RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 07 DÉCEMBRE 2020
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/05089 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5HQU
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2018 -Tribunal de Commerce de Créteil - RG n° 2017F00281
APPELANTE
SAS L'ANNEAU
Ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 9]
N° SIRET : 445 201 247
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Pearl GOURDON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0309
INTIMEES
SELARL S21Y prise en la personne de Me [V] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL JANUS PROTECT INTELLIGENCE ayant son siège social [Adresse 2] (N° SIRET: 509 021 341)
Ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 8]
Représentée par Me Edouard VAUTHIER de l'AARPI SOLWOS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0631
SARL JANUS PROTECT INTELLIGENCE
[Adresse 5]
[Localité 7]
N° SIRET : 509 02 1 3 41
Représentée par Me Edouard VAUTHIER de l'AARPI SOLWOS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0631
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 Novembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Sylvie CASTERMANS, Conseillère
Monsieur Stanislas de CHERGÉ, Conseiller
qui en ont délibéré,
Un rapport a été présenté à l'audience par Madame [Z] [I] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffière, lors des débats : Mme Cyrielle BURBAN
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par M. Edouard LOOS, Président et par Mme Cyrielle BURBAN, Greffière à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
La société L'Anneau, créée en 2003, est une société de prestations de services qui exerce les métiers de la surveillance, du gardiennage et de la sécurité.
La société Ipsos faisait appel à ses services, pour des locaux qu'elle louait sur le site Mazagran, [Adresse 6], dans le [Localité 3]. A la suite d'une réduction de la surface louée, elle mettait fin au contrat.
Au mois de décembre 2016, le propriétaire des locaux, la société Constructa, confiait les prestations de sécurité à la société Janus Protect Intelligence ( « JPI »).
La société L'Anneau estimant que la société Janus Protect Intelligence n'avait pas respecté les dispositions de l'avenant du 28 jnvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 a, par acte d'huissier du 6 mars 2017, assigné la sarl Janus Protect Intelligence.
Selon jugement rendu par le tribunal de commerce de Créteil le 16 janvier 2018, il a été statué comme suit :
condamne la sarl Janus Protect Intelligence à payer à la société L'Anneau la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts
déboute la société L'Anneau de son autre demande
condamne la sarl Janus Protect Intelligence à payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
condamne la sarl Janus Protect Intelligence aux dépens.
La société l'Anneau a relevé appel du jugement le 08 mars 2018.
Par jugement du 26 juin 2019, le tribunal de commerce de Creteil a prononcé l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire de la société JPI. La selarl S21Y prise en la personne de Maître [V] [U], désignée en qualité de liquidateur judiciaire de la société Janus Protect Intelligence ,'JPI'.
Par acte extrajudiciaire du 5 août 2019, la société l'Anneau a assigné en intervention forcée la selarl S21Y ès qualités de liquidateur.
Le 12 septembre 2019, la cour a ordonné la révocation de la clôture prononcée le 2 septembre précédent pour permettre à la selarl S21Y de conclure dans le délai de 3 mois prévu à l'article 910 alinéa 2 du code de procédure civile.
Par conclusions signifiées le 02 aout 2019, la société L'Anneau demande à la cour de :
Confirmer le jugement rendu le 16 janvier 2018 par le tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a dit que la société Janus Protect Intelligence sarl a commis une faute en ne respectant pas les dispositions conventionnelles de l'accord du 05 mars 2002 modifié par l'avenant du 28 janvier 2011 relatif à la reprise du personnel des entreprises de prévention et de sécurité.
Infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Condamner la société Janus Protect Intelligence sarl au paiement de la somme de 53.001,96 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice financier subi ;
Condamner la société Janus Protect Intelligence sarl au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi ;
Condamner la société Janus Protect Intelligence sarl au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de la présente instance.
Par conclusions signifiées le 4 novembre 2019, la selarl S21Y prise en la personne de Maître [V] [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Janus Protect Intelligence demande de :
Vu l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel ;
- declarer mal fondé l'appel interjeté par la société l'Anneau ;
- l'en debouter purement et simplement ;
- recevoir la selarl S21Y, prise en la personne de Me [V] [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Janus Protect Intelligence, JPI, en ses demandes et l'y déclarer bien fondée
ce faisant,
- Infirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
- Débouter la société L'Anneau de l'ensemble de ses demandes ;
- Condamner en conséquence la société L'Anneau à rembourser à la SELARL S21Y, prise en la personne de Me [V] [U], en qualité de liquidateur judiciaire de la Société Janus Protect Intelligence, la somme de 23 811,02 € qu'elle a saisie par l'effet de la saisie attribution du 11 juillet 2018, avec les intérêts de droit à compter de la date de la saisie ;
- Condamner à titre reconventionnel la société L'Anneau à verser à la SELARL S21Y, prise en la personne de Maître [V] [U], ès qualités de liquidateur judiciaire, une somme de 10 000 € à titre de dommages intérêts pour préjudice financier et une somme de 8 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société L'Anneau aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Edouard Vauthier conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 02 mars 2020.
SUR CE,
Sur la faute de la société JPI
Selon la société L'Anneau, la société Janus Protect Intelligence lui a succédé à compter du 1er janvier 2017 et n'a pas respecté les dispositions applicables en cas de reprise du personnel suite au transfert de marché ; malgré l'article 2.1 de l'avenant du 28 janvier 2011 relatif à la reprise du personnel qui impose à l'entreprise entrante, dès qu'elle est informée par écrit de la reprise du marché et au plus tard dans les 5 jours ouvrables, de le notifier à l'entreprise sortante par courrier recommandé avec avis de réception ; la société JPI ne lui a jamais transmis d'écrit en ce sens et n'a pas organisé le transfert du personnel.
La société JPI représentée par son liquidateur, réplique que les conditions d'application de l'obligation de reprise ne sont pas remplies en vertu des dispositions de l'avenant du 28 janvier 2011, dès lors que les entreprises entrante et sortante doivent être liées au même cocontractant, à savoir soit à l'utilisateur final des prestations, soit à une entreprise intermédiaire ; le « périmètre entrant » et le « périmètre sortant » doivent concerner le même nombre d'effectifs, la même qualification et configuration des différents postes prévus par les deux contrats de prestation se succédant. En l'espèce, il n'y a pas identité du donneur d'ordre ou cocontractant des sociétés prestataires ; elles ne sont pas liées à la société Constructa, gestionnaire des locaux du site Mazagran ; la nature des activités et le volume des prestations des entreprises entrantes et sortantes est différent, les horaires demandées et la durée des deux marchés ne sont pas les mêmes.
Ceci étant exposé
L'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 dispose en son article 1 que :
Pour la compréhension des dispositions du présent accord, il est expressément convenu que par les termes de « périmètre sortant », il faut entendre à la fois le volume de prestations et la configuration des métiers, emplois, qualifications de l'ensemble des effectifs réalisant celles-ci, tels que ces deux éléments conjugués existaient précédemment à la consultation en vue du renouvellement du prestataire.
Les dispositions du présent accord s'appliquent d'une part, à l'ensemble des employeurs relevant du champs d'application de la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité et, d'autre part, à l'ensemble de leurs salariés, quelle que soit leur catégorie professionnelle, affectés sur le périmètre sortant.
L'ensemble des marchés est concerné :
- qu'ils soient publics ou privés ;
- qu'ils soient exécutés dans le cadre d'un contrat écrit ou de fait ;
- que les entreprises prestataires de sécurité « entrantes » et « sortantes » soient contractuellement liées soit directement au client utilisateur final, soit à une entreprise intermédiaire de type notamment « facility management » ou multiservices ou contrat de gestion.
Les dispositions du présent accord s'appliquent également quelle que soit la partie à l'origine de la rupture de la relation contractuelle (client ou prestataire).
L'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel dans les entreprises de prévention et de sécurité, prévoit une obligation de reprise du personnel lors d'un transfert de marché entre prestataires sous les conditions suivantes :
- les entreprises « entrante » et « sortante » sont contractuellement liées au même cocontractant, directement au client utilisateur final, ou à une entreprise intermédiaire.
- deux marchés sont identiques s'agissant du volume des prestations de l'entreprise « entrante » et de l'entreprise « sortante »
- la configuration des métiers, des emplois et les qualifications de l'ensemble des effectifs soient identiques.
En l'espèce, la société Ipsos, donneur d'ordre, qui perdait son statut de locataire unique du site Mazagran, a mis fin au contrat qui la liait à la société L'Anneau le 31 décembre 2016. La société, L'Anneau 'entreprise sortante', exécutait une prestation de sécurité incendie et secours à la personne de type SSIAP.
Au mois de novembre 2016, le propriétaire du site, la société Constructa, représenté par M. [W] [T], s'est rapprochée de la société JPI, et lui a proposé d'effectuer une prestation de sûreté / gardiennage sur le site Mazagran. Le contrat a pris effet le 1er janvier 2017.
Selon la société L'Anneau, ce contrat serait une reprise de sa propre prestation.Il ressort des éléments produits que, comme l'a souligné le tribunal, les entreprises entrante et sortante n'étaient pas liées au même donneur d'ordre. La société JPI ayant contacté avec la société Constructa et non avec Ipsos.
S'agissant de la configuration des métiers, la société L'Anneau fait état d'une double mission de sécurité privée et de sécurité incendie et justifie de l'emploi de 4 agents.
Il résulte des pièces versées aux débats et notamment des contrats des quatre salariés et leur bulletins de salaires que la société Ipsos avait engagé la société L'Anneau pour effectuer des fonctions de gardiennage et 'SSIAP', c'est à dire pour des fonctions ayant trait aux services de sécurité incendie.
La société Constructa justifie quant à elle, avoir engagé la société JPI pour effectuer uniquement des prestations de sécurité anti intrusion, différentes des missions de sécurité incendie.
Ces deux activités, qui relèvent de textes et de formations différentes, recouvrent des domaines d'action et de qualifications distincts sur le plan des normes de sécurité.
Il est par ailleurs établi que le volume des prestations était différent puisque la société L'Anneau s'était vue attribuer, durant huit années, un contrat renouvelable annuellement, tandis que la société JPI avait obtenu un contrat d'une durée de six mois. De plus, s'agissant des horaires, il ressort du procès-verbal de réunion du 5 janvier 2017, que la société L'Anneau assurait une prestation 24 heures sur 24, sept jours sur sept, alors que la société JPI ne devait assurer que la présence d'un agent de 19h30 à 8h30 du lundi à vendredi les jours ouvrés et 24 heures sur 24 pour les weekends et jours fériés.
Il s'en déduit que les prestations nouvelles ne répondant pas aux conditions précédentes en termes de marché et de qualification ne pouvaient correspondre à une reprise de la prestation assurée par la société L'Anneau.
Concernant la question de la reprise de marché, l'article 2.1 de l'avenant dispose que : Dès qu'elle est informée par écrit de la reprise d'un marché et au plus tard dans les 5 jours ouvrables, l'entreprise entrante le notifie à l'entreprise sortante par lettre recommandée avec avis de réception.
La société L'Anneau considère que la société JPI est fautive pour ne pas avoir respecté ces dispositions . Elle s'appuie sur le mail adressé par la société Constructa, le 20 décembre 2016, par lequel celle-ci indique que : (;) le contrat existant entre Ipsos et L'Anneau prend fin le 31 décembre 2016 et que de ce fait, le 1er janvier 2017 la société JPI sera le nouveau prestataire.
La société L'Anneau interprète ce courier comme étant l' information du transfert, obligeant la société JPI à se mettre en relation avec la société L'Anneau pour la reprise du personnel.
Il sera relevé que lorsque la société Constructa a fait appel aux services de la société JPI celle-ci l'a interrogée le 24 novembre 2016, pour savoir si une société était déjà en place pour cette prestation. Le responsable de la société Constructa lui avait répondu, le 25 novembre 2016, que des agents SIAAP se trouvaient sur le site, étaient contractualisés par le locataire, la société Ipsos, pour une prestation totalement différente de celle qui lui serait attribuée.
Le courrier adressé par la société Constructa, le 20 décembre 2016, est dès lors en contradiction avec l'information précédemment délivrée à la société JPI ou est maladroitement rédigé.
L'application littérale de ce courrier conduirait à s'exonérer des conditions légales posées par l'avenant telles qu'elles viennent d'être rappelées et à dénier les différences que la société Construction a stigmatisées entre les deux prestations .Il s'en déduit que le courrier du 20 décembre 2016 n'emporte pas notification d'une reprise de marché. La faute imputée à la société JPI n'est donc pas démontrée.
Par ailleurs, le 13 janvier 2017, la société JPI interrogeait la société L'Anneau pour lui demander toute preuve écrite qui pourrait les lier en termes de prestations. Or, la société L'Anneau n'a fourni aucune pièce contractuelle sur le personnel et les prestations confiées.
Elle a, en revanche, saisi le comité de conciliation, qui a rendu le 10 février 2017 un avis indiquant que la société JPI « aurait dû faire application de l'avenant du 28 janvier 2011 relatif à la reprise du personnel, en prenant contact dans un premier temps directement avec la société L'Anneau sans que cette dernière ait eu besoin de le faire et dans un second temps aurait dû faire des propositions de reprise aux salariés remplissant les conditions de transférabilité conformément à l'article 2.2 ».
Mais au regard des conditions d'application de l'avenant du 28 janvier 2011, le comité de conciliation, saisi par la société L'Anneau, l'a interprété de manière erronée, dès lors que la première condition relative au lien contractuel avec le client utilisateur fait clairement défaut. Au surplus, l'avis a été rendu au seul vu des pièces de la société L'Anneau, sans respect du principe du contradictoire, ce qui le prive d'effet contraignant.
Pour l'ensemble des ces motifs,, il y a lieu de réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions et de rejeter l'ensemble des demandes de la société L'Anneau.
Il n'est pas justifié par la société JPI d'un comportement fautif dégénérant en abus de droit, de sorte que sa demande de dommages et intérêts sera rejetée
La société L'Anneau, partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des entiers dépens
Il paraît équitable d'allouer à la selarl S21Y , prise en la personne de Me [U] ,ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Janus Protect Intelligence, la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a dû exposer en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
REJETTE toutes les demandes de la société L'Anneau ;
REJETTE la demande de dommages et intérêts de la société Janus Protect Intelligence ;
CONDAMNE la société L'Anneau à payer à la selarl S21Y, prise en la personne de Me [U], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Janus Protect Intelligence la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la société L'Anneau aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Edouard Vauthier conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT
C. BURBAN E. LOOS