Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 02 DECEMBRE 2020
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08838 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6DMN
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Juin 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRÉTEIL - RG n° F16/01757
APPELANTE
Madame [U] [D] [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Marie-emmanuelle BONAFÉ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0102
INTIMEE
SA RIU AUBLET ET COMPAGNIE
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Cédric GUILLON de la SCP FROMONT BRIENS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0107
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Octobre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Olivier MANSION, conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Bruno BLANC, président
Monsieur Olivier MANSION, conseiller
Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Bruno BLANC, Président et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [K] (la salariée) a été engagée le 26 mars 2013 par contrat à durée indéterminée, à temps partiel, en qualité de vendeuse, après avoir souscrit plusieurs contrats à durée déterminée, par la société Riu Aublet et compagnie (l'employeur).
Elle a été licenciée le 28 décembre 2015 pour insubordination et insuffisance professionnelle.
Estimant ce licenciement infondé, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes qui, par jugement du 12 juin 2018, a rejeté toutes ses demandes.
La salariée a interjeté appel le 12 juillet 2018.
Elle demande la requalification des contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à partir de juin 2011 et le paiement des sommes de :
- 1.466,64 € d'indemnité de requalification,
- 32.235,25 € de rappel de salaires après requalification en temps complet,
- 3.223,52 € de congés payés afférents,
- 1.081,64 € d'indemnité de licenciement,
- 14.666,40 € de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 8.799,84 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
- les intérêts au taux légal avec capitalisation,
- 4.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de son conseil Me Bonafé,
et réclame la délivrance sous astreinte de 100 € par jour de retard de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail et des bulletins de paie modifiés.
L'employeur conclut à la confirmation du jugement et sollicite le paiement de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est demandé, à titre subsidiaire, de limiter le montant des dommages et intérêts ainsi que les sommes au titre des rappels de salaire.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 11 et 26 octobre 2018.
MOTIFS :
Sur les requalifications de contrats à partir de juin 2011:
1°) La salariée demande la requalification des contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à partir de juin 2011, soit les contrats des 2 juin 2011 au 28 février 2013, 29 janvier au 11 février, 12 au 26 février, 27 février au 18 mars et du 19 au 25 mars 2013.
L'employeur invoque la fin de non-recevoir liée à la prescription.
Entre l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 et celle du 14 juin 2013, la durée de la prescription est de 5 ans, durée de droit commun de l'article 2224 du code civil.
Par la suite l'article L. 1471-1 du code du travail dispose, dans son application entre les 17 juin 2013 à 24 septembre 2017, que : 'Toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.
La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a prévu des dispositions transitoires en son article 21 V.
Ici l'instance a été introduite après l'entrée en vigueur de la loi de 2013, puisque la saisine du conseil de prud'hommes date du 10 mai 2016.
Par ailleurs, il est jugé de façon constante que le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier . Il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée énoncé au contrat a pour point de départ le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d'une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.
En l'espèce, le premier contrat à durée déterminée dont la requalification est demandée a été conclu le 2 juin 2011, le dernier le 19 mars 2013.
En agissant le 10 mai 2016, la salariée n'encourt par la prescription susvisée telle que modifiée dans son décompte par les dispositions transitoires puisqu'elle pouvait exercer son action jusqu'au 19 mars 2018.
2°) L'article L. 1242-1 du code du travail dispose qu'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
Il ne peut être conclu que pour les cas énumérés à l'article L. 1242-2 du même code et doit comporter la définition précise de son motif en application des dispositions de l'article L. 1242-12.
L'article L. 1245-1 prévoit que la méconnaissance, notamment de ces dispositions, entraîne la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée.
Au fond, la salariée relève qu'elle a travaillé de façon continue dans le même magasin du 2 juin 2011 jusqu'à son licenciement, le dernier contrat à durée déterminée ayant été continué par un contrat à durée indéterminée du 26 mars 2013.
Il en résulte donc que les contrats à durée déterminée ont eu vocation à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise, sans que l'employeur n'apporte aucune explication sur ce point.
Le jugement sera donc infirmé et la salariée est fondée à obtenir le paiement de la somme de 1.466,64 € d'indemnité dite de requalification.
2°) Sur la requalification du contrat à durée indéterminée à temps partiel en contrat à durée indéterminée à temps complet, la salariée indique, au visa de l'article L. 3123-14 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, que l'employeur n'a pas respecté les règles relatives au temps partiel modulé, faute d'identifier les accords d'entreprise le prévoyant, en raison du non-respect de la priorité de travailler plus, en dépit de demandes réitérées, et d'une mutation soudaine dans un magasin à [Localité 4] après avoir demandé l'exécution de la promesse d'un temps de travail à 25 heures par semaine.
Il en résulterait une présomption de contrat à temps plein.
L'employeur rappelle que les dispositifs du temps partiel modulé antérieur à la loi du 22 août 2008, ont été maintenus en vigueur sauf dénonciation régulière, selon les dispositions de l'article L. 3123-25 du code du travail alors applicable, soit une possibilité de faire varier la durée hebdomadaire de travail sur l'année, à condition que cette durée n'excède pas, en moyenne, la durée prévue au contrat de travail, cette variation ne pouvant varier dans une proportion n'excédant pas le tiers de la durée stipulée au contrat de travail.
Il en résulte que le contrat de travail à temps partiel modulé doit prévoir la qualification du salarié, les éléments de sa rémunération et la durée hebdomadaire mensuelle de travail de référence.
Ici, il est justifié d'un accord d'entreprise du 23 juin 1999 modifié les 3, 30 août 1999 et 10 juillet 2000 (pièces n°43,44, 45 et 47).
Le contrat de travail de la salariée comporte les indications requises pour ce type de contrat (pièce n°1).
Par ailleurs, Mme [Z], responsable des ressources humaines atteste (pièce n°37) que les accords d'entreprise sont disponibles en magasin à l'aide d'un classeur et sur l'intranet de la société.
Mmes [N] et [B] attestent que les horaires de travail étaient affichés en magasin pendant la période de modulation (pièces n°33 et 30).
De même l'employeur démontre que les bulletins de paie permettent de connaître le suivi du temps de travail sur la période de modulation et que les différences figurant sur les bulletins de paie et les plannings d'heures résultent de la pratique du traitement des variables de la paye (congés, RTT, arrêts maladie) avec un demi-mois de décalage, d'où un calendrier annuel établi à ce titre (pièce n°48) et un exemple donné pour la période du 20 janvier au 16 février 2014 (pièce n°46).
Pour la variation de la durée annuelle du travail figurant sur les bulletins de paie, l'employeur précise la méthode de calcul retenue pour expliquer de façon compréhensible la variation d'une période de modulation à l'autre (pages 31 et 32 des conclusions).
Au regard des plannings disponibles et lui permettant d'organiser ses temps d'activité, la salariée ne démontre pas qu'elle s'est tenue à la disposition de l'employeur pour bénéficier d'une requalification à temps plein.
Il en va de même pour les autres arguments invoqués par la salariée, dès lors qu'elle ne prouve pas que deux autres salariées ont été engagées après elle pour des contrats à durée indéterminée à temps partiel de 25 heures, au regard de ses demandes pour travailler sur une durée plus importante, et alors qu'elle procède par affirmation pour soutenir que sa mutation en juin 2015 est : 'une sanction à peine déguisée' résultant de ses demandes.
La salariée invoque également les dispositions de l'article L. 3123-8 du code du travail dans sa version antérieure au 10 août 2016 pour soutenir qu'elle devait bénéficier d'un temps partiel à 25 heures.
Toutefois cette durée minimum ne s'appliquait pas aux contrats souscrits par la salariée antérieuremnt au 1er juillet 2014, date d'entrée en vigueur de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013.
Enfin, il est relevé par l'employeur que la salarié a demandé à travailler 15 heures par semaine (pièce n°3 et 13) y compris en octobre 2015.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la requalification du contrat à durée indéterminée à temps partiel en contrat à durée indéterminée à temps complet et les demandes subséquentes de rappel de salaire.
Sur le harcèlement moral :
En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, la salariée énonce qu'elle a subi des manques de respect, des insultes et un manque de considération de la part de ses collègues ce qui affecté son état de santé; ainsi qu'une sanction injustifiée en octobre 2015 pour une absence injustifiée.
Elle produit les attestations de Mmes [E], [X], [J], [S] et [L], les lettres adressées à la DRH, des arrêts de travail pour cause de céphalées et un certificat du Dr [F] (pièce n°31).
Ces éléments pris dans leur ensemble font présumer l'existence d'un harcèlement moral.
L'employeur y répond en relevant que les attestations à l'exception de celle de Mme [L] sont imprécises et ne permettent pas de s'assurer de faits précise et matériellement vérifiables.
Il est avancé que l'insulte que Mme [E] a entendu, soit le mot 'con' ou 'conne' n'a pas été prononcé en présence de la salariée et ne l'a été qu'à une seule reprise.
Sur la lettre de Mme [L], l'employeur apporte des explications objectives en rappelant que la salariée n'avait pas acquis les procédures d'encaissement d'où la demande par la directrice du magasin de ne plus effectuer ces démarches (pièce n°26).
Postérieurement à la notification du licenciement, la salariée a voulu procéder à un encaissement d'où le refus de Mme [B] et ce afin de se conformer aux directives.
Enfin, cet élément isolé ne suffit pas à justifier un harcèlement moral.
L'employeur se prévaut des attestations de Mmes [A] et [P] (pièces n°27 et 32) travaillant avec la salarié depuis 2013 et Mme [B] depuis mai 2014 et qui n'ont constaté aucune altercation ni harcèlement moral.
Il en va de même pour Mme [Y] (pièce n°35°), une autre vendeuse.
Enfin, le médecin traitant ne fait que reprendre les propos de la salariée ne conteste pas directement de harcèlement moral.
Ces explications renversent la présomption retenue.
La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral sera donc rejetée.
Sur le licenciement :
La lettre de licenciement datée du 28 décembre 2015 reproche à la salariée à la fois une insubordination à l'encontre de la première vendeuse du 12 au 17 octobre et une insuffisance professionnelle notamment sur l'encaissement de février à fin avril, en procédant à une annulation de ticket sans demander l'autorisation de la directrice, en refusant de demander l'aide de ses collègues et en ne respectant pas la procédure de réception des marchandises le 2 juin.
Sur le plan disciplinaire, l'employeur produit l'attestation de Mme [B], première vendeuse et supérieure hiérarchique de la salariée en l'absence d'une directrice de magasin, qui relate une insubordination le 17 octobre 2015 (pièce n°29).
Sur l'insuffisance professionnelle, l'employeur rappelle que la salariée devait traiter les livraisons, maîtriser les procédures de caisse et les différents modes de paiement et participer à la gestion des stocks de marchandises.
Il est démontré une formation sur les procédures d'encaissement de février à fin avril 2015 (pièce n°26) et la persistance des insuffisances par la suite, notamment au regard des erreurs de caisse relevées selon la même attestation.
Cette même attestation caractérise des difficultés à suivre et respecter les procédure de contrôle et de validation des articles lors de l'approvisionnement.
En conséquence, le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse exclusive de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Sur l'indemnité de licenciement, la salarié soutient qu'un complément reste dû au regard de l'ancienneté acquise non pas au 26 mars 2013 mais au 21 février 2011.
Cependant, la demande de requalification de la salariée débute au 2 juin 2011, de sorte que le complément d'indemnité de licenciement sera évalué à 934,98 €.
Sur les autres demandes :
1°) Les sommes accordées à la salariée produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire, avec capitalisation.
2°) L'employeur remettra à la salariée un bulletin de salaire récapitulatif sans astreinte, laquelle ne se justifie pas faute de risque avéré de retard ou de refus.
3°) Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'employeur et le condamne à payer au conseil de la salariée somme de 1.500 €.
L'employeur supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant par mise à disposition, par décision contradictoire :
- Confirme le jugement du 12 juin 2018 sauf en ce qu'il rejette les demandes de Mme [K] en paiement d'une indemnité à la suite de requalification de contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et en paiement d'un complément d'indemnité de licenciement et en ce qu'il la condamne aux dépens ;
Statuant à nouveau sur ces chefs :
- Requalie les contrats à durée déterminée du 2 juin 2011 au 25 mars 2013 en contrat à durée indéterminée ;
- Condamne la société Riu Aublet et compagnie à payer à Mme [K] les sommes de :
* 1.466,64 € d'indemnité dite de requalification,
* 934,98 € de complément d'indemnité de licenciement,
- Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de la société Riu Aublet et compagnie devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter du prononcé du présent arrêt pour les sommes de nature indemnitaire, avec capitalisation des intérêts ;
- Dit que la société Riu Aublet et compagnie remettra, sans astreinte, à Mme [K] un bulletin de paie récapitulatif portant sur les sommes allouées ;
Y ajoutant :
- Rejette les autres demandes ;
- Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Riu Aublet et compagnie et la condamne à payer à Me Bonnafé la somme de 1.500 euros ;
- Condamne la société Riu Aublet et compagnie aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFI'RE LE PR''SIDENT