférents ;
- 7 614,53 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
- 761,45 euros au titre des congés payés afférents ;
- 3 553,43 euros d'indemnité légale de licenciement ;
- 3 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne M. [B] à payer à M. [H] la somme de 8 000 euros de dommages-intérêts pour violation de la clause d'exclusivité ;
Ordonne la compensation entre ces condamnations ;
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par M. [H] de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt ;
Ordonne à M. [H] de régulariser les cotisations non versées auprès de la CNAV ;
Rejette la demande d'astreinte ;
Condamne M. [H] à payer à M. [B] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [H] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE