Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 7
ARRÊT DU 06 MAI 2021
(no 24, 27 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : RG 20/05166 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBVDR
Décision déférée à la Cour : décision no 2020-019 de l'Autorité de régulation des transports en date du 28 février 2020
REQUÉRANTE :
SNCF VOYAGEURS S.A.
Prise en la personne de son représentant légal
Immatriculée au RCS de Bobigny sous le numéro 519 037 584
Ayant son siège social au [Adresse 1]
Élisant domicile au cabinet de l'AARPI TEYTAUD SALEH
[Adresse 2]
[Adresse 3]
Représentée par Me Nada SALEH- CHERABIEH de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125
Assistée de Me Marc de MONSEMBERNARD du cabinet KGA AVOCATS, avocat au barreau de Paris, toque K 110
Assistée de Me Aurélie CORMIER LE GOFF de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461
DÉFENDERESSE AU RECOURS :
LA RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR
Prise en la personne de son président en exercice
Domiciliée à [Adresse 4]
[Adresse 5]
Représentée et assistée de Me Yvon GOUTAL de la SELARL GOUTAL ALIBERT et Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R116
EN PRÉSENCE DE :
L'AUTORITÉ DE RÉGULATION DES TRANSPORTS (ART)
Prise en la personne de son président en exercice
Ayant son siège [Adresse 6]
[Adresse 6]
Élisant domicile au cabinet de la SCP GALLAND-VIGNES-RIBAUD
[Adresse 7]
[Adresse 3]
Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND VIGNES RIBAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
Assistée de Me Marion OGIER, avocat au barreau de PARIS, toque : A0245
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 février 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :
? Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, présidente,
? Mme Brigitte BRUN-LALLEMAND, présidente de chambre,
? Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET
MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Madeleine GUIDONI, avocate générale, qui a fait connaître son avis
ARRÊT :
? contradictoire
? rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
? signé par Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre, et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
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Vu la décision no 2020-019 de l'Autorité de régulation des transports du 28 février 2020 portant règlement du différend entre la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et SNCF Voyageurs relatif à la détermination du nombre d'emplois devant être transférés en cas de changement de titulaire de lots du contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs conclu entre la région et SNCF Voyageurs ;
Vu la déclaration de recours contenant un exposé sommaire des moyens déposée par la société SNCF Voyageurs au greffe de la Cour le 6 avril 2020 ;
Vu l'exposé des moyens déposé par la société SNCF Voyageurs au greffe le 23 juillet 2020 ;
Vu le mémoire en réponse déposé par la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur au greffe le 18 novembre 2020 ;
Vu les observations déposées par l'Autorité de régulation des transports au greffe le 19 novembre 2020 ;
Vu le mémoire en réplique no 1 et le mémoire en réplique et récapitulatif no 2 déposés par la société SNCF Voyageurs au greffe respectivement les 11 et 26 janvier 2021 ;
Vu l'avis du ministère public du 2 février 2021 transmis le même jour aux parties ;
Après avoir entendu à l'audience publique du 4 février 2021 en leurs observations orales, les conseils de la société SNCF Voyageurs, de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur et de l'Autorité de régulation des transports ainsi que le ministère public ;
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SOMMAIRE
FAITS ET PROCÉDURE4
Le cadre juridique4
La décision d'ouverture à la concurrence prise par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur6
Les méthodes de calcul utilisées par SNCF Voyageurs et par la Région et les points de différend6
La décision de l'Autorité de régulation des transports8
Le recours de SNCF Voyageurs9
MOTIVATION10
I. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE DANS L'INTERPRÉTATION DES TEXTES RELATIFS À LA MÉTHODE DE CALCUL DES EFFECTIFS10
II. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE DANS L'APPLICATION DE LA MÉTHODE DE CALCUL DES EFFECTIFS15
III. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE S'AGISSANT DE CERTAINS PERSONNELS21
A. les personnels assurant certaines prestations en gare21
B. Les personnels relevant de la Direction Générale TER24
IV. SUR L'APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS26
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FAITS ET PROCÉDURE
Le cadre juridique
1.Conformément au Règlement (CE) no 1370/2007, du 23 octobre 2007, relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, la loi no 2018-515 du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a notamment ouvert à la concurrence les services de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional (TER), actuellement tous exploités par la société SNCF Voyageurs (ci-après « SNCF Voyageurs »).
2.Les régions disposent de la faculté d'ouvrir ces services à la concurrence dès le 3 décembre 2019, après publicité et mise en concurrence. Elles sont dans ce cas tenues de publier au Journal officiel de l'Union européenne (ci-après « JOUE »), un an avant le début de la mise en concurrence, un avis de pré-information permettant de communiquer aux opérateurs économiques intéressés les informations utiles pour préparer une offre.
3.Figurent notamment, au titre des informations que les régions sont tenues de publier, celles relatives au nombre de salariés concernés par catégories d'emplois susceptibles d'être transférés.
4.Pour permettre aux soumissionnaires d'établir une offre tenant compte de l'obligation de reprise du personnel, l'article L.2121-22 du code des transports, dans sa rédaction issue de l'ordonnance no 2018-1135 du 12 décembre 2018, prévoit que la fixation du nombre des salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur doit intervenir d'un commun accord entre le cédant et l'autorité organisatrice dans un délai de neuf mois à compter de la publication de l'avis de pré-information.
5.Pour parvenir à un accord dans ce délai, ce même article dispose que le cédant doit transmettre à la région, dans le délai de six mois à compter de la publication de cet avis, les éléments nécessaires à la fixation du nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit.
6.L'alinéa 1 de l'article L.2121-22 du code des transports, dans sa rédaction précitée, prévoit à cet égard que :
« (l)e nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur est fixé d'un commun accord par le cédant et l'autorité organisatrice dans un délai de neuf mois courant à compter de la publication des informations prévues au paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transports de voyageurs par chemin de fer et par route (...) Ce nombre est arrêté sur la base des éléments transmis par le cédant dans un délai de six mois courant à compter du point de départ du délai mentionné au présent alinéa (...). Il est calculé à partir de l'équivalent en emplois à temps plein travaillé, par catégorie d'emplois, des salariés concourant directement ou indirectement à l'exploitation du service concerné (...) à la date du point de départ du délai mentionné au présent alinéa et selon des modalités d'application précisées par décret en Conseil d'État ».
7.Aux termes de l'article 2, I du décret no 2018-1242 du 26 décembre 2018 relatif au transfert des contrats de travail des salariés en cas de changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs, pris en application des dispositions législatives précitées (ci-après « le Décret ») :
« Dans chaque entité concernée par le transfert, le nombre d'emplois transférés est déterminé à partir de l'équivalent en emplois à temps plein travaillé des salariés concourant directement ou indirectement au service transféré, par catégorie d'emploi.
Ces catégories sont rattachées à trois groupements d'emplois :
1o Les emplois concourant directement à la production. Ces emplois concernent les activités opérationnelles nécessaires au service de transport transféré :
a) Conduite ligne ;
b) Autre conduite : tram-train, man?uvre, lignes locales ;
c) Accompagnement train et lutte anti-fraude, sécurité ferroviaire, service aux clients à bord, sauvegarde des recettes à bord et au sol ;
d) Gares : services en gare relevant du transporteur, notamment escale et vente, ainsi que, le cas échéant, les prestations relevant du gestionnaire de gare et fournis par le transporteur dans les conditions de l'article L.2121-17-4 du code des transports ;
e) Maintenance courante du matériel roulant.(...)
2o Les emplois relevant de spécialités techniques concourant indirectement à la production du service transféré. Ces emplois concernent les activités d'appui technique à la production du service transféré :
a) Matériel : ingénierie de maintenance (suivi du matériel), organisation et planification des opérations de maintenance en concordance avec le plan transport ;
b) Traction : conception, programmation, adaptation opérationnelle ;
c) Trains : conception, programmation, adaptation opérationnelle ;
d) Gares : le cas échéant, les prestations relevant du gestionnaire de gare et fournis par le transporteur dans les conditions de l'article L.2121-17-4 ;
e) Exploitation : conception de plan de transport, gestion des ressources et gestion des aléas d'exploitation, traitement des incidents, coordination des différents services.(...)
3o Les emplois concourant indirectement aux activités du service transféré. Ces emplois concernent les fonctions support suivantes :
a) Ressources humaines ;
b) Comptabilité et contrôle de gestion ;
c) Achats ;
d) Système d'information ;
e) Communication interne et externe. ».
8.Cet article définit aussi, pour chaque groupement d'emplois, la méthodologie devant être employée pour déterminer le nombre d'emplois à transférer.
9.Pour les emplois du groupement 1, « (l)e nombre d'emplois transférés des catégories de ce groupement est déterminé en additionnant le temps d'affectation de chaque salarié au service transféré, incluant le temps de trajet entre le lieu principal d'affectation et le lieu de prise de service. Les heures non consacrées à la production sont réparties au prorata du temps d'affectation au sein des différents services auxquels le salarié est affecté. ».
10.Pour les emplois du groupement 2, « (l)e nombre d'emplois transférés des catégories de ce groupement est déterminé de la manière suivante, par catégorie d'emploi :
i) le nombre d'emplois transférés déterminé au 1o est divisé par le nombre d'équivalents en emplois à temps plein travaillé des emplois concourant directement à la production des entités concernées. Ce nombre est calculé selon les mêmes modalités que celles prévues au 1o ;
ii) le ratio ainsi obtenu est multiplié par le nombre d'équivalents en emploi à temps plein travaillé des emplois relevant de spécialités techniques concourant indirectement à la production des entités concernées ».
11.Pour les emplois relevant du groupement 3, « (l)e nombre d'emplois transférés des catégories de ce groupement est déterminé de la manière suivante, par catégorie d'emploi :
i) le ratio mentionné au i du 2o est multiplié par le nombre d'équivalents en emplois à temps plein travaillé des emplois concourant indirectement aux activités des entités concernées. ».
12.Aux termes de l'article L.2121-17-4 du code des transports, la région peut par ailleurs décider de fournir, pour le compte du gestionnaire des gares, des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares de voyageurs relevant de son ressort territorial et utilisées principalement par des services publics de transport ferroviaire de voyageurs en les confiant à un opérateur, dans le cadre d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs, ou en les fournissant elle-même. Un décret en Conseil d'État, non encore publié à ce jour, a vocation à définir les conditions d'application de cette disposition et notamment les gares et les prestations éligibles.
13.La Cour renvoie aux paragraphes 1 à 17 de la décision attaquée s'agissant d'une présentation plus complète du cadre juridique, laquelle n'est pas discutée.
La décision d'ouverture à la concurrence prise par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur
14.La région Provence-Alpes-Côte d'Azur (ci-après « la Région ») et l'établissement SNCF Mobilités, devenue au 1er janvier 2020 la société SNCF Voyageurs, ont conclu pour la période 2019-2023 un contrat de service public intitulé « convention d'exploitation TER Provences Alpes Côte d'Azur ? 2019-2023 » (ci-après la « convention TER »).Ce contrat a pour objet de définir les modalités d'exploitation et de financement du service public régional de transport ferroviaire et prévoit en son article 66 que la Région se réserve le droit de confier après mise en concurrence l'exploitation du service à un autre opérateur, sans indemnisation de SNCF Mobilités, et ceci dans la limite d'un tiers des lots géographiques.
15.Le 20 février 2019, la Région a publié au JOUE un avis de pré-information en vue de l'ouverture à la concurrence de l'exploitation de 2 lots, représentant environ un tiers du trafic régional Provence-Alpes-Côte d'Azur (ci-après « PACA ») et correspondant à :
? l'exploitation de trains interurbains de la liaison Marseille-Toulon-Nice (lot 1) ;
? l'exploitation de trains urbains et interurbains correspondant à l'« étoile ferroviaire de Nice » (Les Arcs-Draguignan-Nice-Ventimiglia, Cannes-Grasse et Nice-Tende) (lot 2).
16.Les dates d'attribution sont fixées, à titre prévisionnel, au mois d'août 2021 pour les deux lots, et les dates de mise en exploitation, prévues par l'avis de concession, au début du mois de juin 2025 pour le lot 1 et à la mi-décembre 2024 pour le lot 2.
17.À l'issue d'échanges d'informations entre les parties, SNCF Voyageurs et la Région ont chacune opéré un chiffrage du nombre d'emplois devant être transférés sur la base d'un équivalent temps plein (ci-après « ETP »), sans parvenir à s'accorder.
Les méthodes de calcul utilisées par SNCF Voyageurs et par la Région et les points de différend
18.Pour calculer le nombre d'ETP affectés à ces deux lots mis en concurrence, SNCF Voyageurs précise s'être heurtée à une difficulté résultant de son organisation, et en son sein de l'activité TER PACA dont relèvent les lignes et services des deux lots. En effet, cette dernière, selon les explications non contestées qu'elle a fournies, est mutualisée à la maille de la région administrative et non pas organisée ligne par ligne ou train par train. Ainsi, aucun des 2338 salariés affectés à TER PACA n'est, dans l'organisation existante, affecté exclusivement aux liaisons relevant des lots mis en concurrence.
19.SNCF Voyageurs a élaboré une méthodologie de calcul consistant, à partir du nombre d'ETP total par catégorie d'emplois sur le périmètre de la convention TER, à opérer un travail dit « de détourage » pour calculer les ressources concourant à la production du lot concerné, sur la base de l'organisation existante à la date de la publication de l'avis de pré-information. Pour ce faire, SNCF Voyageurs s'est fondée sur des assiettes d'effectifs concourant au service auxquelles elle a appliqué des quote-parts variant selon chaque catégorie d'emplois et elle a procédé à une reconstitution des effectifs par application de ces quote-parts aux effectifs globaux TER PACA (schéma de synthèse de la méthode utilisée produit par SNCF Voyageurs pièce no5).
20.Le chiffrage des effectifs, à la date de publication de l'avis de pré-information, réalisé par SNCF Voyageurs selon cette méthode s'élève à 243, 88 ETP à transférer pour le lot 1 et à 691, 2 ETP pour le lot 2.
21.La Région a contesté cette méthodologie au motif, selon elle, que celle-ci n'est pas celle préconisée par le Décret et que les éléments transmis par SNCF ne lui permettent pas de vérifier le calcul effectué. Elle a demandé à la SNCF par courrier du 23 septembre 2019, suite à des réunions intervenues les 10 et 20 septembre 2019, les éléments concernant les temps d'affectation aux lots 1 et 2 des personnels relevant de chaque catégorie d'emploi et à défaut les données nécessaires aux calculs des journées de service des agents (heures, hypothèse des temps de travail, informations sur l'inaptitude et l'absentéisme). Faute de les avoir obtenus, elle a procédé, avec l'aide d'un assistant à la maîtrise d'ouvrage, à l'évaluation du nombre de salariés à transférer en retenant une méthode fondée sur des projections des besoins des services devant être transférés afin, selon elle, d'éviter de comptabiliser d'éventuels agents faisant partie des effectifs de TER PACA mais qui, dans les faits, ne participeraient pas à la production du lot considéré, quelle qu'en soit la raison.
22.La Région a ainsi calculé les temps passés par les salariés pour effectuer les services afférents aux liaisons relevant des deux lots, en partant des besoins du service et en reconstituant certaines données qu'elle estime retenues par SNCF voyageurs, en procédant par 4 étapes successives :
? 1 : construction des « roulements matériels » du lot concerné (également appelés « services voiture ») ;
? 2 : construction des « services agents » avec les règles sociales des établissements locaux ;
? 3 : calcul du temps de travail effectif des agents de la catégorie concernée (en prenant en compte les heures non productives) ;
? 4 : calcul des effectifs en équivalent temps plein.
23.Elle a donc, à partir des données sur les temps de services de chaque train et de sa fréquence qu'elles a obtenues de SNCF Voyageurs, construit des « services voiture » en guise de référentiel applicable à chaque train circulant, y compris vide, sur une ligne comprise dans le lot concerné (construit à partir du « catalogue des sillons du service annuel 2019, de son régime d'activation et de son calendrier d'application, de l'état des circulations à vide et du décompte des heures/journées de production pour valider les heures de roulement »). Elle a, ensuite, afin de reconstituer certaines données non transmises par SNCF Voyageurs, eu recours à une modélisation du nombre d'heures de service par lot et par catégorie d'emplois, prenant en compte les règles sociales des établissements locaux. Puis, elle a simulé le nombre d'heures de service effectif par agent au niveau annuel. Elle s'est appuyée, pour y parvenir, sur la modélisation des roulements à l'aide d'un logiciel spécialisé (dénommé « Viriato »), et sur les données de disponibilités des personnels fournies (exposé complet dans la production devant ART no 21).
24.Les résultats de la Région divergent de ceux de SNCF Voyageurs en raison, par ailleurs, de différends spécifiques exposés par la Région dans un courrier du 22 octobre 2019 (pièce no 8 de la saisine).
25.Dans ce courrier, elle considère, d'une part, qu'il convient « de faire figurer dans le dossier de consultation des entreprises un nombre de salariés cohérent avec la trajectoire RH de la convention 2019-2023 », soit l'évolution des effectifs envisagée par les deux co-contractants pour améliorer le service TER.
26.Elle fait valoir, d'autre part, qu'un certain nombre de personnels inclus dans le calcul de SNCF Voyageurs doit en être exclu :
? « le personnel en sureffectif qui, de ce fait, ne concourt en réalité pas au service transféré » ;
? le personnel affecté aux prestations en gare tant que le décret pris en application de l'article L.2121-17-4 du code des transports, sur les modalités de gestion des gares, ne serait pas paru ;
? les effectifs de la Direction générale TER.
27.S'agissant plus spécifiquement de la « trajectoire RH », la Région a réalisé une « projection indicative des ETP des lots 1 et 2 d'ici 2023 » sur la base de l'organisation mutualisée sur l'ensemble du TER PACA (pièce 22 de la saisine, datée du 15 novembre 2019, intitulée « prévisionnel ETP convention 2019-2023 »). Sont visées, au titre de la « modification de l'offre conventionnelle », les dispositions de l'article 22.2 de la convention TER intitulées « accompagnement à bord » qui évoquent une nécessaire « adaptation aux différentes typologies de ligne et aux nouveaux enjeux financiers en matière de sûreté et de lutte anti-fraude » et mentionnent :
« Ainsi, la présence d'un contrôleur à bord des trains ne sera plus systématique sur les lignes urbaines et péri-urbaines. En parrallèle, des équipes de contrôle mobiles seront déployées ».
28.La Région aboutit à un chiffrage de 148 ETP à transférer pour le lot 1 et à 406 ETP pour le lot 2, soit une proportion inférieure d'environ 40 % à celle de SNCF Voyageurs.
La décision de l'Autorité de régulation des transports
29.Compte tenu du désaccord persistant, la Région a saisi le 28 novembre 2019 l'Autorité de régulation des transports (ci-après « l'ART ») d'une demande de règlement de différend, sur le fondement du III de l'article L.1263-2 du code des transports.
30.Par la décision no 2020-19 du 28 février 2020 (ci-après la « décision attaquée »), l'ART a, au terme des six mesures d'instruction énumérées dans les visas, adressées à la SNCF et à la Région, fixé le nombre d'ETP devant être transférés en cas de changement d'attributaire de la convention de service public de transport ferroviaire de voyageurs à 163 pour le lot 1 et 479 pour le lot 2.
31.Elle a, pour y parvenir :
? estimé que c'est à la date de la publication de l'avis de pré-information que doit être évalué le nombre d'ETP, sur la base de l'organisation existante ;
? dit qu'il appartient à SNCF Voyageurs de transmettre les données permettant de calculer le nombre d'ETP selon une méthodologie conforme au Décret et considéré que ces données n'ont pas été fournies par le cédant ;
? estimé que la méthodologie retenue par SNCF Voyageurs pour fixer le nombre d'emplois concourant directement à la production est contraire au Décret dans la mesure où elle ne repose pas sur une addition des temps d'affectation des salariés concernés à chaque lot transféré, et elle a observé que cette méthode aboutissait à des résultats contraires à ceux auxquels devait aboutir la mise en ?uvre des dispositions du Décret.
? considéré que faute de transmission par SNCF Voyageurs des données nécessaires à l'application de la méthodologie prévue au Décret, il convenait, pour trancher le différend dans le délai imparti, de se fonder sur les chiffrages de la Région en redressant ceux qu'elle a considéré comme manifestement erronés ;
? exclu le personnel de SNCF Voyageurs réalisant des prestations d'escale pour le compte de Gares et Connexions, en raison de la non publication du décret d'application mentionné par l'article L. 2121-17-4 du code des transports ;
? exclu du transfert le personnel relevant de la Direction générale TER de SNCF Voyageurs, considérant que cette dernière constitue une direction centrale au sens de l'article 2, 1o, III du Décret.
Le recours de SNCF Voyageurs
32.Par son recours en date du 6 avril 2020, SNCF Voyageurs demande à la Cour de :
? réformer la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré sa méthodologie non conforme au Décret, écarté son calcul et retenu une méthodologie erronée ;
? fixer le nombre d'ETP devant être transférés en cas de changement d'attributaire de la convention de service public de transport ferroviaire de voyageurs à 244 (dont 11,5 ETP au titre des prestations d'escale dites « de base » en gare) pour le lot 1 et à 691 (dont 38,5 ETP au titre de ces prestations d'escale) pour le lot 2 ;
? dire que ce nombre d'ETP au titre des prestations d'escale dites « de base » en gare, fixé à la date de publication de l'avis de pré-information (février 2019) constitue un nombre maximal qui devra être ajusté d'un commun accord entre la Région et SNCF Voyageurs, dans le respect de la même méthode de calcul, si la parution du décret d'application mentionné à l'article L.2121-17-4 du code des transports et le choix de la Région concernant les gares et prestations intégrées dans le périmètre du contrat de service public en vertu du 1er alinéa de l'article L.2121-17-4 du code des transports venait à modifier la situation existante antérieurement à la publication de ce décret ;
À titre subsidiaire,
? fixer le nombre d'ETP devant être transférés en cas de changement d'attributaire de la convention de service public de transport ferroviaire de voyageurs à partir des éléments résultant de l'instruction devant l'ART et devant la Cour, en corrigeant les effets de l'erreur de droit commise par la Région et reprise par l'Autorité.
33.La Région demande à la Cour de rejeter ce recours. L'ART et le ministère public l'y invitent également.
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MOTIVATION
I. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE DANS L'INTERPRÉTATION DES TEXTES RELATIFS À LA MÉTHODE DE CALCUL DES EFFECTIFS
34.Aux termes de la décision attaquée, la méthode employée par SNCF Voyageurs pour fixer le nombre d'emplois concourant directement à la production est contraire au Décret dans la mesure où elle ne repose pas sur une addition des temps d'affectation des salariés concernés à chaque lot transféré. En outre, cette méthode comporte un certain nombre de points contestables : incohérences s'agissant de la catégorie « conduite en ligne », méthode ne correspondant pas à la réalité des missions des agents de la catégorie « autre conduite », chiffrage ne prenant pas en compte les heures effectivement réalisées par les encadrants, quote-part non représentative de la réalité des missions des agents relevant des catégories « équipes et services à bord », « lutte anti-fraude et équipes mobiles », « vente aux guichets », « escale et services en gare », risque de double comptage eu égard à la difficulté de procéder à un détourage des personnels affectés à des missions d'avitaillement. L'ARTen a déduit qu'il convenait d'écarter la méthode de SNCF Voyageurs.
35.SNCF Voyageurs estime que l'interprétation retenue par l'ART pour écarter sa méthodologie est erronée car elle se fonde, à tort, sur le temps passé par chaque salarié, au sein de sa journée de travail, à la réalisation des seuls services et trains relevant des lots définis par la Région alors que cette référence n'est pas conforme au Décret. Ce dernier ne définit pas la notion d'« affectation de chaque salarié au service transféré » et aucun texte n'oblige à mesurer les temps passés aux seuls trains des lots définis par la Région. Par ailleurs, le temps affecté ne correspond pas nécessairement au temps effectué, ces deux termes étant employés de façon distincte dans une même phrase à l'article 3 du Décret.
36.SNCF Voyageurs considère que l'ART impose à tort d'identifier les salariés dont le contrats de travail seront repris par l'attributaire et qu'elle méconnaît non seulement la lettre du texte mais aussi son économie générale, ses mécanismes structurants et sa finalité. En effet, le nombre d'ETP calculé dans le cadre du présent litige ne détermine pas le nombre de salariés qui seront in fine repris par le cessionnaire, et détermine encore moins les salariés qui seront individuellement concernés par ce transfert.
37.SNCF Voyageurs soutient donc, en premier lieu, que l'interprétation retenue par l'ART dans l'interprétation des textes relatifs à la méthode de calcul des effectifs résulterait d'une confusion entre les notions de « temps passé » et de « temps affecté ».
38.Elle reproche aussi à la décision attaquée de ne pas tenir compte de l'organisation mutualisée de SNCF Voyageurs à la maille de la Région entière qui ne permettrait pas, selon elle, de mesurer et donc de connaître les temps passés par chaque salarié à la réalisation du lot. Elle ajoute qu'elle n'est tenue de comptabiliser que la durée du temps de travail et des repos de ses salariés, en sa qualité d'employeur, et qu'on ne peut lui imposer la mise en place d'outils pour le décompte du temps de travail passé sur différentes tâches par chacun de ses agents.
39.Elle souligne que la méthode de calcul dite de « de détourage » qu'elle a retenue se fonde, à juste titre, sur la reconstitution du temps de ses salariés affectés aux trains et services des lots définis par la Région. Elle fait valoir que le Décret n'a pas exclu que le temps d'affectation soit déterminé par application d'une quote-part, selon la méthode qu'elle a retenue, l'addition des temps étant réalisée dès la détermination de l'assiette d'effectifs. Elle évoque le cas des agents affectés à la vente des billets qui selon elle démontrerait qu'il n'est pas possible de mettre en ?uvre une autre méthode. Elle ajoute que l'approche par quote-part d'activité économique répond strictement à la finalité économique du calcul d'ETP dont le coût devra être chiffré par le soumissionnaire.
40.SNCF Voyageurs soutient donc, en second lieu, que la méthode qu'elle propose a été indument écartée alors qu'elle aboutit à des résultats fiables et conformes à la philosophie du Décret.
41.En réponse, la Région fait valoir que le sens du 1o du I de l'article 2 du Décret ne souffre pas de discussion, raison pour laquelle l'ART s'est abstenue, dans la décision attaquée, d'en faire l'exégèse, se contentant de le citer mot pour mot. Procédant ensuite à une comparaison entre la méthode du Décret et celle appliquée par SNCF Voyageurs, elle estime que l'ART n'a pu que constater la non-conformité substantielle de cette dernière et la considérer comme contraire au Décret.
42.La Région ajoute que quelque soit la définition du temps d'affectation au service transféré, la méthode de calcul de SNCF Voyageurs reste fondamentalement non conforme aux textes applicables, qui requièrent expressément d'additionner les temps d'affectation individuels. Il ne saurait en outre être prétendu que la notion de temps d'affectation n'est pas définie par le texte, selon elle, alors qu'il ressort de ce dernier qu'il s'agit du total :
? du temps de production du lot transféré, ce qui est confirmé par la prise en compte ensuite des « heures non consacrées à la production » ;
? « du temps de trajet entre le lieu principal d'affectation et le lieu de prise de service » ;
? « d'une partie des heures non consacrées à la production au prorata des différents services auxquels le salarié est affecté ».
43.La Région se réfère, en outre, à l'annexe technique no 23, qu'elle a produite devant l'ART, relative à l'impossibilité d'auditer les résultats de la méthode de SNCF Voyageurs du fait de l'absence de communication par ses soins des données de production nécessaires. Elle fait enfin valoir, exemple à l'appui (versement le 18 novembre 2019 d'une pièce présentant les heures de production de chacun des services en gare de Toulon) qu'il n'est pas impossible à SNCF Voyageurs de transmettre les éléments, indispensables au calcul, prévus par les textes.
44.L'ART souligne, en premier lieu, que l'obligation de reprise du personnel résulte du droit de l'Union européenne et en particulier de la directive no 2003/23 du 12 mars 2011, mais que la difficulté principale résultant de cette obligation réside dans la faible proportion des salariés exclusivement affectés à l'activité TER. L'avantage d'introduire dans les textes la notion d'affectation au sein du service à transférer était de permettre l'identification des salariés concourant, y compris partiellement, à l'exploitation du service concerné.
45.Elle ajoute que le mécanisme de fixation du nombre de salariés, tel qu'il a été précisé à l'article 2 du Décret, s'articule en deux temps : il faut d'abord déterminer le temps d'affectation de « chaque salarié » pour le premier groupement d'emploi, pour ensuite appliquer le ratio obtenu aux salariés des entités concernées des deux autres groupements. Elle déduit des termes du Décret que le pouvoir réglementaire a écarté l'hypothèse d'un temps d'affectation moyen théorique de l'ensemble des salariés de l'entité concernée et a, à l'inverse, imposé à l'autorité cédante d'isoler le temps d'affectation de chacun des salariés au sein du service transféré. En outre, imposant au cédant d'additionner les temps d'affectation, le pouvoir réglementaire a ainsi exclu une méthode qui consisterait dans l'application d'une quote-part sur une assiette pré-déterminée.
46.L'ART ajoute que le temps d'affectation prévu à l'article 2 du Décret renvoie au taux d'affectation qui a été érigé comme critère pour déterminer les salariés ayant vocation à être prioritairement transférés parmi les salaries affectés au service transféré, et que ce taux est défini par l'article 2 comme étant le ratio entre le temps affecté au service transféré et le temps effectué par le salarié pour le compte du cédant, tandis qu'il est défini par l'annexe I du décret no 201-696 du 2 juillet 2019 relatif à l'information, l'accompagnement et le transfert des salariés en cas de changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs, comme étant le ratio entre le temps de travail affecté au service transféré et le temps de travail effectué par le salarié pour le compte du cédant. Elle en déduit que les notions de « temps de travail affecté au service transféré » et le « temps affecté au service transféré » sont deux notions identiques, interchangeables. Elle ajoute que SNCF Voyageurs n'établit pas en quoi les deux notions se distingueraient et surtout n'indique pas en quoi il y aurait une confusion.
47.L'ART fait valoir enfin que la circonstance que le droit social n'impose pas le calcul des temps d'affectation des salariés n'est pas de nature à empêcher que la mesure des temps d'affectation soit retenue comme un préalable obligatoire pour déterminer le nombre de salariés à transférer dans l'hypothèse d'une reprise d'activité et en conséquence d'une reprise des salariés concernés par le transfert.
48.En second lieu, l'ART observe que le législateur et le pouvoir réglementaire avaient parfaitement connaissance de l'organisation de SNCF Voyageurs et de ses objections lorsqu'ils ont imposé ces nouvelles obligations. Elle ajoute que les difficultés dont se prévaut SNCF Voyageurs ne tiennent pas à son organisation mutualisée mais à l'absence de mesures prises par l'intéressée pour se doter d'un outil de gestion lui permettant de recenser les différentes affectations de chaque salarié, outil de gestion dont elle n'allègue au demeurant pas qu'il aurait été impossible à concevoir et à mettre en ?uvre. L'ART fait valoir que SNCF Voyageurs était en effet libre d'utiliser tout outil, qu'il s'agisse d'un logiciel procédant à des calculs à partir des tableaux de service, des plannings de chaque agent, d'outils statistiques ou d'enquêtes de terrain permettant de mesurer chaque jour le temps de travail des salariés dédiés sur chaque circulation ou pour chaque train, dès lors que ceux-ci ont pour objet de mesurer le temps de travail effectivement passé par les salariés sur les lots en question. Elle considère que de tels outils sont tout à fait compatibles avec une organisation mutualisée. Elle observe en outre que SNCF est informée depuis l'entrée en vigueur de la loi no 2018-515 du 27 juin 2018 des obligations qui en découlent et de la nécessité de se doter d'outils performants.
49.L'ART ajoute, renvoyant à la décision attaquée (paragraphes 46, 68, 69, 73, 90 notamment), que la méthodologie proposée par SNCF Voyageurs aboutit, y compris s'agissant des agents affectés à la vente des billets, à des résultats qui ne représentent pas la réalité des effectifs à transférer.
50.Le ministère public ajoute, s'agissant du cadre méthodologique, que l'ART a déjà valablement répondu au moyen dans la décision attaquée aux paragraphes 27 à 29, 39 et 42 et qu'elle en a conclu à bon droit au paragraphe 43 qu'au regard de ces éléments, il y avait lieu de constater que la méthode employée par SNCF Voyageurs ne repose pas sur une addition des temps d'affectation des salariés concernés à chaque lots transféré, si bien qu'elle est contraire à celle prévue par le Décret.
***
Sur ce, la Cour,
51.Il doit être relevé, tout d'abord, qu'il se déduit de l'alinéa 1 de l'article L.2121-22 du code des transports, mentionné au paragraphe 6 du présent arrêt, qui prévoit que le nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur est fixé d'un commun accord par le cédant et l'autorité organisatrice dans un délai de neuf mois courant à compter de la publication des informations prévues au paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) no 1370/2007 précité, qu'il est arrêté sur la base des éléments transmis par le cédant dans un délai de six mois courant à compter du point de départ du délai de neuf mois précité, et qu'il est calculé à partir de l'équivalent en emplois à temps plein travaillé, par catégories d'emplois, des salariés concourant directement ou indirectement à l'exploitation du service concerné, à la date du point de départ de ce même délai, que ce nombre est fixé à la date de publication de l'avis de pré-information.
52.Il en résulte que le nombre d'emplois transférés à l'opérateur alternatif doit nécessairement être évalué à partir des effectifs affectés aux services concernés à la date de publication de l'avis de pré-information, sur la base d'un constat de l'existant, et qu'il ne peut être pris en considération aucun élément postérieur susceptible de modifier l'évaluation préalable servant de base à la mise en concurrence.
53.Il convient de relever, ensuite, que l'article 2, I, du Décret, qui en précise les modalités d'application, dispose, notamment, que : (...)
? pour les emplois du groupement 1 (concourant directement à la production) (1o) :
« le nombre d'emplois transférés des catégories de ce groupement est déterminé en additionnant le temps d'affectation de chaque salarié au service transféré, incluant le temps de trajet entre le lieu principal d'affectation et le lieu de prise de service. Les heures non consacrées à la production sont réparties au prorata du temps d'affectation au sein des différents services auxquels le salarié est affecté ».
? pour les emplois du groupement 2 (relevant de spécialités techniques concourant indirectement à la production du service transféré) et du groupement 3 (concourant indirectement aux activités du service transféré), « ce nombre est calculé selon les mêmes modalités que celles prévues au 1o ».
54.De plus, aux termes de l'article 3, I du Décret, le taux d'affectation qui détermine les salariés ayant vocation à être prioritairement transférés « est égal au ratio entre le temps affecté au service transféré et le temps effectué par le salarié pour le compte du cédant. ».
55.Il ressort, en premier lieu, des articles 2, I et 3, I précités du Décret, que le nombre d'emplois transférés relevant des catégories du groupement 1 est déterminé en partant du temps d'affectation de « chaque salarié » au service transféré. Une fois ce nombre calculé, le nombre d'emplois des catégories des groupements 2 et 3 devant être transférés est déterminé en appliquant le ratio mentionné au i du 2o de l'article 2, I précité.
56.Effectuer ce calcul passe ainsi par une analyse de l'existant, salarié par salarié en procédant à un décompte individuel du temps d'affectation au service ou d'une reconstitution de celui-ci sur une base nécessairement individuelle.
57.Il ressort , en deuxième lieu, de l'article 2, I, du Décret que « le temps d'affectation » est la part du temps que chaque salarié consacre au service transféré. Ces dispositions visent nécessairement le temps de travail du salarié, puisqu'il s'agit de calculer des « équivalents en emplois à temps plein travaillé », et que le temps plein travaillé dont il est question, ainsi qu'il est précisé dans l'article 2, I du Décret, est le temps consacré durant sa journée de travail par ce salarié à l'activité proprement dite, auquel s'ajoutent le « temps de trajet entre le lieu principal d'affectation et le lieu de prise de service » et les « heures non consacrées à la production » (temps d'attente, réunion interne, prise de service...).
58.Il peut être observé à titre complémentaire, comme le relève l'ART dans ses écritures, que l'annexe I du décret no 2019-696 du 2 juillet 2019 relatif à l'information, l'accompagnement et le transfert des salariés en cas de changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs renvoie expressément à la notion de temps de travail :
« Le taux d'affectation est égal au ratio entre le temps de travail affecté au service transféré et le temps de travail effectué pour le compte du cédant » (mots soulignés par la Cour).
59.Il se déduit de ce qui précède que le temps d'affectation au service transféré correspond au temps passé par le salarié au service transféré de sorte qu'aucune opposition n'existe entre les notions de « temps passé » ? qui serait à l'origine de l'erreur de droit invoquée par SNCF Voyageurs ? et de « temps affecté » ? qui est la notion employée par les textes pour distinguer, dans le temps de travail global du salarié, celui qui est consacré au service transféré.
60.Il ressort, en troisième lieu, de l'article 2, I, du Décret que le nombre d'emplois transférés relevant des catégories du groupement 1 est déterminé en « additionnant » le temps de travail consacré au service transféré par chacun des salariés à la date de l'évaluation. Par suite, lors de la phase du calcul des ETP à transférer, il revient au cédant de calculer, sur la base de l'existant, le temps d'affectation de « chaque salarié » au service transféré. Il s'en déduit qu'il s'agit d'un préalable obligatoire. Le cédant ne peut donc procéder à ce calcul en partant d'un temps d'affectation moyen théorique de l'ensemble des salariés, par application d'une quote-part théorique. Ce nombre correspond ainsi, pour chacun des lots définis par la Région, au temps de travail cumulé, effectivement passé par les salariés du cédant au sein du service ayant fait l'objet d'une ouverture à la concurrence.
61.Cette méthode n'exclut pas de recourir à toute quote-part pour les postes mutualisés par nature que sont les postes de vente de billets de train aux guichets, certains services en gare et la maintenance courante du matériel roulant, sous réserve que la reconstitution du temps affecté au service transféré s'opère, dans la configuration qui était la sienne à la date de publication de l'avis de pré-information, sur une base individuelle et appropriée qui traduise fidèlement la réalité des missions du personnel de la catégorie concerné.
62.Ce calcul vise certes des temps et non des personnes, mais il implique de déterminer préalablement quels sont les salariés qui réalisent ces temps, puisqu'il est nécessaire de mesurer la durée que chacun d'entre eux consacre au service transféré. Cette obligation résulte du Décret, sans que soit imposé d'outil particulier pour y parvenir, étant observé que celle-ci s'apprécie indépendamment du respect des obligations résultant du statut d'employeur. Cette opération est également distincte de celle consistant, en vertu d'autres mécanismes, à identifier les salariés qui seront individuellement concernés par un tel transfert.
63.Ainsi qu'il est exposé au paragraphe 42 de la décision attaquée, les temps d'affectation de chaque salarié aux services transférés sont ensuite « convertis, par catégorie d'emplois, en ETP. C'est sur cette base que le nombre d'emplois transférés auprès du nouvel attributaire est arrêté, comme le prévoit le I de l'article 2 du décret no 2018-1242 susvisé ».
64.Cette méthodologie de calcul, prévue au I de l'article 2 du Décret, et qui précisément, en utilisant la notion de temps d'affectation, n'est pas incompatible avec l'organisation actuelle de SNCF Voyageurs basée sur une mutualisation de ses personnels, s'impose à SNCF Voyageurs, à qui il incombe de l'appliquer en recourant à tout moyen approprié pour y parvenir.
65.Comme l'ont justement relevé l'ART et la Région, les difficultés nées de l'organisation actuelle des services de SNCF Voyageurs ne sont pas insurmontables. Depuis l'entrée en vigueur de la loi no 2018-515 du 27 juin 2018, cette dernière pouvait en effet mettre en place, par exemple, un système déclaratif recensant auprès des salariés affectés à plusieurs services la répartition de leur temps de travail ou se doter de tout autre outil, à sa convenance, lui permettant de mesurer le temps de travail effectivement passé par les salariés sur les lots en question.
66.La circonstance qu'il existe des postes structuellement mutualisés ne saurait justifier la méthodologie appliquée par la SNCF, qui s'écarte de l'évaluation individuelle induite par les termes du décret. En effet, comme la Cour l'a indiqué au paragraphe 61, le Décret n'interdit pas de recourir à une quote-part pour de tels postes, sous réserve que sa base soit appropriée et traduise fidèlement la réalité des missions du personnel de la catégorie concernée, ainsi que l'a justement relevé l'ART aux paragraphes 67 et suivants de la décision attaquée.
67.Il se déduit de ce qui précède que, contrairement à ce qu'allègue SNCF Voyageurs, la méthode qu'elle propose, qui part d'un temps d'affectation moyen théorique de l'ensemble des salariés de l'entité concernée, n'est pas conforme au Décret. Ce dernier impose, en effet, lors du calcul des ETP à transférer, de mesurer les temps effectivement passés par les salariés aux seuls trains des deux lots définis par la Région, ce qui implique d'avoir préalablement isolé le temps d'affectation de chacun des salariés aux services transférés.
68.En écartant cette méthode, l'ART n'a donc commis aucune erreur de droit. Le moyen doit être rejeté.
II. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE DANS L'APPLICATION DE LA MÉTHODE DE CALCUL DES EFFECTIFS
69.Aux termes de la décision attaquée, il appartient au cédant de transmettre des éléments permettant d'arrêter le nombre de salariés dont le contrat de travail se poursuit auprès du nouvel employeur. En sa qualité d'unique détenteur de ces informations, c'est à lui qu'incombe la charge de la preuve de transmettre des données, vérifiables et justifiées, permettant d'appliquer la méthodologie prévue par le Décret. SNCF Voyageurs ayant transmis des données ne permettant pas de l'appliquer, il est revenu à l'ART, qui n'est pas en mesure de mener, dans le délai de trois mois qui lui est imparti, ses propres travaux d'audit, de confronter les chiffrages estimés par la Région, sur la base de l'audit qu'elle à réaliser, avec ceux de SNCF Voyageurs. À défaut pour SNCF Voyageurs d'avoir transmis les données qu'il lui appartient de produire, nécessaires à l'application de la méthodologie prévue au Décret, malgré les demandes en ce sens au cours de l'instruction et alors que la charge de la preuve lui incombe, les chiffrages de la Région doivent en conséquence être regardés, après analyse par l'ART et dans l'hypothèse où ils n'étaient pas manifestement erronés, comme permettant de définir au mieux le nombre d'emplois à transférer.
70.SNCF Voyageurs allègue que l'ART a fixé le nombre d'ETP selon une méthode entachée d'erreur de droit d'un triple point de vue.
71.En premier lieu, elle considère que l'ART n'aurait pas exercé sa compétence d'investigation au motif qu'elle aurait été tenue de respecter certains délais, alors qu'aucun délai pour statuer ne lui était pourtant imparti à peine de nullité de sa décision ou de dessaisissement de l'Autorité, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence. Elle relève que l'ART n'établit pas, en outre, avoir été dans l'impossibilité de conduire un audit minimal dans le délai de trois mois qui lui était imparti. Elle estime qu'il lui appartenait pourtant de mettre en ?uvre l'ensemble des pouvoirs d'instruction et d'investigations dont elle dispose, non pour accéder à des données qui n'existent pas, mais pour être en mesure de statuer sur la base de l'ensemble des données produites ou rendues accessibles par SNCF Voyageurs, en proposant une méthodologie conforme à ce qu'elle considérait être l'état du droit. Elle considère que, dès lors que l'ART estimait que chacune des méthodologies qui lui étaient soumises était erronée, celle-ci ne pouvait se borner à retenir le chiffrage issu de l'une d'entre elles et il lui appartenait de mettre en ?uvre les moyens d'investigations dont elle dispose pour procéder à son propre chiffrage.
72.En deuxième lieu, SNCF Voyageurs fait valoir que l'ART a retenu le chiffrage de la Région sans en apprécier le bien-fondé mais en relevant qu'il n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Elle estime par ailleurs que, ce faisant, l'Autorité a excédé ses pouvoirs en s'attribuant un pouvoir discrétionnaire qu'aucune disposition du code des transports ne lui attribue, dont elle ne justifie pas les conditions de mise en ?uvre et, par suite, qui ne peut faire l'objet d'aucun contrôle.
73.En troisième lieu, SNCF Voyageurs estime que l'ART a retenu le chiffrage de la Région alors qu'elle reconnaissait dans le même temps qu'il est établi sur des bases juridiquement inexactes. Elle fait valoir que le texte ne prévoit en effet pas que les ETP soient calculés sur la base des effectifs nécessaires mais sur la base des effectifs existants. Elle soutient que le prétendu « sureffectif » invoqué par la Région correspond à l'écart entre le nombre de personnels affectés au service à la date d'ouverture à la concurrence et ceux dont la Région estime qu'il seraient en nombre suffisant pour le même service mais dans une autre organisation. Or, compte tenu de la rédaction des textes légaux et réglementaires, elle estime que seule l'organisation existante à la date de la publication de l'avis de pré-information doit être retenue comme base de calcul. La méthode de la Région, contraire à ce principe, est donc erronée dans ses bases mêmes.
74.SNCF Voyageurs ajoute qu'une lecture attentive des réponses apportées par la Région montre que cette dernière n'a à aucun moment, durant les mesures d'instruction de l'ART, opéré de re-calcul ni même identifié le nombre ou la proportion d'ETP qui correspondraient à la prise en compte de la trajectoire économique future ou à des sureffectifs. L'Autorité n'a pas non plus, contrairement à ce qu'elle indique, corrigé ou redressé les chiffres de la Région. Elle les a suivis, tout en affirmant qu'ils procèdent à une méthodologie contraire aux textes puisque fondée sur les besoins futurs estimés par la Région et non sur l'existant constaté au sein de SNCF Voyageurs.
75.Elle fait valoir enfin que ce n'était pas à elle de pallier les limites des choix méthodologiques du régulateur, auquel il ne lui appartient pas de se substituer. Elle considère qu'on ne pouvait attendre d'elle qu'elle corrige certains éléments de la méthode de la Région, alors qu'elle la considère comme intrinsèquement et dans son ensemble viciée. La méthode de l'ART devait elle-même satisfaire complètement aux dispositions législatives et réglementaires qu'elle prétend appliquer, sans exiger de SNCF Voyageurs des éléments, dont elle savait qu'elle ne disposait pas, pour corriger les effets des carences de sa position et de son instruction.
76.La Région répond, en premier lieu, ne pas pouvoir identifier les investigations supplémentaires que l'ART aurait pu mener. Elle observe que SNCF Voyageurs est mal venue d'articuler de tels reproches, alors qu'elle n'a pas satisfait aux demandes d'informations de l'ART précisément formulées dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction. Elle souligne aussi que le délai de 12 mois a été fixé afin d'éviter que la question de la fixation du nombre d'ETP ne vienne paralyser l'ouverture à la concurrence.
77.La Région conteste les prétendues lacunes de l'instruction de l'ART en rappelant qu'il est de principe que lorsque la preuve incombe à une partie, et faute pour cette partie de pouvoir ? sinon de vouloir ? se justifier, le juge considère les allégations de l'autre partie comme établies. Elle ajoute que le juge administratif sanctionne très systématiquement le refus de l'administration de lui communiquer les dossiers et documents qu'il lui avait expressément réclamés comme étant indispensables à la découverte de la vérité et donc au bon déroulement du procès et que ces principes sont transposables au cas de SNCF Voyageurs, jusqu'à très récemment établissement public en situation de monopole historique.
78.En deuxième lieu, la Région souligne que l'ART a dans la décision attaquée, contrairement à ce qui est allégué par SNCF Voyageurs, apprécié le bien-fondé de la méthodologie qu'elle a employé et l'a expressément considéré comme « permettant de définir au mieux le nombre d'emplois à transférer » (paragraphe 28). Puis elle a examiné catégorie d'emploi par catégorie d'emploi les évaluations respectives de la Région, pour en rectifier certaines. Il n'est besoin que de comparer le chiffrage de la Région avant l'instruction et celui retenu finalement pour le constater. L'argument, qui manque en fait, doit donc être écarté.
79.En troisième lieu, la Région renvoie aux quatre étapes qu'elle a suivies (exposées paragraphe 22), à défaut de disposer de données précises sur les effectifs de SNCF Voyageurs et leur temps productif et improductif. Elle ajoute n'avoir appliqué à aucun moment de correctifs aux effectifs existants, contrairement à ce qu'allègue SNCF Voyageurs. Son approche étant fondée sur les besoins du service, le nombre d'ETP calculé y correspond, ni plus ni moins.
80.En ce qui concerne la prise en compte dans le chiffrage retenu de la trajectoire figurant dans la convention TER en termes de ressources humaines, la Région souligne qu'elle ne fait que très peu grief à SNCF Voyageurs. Suite aux redressements auxquels elle a procédé en novembre 2019, le chiffrage par la Région des ETP à transférer pour le Lot 1 est demeuré inchangé, que cela soit globalement ou poste par poste, à l'exception du nombre proposé pour la catégorie 1A/B, qui s'est rapproché de celui proposé par SNCF Voyageurs (Production devant ART no 21 ? Annexe 3). S'agissant du lot 2, la situation est quasiment similaire : seules deux catégories ont été modifiées en suite de la prise en compte de la trajectoire RH, et pour l'une d'entre elles, la conduite (1/A/B), l'évaluation de la Région se rapproche de celle de SNCF Voyageurs (de 111 à 126) (ibid). Le seul effet significatif de la prise en compte par la Région de la trajectoire RH concerne la catégorie 1/C du Lot 2 « Accompagnement Train et Lutte anti-fraude », qui passe de 130 à 98 (contre 131,6 pour SNCF Voyageurs).
81.La Région considère que toutes les évolutions significatives prévisibles du nombre d'ETP à transférer doivent être prises en compte pour la fixation prévue à l'article L.2121-22 du code des transports. Elle ajoute que si la Cour devait estimer que tel n'est pas le cas, cela ne pourrait que la conduire à rectifier le nombre d'ETP de la catégorie d'emploi 1/C du Lot 2 en retenant l'évaluation de la Région qui ne tenait pas compte de la trajectoire RH, soit 130 (Production devant ART no 21 ? Annexe 3).
82.L'ART souligne que l'asymétrie d'informations représente une difficulté dans de nombreux secteurs régulés et qu'elle est d'une acuité toute particulière lorsque l'information nécessaire au régulateur a trait à l'organisation d'un service au sein d'un opérateur économique historique qui demeure verticalement intégré. Elle ajoute être tenue par l'article L.1263-1 du code des transports de se prononcer dans un délai de trois mois à compter de sa saisine et au plus tard dans le délai d'un an à compter de la publication de l'avis de pré-information. Elle fait valoir aussi que SNCF Voyageurs ne saurait se prévaloir de ce qu'elle a invité l'ART, comme la Région, à accéder à des données, dès lors qu'elle admet par ailleurs ne pas disposer de celles qui sont pertinentes au sens du Décret.
83.L'ART affirme avoir contrôlé le bien-fondé du chiffrage transmis par la Région sur la base des réponses apportées par elle aux trois questionnaires qui lui ont été adressés à l'occasion des trois mesures d'instruction. Elle souligne s'être notamment assurée de ce que les chiffrages intégraient par exemple l'ensemble des gares du lot (MI1, question no 6), des temps de prise de service et de fin de service (MI1, question no 8), la distribution en gare (MI1, question no 3), ou les prestations d'escales (MI2, question no 4). Elle a vérifié qu'ils n'intégraient pas les prestations inéligibles (MI1, questions no 11, 12), et demandé leur actualisation à la date de l'avis de pré-information et sur la base du matériel existant pour les ETP liés à la maintenance (MI1, question no 3 ; MI2, question no 6 ; MI3, question no 6), et pour ce faire elle a sollicité la transmission de données brutes (MI1, questions no 7,9), ainsi que des détails quant à la méthode de calcul employée (MI1, questions no 2, 9, 13, 14, 15 ; MI2, questions no 1, 5 ; MI3, questions no 1, 2, 3, 4, 5). L'ART a aussi sollicité de la Région qu'elle actualise les chiffrages établis sur la base des éléments communiqués par la société SNCF Voyageurs en réponse aux mesures d'instruction (MI2, questions no 1, 2, 3,4). Elle a ainsi corrigé les chiffrages retenus par la Région qu'elle considérait erronés, intégré dans le chiffrage des éléments qui n'avaient initialement pas été pris en compte par la Région et écarté les éléments qui avaient été intégrés à tort dans le chiffrage. L'ART en déduit que la critique manque en fait.
84.L'ART observe enfin que les effectifs nécessaires ont constitué la seule mesure disponible, faute pour SNCF Voyageurs de présenter les données afférentes aux effectifs réels. Cette dernière ne conteste d'ailleurs pas l'impossibilité factuelle pour l'ART de répercuter le nombre d'ETP correspondant précisément aux sureffectifs en raison de la carence dont elle a fait preuve. L'ART ajoute que la SNCF fait valoir que l'Autorité aurait dû procéder à un redressement des chiffres proposés par la région, mais n'indique pas ce sur quoi l'ART était en mesure de se fonder pour apprécier la teneur de ce sureffectif.
85.Le ministère public estime que contrairement à ce qu'allègue SNCF Voyageurs, le délai de 12 mois à compter de l'avis de pré-information est impératif pour l'ART, qui s'est prononcée sur la base des éléments dont elle disposait à la suite des demandes d'informations précisément formulées par elle dans le cadre de ses pouvoirs d'instruction.
86.Il observe qu'à la lecture de la décision attaquée, il peut être constaté que si l'ART a globalement validé la méthodologie suivie par la Région et ses résultats, elle en a aussi apprécié le bien fondé, notamment aux paragraphes 40 et 41, avant d'examiner chaque catégorie d'emploi pour corriger certaines évaluations et aboutir à un chiffrage différent de celui initialement proposé, de sorte qu'elle a bien exercé son contrôle.
***
Sur ce, la Cour,
87.En premier lieu, il convient de constater que l'article L.1263-1 du code des transports, relatif aux recours exercés devant l'ART, disposait, dans sa rédaction applicable aux faits en cause :
« Lorsqu'elle est saisie d'un différend en application du III de l'article L.1263-2 (...), elle se prononce dans un délai de trois mois suivant la réception de la demande. Elle peut proroger ce délai d'un mois en cas de demande de pièces complémentaires sous réserve de ne pas dépasser le délai de douze mois courant soit à compter de la publication des informations prévues au paragraphe 2 de l'article 7 du règlement (CE) no 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 (...) soit, dans les cas où les autorités organisatrices de transport ne publient pas ces informations, à compter de l'information faite au cédant, par tout moyen conférant date certaine, de l'intention de l'autorité organisatrice d'attribuer directement le contrat à un nouvel opérateur, de lancer une procédure de mise en concurrence ou de fournir elle-même le service. ».
88.Des délais sont ainsi impartis à l'ART, de sorte que c'est à juste titre que cette dernière a exercé sa mission en veillant à leur respect, peu important que la méconnaissance de ces délais ne soit assortie d'aucune sanction.
89.Il ne peut, en outre, être utilement reproché à l'ART d'avoir privilégié le respect des délais par rapport à l'efficacité de son instruction, dès lors qu'il ressort du dossier que de nombreuses mesures d'instruction, énumérées dans les visas figurant dans la décision attaquée, ont été adressées aux parties entre le 23 décembre 2019 et le 3 février 2020.
90.En outre, la Cour rappelle que l'alinéa 1 de l'article L.2121-22 du code des transports (reproduit paragraphe 6 du présent arrêt) précise que le nombre d'ETP à calculer « est déterminé sur la base des éléments transmis par le cédant ».
91.A défaut pour SNCF Voyageurs d'avoir communiqué les données expressément réclamées par l'ART (réponses no 1, 6, 9, 19, 27, 31, 33, 36 à la mesure d'instruction no 1 ; réponses no 1, 2, 5, 12 à la mesure d'instruction no 2), cette dernière n'est pas fondée à reprocher à l'Autorité sa propre défaillance dans l'administration des éléments de preuve. Ce n'est pas en communiquant l'identification de l'intégralité des effectifs TER PACA à l'échelle de la Région qu'il pouvait y être satisfait.
92.À fortiori, il ne revenait pas à l'ART de mener des travaux d'audit autonomes en vue de calculer par elle-même le nombre d'ETP devant être transférés en cas de changement d'attributaire, dès lors que la loi prévoit qu'il est déterminé sur la base des éléments « transmis par le cédant « et non à partir d'éléments collectés par l'Autorité, via une « data room » de « données brutes » au moyen d'investigations complémentaires.
93.L'ART était donc fondée, dans le délai imparti à l'article L.1263-1 du code des transports précité, à trancher le différend sur la base des éléments qui lui ont été fournis, et en particulier la méthodologie et les chiffrages présentés par la Région, sans qu'il puisse être reproché à cette dernière d'avoir reconstitué certaines données avec l'aide d'un assistant à maîtrise d'ouvrage, faute d'avoir obtenu toutes les données utiles détenues par SNCF Voyageurs.
94.En deuxième lieu, la critique de SNCF Voyageurs selon laquelle l'ART aurait avalisé le chiffrage de la Région sans en apprécier le bien-fondé manque en fait.
95.En effet, parmi les différentes mesures d'instruction auxquelles l'ART a eu recours, trois ont été adressées à la Région. Elle a interrogé cette dernière sur les éléments méthodologiques qu'elle avait utilisés, de façon à exercer son contrôle et à apprécier le bien-fondé du chiffrage avancé. Elle a obtenu les réponses suivantes :
? s'agissant de la méthode utilisée pour évaluer le nombre d'emplois en sureffectifs n'ayant pas vocation à être transférés, la Région a indiqué que cette dernière n'avait pas consisté à évaluer les « sureffectifs, mais à évaluer les équivalents temps pleins nécessaires au service » (réponse à la question no 4 de la mesure d'instruction no 1) ;
? s'agissant du chiffrage du nombre d'ETP transférés au titre des activités de vente aux guichets pour l'ensemble des gares et de l'actualisation de ces chiffres sur la base des éléments communiqués par SNCF Voyageurs dans le cadre de l'instruction (question no 3 de la mesure d'instruction no 2), la Région a communiqué le nombre de 6,9 ETP pour le lot no 2 (réponse à la question no 3 de la mesure d'instruction no 2) ;
? s'agissant du chiffrage du nombre d'ETP transférés au titre des prestations d'escale à la charge des entreprises ferroviaires et de l'actualisation de ces chiffres sur la base des éléments communiqués par SNCF Voyageurs dans le cadre de l'instruction (question no 4 de la mesure d'instruction no 2), la Région a communiqué le nombre de 35 ETP pour le lot no 1 et à 69 ETP pour le lot no 2 (réponse à la question no 4 de la mesure d'instruction no 2) ;
? s'agissant de l'actualisation de ses chiffres sur la base du matériel existant sans tenir compte de ce que les rames corail seraient à court terme déclassées du service commercial (question no 6 des mesures d'instruction no 2 et 3), la Région a chiffré ce nombre à 12 ETP pour le lot no 1 et à 29 ETP pour le lot no 2 (réponse à la question no 6 de la mesure d'instruction no 3).
96.À l'issue de ces mesures d'instruction et des réponses qui y ont été apportées par SNCF Voyageurs et la Région, l'ART a critiqué l'analyse initiale de la Région en relevant que :
? la prise en compte de la trajectoire figurant dans la convention TER en termes de ressources humaines n'était pas prévue par les dispositions de l'article L.2121-20 du code des transports et ne pouvait conduire à l'exclusion des personnels que la Région considère être en sureffectif (paragraphe 40) ;
? le Décret ne peut être interprété, comme l'a fait la Région, comme laissant à la discrétion de l'Autorité organisatrice des transports le transfert du personnel affecté aux gares (paragraphe 41) ;
? il ne peut davantage être interprété comme permettant de déterminer le nombre d'ETP à transférer en fonction des schémas futurs d'exploitation (paragraphe 91).
97.Il s'en déduit que l'ART a procédé à l'analyse du chiffrage retenu par la Région, et lui a enjoint au cours de l'instruction d'apporter les éléments d'explication et d'opérer les redressements des calculs qu'elle considérait comme manifestement erronés, ce que cette dernière a fait. À l'issue, l'ART a retenu que le nombre d'ETP correspondant au nombre de salariés devant être transférés en cas de changement d'attributaire devait être fixé à 163 pour le lot no 1 et à 479 pour le lot no 2, alors que la Région sollicitait, lors de sa saisine, que ce nombre soit arrêté à 148 pour le lot no 1 et 406 pour le lot no 2. Les chiffrages arrêtés par l'ART comprennent en conséquence des ETP supplémentaires à hauteur de 15 pour le lot no 1 et de 73 pour le lot no 2 et ne se sont pas bornés à reprendre les chiffres initialement avancés par la Région.
98.S'agissant, enfin, du reproche adressé sur la mise en ?uvre discrétionnaire des prérogatives conférées à l'ART dans cette fixation, la Cour constate que celle-ci a motivé sa décision en se référant expressément à la méthodologie exposée au paragraphe 25 de la décision attaquée. Si elle a omis de développer, de manière explicite, les motifs qui l'ont conduit à retenir les chiffrages de la Région pour certaines catégories d'emplois, il ressort toutefois du paragraphe 91 qu'elle a pris soin de préciser, lorsqu'elle a identifié une erreur manifeste résultant du chiffrage de la Région, les raisons pour lesquelles il devait être écarté et qu'a contrario elle a pu admettre ce qui ne se heurtait pas aux principes résultant des textes applicables. Il s'en déduit que, sans s'attribuer un pouvoir discrétionnaire, elle a implicitement, mais nécessairement, défini l'erreur manifeste comme étant celle qui procède d'un chiffrage incompatible avec le cadre normatif.
99.L'ART a donc exercé son office, et s'est déterminée au regard des données qui figuraient au dossier, sur lesquelles elle a exercé un contrôle.
100.En troisième lieu, il convient de vérifier que l'ART a bien tiré les conséquences des failles méthodologiques, de nature transversale, qu'elle avait préalablement identifiées lors du chiffrage initial effectué par la Région tenant à son intention de prendre en compte dans son chiffrage la trajectoire Ressources humaines figurant dans la convention TER 2019-2023 et l'existence de personnels considérés comme en sureffectifs.
101.Premièrement, il doit être rappelé que la méthode employée par la Région a consisté à déterminer les agents concourant concrètement à l'exploitation des deux lots, afin de procéder, à défaut de disposer des éléments lui permettant de fixer le nombre d'ETP à transférer sur la base des effectifs existants, au chiffrage des effectifs nécessaires au fonctionnement du service transféré dans la configuration qui était la sienne au jour de la mise en concurrence. Comme l'indique à juste titre l'ART dans ses écritures, elle a dû surmonter l'impossibilité de déterminer les effectifs réels, et donc ce qui relèverait d'un sureffectif, en se fondant sur les effectifs nécessaires présentés par la Région, base sur laquelle elle a exercé son contrôle.
102.Aux paragraphes 28 et suivants de la décision attaquée, l'ART a exposé la méthode qu'elle a suivi et effectivement appliquée notamment dans les développements consacrés aux catégories « conduite ligne » (§47), « autre conduite : tram train, man?uvres et lignes locales » (§51), « encadrement direct des agents de conduite » (§55). En procédant ainsi, elle a réglé le différend dans le respect des contraintes inhérentes aux dispositions de l'article L.1263-1 du code des transports et tiré les conséquences des charges pesant sur le cédant en application de l'article L.2121-22 du même code, sans que puisse lui être reprochée, en son principe, aucune erreur de droit.
103.SNCF Voyageurs n'a produit aucun élément établissant que les effectifs nécessaires au fonctionnement des services transférés correspondaient, in concreto, à un nombre supérieur à celui proposé par la Région, étant observé que la construction des journées de service ne peut être reconstituée dans toute sa complexité que par le cédant, qui seul dispose des informations nécessaires. Force est de constater que le dialogue sur les corrections à apporter aux calculs de la Région n'a été nourri, y compris devant la Cour, que par les échanges entre cette dernière et l'ART, SNCF Voyageurs se bornant à invoquer les chiffres issus de sa méthodologie.
104.Deuxièmement, s'agissant de la prise en compte de la « trajectoire Ressources humaines » figurant dans la convention TER, c'est de façon fondée que l'ART a considéré que le Décret ne peut être interprété comme permettant de déterminer le nombre d'ETP à transférer en fonction des schémas futurs d'exploitation ou toute autre anticipation. Ainsi qu'il a été exposé au paragraphe 52 du présent arrêt, compte tenu de la rédaction des textes légaux et réglementaires, seule l'organisation existante à la date de la publication de l'avis de pré-information doit en effet être retenue comme base de calcul.
105.C'est donc à tort que la Région maintient dans ses écritures en appel que les évolutions significatives prévisibles du nombre des ETP à transférer doivent être prises en compte pour la fixation du nombre des ETP à transférer prévue à l'article L.2121-22 du code des transports.
106.Il ressort de l'étude du tableau « P21_ANNEXE_1 » relatif au lot 1, établi par la Région, servant de base au chiffrage retenu par l'ART, que la Région n'a pas tenu compte des effectifs à l'horizon 2023 pour le chiffrage de ce lot. Il s'en déduit qu'en retenant ces chiffres, l'ART n'a pas méconnu la méthodologie qu'elle s'est fixée.
107.S'agissant du lot 2 en revanche, dans sa pièce « P21_ANNEXE_2 » relative à ce lot, la Région indique avoir pris pour hypothèse l'évolution des effectifs à l'horizon 2023 pour certaines catégories d'emploi. Dans sa note en délibéré adressée à l'ART le 28 février 2020, SNCF Voyageurs a soutenu que cette méthode était problématique pour deux d'entre elles : la « maintenance courante » d'une part, « l'accompagnement train et la lutte antifraude », d'autre part. Les mémoires qu'elle a déposés devant la Cour se bornent à formuler une critique générale, sans relever que que les conséquences de cette méthode seraient également problématiques pour d'autres catégories d'emploi.
108.Il convient de constater que l'ART a procédé, au paragraphe 91 de sa décision, à un redressement du chiffrage relatif à la maintenance courante, au motif que le nombre d'ETP à transférer ne devait pas être déterminé en fonction des schémas futurs d'exploitation de la Région, desquels il résultait que chaque lot disposerait d'une flotte et d'ateliers de maintenance dédiés. Elle a ainsi justement substitué au chiffrage de la Région prenant en compte les schémas futurs d'exploitation, un chiffrage fondé sur les effectifs nécessaires à leur exploitation à la date de l'avis de pré-information.
109.Concernant la catégorie 1-C « accompagnement train et lutte antifraude », examinée aux paragraphes 56 et suivants de la décision attaquée et évoquée paragraphe 27 du présent arrêt, il n'est pas contesté que le chiffrage total proposé par la Région (98ETP) tient également compte de la trajectoire RH. Or? ce chiffrage a été retenu par l'ART sans rectification.
110.Par suite, et compte tenu des justes griefs retenus par l'ART à l'encontre de la méthode de SNCF Voyageurs (conduisant à écarter son chiffrage), de sa carence dans la communication de l'ensemble des éléments indispensables au chiffrage des effectifs existants, du recours nécessaire à la reconstitution des besoins du service pour y parvenir, ainsi que de la faille méthodologique affectant les chiffres de la Région précitée, la Cour réformera le chiffrage fixé pour le lot 2 à 98 ETP et retiendra l'évaluation rectifiée par la Région conformément aux principes précités (production devant l'ART no 21- annexe 3), soit 130 ETP, laquelle n'est au demeurant pas très éloignée de celle que proposait SNCF Voyageurs sur la base d'une évaluation au mois de février 2019 (131,6 ETP, voir pièce « P21_ANNEXE_3 » précitée).
111.La Cour précise qu'aux termes de la pièce « P21_ANNEXE_2 », la trajectoire RH n'a été prise en compte, dans la catégorie 1-C « accompagnement train et lutte antifraude », que pour la catégorie « équipes services à bord » (pour aboutir à une fixation erronée de 69 ETP) de sorte que le chiffrage précité retenu par la Cour (de 130 ETP) inclut 101 ETP relevant de cette catégorie d'emplois, les autres catégories n'étant pas impactées par le redressement opéré.
112.Il y a lieu, en conséquence, d'ordonner la rectification du nombre d'ETP de la catégorie d'emploi 1/C du lot 2 et de rejeter le moyen pour le surplus.
III. SUR L'ERREUR DE DROIT ALLÉGUÉE S'AGISSANT DE CERTAINS PERSONNELS
A. les personnels assurant certaines prestations en gare
113.Ainsi que le rappelle la décision attaquée, la catégorie d'emplois « gares » recouvre les services en gare relevant du transporteur (escale et vente notamment) et, le cas échéant, les prestations relevant du gestionnaire de gare qui sont fournies par le transporteur dans les conditions de l'article L.2121-17-4 du code des transports.
114.Comme elle le précise dans son paragraphe 71, les prestations d'escale dite « de base » comprennent les services d'accueil, d'information et d'orientation des passagers et du public concernant les horaires et l'accès aux trains. Ces prestations correspondent notamment à l'ouverture et la fermeture de la gare, la prise en charge des personnes à mobilité réduite, le nettoyage et gardiennage de la gare, la maintenance des équipements. Certaines de ces prestations effectuées par SNCF Voyageurs, contre rémunération, pour le compte de la direction autonome Gares et Connexions, qui relève depuis le 1er janvier 2020 d'une autre société du groupe, SNCF Réseau.
115.Il ne s'agit ni de prestations de distribution (vente de billets), ni de prestations spécifiques de type informations commerciales, aide au départ des quais, mouvements de rame en gare, dont il ne fait pas débat qu'elles relèvent du transporteur, et qui sont évoquées aux paragraphes 64 à 70 et 75 à 87 de la décision attaquée.
116.SNCF Voyageurs estime que 11,5 ETP doivent être transférés pour le lot 1 et 38,5 ETP pour le lot 2 et allègue que l'ART a commis une erreur de droit en retenant par principe et en totalité qu'il n'y avait pas lieu de transférer des personnels au titre de ces prestations d'escale, compte tenu de l'absence de publication du décret d'application des dispositions de l'article L.2121-17-4 du code des transports (dit « décret Gares ») qui doit être pris pour l'identification de ces prestations.
117.Elle rappelle que ces services sont, par nature, mutualisés et effectués par les mêmes équipes en gare et que deux calculs différents ont été effectués, selon que les prestations relèvent de Gare et Connexions (hypothèse où les prestations sont rendues au bénéfice de l'ensemble des transporteurs s'arrêtant dans la gare) ou de SNCF Voyageurs (hypothèse où elles sont spécifiques au transporteur TER).
118.Elle fait valoir que ce décret n'est pas paru mais que l'ART a émis un avis (no 2020-064 du 8 octobre 2020) et que comme cette dernière l'explique dans sa consultation publique, le projet de décret prévoit que lorsque l'autorité organisatrice décide de confier des prestations régulées à l'opérateur ferroviaire choisi, certaines de ces prestations sont obligatoirement et automatiquement incluses dans le périmètre du contrat. SNCF Voyageurs ajoute que dans l'avis de pré-information de février 2019, la Région indique que certaines de ces prestations actuellement confiées par Gares et Connexions à SNCF Voyageurs seront intégrées dans le périmètre du contrat. Il ne peut qu'en être ainsi selon SNCF Voyageurs, car ce sont des prestations nécessaires à l'exploitation et à la sécurité des trains dont aucune autorité ni aucun opérateur ne peut se dispenser. Elle prend pour exemple « l'étoile ferroviaire de Nice » qui comprend un certain nombre de gares dont l'activité sera entièrement consacrée aux lignes relevant du lot mis en concurrence.
119.SNCF Voyageurs soutient que les salariés affectés aux prestations en gare réalisées pour le compte de la société Gares et Connexions doivent être pris en compte pour le calcul des ETP. En s'abstenant de les chiffrer, l'ART aurait méconnu le principe du transfert du personnel. Elle demande en conséquence à la Cour de fixer le nombre maximal d'ETP au titre des prestations de base en gare conformément à la méthode de calcul qu'elle a retenue, soit 11, 5 ETP pour le lot 1 et 38, 5 pour le lot 2 et de dire que ce nombre maximal devra être ajusté d'un commun accord entre la Région et SNCF Voyageurs, dans le respect de la même méthode de calcul, si le choix fait par la Région venait à modifier la situation existante antérieurement à la publication du décret.
120.La Région observe en réponse que l'article L.2121-17-4 du code des transports offre la possibilité, et non l'obligation, à l'autorité organisatrice de transport de décider de fournir pour le compte du gestionnaire des gares, soit Gares et Connexions, des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares de voyageurs relevant de son ressort. Si elle lève cette option, elle a alors le choix de confier les prestations en cause à un opérateur ou de les fournir elle-même. Elle a, de plus, le choix du périmètre des gares et des prestations concernées, dans la limite des conditions d'un décret en Conseil d'État. Ce décret « Gares » n'ayant toujours pas été adopté, ces conditions restent à ce jour inconnues. C'est dans ce cadre juridique très hypothétique que s'inscrit l'article L.2121-20 du code des transports prévoyant, le cas échéant, que les contrats des salariés effectuant de telles activités doivent être intégrés dans le calcul des ETP.
121.La Région en déduit que la décision de l'ART est parfaitement fondée. Elle ajoute que pour autant, cela ne signifie pas qu'elle refusera le transfert d'ETP à ce titre, s'il advient que les conditions prévues par les textes sont réunies et qu'elle décide d'intégrer ces prestations dans le périmètre d'ouverture à la concurrence. Au regard du caractère nécessairement provisoire du chiffrage des ETP à transférer, il n'est pas utile que la Cour fixe un nombre d'ETP maximal à prévoir de transférer et à revoir au moment du changement d'opérateur.
122.L'ART souligne que s'il est de règle que des dispositions législatives peuvent être appliquées alors même que les décrets d'application ne seraient pas publiés, c'est à condition toutefois que le contenu de ces dispositions législatives soit suffisamment précis et explicite. Inversement, lorsqu'il est manifestement impossible d'exécuter une loi du fait de l'absence de décret, son application est reportée au jour de la publication du décret (CE, 17 février 1971), si bien que le retard dans l'édiction du décret peut avoir pour effet d'empêcher l'entrée en vigueur de la loi (CE, 18 mai 1977).
123.Elle fait valoir que le décret « Gares » n'a pas été publié à ce jour et qu'il est en conséquence impossible en l'état du droit de déterminer les gares des lots qui seront concernées par le transfert aux régions des prestations, pour l'heure assumées par le gestionnaire de gare, ni même de savoir quelles prestations pourront être transférées. Les autorités organisatrices de transport ne peuvent déléguer, ou prévoir de déléguer, aux soumissionnaires potentiels l'exploitation de service et de gares qui relèvent du gestionnaire Gares et Connexions. Il ne peut, dans ces circonstances, y avoir de transfert d'emploi au titre de ces activités.
124.Elle observe que la mention de la mission « d'accueil, d'information et de sécurité des voyageurs dans les gares régionales » dans l'avis de pré-information publié par la Région n'est pas de nature à entériner dans son principe la fourniture de cette prestation par le futur attributaire. Elle fait valoir que le raisonnement de SNCF Voyageurs, qui revient à considérer que le Décret imposerait de fixer dès le départ l'étendue de l'ensemble des ETP relatifs aux prestations relevant de Gares et Connexions, est erroné dans la mesure où il se fonde sur une démarche prospective. Elle ajoute que le chiffrage arrêté doit être définitif et ne peut connaître de modification substantielle au gré de la procédure d'attribution du contrat ou une fois le contrat attribué, sauf à remettre en cause l'équilibre de l'offre présentée par les soumissionnaires, si bien que le principe de l'ajustement a posteriori du chiffrage doit être écarté.
125.Le ministère public ajoute que la Région n'a pris aucune décision s'agissant des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares. Elle a seulement indiqué aux candidats du lot 2 qu'elle se réservait la possibilité de le faire. Il renvoie en conséquence à l'analyse développée par l'ART paragraphe 73 de la décision attaquée.
***
Sur ce, la Cour,
126.Aux termes de l'article L.2121-3 du code des transports, dans sa rédaction issue de la loi no 2018-515 du 27 juin 2018 :
« La région est l'autorité organisatrice compétente pour l'organisation des services de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional. À ce titre, elle est chargée de l'organisation :
1o Des services publics de transport ferroviaire de voyageurs exécutés dans son ressort territorial ou desservant son territoire ;
2o Des services routiers effectués en substitution de ces services ferroviaires. (...). ».
127.L'article L.2121-17-4 du même code dispose en son premier alinéa :
« L'Autorité organisatrice de transport peut décider de fournir pour le compte du gestionnaire des gares des prestations de gestion ou d'exploitation de certaines gares de voyageurs relevant de son ressort territorial et utilisées principalement par des services publics de transport ferroviaire de voyageurs en les confiant à un opérateur, dans le cadre d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs, ou en les fournissant elle-même. ».
128.Le troisième alinéa de ce même article prévoit, s'agissant du périmètre des gares et des prestations concernées, que :
« Un décret en Conseil d'État définit les conditions d'application du présent article et notamment les gares et les prestations éligibles. Il définit également les modalités particulières d'application lorsqu'une gare est utilisée par des services publics de transport ferroviaire de voyageurs relevant de plusieurs Autorités organisatrices ».
129.Il résulte du libellé de ces dispositions, ainsi que l'a justement retenu l'ART dans la décision attaquée, que, pour qu'une autorité organisatrice de transport puisse décider d'exploiter ou de faire exploiter par un opérateur certains services en gare pour le compte du gestionnaire, comme le lui permet l'article L.2121-17-4 précité, il est nécessaire que les gares et prestations éligibles au dispositif aient été définies par son décret d'application.
130.Or, en l'espèce, à la date de publication de l'avis de pré-information, la Région n'était pas en capacité d'opérer ce choix dans la mesure où ce décret n'était pas paru et où il n'a d'ailleurs toujours pas été publié. Elle s'est ainsi contentée d'indiquer, dans l'avis de pré-information, que le périmètre des prestations « pourrait évoluer », citant à cet égard certains services en gare « à titre indicatif ». L'avis no 2020-064 du 8 octobre 2020 invoqué par SNCF Voyageurs n'a pas pour effet de modifier la portée de ces indications.
131.Il s'ensuit que c'est à juste titre que la décision attaquée a retenu que les prestations d'escale dites de « base », telles que les services d'accueil, d'information et d'orientation des passagers et du public concernant les horaires et l'accès aux trains, actuellement effectuées par SNCF Voyageurs pour le compte d'une autre société du groupe, SNCF Gares et Connexions, ne pouvaient conduire à la mise en ?uvre de l'article L.2121-17-4 du code des transports.
132.En conséquence, c'est à bon droit que l'ART a estimé que le chiffrage des ETP des salariés concourant directement ou indirectement aux prestations relevant du gestionnaire de Gares et Connexions n'entrait pas dans le perimètre du différend.
133.Le moyen doit être rejeté.
B. Les personnels relevant de la Direction Générale TER
134.SNCF Voyageurs fait valoir que l'ART a commis une erreur de droit en qualifiant de direction centrale, au sens du 1o du III de l'article 2 du Décret, la Direction générale TER, dans la mesure où cette dernière n'exerce que des missions consacrées au TER qui ne sont pas présentes au sein des activités TER régionales, lesquelles n'ont à ce titre pas l'autonomie pour opérer le service ferroviaire de voyageurs mis en concurrence.
135.Elle ajoute que pour l'application du Décret, la notion de direction centrale ne s'oppose pas à celle de direction territoriale, dont le terme a un sens organisationnel. Est centrale selon elle, en effet, une direction qui exerce indifféremment des fonctions transversales au bénéfice de l'ensemble des activités d'une entreprise et qui existe donc indépendamment de l'exploitation de telle ou telle activité, ainsi la direction juridique ou la direction financière. N'est pas centrale une direction qui exerce ses missions au profit exclusif d'une activité déterminée et localisée, et ce quand bien même l'organisation de cette direction mutualisée serait positionnée au niveau national et non régional.
136.SNCF Voyageurs observe que l'existence de la Direction générale TER ne se justifie que par l'existence d'une activité TER. Les missions que celle-ci exerce consistent dans une mutualisation des fonctions support en lieu et place de l'exécution de ces missions par les 22 entités régionales TER (gestion des contrats, RH, comptabilité et contrôle de gestion, communication interne et externe, pole d'appui juridique et financier sur les conventions TER etc.). Les salariés de cette direction ne réalisent que des missions consacrées aux TER, dans une logique de mutualisation de l'expertise et de process rares et coûteux à maintenir. Elle ajoute que l'interprétation que l'ART fait du Décret conduit à une « desoptimisation » de l'organisation de SNCF Voyageurs.
137.SNCF Voyageurs souligne enfin que la Direction générale TER comporte des emplois exclusivement dédiés à l'activité TER, dont une quote-part travaille pour le TER PACA et sans lesquels l'activité du TER PACA ne peut être pleinement réalisée. Ces salariés concourant indirectement aux activités des services TER PACA transférés, ils doivent à ce titre être comptabilisés comme des ETP à transférer.
138.La Région répond qu'une direction centrale exerce des missions de matière centralisée au sens territorial du mot, c'est à dire depuis un unique siège à l'échelle de l'ensemble de la France. C'est le cas de la direction générale TER, qui réalise des prestations pour l'ensemble des directions régionales TER du territoire. C'est donc à bon droit que l'ART a exclu ses effectifs de l'assiette à prendre en compte pour le calcul des ETP à transférer.
139.L'ART ajoute que par définition, la notion de direction centrale s'oppose à celle de direction locale et comprend l'ensemble des services exerçant des fonctions pour l'ensemble du territoire, à l'inverse des services dont l'activité se limite à une portion du territoire. Il s'agit donc d'échelons du fonctionnement administratif bien distincts. Il peut exister plusieurs administrations centrales, chacune dédiée à une activité, étant relevé que le décret précité renvoie aux emplois « des directions centrales » et non aux emplois de la direction centrale.
140.L'ART observe que les trois directions nationales de la SNCF, la direction Transilien, la direction TER et la direction Voyages (qui regroupe les autres activités soit notamment les TGV, les intercités, Eurostar et Thalys) assument des fonctions transversales applicables soit à l'ensemble des Transiliens, soit à l'ensemble des TER, soit à l'ensemble des TGV, ceci pour l'ensemble des directions territoriales.
141.L'ART en déduit que le moyen confond les notions de direction centrale et de direction générale et que SNCF Voyageurs ne justifie pas pourquoi, pour l'application du décret, les deux notions se confondraient.
142.Le ministère public reprend les mêmes arguments.
***
Sur ce, la Cour,
143.L'article 2 du Décret dispose en son III que :
« III. - Sont exclus du calcul du nombre d'équivalents en emplois à temps plein travaillé, les salariés affectés aux emplois suivants :
1o (...) les emplois des directions centrales de la SNCF et de SNCF Mobilités ou, à partir du 1er janvier 2020, les emplois correspondants pour la société nationale SNCF et, le cas échéant, ses filiales ; ».
144.Le caractère central d'une direction implique l'exercice de prestations sur l'ensemble du territoire au profit des directions territoriales déconcentrées ou décentralisées. Ces dernières existent dans les territoires et ne sont compétentes qu'à leur échelle.
145.Il est constant en l'espèce que la direction générale TER est dédiée aux activités TER, qu'elle est positionnée au seul niveau national et qu'elle ne comprend aucun service déconcentré.
146.Comme le souligne l'ART, qui n'est pas contredite sur ce point, cette direction générale réalise des prestations pour l'ensemble des directions TER régionales, lesquelles assument pour leur part le pilotage décentralisé du TER pour chaque région administrative. Précisément, la direction générale TER coordonne les politiques d'ensemble au niveau national, met en réseau les initiatives prises en région, mutualise les développements de services innovants, assure la complémentarité avec les autres transporteurs SNCF, quand les directions régionales gèrent, pour leur part, chacune à l'échelle de son territoire, les relations institutionnelles avec les conseils régionaux, le maître d'ouvrage de l'activité du transport régional, la mise en ?uvre des services régionaux, la conception opérationnelle de l'offre régionale ou encore le contrôle du parc régional.
147.L'ART observe, en complément, de façon pertinente, que SNCF Voyageurs n'indique pas ce sur quoi elle se fonde pour considérer que le Décret, qui vise les emplois des « directions centrales », viserait en réalité les emplois de la seule direction générale ou du secrétariat général, seule direction dédiée à l'ensemble des activités gérées par SNCF Voyageurs.
148.Il s'en déduit qu'en tant qu'elle intervient sur l'ensemble du territoire, à l'inverse des directions régionales TER, la direction générale TER constitue une direction centrale au sens des dispositions précitées. Ses effectifs doivent en conséquence être exclus des salariés dont le contrat de travail doit être transféré en application de l'article L.2121-22 du code des transports et donc de l'assiette du calcul des ETP à transférer.
149.Il convient donc de rejeter le moyen.
IV. SUR L'APPLICATION DES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS
150.La Région demande la condamnation de SNCF Voyageurs à lui verser la somme de 30 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir qu'après avoir refusé de pleinement coopérer à l'instruction menée par l'ART, SNCF Voyageurs a contesté la décision prise, alors qu'elle était parfaitement fondée, ce qui l'a conduit à exposer des frais pour assurer sa défense dans le cadre du présent recours.
151.L'ART sollicite, pour des motifs similaires, la somme de 10 000 euros.
152.SNCF Voyageurs soulève l'irrecevabilité des conclusions de l'ART tendant à l'application de l'art 700 du code de procédure civile. Elle demande en outre que la Région soit condamnée à lui verser la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
153.Il convient de constater, tout d'abord, que l'ART, qui n'a pas la qualité de partie à l'instance, n'est pas recevable à former une demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
154.Ensuite, considération prise du caractère nouveau des questions posées et de la rectification ordonnée du nombre d'ETP de la catégorie d'emploi 1/C du Lot 2, il ne sera pas fait droit, en équité, à la demande de la Région formulée sur ce même fondement.
155.Il n'y a pas lieu d'accueillir la demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile de SNCF Voyageurs.
156.L'auteur du recours est condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
REJETTE la demande de la société SNCF Voyageurs de réformation de la décision no 2020-019 de l'Autorité de régulation des transports en ce qu'elle a déclaré la méthodologie utilisée par SNCF Voyageurs non conforme au décret no 2020-019 du 26 décembre 2018 ;
RÉFORME la décision entreprise, mais uniquement en ce qu'elle a fixé à 98 les ETP devant être transférés au titre de la catégorie d'emploi 1/C du lot 2, en cas de changement d'attributaire ;
FIXE le nombre des ETP devant être transférés à ce titre à 130 ;
REJETTE pour le surplus le recours en réformation exercé par la société SNCF Voyageurs ;
DÉCLARE irrecevable la demande de l'ART formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE les demandes de la société SNCF Voyageurs et de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société SNCF Voyageurs aux dépens.
LA GREFFIÈRE,
Véronique COUVETLA PRÉSIDENTE,
Agnès MAITREPIERRE