Copies exécutoires délivrées aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 1
ARRÊT DU 02 JUILLET 2021
(no , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : No RG 20/01915 - No Portalis 35L7-V-B7E-CBLRG
Décision déférée à la cour : jugement du 27 mars 2019 -tribunal de grande instance de Créteil- RG no 16/10953
APPELANTS
Monsieur [F] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Madame [D] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Assistés de Me Sabrina BOUAOU, avocat au barreau de l'ESSONNE
INTIMÉE
LOGIAL-COOP venant aux droits de la SCIC DOMAXIA
société anonyme inscrite au RCS de Créteil sous le no 518 400 304
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Stéphane FERTIER de la SELARL JRF et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
Ayant pour avocat plaidant Me Ana GONZALEZ, avocat au barreau de PARIS
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 juin 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Claude Creton, président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Claude Creton, président
Mme Muriel Page, conseillère
Mme Monique Chaulet, conseillère
Greffier, lors des débats : M. Grégoire Grospellier
Arrêt :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Claude Creton,président et par Grégoire Grospellier, greffier présent lors de la mise à disposition.
*****
Par acte du 27 juin 2013, la société Domaxia a vendu en l'état futur d'achèvement à M. et Mme [N] les lots numéros [Cadastre 1] et [Cadastre 2] composant un appartement et un parking situés à [Adresse 3]. La date de livraison a été fixée au plus tard au 31 décembre 2014.
Reprochant à la société Domaxia de ne pas avoir respecté ce délai, M. et Mme [N] l'ont assignée en paiement de :
- la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance ;
- à titre subsidiaire, de la somme de 19 500 euros, plus subsidiairement encore de la somme de 10 500 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice de jouissance et de leur préjudice moral ;
- la somme de 16 336,41 euros correspondant aux loyers payés pendant la période de trente mois de retard ;
- la somme de 3 246,60 euros correspondant aux charges locatives qu'ils ont réglées en plus de ceux qu'ils auraient payés ;
- la somme de 32 420,83 euros correspondant au coût supplémentaire du crédit immobilier qu'ils ont dû supporter à cause de l'impossibilité de procéder au rachat du crédit à la date de livraison initialement prévue ;
- la somme de 2 980,82 euros correspondant au coût supplémentaire des intérêts du crédit immobilier qu'ils ont versés pendant la période de trente mois de retard ;
- la somme de 2 100 euros correspondant au "geste commercial" qui leur avait été consenti suite à la fixation dans l'acte de vente d'un délai de livraison supérieur à celui qui avait été prévu dans le contrat de réservation ;
- la somme de 1 744 euros correspondant à la suppression de l'exonération de la taxe foncière pendant les deux premières années d'une acquisition dans le cadre d'un programme d'accession sociale à la propriété ;
- la somme de 17 000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice financier pour avoir été contraints de recourir à des emprunts auprès de leur famille ;
- la somme de 830 euros correspondant aux frais d'expertise exposés ;
- la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 27 mars 2019, le tribunal de grande instance de Créteil a :
- condamné la société Domaxia à payer à M. et Mme [N] la somme de 14 601,30 euros au titre de l'indemnisation des préjudices que leur a causés le retard de livraison et les a déboutés du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société Domaxia à payer à M. et Mme [N] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Après avoir constaté que le bien avait été livré avec 900 jours de retard, le tribunal a déduit de ce retard 165 jours liés à la découverte d'un câble haute tension, 69 jours d'intempéries et 136 jours pour rechercher une entreprise remplaçant l'entreprise GBC, soit un total de 370 jours, de sorte que le retard imputable à la société Domaxia est de 530 jours.
Il a refusé de déduire 111 jours imputables aux services de voiries, ce retard n'étant pas dû à un cas de force majeure, 78 jours suite à la résiliation du contrat le liant à la société Domaxia l'entreprise Boyer, cette circonstance n'étant pas prévue au contrat, 103 jours correspondant à la durée nécessaire pour intervenir sur l'étanchéité des coursives, 295 jours en raison de l'abandon du chantier par l'entreprise GBC, la société Domaxia ayant attendu un an pour résilier le contrat pour inexécution du marché, 28 jours dus à la résiliation du marché de travaux conclu avec l'entreprise GBC.
Il a évalué le préjudice causé par le retard de livraison de 530 jours à la somme de 14 601,30 euros correspondant aux loyers d' un montant mensuel de 486,71 euros que M. et Mme [N] ont réglés pendant cette période.
M. et Mme [N] ont interjeté appel de ce jugement et sollicitent la condamnation de la société Logial-coop, qui vient aux droits de la société Domaxia, à leur payer :
- la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice moral causé par la rétention d'informations essentielles, la demande d'expulsion... ;
- la somme de 16 336,41 euros correspondant aux loyers payés pendant la période de trente mois de retard ;
- la somme de 1 176,90 euros correspondant aux charges locatives qu'ils ont réglées en plus de ceux qu'ils auraient payés ;
- la somme de 2 980,82 euros correspondant au coût supplémentaire des intérêts du crédit immobilier qu'ils ont versés pendant la période de trente mois de retard ;
- la somme de 2 100 euros au titre de l'accord d'indemnisation qui a été consenti par la société Domaxia suite à la fixation dans l'acte de vente d'un délai de livraison supérieur à celui qui avait été prévu dans le contrat de réservation ;
- la somme de 1 744 euros correspondant à la suppression de l'exonération de la taxe foncière pendant les deux premières années d'une acquisition dans le cadre d'un programme d'accession sociale à la propriété ;
- la somme de 17 000 euros au titre de l'indemnisation de leur préjudice financier pour avoir été contraints de recourir à des emprunts auprès de leur famille ;
- la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font d'abord valoir que la société Domaxia ayant accepté de les indemniser à concurrence de la somme de 2 100 euros du préjudice causé par le report au 31 décembre 2014 de la date de livraison qui avait été fixée au 4ème trimestre 2013 dans le contrat de réservation, ils sollicitent la condamnation de la société Logial-coop à leur payer cette somme qui ne leur a pas été réglée.
Invoquant un retard de 900 jours dans la livraison du bien, ils soutiennent que :
- le retard provoqué par la résiliation, à l'initiative de la société Domaxia, du contrat conclu avec l'entreprise Boyer ne constitue pas une cause légitime de report du délai ;
- la découverte d'un câble haute tension enterré à proximité du chantier, qui a été faite en avril 2013 avant la conclusion du contrat de vente, ne justifie pas le report du délai de livraison alors qu'en outre, d'une part la société Domaxia n'a fait une demande de DT que le 10 juillet 2013 après le commencement des travaux et qu'elle a reçu ce document le 12 juillet 2013 indiquant la présence de ce câble, d'autre part elle a mal géré la demande d'enlèvement de ce câble en s'abstenant de saisir la société Arema BT que lui avait préconisée ERDF ;
- le temps excessivement long pour remplacer l'entreprise dont le contrat avait été résilié ne constitue pas une cause légitime de suspension du délai de livraison ;
- l'abandon de chantier par la société GBC n'est pas assimilable à la défaillance d'une entreprise qui seule justifie une suspension du délai de livraison ;
- les intempéries d'une durée de 69 jours ne sont justifiées que par une lettre de l'architecte, qui en outre n'est pas signée, aucun relevé météorologique n'étant produit ;
SUR CE,
Attendu qu'il est constant que le bien n'a été livré à M. et Mme [N] que le 19 juin 2017 alors que le contrat prévoit que les ouvrages seront achevés "au plus tard fin du 4ème trimestre 2014, sauf survenance d'un cas de force majeure ou, plus généralement, d'une cause légitime de suspension du délai de livraison" ; qu'il ajoute que "pour l'application de cette disposition, seraient considérés comme causes légitimes de suspension de délai, notamment :
- les intempéries, la grève (...), la défaillance de l'une des entreprises ou d'un prestataire ayant une mission sur le chantier (liquidation ou redressement judiciaire, cessation des paiement...), les injonctions ou ordonnances administratives ou judiciaires de suspendre ou arrêter les travaux (...), les troubles résultant d'hostilités, révolutions, cataclysmes naturels ou accidents de chantier, les travaux imprévus tenant à la nature du sol ou du sous-sol (travaux confortatifs, fondations spéciales ou autres), le non raccordement des biens par les services concédés (EDF, eaux, PTT etc)" ; que l'emploi de l'adverbe notamment signifie que ces causes sont énoncées à titre d'exemple et que d'autres circonstances sont susceptibles de constituer une cause de suspension du délai si, à l'instar de celles énoncées, elles constituent un cas de force majeure ;
Attendu que cette clause, qui a pour objet de reporter le délai de livraison lorsqu'un retard a été provoqué par des circonstances imprévisibles et extérieures au vendeur, n'a ni pour objet ni pour effet de créer, au détriment de l'acquéreur non-professionnel ou consommateur, un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ;
1 - Sur la suspension du délai de livraison
- Découverte d'un câble haute tension
Attendu que si, dans ses relations avec le maître de l'ouvrage, il appartenait au maître d'oeuvre de l'opération ou à l'entreprise Boyer de faire une déclaration d'intention de commencement de travaux (DICT) dès la déclaration d'ouverture de chantier du 16 novembre 2012, ce qui aurait permis de découvrir, avant la conclusion de l'acte de vente, la présence de câbles électriques haute tension enterrés dans le terrain d'emprise de la construction, la société Domaxia est responsable envers les acquéreurs de la carence de son maître d'oeuvre et de l'entreprise ; que par conséquent, la société Domaxia n'est pas fondée à soutenir que la date de l'acte de vente la découverte de câbles électriques constituait pour elle une cause légitime de suspension du délai de livraison ; qu'elle n'est pas non plus fondée à invoquer comme cause de suspension de ce délai la résiliation du marché qu'elle avait conclu avec la société Boyer, cette résiliation ayant pour cause le fait que celle-ci, compte tenu de la présence souterraine de câbles électriques, n'a pu exécuter ce marché aux conditions qui avaient été convenues ;
- Intempéries
Attendu que, sans qu'il soit nécessaire qu'elle produise les relevés météorologiques, la société Domaxia justifie par un rapport de son maître d'oeuvre de 69 jours d'intempéries ; que le délai de livraison a ainsi été suspendu pendant cette durée ;
- Abandon de chantier par la société GBC
Attendu que cet abandon de chantier constitue une cause de suspension du délai de livraison conformément aux dispositions du contrat qui prévoient que la défaillance d'une entreprise justifie une telle suspension du délai ; que s'il envisage spécialement une défaillance consécutive au placement de l'entreprise en liquidation ou redressement judiciaires, toute défaillance doit être prise en compte quelle que soit sa cause même si elle est imputable à une entreprise in bonis ; qu'en conséquence, constitue une telle défaillance l'abandon de chantier par la société GBC qui avait été choisie pour remplacer la société Boyer dont le contrat avait été résilié ; qu' il convient en conséquence de retenir que le délai de livraison a été suspendu à compter du procès-verbal d'huissier du 6 novembre 2015 constatant cet abandon jusqu'au jour où, après mises en demeure restées infructueuses suivies d'une résiliation du contrat conclu avec la société GBC, une entreprise a été désignée pour terminer les travaux ; que selon le rapport du maître d'oeuvre le retard imputable à cet abandon est de 295 jours ; qu'il y a lieu d'ajouter un délai de 28 jours nécessaire à la mise en oeuvre de la procédure de résiliation du marché et un délai de 136 jours nécessaire à la recherche et la désignation de l'entreprise choisie pour terminer les travaux ; qu'ainsi, la suspension du délai s'élève au total à 459 jours ;
Attendu qu'en définitive le délai de livraison a été suspendue pendant une durée de 528 jours ; qu'ainsi le retard de livraison d'un total de 900 jours n'est imputable à la société Domaxia qu'à concurrence de 372 jours ;
2 - Sur l'indemnisation des préjudices subis par M. et Mme [N]
- Compensation financière proposée par la société Domaxia
Attendu que par courriel du 27 juin 2013, M. [H], agissant au nom de la société Domaxia, a proposé à M. et Mme [N] d'assurer leur logement pendant un délai de six mois en ajoutant qu' "à titre de compensation financière, (s'ils souhaitent) engager des travaux modificatifs sur (leur) futur logement, Domaxia prendra en charge les frais de dossier fixés à 600 ? et 1 500 ? de travaux" ; qu'il est indiqué qu' "après (leur) accord, cette proposition sera officialisée par l'intermédiaire d'un protocole et conditionnée à (leur) engagement de renoncer à tout recours sur les points objet du dit protocole" ;
Attendu, d'une part, que cette proposition n'a pas été suivie par la conclusion d'un protocole, d'autre part, que M. et Mme [N] ne justifient pas avoir engagé des frais au titre de travaux dans l'appartement mis à leur disposition ; que M. et Mme [N] ne sont donc pas fondés à réclamer le paiement de la somme proposée à titre de compensation financière ;
- Préjudice moral
Attendu que le retard de livraison a nécessairement causé à M. et Mme [N] un préjudice moral causé par le difficultés à se loger et les contraintes qui en sont résultés ; qu'il convient d'évaluer ce préjudice à la somme de 7 000 euros ;
- Préjudices financiers
Attendu que le retard de livraison imputable à la société Domaxia a contraint M. et Mme [N] à se loger en réglant un loyer mensuel de 544,54 euros et des charges locatives supérieur de 39,23 euros à celles dues au titre du logement que leur a vendu la société Domaxia ; que la livraison tardive du bien imputable à la société Domaxia les a contraint de supporter ces frais durant 12 mois et demi ; qu'ainsi ce préjudice s'élève à 583,77 euros x 12,[Cadastre 2] = 7 297,13 euros ;
Attendu que si M. et Mme [N] font état d'un projet de rachat de crédit qu'ils n'ont pu réaliser tant que le bien litigieux ne leur était pas livré, ce préjudice apparaît hypothétique ; qu'il y a donc lieu de rejeter la demande formée de ce chef ;
Attendu que M. et Mme [N] font ensuite valoir que pour faire face à leurs charges ils ont été contraints de recourir à des emprunts familiaux ; qu'en l'absence de justification que ces charges ont été causées par le retard de livraison, l'absence de lien causal justifie le rejet de cette demande ;
Attendu que M. et Mme [N] n'ayant pu bénéficier de l'exonération de la taxe foncière pendant deux ans suite à la décision de la commune de supprimer en 2017 cette exonération, il convient de condamner la société Logial-coop à leur payer la somme de 1 744 euros correspondant à deux années de taxe foncière ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement,
Infirme le jugement en ce qu'il condamne la société Domaxia à payer à M. et Mme [N] la somme de 14 601,30 euros au titre de l'indemnisation du retard de livraison et le confirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau :
Condamne la société Logial-coop à payer à M. et Mme [N] la somme de 16 041,13 euros outre les intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Ordonne la capitalisation annuelle de ces intérêts ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Logial-coop et la condamne à payer à M. et Mme [N] la somme de 2 000 euros ;
La condamne aux dépens.
Le greffier, Le président,