Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRÊT DU 10 MAI 2022
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07819 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7WZJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mars 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL - RG n° 17/08412
APPELANTE
Madame [I] [L] divorcée [H]
Née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 8]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Me Benjamin ROCHE de l'AARPI VADIS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0498
INTIMÉES
SCP HUBERLAND CAMPRODON DE FREITAS BARRETO VIEIRA JAUF FREY
[Adresse 2]
[Localité 6]/FRANCE
Représentée par Me Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque: P0090, substitué par Me Aymeric ANGLES de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque: P0090
SCP [J] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Me Valérie TOUTAIN DE HAUTECLOCQUE, avocat au barreau de PARIS, toque : D0848
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été appelée le 08 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés et ayant procédé par dépôt de dossiers, devant Madame Estelle MOREAU, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte de l'affaire dans le délibéré de la Cour, composée de:
Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre
Mme Marie-Françoise D'ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND
ARRÊT :
- Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre, et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
* * * * *
Selon promesse de vente du 19 avril 2016 valable jusqu'au 16 août 2016, reçue en l'étude la Scp Huberland Camprodon de Freitas Barreton (ci-après, la Scp Huberland), M. [D] [V], déclarant ne faire l'objet d'aucune procédure collective, s'est engagé à vendre à Mme [I] [L], assistée par M. [Y], notaire exerçant au sein de la Scp [J] [Y] (ci-après la Scp [Y]), un pavillon à usage d'habitation situé [Adresse 1] au prix de 325 000 euros hors frais de vente.
Mme [L] devait financer cette acquisition par affectation du prix de la vente de son bien immobilier, constituant son domicile personnel, situé [Adresse 4], objet d'une promesse de vente préalablement conclue le 13 avril 2016 au bénéfice de Mme [W] et M. [M].
Mme [L] a souhaité avancer la signature des actes authentiques de réitération de ces promesses au 4 juillet 2016.
Il est apparu que M. [V] faisait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire depuis le 3 février 2016, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire par jugement du tribunal du commerce de Créteil du 18 mai 2016, la Selarl S21Y étant désignée en qualité de liquidateur.
La réitération de la promesse de vente conclue entre M. [V] et Mme [L], dont le prix de vente a été crédité en l'étude de M. [Y] le 5 juillet 2016, n'a pu être signée le 4 juillet 2016, alors que le même jour, était conclu l'acte authentique de vente du pavillon de Mme [L].
Par ordonnance du 6 juillet 2016, le juge commissaire a autorisé la vente du pavillon de M. [V] à Mme [L] au prix 325 000 euros net vendeur, a commis M. [Y] pour effectuer les formalités afférentes à cette cession et en remettre le prix au liquidateur judiciaire dès sa perception.
Par courrier du 20 juillet 2016, la Selarl S21Y, liquidateur de M. [V], a demandé à M. [Y] de lui remettre dans les plus brefs délais le prix de vente par virement et de fixer une date de signature pour la vente.
Par courrier en réponse du 25 juillet 2016, l'office notarial a indiqué être dans l'attente de la transmission du renseignement hypothécaire en cours de validité afin de s'assurer qu'il n'existait aucun créancier inscrit et que le délai de rétractation était applicable, et a précisé que le prix serait versé lors de la signature de l'acte.
Par ordonnance du 9 août 2016, le juge commissaire a ordonné à M.[Y] de remettre le prix de vente au liquidateur judiciaire sans délai dès la notification de l'ordonnance et l'a dessaisi de la rédaction des différents actes relatifs à la cession du bien.
Le prix de vente a été viré sur le compte du liquidateur en août 2016 et le 22 août 2016, a été signée une convention d'occupation précaire entre la Selarl S2Y et Mme [L], mettant à disposition de cette dernière le pavillon dans l'attente de la signature de l'acte authentique de vente, et ce en contrepartie du versement d'une redevance de 400 euros.
L'acte authentique de vente a finalement été régularisé le 18 octobre 2016.
C'est dans ces circontances que par actes délivrés le 3 août 2017, Mme [L] a fait assigner la Scp Huberland et la Scp [Y] devant le tribunal de grande instance de Créteil en responsabité civile.
Par jugement rendu le 19 mars 2019, le tribunal de grande instance de Créteil a :
- débouté Mme [I] [L] de toutes ses demandes,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code procédure civile,
- condamné Mme [I] [L] aux dépens.
Par déclaration du 11 avril 2019, Mme [I] [L] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 2 mars 2021, Mme [I] [L] demande à la cour de :
- infirmer dans toutes ses dispositions le jugement,
statuant à nouveau,
- la déclarer recevable et bien fondée en l'ensemble de ses demandes,
- dire que les Scp [Y] et Huberland ont engagé leur responsabilité civile délictuelle à son encontre du fait de leurs fautes respectives,
- dire et juger que le préjudice subi par elle du fait des fautes commises par les Scp [Y] et Huberland s'élève à la somme de 48 027,72 euros,
en conséquence,
- condamner in solidum les Scp [Y] et Huberland à lui verser la somme de 48 027 ,72 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, avec intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2016, date de la mise en demeure,
- ordonner la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code
civil,
- condamner in solidum les Scp [Y] et Huberland à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les Scp [Y] et Huberland aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 5 août 2021, la Scp Huberland Camprodon de Freitas Barreto (la Scp Huberland) demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
en conséquence,
- débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes à son encontre,
- condamner la partie succombant au paiement de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la partie succombant en tous les dépens dont distraction au profit de la Scp Kuhn
conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 4 septembre 2019, la Scp [J] [Y] ( la Scp [Y]) demande à la cour de :
- juger M. [J] [Y], notaire, recevable et bien fondé en ses conclusions,
- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes,
- juger, en effet, que Mme [L] ne justifie pas de l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre cette faute et ce préjudice, susceptible d'engager la responsabilité du notaire,
- la débouter de l'intégralité de ses demandes,
- condamner Mme [L] au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [L] aux entiers dépens d'instance, dont distraction au profit de Mme Valérie Toutain de Hautecloque, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la responsabilité des notaires
- Sur la faute
Sur la faute de la Scp Huberland
Le tribunal a jugé que la faute de la Scp Huberland était caractérisée en ce que la promesse unilatérale de vente du 19 avril 2016 a été réalisée alors que le promettant était placé en redressement judiciaire et qu'il n'avait donc pas la capacité de signer l'acte, ce dont le notaire en charge de la rédaction de l'acte était tenu de s'assurer en application de l'article 5 du décret n°71-941 du 26 novembre 1971 nonobstant les déclarations du promettant sur sa capacité, en particulier en consultant le Bodacc.
Mme [L] soutient que :
- la Scp Huberland a manqué à son devoir de conseil et à son obligation d'assurer l'efficacité de la promesse de vente en omettant de s'assurer que M. [V] n'était frappé d'aucune procédure collective comme il le prétendait, en s'abstenant de consulter le Bodacc,
- à supposer que l'obligation de vérification pesant sur le notaire ne s'applique que dans le cas où celui-ci est en mesure de soupçonner l'inexactitude des renseignements fournis, l'exercice de l'activité de directeur d'auto-école en profession libérale connaissant une augmentation très significative des procédures collectives ouvertes dans cette branche d'activité, était de nature à faire suspecter une telle procédure,
- la vérification de la capacité de contracter du vendeur, sans laquelle l'acte juridique est frappé de nullité, ne ressortit pas des vérifications d'ordre administratif, hypothécaire ou financier, et s'applique à tous les actes, y compris les promesses de vente,
- la faute intentionnelle du vendeur qui déclare volontairement des informations qu'il sait erronées est sans incidence sur la responsabilité du notaire,
- la circonstance - au demeurant inexacte - que la Scp Huberland aurait prétendument réalisé toutes les diligences utiles pour que la vente intervienne avant la date butoir, est sans incidence sur la caractérisation de la faute délictuelle qu'elle a commise en s'abstenant de consulter le Bodacc.
La Scp Huberland réplique que :
- elle n'avait pas à vérifier les documents administratifs, hypothécaires et financiers nécessaires à l'instrumentalisation de la vente puisque l'acte du 19 avril 2016 est une promesse unilatérale de vente, soit un acte préparatoire au titre duquel le notaire n'est tenu qu'à des vérifications mineures,
- le notaire n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties dès lors qu'il n'est pas en mesure de soupçonner l'inexactitude des renseignements fournis et les déclarations sur la profession de M. [V] ne pouvaient soupçonner l'ouverture d'une procédure collective à son encontre, d'autant plus qu'il n'était pas précisé qu'il exerçait ses fonctions sous un statut libéral,
- elle ne saurait être tenue responsable des fausses déclarations de M. [V] lors de la signature de la promesse de vente du 19 avril 2016, qui engage sa responsabilité personnelle de ce chef.
Le notaire rédacteur d'acte engage sa responsabilité délictuelle à charge pour celui qui l'invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.
Si le notaire, recevant un acte en l'état de déclarations erronées d'une partie quant aux faits rapportés, n'engage sa responsabilité que s'il est établi qu'il disposait d'éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est, cependant, tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu'il existe une publicité légale aisément accessible, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l'efficacité de l'acte qu'il dresse.
Ces obligations s'appliquent également à la promesse de vente, acte juridique qui engage le promettant.
Ainsi, le notaire, tenu à un devoir de conseil et à une obligation d'efficacité, engage sa responsabilité s'il ne vérifie pas les déclarations qui lui ont été faites relativement à la capacité de disposer du promettant par le biais de la consultation du Bodacc qui lui aurait révélé l'ouverture d'une procédure collective à l'égard de ce dernier avant la réception de l'acte.
La Scp Huberland, qui a omis de vérifier, avant la réception de la promesse de vente, les déclarations de M. [V] prétendant avoir la capacité à agir, en particulier ne pas être 'en état de cessation de paiement, redressement ou liquidation judiciaire', alors que la consultation du Bodacc lui aurait permis de constater qu'il faisait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire depuis le 3 février 2016, a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de diligence, sans que les déclarations erronées du promettant puissent l'exonérer de sa responsabilité.
Sur la faute de la Scp [Y]
Le tribunal a jugé que la faute de la Scp [Y] était caractérisée en ce que :
- M. [Y], au titre de l'exercice de son devoir de conseil et dans l'intérêt de Mme [L], aurait dû, nonobstant la nature de la promesse unilatérale de vente, s'assurer de la capacité de la partie cocontractante, laquelle conditionne la validité de l'acte,
- malgré les demandes de la Selarl S2Y et alors qu'il disposait des fonds depuis le 5 juillet 2016, M. [Y] n'a versé ceux-ci au liquidateur que le 20 août 2016, soit plus d'un mois et demi après l'ordonnance rendue le 6 juillet 2016 par le juge commissaire.
Mme [L] reproche à la Scp [Y] :
- d'avoir manqué à son devoir de conseil et à son obligation de diligence en ne procédant pas à la vérification de la capacité du promettant alors que les obligations incombant au notaire participant sont indépendantes des obligations du notaire rédacteur et que le notaire est tenu à une vigilance et un devoir de conseil d'autant plus importants que l'acte envisagé est un maillon d'un ensemble d'opérations interdépendantes,
- de ne pas avoir reversé sans délai le prix de la vente au liquidateur, malgré plusieurs relances, ce en violation des dispositions de l'article R.643-3 alinéa 3 du code de commerce.
La Scp [Y] répond que :
- le notaire n'avait pas à vérifier la capacité de M. [V] au stade de la signature de la promesse de vente qui constitue un avant-contrat, n'étant pas tenu d'effectuer à ce titre les mêmes diligences que pour l'acte authentique de vente,
- seul le vendeur est responsable de la situation en ayant déclaré faussement à l'acte de promesse qu'il n'était ni en état de cessation des paiements, ni en redressement ou en liquidation judiciaire et en dissimulant sciemment la procédure collective en cours,
- le notaire n'avait pas de raison de suspecter les déclarations de M. [V] quant à sa capacité à participer à l'acte de promesse,
- s'agissant du versement du prix de vente entre les mains du liquidateur, la remise du prix de vente à laquelle est tenu le notaire 'dès sa perception' selon l'article R 643-3 alinéa 3 du code de commerce et conformément à l'ordonnance du 6 juillet 2016, doit s'entendre comme dès la perception du prix consécutive à la signature de l'acte et le notaire ne saurait se dessaisir des fonds en sa possession sans que l'acte de vente ne soit reçu, ce d'autant plus que le liquidateur de M. [V] n'a jamais été en mesure de justifier de la publication d'une attestation immobilière de ce dernier suite au décès de son épouse.
La Scp [Y], notaire de Mme [L] intervenant à la promesse de vente, était tenue envers sa cliente à un devoir de conseil et devait, à ce titre, s'assurer de la capacité du promettant à disposer librement du bien objet de la promesse de vente consentie à sa cliente et conditionnant la validité et l'efficacité de cet acte.
En ne s'assurant pas de ladite capacité par la consultation du Bodacc, il a manqué à ses obligations, les déclarations du promettant étant sans incidence sur sa faute, qui est caractérisée.
Selon l'article R.643-3 du code de commerce,
'L'adjudicataire fait publier au service de la publicité foncière l'acte ou le jugement d'adjudication dans les deux mois de sa date et en cas d'appel dans les deux mois de l'arrêt confirmatif, sous peine de réitération des enchères à la diligence du liquidateur.
Dans les trois mois de l'adjudication, l'adjudicataire verse au compte de dépôt ouvert par le liquidateur à la Caisse des dépôts et consignations la totalité du prix de l'adjudication y compris les intérêts au taux légal à compter du jour où la vente est devenue définitive jusqu'au jour du paiement. Passé ce délai, le liquidateur lui enjoint par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de faire le versement sous peine de réitération des enchères.
En cas de vente de gré à gré, le notaire chargé de la vente remet le prix, dès sa perception, au liquidateur.
Le prix de vente ne peut faire l'objet d'aucun prélèvement par le liquidateur jusqu'à ce que soit justifié par l'acquéreur qu'il a conduit à son terme la procédure de purge ou qu'il a obtenu des créanciers inscrits la dispense d'y procéder'.
La vente de gré à gré d'un immeuble compris dans l'actif du débiteur en liquidation judiciaire est parfaite dès l'ordonnance du juge commissaire l'autorisant, sous la condition suspensive toutefois que la décision acquière force de chose jugée.
Si la vente de gré à gré est parfaite dès l'ordonnance, le transfert de propriété ne s'opère qu'à la date de la passation des actes par le mandataire liquidateur. L'ordonnance du juge-commissaire peut valablement contenir une solution contraire et prévoir une autre date que celle de la passation des actes, par exemple la date de paiement du prix.
Toutes les mesures de protection tirées du droit commun s'appliquent à la vente de gré à gré, en particulier l'article L.271-1 du code de la construction et de l'habitation relatif au délai de rétractation.
La vente de gré à gré n'emporte pas purge des inscriptions qui grèvent l'immeuble. Le notaire doit également purger les inscriptions ou obtenir des créanciers inscrits la dispense de purge. Il est ainsi tenu d'interroger, préalablement à la régularisation de la vente, l'ensemble des créanciers inscrits afin que ces derniers confirment leur accord sur le prix, dispensent l'acquéreur d'avoir à procéder aux formalités de purge et renoncent à leur droit de surenchère du dixième. À défaut d'avoir pu obtenir la dispense de purge de l'ensemble des créanciers, le notaire remet le prix de vente au mandataire liquidateur et la procédure de purge devra être menée à son terme par l'acquéreur avec l'appui de son notaire. Dans ce cas, le notaire informe préalablement l'acquéreur du risque d'éviction lié à la possibilité de surenchère et des coûts liés à la procédure de purge.
L'ordonnance du juge commissaire du 6 juillet 2016, visant l'offre d'achat formulée par Mme [L] et son acceptation par M. [V], autorise le liquidateur judiciaire de ce dernier à céder l'immeuble litigieux au prix de 325 000 euros, et commet M. [Y] 'pour effectuer les formalités afférentes à cette cession et en remettre le prix au liquidateur dès sa perception'.
Cette ordonnance, qui ne mentionne pas que le prix de cession a déjà été versé, ne déroge pas à la règle selon laquelle le transfert de propriété ne s'opère qu'à la date de passation de l'acte de vente, formalité à laquelle le notaire est chargé de procéder. C'est donc uniquement après avoir procédé à la purge des inscriptions ou du moins interrogé les créanciers, et concomitament à la passation de cet acte que la Scp [Y] était tenue de verser le prix de vente, quand bien même elle était déjà en possession de celui-ci au moment de l'ordonnance.
La Scp [Y] n'a donc commis aucun manquement en informant le liquidateur, par courriel du 22 juillet 2016 puis par lettre du 25 juillet 2016, de la nécessité de procéder à la purge du délai de rétractation et de la possibilité de régulariser la vente le 5 août 2016 sous réserve qu'il n'y ait pas de créanciers hypothécaires auxquels il conviendrait de notifier l'ordonnance du juge commissaire, tout en précisant que le prix de vente serait versé à l'occasion de la signature de l'acte.
La seconde ordonnance du juge commissaire du 9 août 2016 a en revanche ordonné à M. [Y] de remettre le prix de vente au liquidateur sans délai et dès la notification de l'ordonnance, tout en le dessaisissant de la rédaction des actes afférents à la cession du bien immobilier.
Aucun retard, caractéristique d'une faute, n'est établi s'agissant de la remise du prix de cession par virement du 12 août 2016 dont il est justifié, en exécution de cette ordonnance notifiée le 10 août 2016, en période de congés estivale.
Il n'est donc démontré aucune faute de la Scp [Y] de ce chef.
Sur le lien de causalité et le préjudice :
Le tribunal a jugé qu'aucun lien de causalité direct n'était caractérisé entre les fautes reprochées aux notaires et les préjudices invoqués par Mme [L], dès lors que :
- la promesse étant signée le 16 avril 2016 et étant consentie pour une durée expirant le 16 août 2016, Mme [L] pouvait se prévaloir de la nullité de l'acte dès le 25 juin 2016, date à laquelle elle a appris que le promettant était en redressement judiciaire,
- les préjudices allégués, hormis les frais liés à la procédure et les frais de congés et de vacances qui auraient pu être évités en cas de renonciation à la promesse, ne sont pas directement liés à la faute des notaires mais ont été générés par la vente de son propre pavillon, indépendamment de la promesse unilatérale de vente en cause.
L'appelante fait valoir un lien de causalité entre les préjudices qu'elle a subis et les faute commises les Scp Huberland et [Y] en ce que :
- les deux promesses synallagmatiques de vente successives étaient des opérations interdépendantes d'une même opération plus globale, le défaut de réitération de la première promesse rendant caduque la seconde vente conformément à la condition suspensive figurant dans la promesse litigieuse, interdépendance que les notaires ne pouvaient ignorer,
- le manquement de la Scp [Y] à son obligation de vérifications concernant la capacité de M. [V], à son devoir de conseil s'agissant d'opérations interdépendantes et son retard conséquent dans le transfert des fonds séquestrés, ont eu pour conséquences directes d'empêcher la réitération de la vente au 4 juillet 2016 et de la proroger au 18 octobre 2016,
- le manque de diligence de la Scp Huberland et notamment son manquement à son obligation de vérifications est directement à l'origine de l'impossibilité de réitérer la vente le 4 juillet 2016,
- si elle s'était prévalue de la nullité ou de la caducité de l'acte, son préjudice aurait été parfaitement identique, se retrouvant dès le 4 juillet 2016 sans domicile avec un enfant à charge.
Elle invoque une série de sept préjudices dont elle demande réparation, soit :
- un préjudice moral compte tenu de l'anxieté causée par le fait qu'elle se soit trouvée sans domicile à compter du 4 juillet 2016, avec un enfant à charge et ait dû se loger chez ses aînés,
- des frais d'avocats engagés pour l'aider à faire face à la situation,
- un préjudice de frais de garde-meubles pour la période du 1er juillet 2016 au 28 septembre 2016,
- un préjudice tenant au paiement de la redevance au titre de la convention d'occupation précaire du 22 août 2016,
- un préjudice en raison du paiement de deux demandes de renseignements téléphoniques expresses adressées sans son accord au Cridon les 21 et 28 juillet 2016,
- un préjudice de frais d'annulation des vacances réservées par elle du 18 au 24 août 2016,
- un préjudice de perte de six journées de congés.
Les intimées invoquent l'absence de démonstration du lien de causalité dès lors que :
- le litige trouve son origine dans les déclarations erronées de M. [V] lors de la signature de l'acte de promesse du 19 avril 2016,
- rien ne s'opposait à la signature de l'acte de vente dès le 5 août 2016 et avant la date butoir du16 août 2016 prévue dans la promesse de vente conclue avec M. [V], les diligences de la Scp Huberland ayant permis le rendu de l'ordonnance du juge commissaire du 6 juillet 2016 et seule l'exigence du liquidateur de M. [V] de se voir attribuer les fonds avant toute signature de l'acte authentique de vente et d'obtenir le dessaisissement de M. [Y] ayant occasionné un retard dans la signature de l'acte définitif,
- la vente du pavillon de Mme [L] n'était pas érigée en condition suspensive de l'acquisition du bien de M. [V],
- Mme [L] ne saurait se prévaloir de préjudices du fait de la nullité de l'acte dont elle a eu connaissance dès le le 25 juin 2016 et dont elle n'a pas souhaité se prévaloir.
Elles discutent les préjudices allégués qu'elles considèrent sans lien avec leur intervention et non caractérisés, en particulier le préjudice moral alors que Mme [L] a habité la maison de Palaiseau dès le 22 août 2016, soit six jours après le délai initialement prévu dans la promesse, et les frais d'avocats, dès lors que rien ne justifie le recours à deux avocats ayant facturé des prestations similaires, ainsi que les frais des recherches effectuées auprès du Cridon compte tenu des divergences rencontrées par la Scp [Y] avec le liquidateur ayant fait obstruction à la réitération de l'acte de vente.
La promesse de vente du 19 avril 2016 conclue entre Mme [L] et M. [V] est assortie de la condition suspensive de réalisation, le 13 août 2016, de la vente prévue dans l'avant-contrat conclu le 13 avril 2016 entre Mme [L], Mme [W] et M. [M], et devait être réitérée au plus tard le 16 août 2016.
Pour des raisons qui lui sont propres et dans des circonstances inconnues de la cour, Mme [L] a souhaité avancer la date de signature des divers actes au 4 juillet 2016, alors qu'il ressort de la lettre de mise en demeure que son avocat a adressée à la Scp [Y] qu'elle a eu connaissance, dès le 25 juin 2016, de la procédure collective dont faisait l'objet M. [V]. La promesse de vente litigieuse n'a fait l'objet d'aucun avenant avançant la date butoir au 4 juillet 2016.
Il ne saurait donc être imputé à la faute des notaires le défaut de réitération de la vente antérieurement à la date butoir fixée dans la promesse.
En revanche, la vente, à laquelle Mme [L] n'était pas tenue de renoncer une fois qu'elle a eu connaissance du défaut de capacité du promettant faisant l'objet d'une procédure collective, n'a pu être réitérée le 16 août 2016 en raison même de cette incapacité, qui a nécessité la saisine du juge commissaire. En effet, si ce dernier a autorisé la vente par ordonnance du 6 juillet 2016, cette autorisation ne permettait pas, à elle seule, la réalisation de la vente avant la purge du délai de rétractation et des inscriptions grevant l'immeuble. Il ressort du courrier de la Scp [Y] du 9 août 2016 qu'elle n'avait toujours pas reçu le renseignement hypothécaire permettant de s'assurer de l'absence de créanciers inscrits, et que le rendez-vous de signature n'a été fixé au 5 août 2016 que sous réserve de la régularisation de l'attestation immobilière, laquelle formalité n'était toujours pas accomplie, et il n'est pas établi qu'elle l'ait été le 16 août 2016.
Le manquement de la Scp Huberland et de la Scp [Y] à leur devoir de conseil et à leur obligation de s'assurer l'efficacité de l'acte en omettant de vérifier la capacité du promettant, est donc en lien de causalité directe avec le défaut de réitération de la vente à la date butoir de la promesse, fixée au 16 août 2016.
La circonstance que le liquidateur du promettant aurait participé au préjudice de Mme [L] causé par la faute des notaires, en exigeant à tort le paiement immédiat du prix de vente et en sollicitant la désignation d'un autre notaire, à la considérer caractérisée et fautive, est inopposable à Mme [L] qui a droit à la réparation intégrale de son préjudice, en ce qu'elle relève de l'obligation de contribution à la dette à laquelle sont seuls tenus les débiteurs de celle-ci entre eux.
S'agissant des préjudices allégués, le préjudice moral invoqué par Mme [L] au titre du défaut de réalisation de la vente au 4 juillet 2016, l'ayant contrainte à se retrouver à compter de cette date sans domicile et avec un enfant à charge, est sans lien causal avec la faute des notaires. Si sa fille majeure atteste avoir dû l'héberger notamment durant la période du 16 au 22 août 2016, Mme [L] ne démontre par aucune pièce produite aux débats avoir subi un préjudice moral à ce titre.
En revanche, les frais d'avocat que Mme [L] a exposés pour un montant total de 4968 euros au titre de la mission de 'Conseil et assistance juridique dans le cadre de l'achat du pavillon situé [Adresse 1] suite à la mise en liquidation du vendeur' et selon convention d'honoraires du 12 juillet 2016, et que se sont partagés ses avocats, M. [Z] et Mme [U], sont en lien de causalité directe avec la faute des notaires et non utilement discutés.
Le préjudice allégué au titre des frais de garde meubles, n'est imputable aux notaires que pour la période du 16 août 2016 au 22 septembre 2016, et est donc justifié à raison de 267,26 euros (211 euros par mois/30 x 38 jours).
Mme [L] est également fondée en sa demande indemnitaire quant au règlement de la redevance de 400 euros au titre de la convention d'occupation précaire conclue le 22 août 2016, et des frais d'un montant de 183 euros qui lui ont été appliqués par la Scp [Y], ayant trait à l'interrogation du Cridon quant aux modalités d'exécution de l'ordonnance du juge commissaire, lesquels préjudices sont en lien causal avec la faute des notaires.
De même, la faute des notaires, à l'origine du retard dans la réitération de la vente, a conduit Mme [L] à renoncer à son séjour en thalossothérapie du 18 au 24 août 2016, dont une somme de 228,90 euros est restée à sa charge, et à poser six jours de congés pour régler sa situation, représentant un montant total de 1080 euros, préjudices dont elle est fondée à solliciter l'indemnisation.
En conséquence, les Scp Huberland et de la Scp [Y], qui ont de par leurs fautes respectives, contribué aux préjudices de Mme [L] s'élevant à un montant total de 7127,16 euros (4968 + 267,26 + 400 + 183 + 228,90 + 1080), doivent être condamnées in solidum au paiement de cette somme, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement, s'agissant d'une créance indemnitaire, et capitalisation des intérêts.
Le jugement est donc infirmé.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les Scp Huberland et [Y] échouant en leurs prétentions seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [L] une indemnité que l'équité commande de fixer à 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne in solidum la Scp Huberland Camprodon de Freitas Barreto et la Scp [J] [Y] à payer à Mme [I] [L] une somme de 7127,16 euros en réparation de son préjudice,
Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2019,
Ordonne la capitalisation des intérêts,
Condamne in solidum la Scp Huberland Camprodon de Freitas Barreto et la Scp [J] [Y] à payer à Mme [I] [L] une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la Scp Huberland Camprodon de Freitas Barreto et la Scp [J] [Y] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE