REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 9
ARRET DU 21 JANVIER 2021
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/19936 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA4I5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Septembre 2019 - Tribunal de Commerce de MEAUX - RG n° 2019004587
APPELANT
Monsieur [P] [R] [B]
né le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 8] (PORTUGAL)
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représenté par Me Florence DESCHAMPS de la SELAS DESCHAMPS-HAG, avocat au barreau de MEAUX
INTIMEE
SCP ANGEL [V]
en qualité de liquidateur de la SAS [R] [B] NETTOYAGE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jean-charles NEGREVERGNE de la SELAS NEGREVERGNE-FONTAINE-DESENLIS, avocat au barreau de MEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 décembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Michèle PICARD, Présidente
Madame Isabelle ROHART-MESSAGER, Conseillère
Madame Déborah CORICON, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIER : Madame FOULON, lors des débats
MINISTÈRE PUBLIC : représenté lors des débats par Madame Anne-France SARZIER, avocat général, qui a fait connaître son avis, en ses observations orales
ARRET :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Michèle PICARD, Présidente et par Madame FOULON, Greffière .
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La Sasu [R] [B] Nettoyage Entreprises, créée en janvier 2014, dirigée par son président Monsieur [P] [W] [R] [B], avait une activité de nettoyage des bâtiments et nettoyage industriel.
Par jugement du 18 juin 2018, sur requête du ministère public, le tribunal de commerce de Meaux a prononcé la liquidation judiciaire de la Sasu [R] [B] Nettoyage Entreprises, désigné la Scp Angel-[V], prise en la personne de Me [V], en qualité de liquidateur judiciaire et fixé la date de cessation des paiements au 19 décembre 2016.
Par jugement du 9 septembre 2019, sur assignation du liquidateur judiciaire, le tribunal de commerce de Meaux a condamné Monsieur [R] [B] à payer à la Scp Angel-[V], ès qualités, la somme de 200.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif ainsi que la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle de 8 ans.
Monsieur [R] [B] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 24 octobre 2019.
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 24 janvier 2020, Monsieur [R] [B] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
- Condamner la Scp Angel-[V] à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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Dans ses dernières conclusions auxquelles il est expressément référé, notifiées par voie électronique le 7 avril 2020, la Scp Angel-[V], prise en la personne de Me [V], ès qualités de liquidateur judiciaire de la Sasu [R] [B] Nettoyage Entreprises demande à la cour de :
- Confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Meaux en date du 9 septembre 2019 en ce qu'il a condamné Monsieur [R] au paiement de la somme de 200 000 euros au titre de l'insuffisance d'actifs
- Confirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Meaux en date du 9 septembre 2019 en ce qu'il a condamné Monsieur [R] à une interdiction d'exercer pour une durée de 8 année ,
En tout état de cause,
- Condamner en cause d'appel Monsieur [R] à lui payer la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
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Le ministère public a conclu oralement lors de l'audience demandant la confirmation du jugement.
SUR CE
Sur la responsabilité pour insuffisance d'actif
Pour condamner Monsieur [R] [B] à contribuer à hauteur de 200.000 euros au titre de l'insuffisance d'actif, les premiers juges ont retenu que le retard dans la déclaration de cessation des paiements avait contribué à créer un passif nouveau, que le redressement fiscal en matière de TVA dû à l'absence de comptabilité a aggravé la situation de la société et que Monsieur [R] [B] avait détourné la clientèle de sa société au profit d'une autre société qu'il avait créée.
Le liquidateur judiciaire expose, sans être contredit, que l'insuffisance d'actif s'élève à plus de 290.000 euros.
Il invoque différentes fautes de gestion au soutien de l'action':
- la tardiveté de la déclaration de cessation des paiements
- l'absence de déclaration de TVA
- la poursuite d'une activité déficitaire dans le seul intérêt du dirigeant
- le détournement de clientèle
L'article L651-2 du code de commerce dispose que «'Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée.
Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté.
L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire.
Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés ».
Sur la déclaration tardive de cessation des paiements
Monsieur [R] [B] fait valoir qu'ayant cherché à obtenir un rééchelonnement de ses dettes fiscales, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements. Il soutient qu'il ne souhaitait pas la liquidation derechef mais que le mandataire liquidateur lui a conseillé de la demander. Il explique les difficultés de la société par la liquidation de l'un de ses clients important.
Le liquidateur judiciaire rappelle que la date de cessation des paiements a été définitivement fixée au 19 décembre 2016 soit 18 mois avant l'ouverture de la liquidation judiciaire, que Monsieur [R] [B], qui n'a pas déclaré la cessation des paiements dans le délai de 45 jours, a commis une faute, qu'il ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société eu égard aux déclarations de créance, qu'il s'en est abstenu volontairement comme le montre l'absence totale de déclaration de TVA afin de lui permettre de monter une nouvelle société avec la même clientèle en abandonnant la société endettée en liquidation.
Le ministère public expose que l'ancienneté des créances fiscales, 2015, montre que Monseiur [R] [B] ne pouvait ignorer la cessation des paiements bien que cette condition ne soit pas nécessaire dans l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif au regard des nombreuses créances fiscales et sociales s'étant accumulées. De plus ayant déjà subi deux liquidations monsieur [R] [B] n'était pas novice en la matière.
Il est constant que Monsieur [R] [B] n'a pas déclaré la cessation des paiements de la société [R] [B] Nettoyage Entreprise dans le délai de 45 jours puisque le tribunal a fixé la date de cessation des paiements à 18 mois avant l'ouverture de la procédure.
En ne déclarant pas la cessation des paiements dans le délai légal Monsieur [R] [B] a contribué à accroitre la dette de la société pendant 18 mois alors qu'il ne pouvait ignorer être en état de cessation des paiements puisqu'il ne reversait plus la TVA depuis 2015.
Il convient en conséquence de retenir cette faute de gestion et de confirmer le jugement attaqué.
Sur l'absence de déclaration de TVA
Le liquidateur judiciaire souligne que Monsieur [R] [B] a cessé de payer la TVA depuis janvier 2015, que le non paiement de la TVA avait pour fonction de créer artificiellement de la trésorerie et qu'il constitue une faute de gestion.
Le ministère public soutient qu'en ne réglant pas la TVA et les autres dettes Monsieur [R] [B] a aggravé le passif.
Monsieur [R] [B] ne répond pas sur cette faute.
La cour constate que la société [R] [B] Nettoyage Entreprise a cessé de reverser la TVA dès 2015 créant ainsi une trésorerie articficielle.
Il convient en conséquence de retenir cette faute de gestion et de confirmer le jugement attaqué.
Sur la poursuite d'une activité déficitaire
Le liquidateur judiciaire soutient que Monsieur [R] a poursuivi une activité déficitaire dans son intérêt personnel. Il n'a pas cherché à mettre en 'uvre de mesures de redressement de la société et il n'a jamais eu l'intention d'améliorer la situation de l'entreprise, cette inertie constituant une faute de gestion.
Le ministère public expose que Monsieur [R] [B] a poursuivi une activité déficitaire et qu'il n'a pris aucune mesure pour remédier à la situation. En ne réglant pas les dettes fiscales et sociales il a aggravé le passif de la société ce qui constitue une faute de gestion. Il est cependant d'avis qu'il n'est pas établi que la poursuite de l'activité déficitaire ait été faite dans l'interet personnel du dirigeant.
Monsieur [R] [B] soutient qu'il avait cherché à mettre en 'uvre un rééchelonnement des dettes en saisissant la direction départementale des finances publiques dès le début de 2018, que seule l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire l'en a empêché et qu'il a tout mis en 'uvre pour sauver l'entreprise.
Il ressort des pièces produites que Monsieur [R] [B] a saisi en 2018 la Commission des chefs de service financiers afin d'obtenir des délais de paiement pour apurer son passif. La réponse du Codechef n'a pas été communiquée à la cour. Aucune autre mesure ne semble avoir été prise par Monsieur [R] [B] pour tenter de redresser la société.
En fait il apparaît que Monsieur [R] [B] a constitué en 1997 une société Inter Nett Service Nettoyage, ayant fait l'objet d'une liquidation en 2004, puis une société NAC Entreprise qu'il a donné à gérer à sa fille et qui a été placée en liquidation judiciaire en 2014. Aussitôt Monsieur [R] [B] a créé la société [R][B]N qui est à l'origine de la présente procédure. Juste avant l'ouverture de la liquidation judiciaire de cette société en juin 2018, Monsieur [R] [B] a créé une autre société en janvier 2018, pressentant la liquidation probable de la société, afin de transférer la clientèle..
Ce faisant Monsieur [R] [B], qui a continué son activité tout en sachant qu'elle était irrémédiablement compromise et qui a attendu 2018 pour tenter d'obtenir des délais de paiements pour des créances fiscales vieilles de plusieurs années a poursuivi son activité déficitaire jusqu'à la création de la nouvelle société dans le ressort d'un autre tribunal de commerce afin de récupérer la clientèle de la société .
La cour considère que ces faits sont constitutifs d'une faute de gestion.
Sur le détournement de clientèle
Le liquidateur judiciaire expose que des prestations d'entretien d'une copropriété à [Localité 7], ont été facturées par la société [R][B]N EGS ([R][B]N Entreprise Global Services), également dirigée par Monsieur [R], après la liquidation judiciaire de la société [R][B]N Entreprise Nettoyage, c'est à dire la société [R] [B] Nettoyage. Il estime caractérisé le détournement de clientèle par Monsieur [R] au profit de sa société nouvellement créée afin de récupérer les actifs et de laisser l'intégralité des dettes à la charge de la liquidation judiciaire.
Le ministère public fait valoir qu'en créant une nouvelle entité Monsieur [R] [B] a détourné la clientèle de la société MCN et a ainsi aggravé son passif.
Monsieur [R] conteste avoir créé à tour de bras des sociétés pour les vider de leur substance en laissant les liquidations judiciaire intervenir. Il fait valoir qu'il n'a créé que 4 sociétés alors qu'il est âgé de 57 ans.
La cour relève qu'il résulte de factures produites que la société [R] [B] Nettoyage ([R][B]N) avait pour client notamment une copropriété située [Adresse 3]. Après l'ouverture de la liquidation de [R][B]N le 18 juin 2018 la copropriété a eu comme prestataire la société [R][B]N EGS créée et dirigée par Monsieur [R] [B].
Ces faits constituent un détournement de clientèle au préjudice de la société MCN et une faute de gestion de la part de Monsieur [R] [B].
Le jugement sera donc également confirmé sur ce point.
Sur le montant de la condamnation
Au regard des fautes retenues et de l'absence de pièces sur la situation personnelle de Monsieur [R] [B] la cour confirmera la jugement en condamnant ce dernier à payer la somme de 200.000 euros à la Scp Angel [V] ès qualités.
Sur la sanction personnelle
Le liquidateur reproche à Monsieur [R] [B] le maintien d'une activité déficitaire ne pouvant aboutir qu'à une cessation des paiements, un détournement de clientèle et le non paiment de la TVA qui constitue une faute de gestion ayant contribué à aggraver le passif
Le ministère public retient le détournement de clientèle et sollicite la confirmation du jugement.
La cour relève au visa de l'article L 653-3 du code de commerce que Monsieur [R] [B] a poursuivi abusivement une activité déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements en s'abstenant de payer la TVA et a détourné la clientèle de la société MCN au profit d'une autre société dont il était le dirigeant créée peu de temps avant l'ouverture de la liquidation de [R][B]N.
Ces griefs, qui constituent également des fautes de gestion ont été établis dans le cadre de sa responsabilité pour insuffisance d'actif.
Le jugement avait également retenu une absence de comptabilité qui n'est plus soutenue devant la cour.
Au regard de ces éléments la cour confirmera le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de faillite personnelle à l'encontre de Monsieur [R] [B] mais l'infirmera sur la durée et la portera à 7 ans.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la Scp Angel [V] la chrage des frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens. Il lui sera alloué sur ce fondement la somme de 3.500 euros.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu le 9 septembre 2018 par le tribunal de commerce de Meaux en ce qu'il a condamné Monsieur [P] [R] [B] à payer à la Scp Angel [V] ès qualités la somme de 200.000 euros au titre de sa responsabilité dans l'insuffisance d'actif,
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné Monsieur [P] [R] [B] à une mesure de faillite pesonnelle,
L'infirme sur la durée et dit qu'elle sera d'une durée de 7 ans,
Condamne Monsieur [P] [R] [B] à payer à la Scp Angel [V] la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Monsieur [P] [R] [B] aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
La greffière La présidente