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18/09/2020 | FRANCE | N°17/08195

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 18 septembre 2020, 17/08195


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 18 Septembre 2020



(n° , 10 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/08195 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3QTU



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Avril 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 16/00218





APPELANTE

SARL EUROPEENNE DE BATIMENT

[Adresse 1]

[Localité

4]

représentée par Me Pierre STASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : R235





INTIMEE

L'URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de l'URSSAF PARIS REGION PARISIENNE

Division des recours am...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 18 Septembre 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/08195 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3QTU

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Avril 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 16/00218

APPELANTE

SARL EUROPEENNE DE BATIMENT

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Pierre STASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : R235

INTIMEE

L'URSSAF ILE DE FRANCE venant aux droits de l'URSSAF PARIS REGION PARISIENNE

Division des recours amiables et judiciaires

[Adresse 6]

[Adresse 6]

représenté par M. [C] en vertu d'un pouvoir général

Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 2]

[Adresse 2]

avisé - non comparant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Juin 2020, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Bathilde PIFFAULT-CHEVALIER, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Pascal PEDRON, président de chambre

Madame Chantal IHUELLLOU-LEVASSORT, conseillère

Madame Bathilde PIFFAULT-CHEVALIER, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Venusia DAMPIERRE, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Monsieur Pascal PEDRON, président de chambre, et par Madame Venusia DAMPIERRE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la SARL Société européenne de bâtiment (la société EDB) d'un jugement rendu le 27 avril 2017 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à l'Urssaf de Paris-Région parisienne (l'Urssaf).

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ont été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel il convient de se référer pour plus ample exposé.

Il suffit de rappeler que la société EDB a fait appel du 28 février 2013 à septembre 2013 à la société GENA en qualité de sous-traitant pour réaliser des travaux de peinture.

A la suite d'un contrôle de la société GENA par les services de l'Urssaf de [Localité 5], un procès-verbal relevant le délit de travail dissimulé a été dressé le 13 novembre 2014 pour un montant de salaires nets dissimulés de 1 347 990 euros.

Le 29 juillet 2014, l'Urssaf a notifié à la société EDB une lettre l'observations concernant la mise en oeuvre de sa solidarité financière avec son sous-traitant la société GENA pour un montant de cotisations mises à sa charge de 191 729 euros.

Une mise en demeure de régler la somme de 210 902 euros (correspondant à 191 729 euros au titre des cotisations et 19 173 euros au titre des majorations) a été notifiée à la société EDB le 5 octobre 2015.

Après avoir vainement contesté cette mise en demeure devant la commission de recours amiable de l'Urssaf qui a rejeté son recours par décision du 14 avril 2016, la société EDB a saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny.

Par jugement du 27 avril 2017, le Tribunal a :

- dit l'action de la société EDB recevable mais mal fondée,

- débouté la société de l'intégralité de ses demandes,

- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 14 avril 2016,

- condamné la société EDB au paiement de la somme de 210 902 euros soit 191 729 euros en cotisations et 19 173 euros en majorations de retard pour la période du 6 février 2013 au 11 novembre 2013 au titre de la solidarité financière avec la SARL GENA,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que la procédure est gratuite et sans frais.

La société EDB a relevé appel le 13 juin 2017 de ce jugement qui lui avait été notifié le 2 juin 2017.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, la Société EDB demande à la cour, par voie d'infirmation du jugement déféré :

- A titre principal, de débouter l'Urssaf de l'ensemble de ses demandes,

- A titre subsidiaire, de lui accorder une remise des majorations de retard,

- En tout état de cause, de condamner l'Urssaf à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle fait essentiellement valoir que:

- Elle n'a fait l'objet d'aucune condamnation pénale pour travail dissimulé ;

- Elle a satisfait à son obligation de vigilance en obtenant les documents visés à l'article D. 8222-5 du Code du travail et en vérifiant leur authenticité ;

- Il s'agit de ses seules obligations de vérification en tant que donneur d'ordre ;

- Aucune vérification de la cohérence des pièces transmises par le sous-traitant n'est exigée par la loi ;

- Même si elle n'y était pas contrainte par la loi, l'Urssaf n'a communiqué le procès-verbal de travail dissimulé qu'en cause d'appel alors que ce document est essentiel pour assurer le respect du contradictoire et vérifier la régularité de la procédure ;

- La lettre d'observations ne mentionne pas la nature exacte et la ventilation des charges restant dues puisqu'il n'est pas permis de vérifier l'assiette, les taux appliqués ni le montant des charges effectivement réglées ; ces irrégularités affectent la procédure poursuivie contre elle ;

- Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité portant notamment sur la méconnaissance de la garantie des droits et du principe d'égalité devant la justice par les dispositions de l'article L.8222-2 du Code du travail, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d'interprétation, considérant que le donneur d'ordre doit pouvoir contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ;

- Dans ces conditions, le donneur d'ordre doit pouvoir apprécier les conséquences de la solidarité financière en disposant de suffisamment de détails lui permettant de vérifier les calculs relatifs aux sommes dont le recouvrement est poursuivi ;

- Compte tenu de sa bonne foi manifeste caractérisée notamment par l'absence de poursuite pénale dirigée à son encontre, elle doit pouvoir bénéficier de la remise des majorations de retard.

Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son représentant, l'Urssaf d'Ile de France demande à la cour de confirmer la décision des premiers juges, de déclarer la demande de remise de majorations de retard irrecevable et de condamner la société EDB à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle expose en substance que :

- En matière de solidarité financière la communication du procès-verbal de travail dissimulé dressé à l'encontre du sous-traitant n'est pas exigée par l'article R.243-59 du Code de la sécurité sociale, l'organisme de recouvrement ayant pour seule obligation l'envoi d'une lettre d'observations au donneur d'ordre avant toute mise en demeure ;

- Le donneur d'ordre n'a pas pouvoir ni qualité à contester le redressement notifié à la société sous-traitante et c'est dans cette logique que la lettre d'observations notifiée à ladite société, lettre qui contient l'assiette, les taux et les montants des cotisations déjà déclarées, n'a pas à être communiquée au donneur d'ordre dans le cadre de la mise en oeuvre de la solidarité financière ;

- Le donneur d'ordre a l'obligation de vérifier les informations contenues dans l'attestation de paiement et de déclaration des cotisations sociales émanant de l'Urssaf, en particulier de vérifier si le nombre de salariés portés sur l'attestation est en adéquation avec les travaux qui lui sont confiés ;

- La vérification des documents ne doit pas être artificielle puisque le donneur d'ordre doit d'une part vérifier l'authenticité de l'attestation par un dispositif d'authentification électronique disponible sur le site internet de l'organisme et d'autre part s'assurer de la véracité des informations qu'elle contient ;

- En l'espèce, l'incohérence grossière entre le montant des travaux facturés et la masse salariale brute déclarée aurait dû alerter la société EDB sur la dissimulation des rémunérations versées ;

- La demande de remise des majorations de retard est irrecevable devant la cour d'appel puisque le tribunal des affaires de sécurité sociale statue en dernier ressort en cette matière, en application de l'article R.244-2 du Code de la sécurité sociale.

Il est fait référence aux écritures déposées pour plus ample exposé des moyens proposés.

SUR CE, LA COUR :

Sur la mise en oeuvre de la solidarité financière de la société EDB :

L'URSSAF a adressé à la société une lettre d'observations du 29 juillet 2015, au titre de la solidarité financière des donneurs d'ordre ou des donneurs d'ouvrage (pièce n°4 de la société) précisant :

"Vous avez confié sur l'exercice 2013, des travaux de peinture en sous-traitance à la société:

SARL GENA

adresse : [Adresse 3]

[Localité 4] SIREN : 790 764 427.

Cette entreprise a assuré ces prestations en violation des articles L.8221-1, L.8221-3 et L.8221-5 du code du travail, ce qui est constitutif du délit de travail dissimulé par dissimulation d'emploi.

Il est apparu que vous ne vous êtes pas assuré de la régularité de la situation en vous faisant remettre les documents mentionnés aux articles D.8222-5 et D.8222-7 du code du travail dont notamment l'attestation de versement des cotisations et de fourniture des déclarations délivrée par l'URSSAF.

En effet, sur la période examinée, dans l'accomplissement de votre obligation de vigilance, vous ne pouviez ignorer les dissimulations déclaratives de votre sous-traitant, puisque les attestations prévues par l'article L.243-15 du Code de la sécurité sociale établies au nom de la SARL GENA mentionnaient les informations suivantes :

PERIODE

NOMBRE DE SALARIES

MASSE SALARIALE BRUTE

1er TRIM 2013

1132 3

2ème TRIM 2013 6

3395

étant spécifié que la demande de délivrance des attestations ultérieures a été rejetée par l'URSSAF Ile de France.

Nous vous précisons que sur la période en cause la société GENA outre le fait d'avoir dissimulé une partie de son personnel, a minoré ses déclarations.

En conséquence il est fait application des dispositions des articles suivants du code du travail : Article L.8222-2 (...) Article L.8222-3 (...)

Ainsi les cotisations non réglées par la SARL GENA, qui a fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé dans lequel votre responsabilité est également soulevée pour recours sciemment au travail dissimulé par personne interposée, sont mises à votre charge au titre de la solidarité financière prévue par les articles 8222-1 et suivants du code du travail.

Le montant des travaux que vous avez sous-traités à cette société d'après votre comptabilité est de 293 088 € en 2013.

Les cotisations correspondantes à ces prestations, déduction faite des cotisations versées par la SARL GENA, mises à votre charge s'élèvent à 191 729 € (Voir détail du calcul joint en annexe 1).

La présente constitue la lettre d'observations prévue à l'article R.243-59 du code de la sécurité sociale (...)".

Le donneur d'ordre dont la solidarité financière est recherchée peut contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des sommes auxquels il est tenu par l'effet de la solidarité.

L'article L.8222-2 du code du travail'dans sa version applicable au litige prévoit que :

«'Toute personne qui méconnaît les dispositions de l'article L. 8222-1, ainsi que toute personne condamnée pour avoir recouru directement ou par personne interposée aux services de celui qui exerce un travail dissimulé, est tenue solidairement avec celui qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé :

1° Au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celui-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale ;

2° Le cas échéant, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié ;

3° Au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l'emploi de salariés n'ayant pas fait l'objet de l'une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie.'»

En application de la lettre de l'article L.8222-2 du code du travail, la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenu le donneur d'ordre est donc subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du cocontractant.

En l'espèce, l'URSSAF produit le procès-verbal n°272/2014 daté 13 novembre 2014 relevant le délit de travail dissimulé à l'encontre de la SARL GENA, de M. [E] [S], de M. [F] [W], de la SARL EDB, de la SARL AZA BAT et de la SARL ISO-RAV ( pièce n° 1 de l'URSSAF).

Il résulte des dispositions de l'article L 8222-1 du code du travail, dans sa version applicable au titre de l'année redressée concernée par la solidarité financière (2013) que «'Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5'»

L'article D.8222-5 du même code applicable, à savoir celui issu du Décret n°2011-1601 du 21 novembre 2011, prévoit que «'La personne qui contracte, lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D. 8222-4, est considérée comme ayant procédé aux vérifications imposées par l'article'L.8222-1'si elle se fait remettre par son cocontractant, lors de la conclusion et tous les six mois jusqu'à la fin de son exécution:'

1° Une attestation de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargé du recouvrement des cotisations et des contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure de l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale.

2° Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers est obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants :

a) Un extrait de l'inscription au registre du commerce et des sociétés (K ou K bis) ;

b) Une carte d'identification justifiant de l'inscription au répertoire des métiers ;

c) Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu'y soient mentionnés le nom ou la dénomination sociale, l'adresse complète et le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d'un ordre professionnel, ou la référence de l'agrément délivré par l'autorité compétente ;

d) Un récépissé du dépôt de déclaration auprès d'un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d'inscription.

Les documents énumérés par l'article D.8222-5 du Code du travail'sont les seuls dont la remise permet à la personne dont le co-contractant est établi en France lorsqu'elle n'est pas un particulier répondant aux conditions fixées par l'article D.8222-4 de s'acquitter de l'obligation de vérification mise à sa charge par l'article L.8222-1.

Les vérifications doivent être effectives et le donneur d'ordre ne peut se contenter d'un contrôle superficiel en se faisant communiquer des documents constitutifs de précautions purement formelles

Ainsi, si le donneur d'ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l'ancien article L.324-14 devenu L.8222-1 et L.8222-2 du Code du travail dès lors qu'il s'est fait remettre par son cocontractant les documents prévus par l'article R.324-4 de ce même Code, devenu l'article D.8222-5, cette présomption de vérification est écartée en cas de discordance entre la dénomination de la société, désignée sur les documents remis, et l'identité du cocontractant (2ème Civ., 11 juillet 2013, n°12-21.554).

Il en va de même lorsque les déclarations que le donneur d'ordre a reçues montrent d'évidence des discordances quant à la réalité des effectifs employés et des commandes qu'il passe, appréciées en volume et en temps d'exécution.

En l'espèce, l'existence de relations contractuelles en 2013 entre la société EDB et la SARL GENA, auteur du travail dissimulé, et l'existence entre elles sur l'année 2013, de prestations égales ou supérieures à 3000 euros ne sont pas contestées.

Il n'est pas davantage contesté que la société EDB s'est fait remettre par la SARL GENA les attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations sociales établies par l'URSSAF, documents exigés au titre de son obligation de vigilance en tant que donneur d'ordre.

Il résulte de ces attestations établies au nom de la SARL GENA et visées à la lettre d'observations du 29 juillet 2015 les informations suivantes :

PERIODE

NOMBRE DE SALARIES

MASSE SALARIALE BRUTE

1er TRIM 2013

3

1132

2ème TRIM 2013

6

3395

La lettre d'observations mentionne que la société EDB a sous-traité à cette société des travaux pour un montant de 293 088 euros pour l'exercice 2013, ce montant de travaux n'étant pas contesté par la société EDB.

Il apparaît de façon évidente que ce montant de travaux est en inadéquation d'une part avec les effectifs employés et d'autre part avec la masse salariale déclarée par la SARL GENA pour les deux premiers trimestres 2013.

A la seule lecture de ces attestations, la société EDB a su d'évidence que la SARL GENA n'était pas en mesure d'effectuer, avec la masse salariale déclarée, les travaux commandés puis réalisés.

Il en résulte que la société EDB ne peut se prévaloir utilement de la présomption de vérification qu'elle invoque, par la seule production formelle des pièces exigées par l'article D.8222-5 du Code du travail, alors qu'il se déduit de la simple lecture de ces pièces un trop faible volume de masse salariale déclarée et une suspicion de travail dissimulé.

Ainsi privée de la présomption de vérification, il appartient à la société EDB d'établir qu'elle a procédé aux vérifications imposées par l'article'L.8222-1,'et donc qu'elle a vérifié que son cocontractant s'était acquitté des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail.

La société EDB ne justifie cependant pas avoir procédé à d'autres vérifications que la seule la remise des documents susvisés et dont le caractère ostensiblement erroné vient d'être souligné.

Il en résulte qu'à défaut d'avoir vérifié lors de la conclusion du contrat de sous-traitance et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que la SARL GENA s'acquittait des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5'du Code du travail, la société EDB doit être tenue solidairement au paiement des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus par celle-ci au Trésor ou aux organismes de protection sociale, en application des dispositions de l'article 8222-2 du Code du travail.

Sur la régularité de la lettre d'observations et sur le respect du contradictoire :

L'article R.243-59 alinéa 5 du Code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable aux opérations de contrôle litigieuse, dispose que :

"A l'issue du contrôle, les inspecteurs du recouvrement communiquent à l'employeur ou au travailleur indépendant un document daté et signé par eux mentionnant l'objet du contrôle, les documents consultés, la période vérifiée et la date de la fin du contrôle. Ce document mentionne, s'il y a lieu, les observations faites au cours du contrôle, assorties de l'indication de la nature, du mode de calcul et du montant des redressements et des éventuelles majorations et pénalités définies aux articles L.243-7-2, L.243-7-6 et L.243-7-7 envisagés. En cas de réitération d'une pratique ayant déjà fait l'objet d'une observation ou d'un redressement lors d'un précédent contrôle, il précise les éléments caractérisant le constat d'absence de mise en conformité défini à l'article L.243-7-6. Le cas échéant, il mentionne les motifs qui conduisent à ne pas retenir la bonne foi de l'employeur ou du travailleur indépendant. Le constat d'absence de mise en conformité et le constat d'absence de bonne foi sont contresignés par le directeur de l'organisme chargé du recouvrement. Il indique également au cotisant qu'il dispose d'un délai de trente jours pour répondre par lettre recommandée avec accusé de réception, à ces observations et qu'il a, pour ce faire, la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix.

En l'absence de réponse de l'employeur ou du travailleur indépendant dans le délai de trente jours, l'organisme de recouvrement peut engager la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l'objet du redressement.

Lorsque l'employeur ou le travailleur indépendant a répondu aux observations avant la fin du délai imparti, la mise en recouvrement des cotisations, des majorations et pénalités faisant l'objet du redressement ne peut intervenir avant l'expiration de ce délai et avant qu'il ait été répondu par l'inspecteur du recouvrement aux observations de l'employeur ou du travailleur indépendant.

L'inspecteur du recouvrement transmet à l'organisme chargé de la mise en recouvrement le procès-verbal de contrôle faisant état de ses observations, accompagné, s'il y a lieu, de la réponse de l'intéressé et de son propre courrier en réponse".

En application de la lettre de l'article L.8222-2 du Code du travail, la mise en oeuvre de la solidarité à laquelle est tenu le donneur d'ordre est subordonnée à l'établissement d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé à l'encontre du cocontractant.

En l'espèce, il a déjà été indiqué que l'Urssaf verse aux débats le procès-verbal n°272/2014 daté du 13 novembre 2014 relevant le délit de travail dissimulé à l'encontre de la SARL GENA, de M. [E] [S], de M. [F] [W], de la SARL EDB, de la SARL AZA BAT et de la SARL ISO-RAV ( pièce n° 1 de l'URSSAF).

Dans la mise en oeuvre de la solidarité financière consécutive au constat d'un travail dissimulé, l'URSSAF a pour seule obligation, avant la décision de redressement, d'exécuter les formalités assurant le respect du principe de la contradiction par l'envoi de la lettre d'observations'; l'Urssaf n'est pas tenue de soumettre le donneur d'ordre à un contrôle, ni de joindre à la lettre d'observations le procès-verbal constatant le délit (2e Civ., 13 octobre 2011, n°10-19.391 ; 2e Civ., 14 février 2019, n°18-12.150), ni de lui envoyer d'autres documents, tels le procès-verbal de constatation du travail dissimulé, ou les documents comptables de l'entreprise ayant permis de chiffrer le montant du redressement (2e Civ., 10 décembre 2009, n° 09-12.173).

Le refus de transmission à la société par l'URSSAF du procès-verbal de travail dissimulé pendant la procédure de contrôle n'affecte donc nullement la régularité de la procédure engagée à l'égard du donneur d'ordre, étant précisé que ledit procès verbal a été produit dans le cadre de l'instance judiciaire.

Ce refus de transmission ne porte pas plus atteinte au principe de la contradiction qui a été assuré par l'envoi par la caisse au donneur d'ordre' de la lettre d'observations du 29 juillet 2015 l'avisant de la mise en oeuvre à son encontre de la solidarité financière, indiquant le montant global des cotisations dues et leurs modalités de calcul, année par année, et ce donc dans le respect des exigences de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

Satisfait ainsi aux exigences de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale la lettre d'observations adressée, dans le cadre de la solidarité instituée par les dispositions de l'article L. 324-14 (devenu l'article L. 8222-2 du code du travail), à une entreprise ayant recouru aux services d'une société ayant fait l'objet d'un redressement de ses cotisations pour travail dissimulé, dès lors qu'ayant rappelé les règles applicables et mentionné le montant global des cotisations dues par la société, elle énonce que les cotisations mises à la charge de l'entreprise utilisatrice ont été calculées au prorata de la valeur des prestations effectuées par la société, seules étant prises en compte les prestations supérieures à 3000 euros, et précise, année par année, le montant des sommes dues (2e Civ., 13 octobre 2011, n°10-24.861, Bull.II, n°188).

En l'espèce, l'Urssaf a transmis à la société EDB de la lettre d'observations du 29 juillet 2015 accompagnée d'une annexe exposant les modalités de calcul suivantes :

"Montant de la facturation toutes taxes de la Sarl GENA

- Exercice 2013 : 1 485 697 €

Montant de la facturation toutes taxes de la Sarl EDB :

- Exercice 2013 : 293 088 €

Masse salariale brute reconstituée occultée des déclarations de la Sarl GENA :

- Exercice 2013 : 1 706 279 €

Charges sociales correspondantes restant dues (URSSAF + ASSEDIC : 57,10% en 2013) :

- Exercice 2013 : 971 897 €

Cotisations mises à la charge de la SARL EDB :

- Exercice 2013 : 971 897 X 293 088

----------------------= 191 729 €"

1 485 697

Cette annexe à la lettre d'observations fait donc mention de la masse salariale occultée des déclarations de la société sous-traitante, des charges sociales dues sur cette dissimulation, du montant du chiffre d'affaires de la société sous-traitante, du montant de la facturation à la société donneuse d'ordre et de l'application du pourcentage du chiffre d'affaire facturé à la société EDB aux cotisations éludées.

Elle indique ainsi le montant global des cotisations dues par la société, elle énonce que les cotisations mises à la charge de l'entreprise utilisatrice ont été calculées au prorata de la valeur des prestations effectuées par la société, seules étant prises en compte les prestations supérieures à 3000 euros, et précise, pour la seule année concernée par le redressement, le montant des sommes dues.

Dans ces conditions, il ne peut qu'être constaté que la lettre d'observations satisfait aux exigences de l'article R. 243-59 du code de la sécurité sociale.

La société EDB ne transmet aucun justificatif remettant utilement en cause le chiffrage opéré dans le cadre de sa solidarité financière.

Dans ces conditions, il convient de valider le redressement opéré et de confirmer le jugement.

Sur la demande de remise des majorations de retard :

L'article R.244-2 du Code de la sécurité sociale dispose que les tribunaux des affaires de sécurité sociale statuent en dernier ressort, quelque soit le chiffre de la demande, lorsqu'ils sont saisis de recours contre des décisions concernant des demandes de remise de majorations de retard.

La demande de remise des majorations de retard formée par la société EDB devant la cour d'appel sera en conséquence déclarée irrecevable.

La société EDB qui succombe sera déboutée de sa demande d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à verser à l'Urssaf une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

DECLARE l'appel recevable,

CONFIRME le jugement déféré;

Y ADDITANT,

DECLARE irrecevable la demande de remise des majorations de retard;

DEBOUTE la société Européenne de Bâtiment de sa demande en frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société Européenne de Bâtiment à payer à l'Urssaf de Paris Région Parisienne la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

CONDAMNE la société Européenne de Bâtiment aux dépens d'appel.

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 17/08195
Date de la décision : 18/09/2020

Références :

Cour d'appel de Paris L3, arrêt n°17/08195 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-18;17.08195 ?
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