Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 03 FEVRIER 2021
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00549 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B4ZHG
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/12604
APPELANT
Monsieur [N] [V]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Elisabeth LEROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P 0268
INTIMÉE
SA ELECTRICITE DE FRANCE
Immatriculée au RCS de Paris sous le n° 552 081 317
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Sophie BRASSART, avocat au barreau de PARIS, toque : R087
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente de chambre
Monsieur Benoît DEVIGNOT, conseiller
Madame Corinne JACQUEMIN, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
M. [N] [V] a été salarié à compter d'avril 1966 et jusqu'à octobre 1999, en qualité d'agent technique de chef ouvrier d'ouvrier manutentionnaire d'agent de nettoyage puis de gardien de la société Electricité de France (EDF), et affecté tout au long de sa carrière au sein d'un établissement sis à [Localité 5] abritant deux centrales thermiques, dites A et B, destinées à produire à partir d'un combustible de la chaleur transformant l'eau en vapeur laquelle entraîne une turbine couplée à un alternateur générant de l'électricité.
La centrale thermique A construite en 1954 et fonctionnant au charbon, a été exploitée jusqu'en 1987.
La centrale thermique B, mise en service en 1968 jusqu'en 1995, puis de nouveau à compter de 2006 fonctionne pour sa part au fioul lourd.
Aucune d'elles n'est destinée à la production ou à la transformation de l'amiante, mais ce minerai était présent dans des matériaux de leur construction et entrait dans la composition de certains équipements qui y étaient utilisés, et ce, à raison de ses propriétés isolantes.
Estimant que de ce fait, il avait été exposé quotidiennement à l'inhalation de poussières constituées de fibres d'amiante et qu'il en résultait pour lui une diminution de son espérance de vie, M. [V] a saisi le conseil des prud'hommes de Paris le 13 juin 2013 pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.
Par jugement du 7 décembre 2017, cette juridiction, en sa formation de départage, a déclaré l'action du salarié prescrite et irrecevables les demandes afférentes.
Par déclaration du 2 janvier suivant, l'intéressé a interjeté appel.
Aux termes de ses conclusions, déposées par voie électronique le 10 juillet 2020, M [V] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris,
- de dire son action recevable comme non prescrite,
- de condamner la société EDF à lui verser :
- 20 000 euros en réparation du préjudice d'anxiété qu'il subi à raison du manquement de son employeur à son obligation de sécurité- résultat,
- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Par conclusions déposées par voie électronique le 19 octobre 2020, la société EDF demande au contraire à la cour :
- de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- de condamner M. [V] à lui verser la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
I- sur la prescription de l'action
En application de la loi N° 2008-561 du 17 juin 2008, applicable au regard de sa date de promulgation à compter du 19 juin suivant, le délai de prescription des demandes indemnitaires, initialement fixé à 30 ans, a été ramené à 5 ans et l'article 26-II prévoit un régime transitoire d'application aux termes duquel les dispositions de la loi qui réduisent les délais de prescription s'appliquent à compter du 19 juin 2008 aux prescriptions en cours pour le temps qu'il leur reste à courir sans que ce temps puisse excéder les limites fixées par la loi nouvelle.
En vertu des dispositions de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction postérieure à la loi N° 2013-504 du 14 juin 2013, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.
Ces dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la promulgation de la loi, soit le 17 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, et ce, en application de l'article 2222 du code civil.
L'article 2224 du code civil fixe le point de départ du délai de prescription à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
M. [V], salarié de l'entreprise depuis avril 1966 avait en vertu des dispositions précitées jusqu'au 19 juin 2013 pour saisir le conseil des prud'hommes sauf à démontrer qu'avant les 19 juin 1983 ou 19 juin 2008, il avait connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action antérieurement au 13 juin 2013, date de la saisine de la juridiction du premier degré.
La société EDF soutient que M. [V] a eu connaissance de la présence d'amiante au sein de l'établissement, et donc connaissance des faits lui permettant d'exercer son action à raison :
- de la note du docteur [Z] sur "les problèmes posés par l'utilisation de l'amiante notamment avec la société Electricité et gaz de France" de mai 1977,
- de la note du SPT aux chefs de GRPT dans laquelle il est indiqué que le personnel de la centrale est informé des emplacements connus comme comportant de l'amiante du 21 octobre 1980,
- du carnet de prescriptions au personnel (édition 1982), comportant un article complet consacré aux précautions spécifiques devant être prises pour les travaux en présence d'amiante,
- de la note de l'enquête amiante envoyée à l'ensemble des CHSCT du 14 juin 1982,
- de l'ordonnance de non lieu des juges d'instruction du 8 avril 2014, faisant elle même référence à l'information du personnel par le biais du carnet de prescription dès 1983.
Cependant il ne résulte d'aucun des documents susvisés que M. [V] ait effectivement eu connaissance à titre individuel ou même collectif, et à une date antérieure au 13 juin 2008, non seulement de son exposition à l'amiante mais encore du risque auquel il était exposé de ce fait, seule la connaissance de ce dernier constituant le fait générateur du départ de la prescription de l'action.
En effet, si la note du 21 octobre 1980 fait état d'une information du personnel du risque amiante par le biais de notes "très largement diffusées" ou par des "cycles d'exposés avec la participation d'un spécialiste de la Caisse Régionale d'Assurance maladie de Nantes et du médecin du travail de la centrale", ne sont produites ni les notes invoquées ni la preuve de la présence de M.[V] à ces exposés dont la teneur n'est d'ailleurs pas communiquées, la cour n'étant donc pas en mesure d'apprécier l'effectivité de l'information sur le risque encouru.
Le carnet de prescriptions au personnel dans son édition de 1982, dont rien ne prouve la remise à M. [V] ne comporte en tout état de cause que de succintes informations sur les travaux en présence d'amiante et ne contient aucune précision sur le risque encouru.
Il en est de même de la note du 14 juin 1982 diffusée membres de Commission de Coordination des Comités d'hygiène et de Sécurité.
Quant à l'ordonnance de non lieu du 8 avril 2014, à supposer que M. [V] en ait été destinataire, elle est postérieure à la date à laquelle il a saisi le conseil des prud'hommes, peu important qu'elle fasse référence à des documents plus anciens, tels qu'une plaquette d'information ou un carnet de prescription de 1983 , eux mêmes non transmis dans le cadre du présent dossier.
Le jugement ayant déclaré l'action prescrite et les demandes irrecevables doit donc être infirmé.
II- au fond
Il est admis qu'au delà du régime propre au préjudice d'anxiété spécifique des salariés exposés à l'amiante dans le cadre d'une activité professionnelle exercée dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi N° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée, le salarié, justifiant d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut être admis à agir contre son employeur sur le fondement des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de ce dernier.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1) des actions de prévention des risques professionnels,
2) des actions d'information et de formation,
3) la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L. 4121-2 du Code du Travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.
Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés, l'employeur tenu à une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise devant en assurer l'effectivité.
A- sur l'exposition à une substance nocive ou toxique
Le fait que des matériaux contenant de l'amiante aient été présents au sein de l'établissement de [Localité 5] en ses deux composantes n'est pas contesté, l'EDF soulignant cependant qu'il s'agit d'une part d'une présence dans des matériaux de construction et d'autre part d'une intégration de ce minerai dans des matériaux et installations non friables, et par conséquent non générateurs de libération de fibres dangereuses.
Cependant, les éléments versés par l'employeur aux débats ne suffisent pas à écarter toute exposition à l'amiante de M. [V].
Ainsi, est-il relevé par le médecin du travail de l'entreprise, dans le rapport suivant sa visite du 23 novembre 1978, qu'il a trouvé "dans l'atelier sous une table à même le sol, des découpes de joints en amiante, de brûleurs à CP", ce praticien concluant à ce stade que "la sensibilisation du personnel au sujet de l'utilisation de l'amiante [n'est] pas acquise" (Pièces générales salarié N° 9).
Outre que le rapport révèle l'existence d'une utilisation dans ces lieux, de matériaux contenant de l'amiante et de découpe de ces derniers, les modalités d'évacuation des poussières résultant de ces opérations ne sont nullement précisées, rien ne permettant d'exclure la subsistance de ces poussières dans l'atmosphère pendant toute la durée d'emploi du salarié.
Si dans les suites de ce rapport la direction de l'établissement s'est engagée à remplacer les matériaux contenant de l'amiante par des matériaux de substitution, force est de relever qu'une partie de ces derniers contenaient eux mêmes du minerai toxique ainsi que le démontre l'analyse des échantillons dont le résultat est produit par le salarié (pièces générales salarié N° 10).
De même, la cartographie de 2001 des endroits de l'établissement contenant de l'amiante (pièces générales salarié N° 12) évoque-t-elle l'utilisation de matériaux composés notamment de ce minerai pour l'isolation des tuyauteries, des vannes, de tous organes vapeur et des ateliers, des salles de mesures et des locaux électriques, ou la présence d'amiante dans des plafonds et équipements divers, l'opération de dépoussiérage menée en 2014 conduisant à noter la présence d'amiante dans les relevés de poussières collectés sur les chemins de câble et coffrets (Note d'information N° 14/24 du 27 mars 2014, Pièces générales salarié N° 13).
Or, les mesures d'empoussièrement dont fait état l'EDF ne permettent pas d'exclure l'exposition du salarié à la matière incriminée.
En effet, outre que le rapport établi sur ce point en 1981 conclut à l'existence de fibres d'amiante dans l'air visité, le comptage des fibres auquel il est fait référence a été réalisé "sur l'atmosphère de certains postes" du groupe de production, sans que la cour soit en mesure de considérer que les autres postes ne pouvaient être concernés par une éventuelle présence d'amiante, alors au demeurant que les opérations de dépoussièrement de 2014 susvisées révèlent la présence de poussières mêlées d'amiante sur des chemins de câbles et coffrets et donc non spécifiquement au niveau de tel ou tel poste.
La note du 14 juin 1982 au secrétariat de la Commission de Coordination des CHSCT (pièce générale 42 de l'employeur) fait elle même état de présence dans l'air de l'établissement, de fibres présentant les caractéristiques de fibres d'amiante et il en sera de même du rapport de contrôle établi en fin de chantier de décontamination de la centrale (pièce N° 17 B de l'employeur), et des mesures successives effectuées par la suite, notamment en 1997 (pièce N° 23B de l'employeur), et 1998, les conclusions établies retenant l'existence d'un "niveau d'empoussièrement en amiante inférieur à 5fibres par litre", le tout dénotant l'existence d'amiante, au point d'ailleurs que des opérations de désamiantage ayant généré les mesures précitées, sont apparues nécessaires.
M. [V] a travaillé trente trois ans sur le site de [Localité 5] dont il vient d'être démontré qu'il contenait des fibres d'amiante.
Deux de ses collègues (MM. P et R, pièces N° 3 et 4 du salarié) attestent qu'ils ont travaillé à ses côtés et qu'il assurait dans le cadre de ses fonctions, la maintenance et le dépannage, s'occupant de l'entretien des compresseurs, robinetterie et pompes et utilisant à ces fins des matériaux composés d'amiante.
Le fait que ce minerai soit une substance nocive n'est pas à proprement parler contesté par l'EDF et résulte en toute hypothèse du rapport de l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), sur les effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante (pièce N° 40 de l'employeur) lequel précise en page 87, que "les résultats de toutes les études ont montré que les différents types d'amiante produisaient des tumeurs chez le rat", puis, indépendamment de l'étude de la cancérogénécité de l'amiante étudiée chez l'animal et cette fois relativement à l'effet cellulaire des fibres d'amiante, que "les fibres [d'amiante] peuvent altérer le génome des cellules en provoquant des délétions" (P. 95 ibid), "que la présence de fibres dans les cellules provoquait une altération de la ségrégation des chromosomes (...), processus pouvant avoir pour conséquence la formation de cellules possédant un déficit ou un excès de matériel génétique"(P. 96 ibid), les auteurs du rapport précisant " ces résultats vont dans le sens d'un potentiel des fibres d'amiante en tant que cancérogène complet, c'est à dire se suffisant à elles seules pour provoquer les modifications nécessaires à la transformation cellulaire (...), les fibres d'amiante peuvent aussi produire des mutations chromosomiques, ce qui permet de leur attribuer un certain potentiel génotoxique" (P. 97 ibid).
Enfin, en page 100 du rapport précité, il est souligné que "concernant les résultats obtenus avec l'amiante, une bonne corrélation est obtenue entre les effets sur systèmes cellulaires et les études chez l'animal".
Outre le mésothéliome, cancer spécifique dont il est encore aujourd'hui considéré qu'il a, avec l'âge, pour seul facteur une exposition à l'amiante, (cf P. 208 du rapport INSERM), il est également établi, que les fibres de ce minerai ont une relation causale avec l'apparition de certains cancers bronchopulmonaires mais également de maladie moins graves telles que l'asbestose (P. 292 ibid : "l'asbestose, fibrose pulmonaire provoquée par l'inhalation de l'amiante..."), les fibroses pleurales d'origine asbestosiques (pleurésies bénignes, les épaississements pleuraux diffus et atélectasies par enroulement) et les plaques pleurales, "lésions pleurales les plus fréquemment observées en relation avec l'amiante" (P. 303 ibid).
La réalité du caractère nocif de l'amiante à laquelle M. [V] était exposé est donc établie.
B- sur le risque élevé de développer une pathologie grave.
En page 206 du rapport de l'INSERM, il est relevé que "les observations épidémiologiques recueillies sur 47 cohortes exposées professionnellement à l'amiante établissent clairement que les expositions professionnelles à toutes les variétés de fibres d'amiante sont associées causalement à un accroissement de risque de cancer du poumon. Cet accroissement est d'autant plus marqué que les expositions cumulées sont importantes".
De même est-il affirmé dans ce rapport (P. 207) que ces expositions professionnelles à toutes les variétés de fibres d'amiante sont associées causalement à un accroissement du risque de mésothéliome.
La réalité de la gravité de ces deux pathologies, mésothéliome et cancer du poumon, n'est pas contestée et quand bien même l'asbestose et les fibroses pleurales ne sont elles pas létales en principe, force est de relever que sont associées à ces dernières, à l'exception des seules plaques pleurales non tumorales pour lesquelles ce point est controversé (P. 305 du rapport INSERM), une apparition d'anomalies fonctionnelles se manifestant par : une altération de la capacité vitale fonctionnelle et l'apparition d'un trouble ventilatoire obstructif pour l'asbestose (P. 299 ibid), une diminution des volumes pulmonaires pour les épaississements pleuraux associée à une diminution de la compliance pulmonaire (P. 305 ibid).
Le fait que même qualifiées de bénignes, les anomalies pleurales ne puissent faire l'objet d'aucun traitement de nature à les faire régresser et qu'elles justifient un suivi médical régulier et contraignant résulte également des constatations des experts (textes de la conférence de consensus des maladies respiratoires, Pièce N° 30 du salarié).
Ainsi, qu'il s'agisse de cancers ou des autres pathologies précitées, la gravité de ces dernières est établie.
Quant au risque élevé de développer une telle pathologie, il ne peut être considéré comme écarté par la seule référence à un faible empoussièrement aux fibres d'amiante tel que relevé lors de différents prélévements vantés par l'employeur alors qu'il a été rappelé ci-dessus que les conditions dans lesquelles ces prélèvements ont été effectués, aux endroits définis sans autre explication comme étant "les plus sensibles" notamment en 1981, ne sont pas explicitées.
De plus, si les rédacteurs du rapports de l'INSERM relèvent que l'accroissement du risque de mésothéliome est "d'autant plus marqué que les expositions sont élevées, durables et anciennes" (P.217)," il doit en être déduit que le risque demeure même lorsque l'exposition est moins élevée et moins durable et moins ancienne, le caractère élevé du risque ne pouvant cependant être écarté.
Au regard de la dangerosité aujourd'hui reconnue de l'amiante et alors que les auteurs du rapport précité relèvent (P. 226 ibid) qu'ils ne disposent pas "à ce jour de connaissances scientifiques directes et certaines sur la valeur des risques de cancer du poumon et de mésothéliome qui peuvent exister dans les populations humaines exposées à 1f/ml d'amiante ou moins", aucune évidence ni expérimentale ni épidémiologique ne permet d'établir l'existence d'un seuil d'innocuité, (P. 231 ibid) et donc l'existence d'un risque non élevé de développer une pathologie grave.
Les mesures d'empoussièrement produites par la société EDF, lesquelles donnent le résultat de fibres par cm3, ne sont d'ailleurs pas confrontées par l'employeur aux recommandations du rapport précité, selon lequel l'extrapolation aux expositions inférieures ou égales à 1f/ml des modèles de risques établis pour des expositions professionnelles plus élevées, est considérée comme "l'estimation incertaine la plus plausible"(P.232 ibid).
De plus, le fait que d'anciens collègues de M [V], ayant travaillé au sein de la centrale de [Localité 5] aient été atteints et soient pour certains décédés de maladies liées à une exposition à l'amiante n'est pas contesté par l'employeur, l'existence du risque élevé de développer une maladie grave liée à ce minerai étant dès lors confortée.
C- sur le préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition
M. [V] verse aux débats l'attestation d'un ancien collègue qui évoque l'anxiété dont il est victime et le traitement anti dépresseur qui y est associé depuis qu'il est à la retraite.
Il justifie d'un suivi médical régulier dans un contexte difficile dès lors que le lien entre l'exposition à l'amiante et le développement de cancers lui est connu, ne serait-ce que par les pathologies présentées comme il a été dit ci-dessus par plusieurs de ses collègues dont certains qu'il nomme sont décédés.
Le préjudice d'anxiété qu'il invoque est donc établi.
III- sur la responsabilité de l'employeur au regard de son obligation de sécurité
A- sur le principe
Les éléments versés aux débats ne mettent pas la cour en mesure de considérer que la société EDF a respecté les obligations qui lui revenaient en application de l' article L. 4121-1 précité.
Ainsi, alors qu'elle ne méconnaît pas la présence d'amiante dans les locaux de la centrale de [Localité 5], tant dans les éléments de construction que dans les matériaux utilisés pour l'entretien ou la rénovation des équipements, et alors que M. [V] intervenait sur des équipements comportant de l'amiante (pièces 3 et 4 précitées), la société ne démontre pas avoir mis à la disposition de son salarié des équipements adaptés de protection individuelle ou collective, ni même l'avoir informé des dangers qu'il pouvait encourir en raison de la présence d'amiante dans les matériaux utilisés.
L'efficacité des masques type "nez de cochon" que l'un des attestants de M. [V] note avoir eu à sa disposition n'est pas établie, alors que la nature même de ces masques n'est aucunement documentée, et l'absence de tout danger lié à la manipulation des matériaux contenant de l'amiante telle qu'évoquée par la société EDF n'est éclairée par aucun élément mettant la cour en mesure de contrôler les conditions dans lesquelles ces matériaux étaient manipulés.
Il n'est pas davantage justifié d'information ou d'action de prévention des salariés et en particulier de M. [V], alors que MM. P. Et R., attestent l'absence de toute protection dans l'exercice de leurs fonctions.
Il importe peu que soit démontré le respect de textes réglementaires quant au degré d'empoussièrement ou d'utilisation de l'amiante dès lors que le seul respect de ces dispositions ne démontre pas l'effectivité de la protection du salarié et donc le respect des obligations définies par l'article L. 4121-1 du code du travail.
La Société EDF ne prouve donc pas avoir effectivement pris les mesures nécessaires pour préserver son salarié du danger résultant de l'exposition à l'inhalation des poussières d'amiante.
Dans ces conditions, doit être retenue sa faute contractuelle engageant sa responsabilité et le jugement entrepris doit en conséquence être infirmé.
B- sur l'étendue du préjudice
M. [V] justifie d'un suivi médical régulier rendu nécessaire à raison de son exposition à l'amiante, par le biais de radiographies, examens qui génèrent notamment dans l'attente de leurs résultats, une angoisse qui caractérise le préjudice d'anxiété dont il demande réparation.
De plus, il verse un certificat médical attestant de son inquiétude à raison de son exposition à l'amiante et du risque de développer une maladie grave, le médecin ne s'engageant sur ce point que sur l'angoisse relevée chez son patient.
A ce titre, l'indemnisation due à M.[V] doit être fixée à la somme de 10 000 euros, le jugement entrepris devant donc être infirmé en toutes ses dispositions.
En raison des circonstances de l'espèce, il apparaît équitable d'allouer à M. [V] une indemnité en réparation de tout ou partie de ses frais irrépétibles dont le montant sera fixé au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La Cour, par décision contradictoire,
INFIRME le jugement entrepris,
CONDAMNE la société EDF à verser à M. [V] les sommes de :
- 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété,
- 300 euros au titre des frais irrépétibles,
CONDAMNE la société EDF aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE