Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 11 MAI 2022
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/00793 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B42QK
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Décembre 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 14/14623
APPELANTE
Madame [D] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081
INTIMEE
SA FRANCE TELEVISIONS prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Marc BORTEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R271
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Nicolas TRUC, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DES FAITS
Mme [D] [T] qui a été initialement engagée, avec une reprise d'ancienneté, par la société nationale de télévisions France 3 aux droits de laquelle vient la société France télévisions, à compter du 26 juin 2000 en qualité d'agent d'administration, a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 14 novembre 2014 afin d'obtenir la qualification de cadre administratif, outre le paiement de divers rappels de rémunération et indemnités.
Déboutée de toutes ses demandes suivant jugement du 7 décembre 2017, Mme [T] a relevé appel de cette décision par déclarations électronique de son conseil du 20 décembre 2017 puis du 19 mars 2018.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 juin 2018, l'appelante a saisi la cour des demandes suivantes ainsi exposés :
- prononcer la jonction des procédures d'appel n° 18/00793 et n°18/04352 ;
- déclarer l'appel de Madame [T] recevable en son appel.
I. Dans le cadre d'une demande avant dire droit, il est demandé au conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris de :
1) ordonner la communication par la société France télévisions à Mme [T] des documents suivants :
' l'ensemble des bulletins de paie de Mmes [F], [P] et [W]
depuis leur embauche jusqu'à ce jour, soit respectivement :
* Depuis 1996 pour Mme [P]
* Depuis 1996 pour Mme [W]
* Depuis 2001 pour Mme [F]
' l'ensemble des contrats de travail de Mmes [F], [P] et [W] au sein de la Société France télévisions ;
' l'ensemble des bulletins individuels de déclarations annuelles des salaires et autres rémunérations de Mmes [F], [P] et [W] depuis leur embauche jusqu'à ce jour, soit respectivement :
II. Au fond, il est demandé à la cour d'appel de Paris de réformer dans son intégralité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris et statuant à nouveau :
1) juger que Mme [T] a été victime d'une discrimination en raison de son appartenance au syndicat CFDT
En conséquence, condamner la société France télévisions à verser à Mme [T] la somme de 70 000 euros correspondant à 24 mois de salaire, à titre de réparation du préjudice subi, sur le fondement des articles L. 1332-1, L. 1132-3 et L. 1132-4 du code du travail et 1382 du code du travail
2) juger que la société France télévisions a gravement manqué à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail de Mme [T]
En conséquence :
- condamner la société France télévisions à verser à Mme [T] la somme de 50 000 euros correspondant à 18 mois de salaire, à titre de réparation du préjudice subi, sur le fondement des articles L 1222-1 du code du travail, 1134 et 1142 du code civil
3) juger que Mme [T] doit bénéficier d'une reconstitution de carrière telle que définie dans les présentes écritures, c'est-à-dire à tout le moins être classifiée au sein du groupe 5/B19 depuis 2013, en qualité de « cadre administratif ».
4) condamner la Société France télévisions à verser à Mme [T], à titre de rappels de salaire, les sommes suivantes :
* 2011 : (décembre) 538,50 euros + 53.85 euros de congés payés afférents
* 2012 : 6 462,00 euros+ 646,20 euros de congés payés afférents
* 2013 : 6 462,00 euros + 646,20 euros de congés payés afférents
* 2014 : 6 462,00 euros + 646,20 euros de congés payés afférents
* 2015 : 5 720,64 euros + 572,06 euros de congés payés afférents
* 2016 : 5 720,64 euros + 572,06 euros de congés payés afférents
* 2017 : 4 960,68 euros + 496,07 euros de congés payés afférents
* 2018 : (janvier-mars) 1 240,17 euros + 124,02 euros de congés payés afférents
5) condamner la société France télévisions à fournir à Mme [T] des bulletins de salaire conformes année par année sous astreinte de 250 euros par document et par jour de retard,
6) condamner la société France télévisions à régulariser la situation de Mme [T] auprès des organismes sociaux (caisses d'assurance vieillesse et complémentaire, ainsi que la prévoyance), sous astreinte de 500 euros par organisme et par jour,
7) juger que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte,
8) condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément à l'article 1154 du code civil,
9) condamner la société France télévisions à payer à Mme [T] une somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et aux éventuels frais d'exécution.
Selon ses dernières écritures notifiées le 26 juin 2018, la société France télévisions soutient les demandes suivantes ainsi exposées :
In limine litis,
- dire et juger que la déclaration d'appel formée par Mme [T] est nulle,
En conséquence,
- annuler la déclaration d'appel de Mme [T] et tous ses actes subséquents,
A titre subsidiaire, au fond,
- dire et juger Mme [D] [T] irrecevable et en tout cas mal fondée en ses demandes, fins et conclusions,
En conséquence,
- débouter Mme [D] [T] de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
- condamner Mme [D] [T] à payer à la société France télévisions la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
- condamner Mme [D] [T] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 janvier 2020.
Sur ce :
1) Sur la procédure
Il n'y a pas lieu d'ordonner la jonction sollicitée des procédures n° 18.793 et 18.4352 qui a déjà été prononcée par le conseiller de la mise en état suivant ordonnance du 17 octobre 2018.
L'intimée sollicite, dans les conclusions au fond dont elle saisit la cour, que la déclaration d'appel de Mme [T] du 20 décembre 2017 portant « appel total » soit déclarée nulle, mais il convient de relever que dans sa décision du 17 octobre 2018 qui n'a pas été contestée, le magistrat de la mise en état a rejeté cette demande, de sorte qu'il ne saurait être à nouveau statué sur ce point.
Il résulte par ailleurs des pièces de procédure que Mme [T] a formulé un nouvelle déclaration d'appel le 19 mars 2018, dans le délai qui lui était imparti pour conclure, détaillant les chefs du jugement critiqués, en vue de régulariser sa première déclaration d'appel.
Il n'y a donc pas lieu de retenir un défaut d'effet dévolutif de l'appel, point sur lequel, il a été demandé aux parties de s'expliquer par note en délibéré.
Quant à la demande de communication de pièces et documents détenus par l'employeur, il sera constaté qu'elle est adressée, selon les conclusions de l'appelante, au conseiller de la mise en état qui a été dessaisi par l'ordonnance de clôture. La cour ne saurait donc se considérer comme régulièrement saisie sur ce point.
2) Sur la discrimination
Mme [T] qui occupe depuis son recrutement les fonctions de secrétaire d'organisation pour le compte du syndicat CFDT et est classée au groupe conventionnel 4/B18, soutient, en substance, avoir fait l'objet d'une discrimination dans le déroulement de sa carrière par comparaison avec la situation de trois autres salariées exerçant comme elle et pour une ancienneté comparable (années de recrutement 1996 et 2001) des fonctions de secrétariat dans d'autres organisations syndicales, à savoir Mmes [F], [P] et [W] qui se sont toutes vu attribuer le groupe de classification 5 plus avantageux (tableau comparatif page 28 de ses conclusions) ainsi que le statut cadre, ce qui n'est pas son cas.
La société France télévisions objecte que la comparaison effectuée par Mme [T] n'est pas pertinente compte tenu des anciennetés, fonctions et évolutions de carrière différentes ou particulières des salariées [F], [P] et [W].
Cependant et alors qu'il appartient à l'employeur, quand le salarié présente des éléments laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en application de l'article L 1134-1 du code du travail, la société France télévisions, hormis des bulletins de salaire de Mme [F] pour l'année 2015 et un fiche sommaire d'évolution de carrière (ses pièces 16, 22 et LA 30) ne renseignant en rien sur la réalité de ses fonctions, ne produit aucun élément exploitable relativement aux salariées avec lesquels Mme [T] se compare et pouvant démentir la discrimination dont elle se plaint en termes d'évolution de carrière et de rémunération.
La société France télévisions se prévaut d'une comparaison avec la situation de secrétaires administratives relevant du siège de l'entreprise (tableau, pièce LA 9 et bulletins de salaire, pièces 10 à 33) dont elle tire la conclusion que celle de Mme [T] n'est pas anormale, mais cette comparaison, ne prenant pas en compte les salariées [P] et [W] pour en retenir d'autres (Mmes [O], [G], [C], [H], [S], [A], [L], [E] et [I]) dont il n'est ni établi ou soutenu qu'elles exercent, à l'instar de l'appelante, leurs fonctions auprès d'organismes syndicaux, ne peut être considérée comme pertinente.
En l'absence d'élément de comparaison précis et exploitable produits en termes d'évolution de carrière ou de rémunération par rapport aux salariées [F], [P] et [W], il sera retenu que Mme [T] a fait l'objet d'une discrimination à caractère syndical au sens de l'article L 1132-1 du code du travail, justifiant qu'il soit fait intégralement droit, en réparation, au rappel de salaire qu'elle sollicite pour la période de décembre 2011 à mars 2018, soit la somme de 37 566,63 euros, outre l'indemnité de congés payés afférente, calculée par rapport à la rémunération de Mme [F] (tableau page 36 des conclusions de l'appelante), seule salariée du groupe de comparaison dont les bulletins de paie sont, partiellement, produits par l'employeur.
Le statut cadre revendiqué par Mme [T] et dont il n'est pas discuté qu'il a été obtenu par les salariées [F], [P] et [W], lui sera également octroyé.
La discrimination retenue a occasionné à Mme [T] un préjudice spécifique et complémentaire que la cour réparera par l'octroi d'une indemnité arbitrée à 2 000 euros.
3) Sur la demande en dommages et intérêts pour déloyauté
Mme [T] reproche à la société France télévisions une déloyauté contractuelle en ce qu'elle n'a pas correctement repris son ancienneté lors de son recrutement le 26 juin 2000 (23 juin 1998 au lieu du 26 mars 1998 retenu), a refusé de lui payer spontanément ses heures supplémentaires et ne l'a plus autorisée à en effectuer.
Mais la cour observe que la salariée, qui ne fait, notamment, pas état d'une créance de rémunération en lien avec les manquements contractuels qu'elle reproche à l'employeur, ne démontre la réalité d'aucun préjudice indemnisable, de sorte que la demande en dommages et intérêts sera rejetée.
4) Sur les autres demandes
Il sera enjoint à la société France télévisions, sans qu'il y ait lieu à astreinte, de délivrer à Mme [T] un bulletin de salaire rectificatif reprenant les créances salariales fixées par cette décision et de régulariser la situation de la salariée auprès des organismes sociaux.
Les créances fixées par cette décision porteront intérêts au taux légal et les intérêts échus pourront être capitalisés dans les conditions prévues par l'article 1154 ancien du code civil.
L'équité exige d'allouer 3 000 euros à Mme [T] en compensation de ses frais non compris dans les dépens par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les entiers dépens seront laissés à la charge de la société France télévisions qui succombe à l'instance.
PAR CES MOTFS
La cour :
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 7 décembre 2017 et statuant à nouveau :
Rejette les demandes relatives à la procédure ;
Dit que Mme [T] a été victime de discrimination syndicale ;
Condamne la société France télévisions à payer à Mme [T], avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts échus :
- 37 566,63 euros à titre de rappel de rémunération pour la période de décembre 2011 à mars 2018,
- 3 756,66 euros au titre des congés payés afférents,
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,
- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile
Dit que Mme [T] doit être classée au niveau conventionnel « cadre administratif groupe 5/B19 » à compter de l'année 2013 ;
Enjoint à la société France télévisions de délivrer à Mme [T] un bulletin de salaire conforme à cette décision et de régulariser sa situation auprès des organismes sociaux ;
Rejette toute demande plus ample ou contraire ;
Condamne la société France télévisions aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT