Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 17 MAI 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10514 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAZY5
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juillet 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/03474
APPELANTE
Madame [K] [I]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Emilie BELS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0833
INTIMEE
SAS COMCORP
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Pierre CHEVALIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0228
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre
Madame Laurence DELARBRE, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Mathilde SARRON
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Mme [K] [I], née en 1973, a été engagée en qualité d'attachée de presse le 8 octobre 2001 selon contrat à durée indéterminée, par la société H&B Communication, laquelle en décembre 2014, a été absorbée par la société Comcorp, agence de communication spécialisée dans le conseil des entreprises et des marques en matière de relations publiques et de communication.
En dernier lieu, Mme [I] occupait le poste de directrice conseil au statut cadre 3.1, coefficient 170.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec).
Deux avertissements ont été successivement notifiés par courriers des 12 octobre et 2 novembre 2016, à Mme [I] qui les a contestés.
Mme [I] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 23 janvier 2018 et a ensuite été licenciée pour insuffisance professionnelle par lettre datée du 26 janvier 2018, avec dispense de son préavis.
A la date du licenciement, Mme [I] avait une ancienneté de 16 ans et 4 mois et la société Comcorp occupait plus de dix salariés pour les besoins de son activité.
Contestant la légitimité de son licenciement, de ses deux avertissements, et réclamant diverses indemnités, Mme [I] a saisi le 9 mai 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 22 juillet 2019, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit:
- Constate que les avertissements des 12 octobre 2016 et 2 novembre 2016 sont injustifiés,
- Dit que le licenciement de Mme [I] sans cause réelle et sérieuse,
- Condamne la société Comcorp à lui verser les sommes suivantes :
* 50.000 euros au titre des dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement, jusqu'au jour du paiement,
* 1.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Ordonne à la société Comcorp de rembourser au pôle emploi les indemnités chômage versées dans la limite de 4000 euros,
- Déboute la société Comcorp de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamne la société Comcorp au paiement des entiers dépens.
Par déclaration du 22 octobre 2019, Mme [I] a interjeté appel de cette décision, notifiée à sa personne par lettre recommandée, le 19 octobre 2019.
La SAS Comcorp a formé appel quant à elle le 6 novembre 2019, après notification du 21 octobre 2019.
Selon une ordonnance du 1er septembre 2021, les deux procédures ont été jointes sous le n° RG 19/10514.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 janvier 2020, Mme [I] prie la cour de :
- Dire Mme [I] recevable et bien fondée en son appel.
Y faisant droit,
- Confirmer le jugement du 22 juillet 2019 en ce qu'il a :
* prononcé la nullité des deux avertissements des 12 octobre et 2 novembre 2016,
* dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
* condamné la Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du CPC.
Pour le surplus, infirmer le jugement en ses dispositions contraires.
Statuant à nouveau, sur la base d'une rémunération moyenne mensuelle brute de 4.649,68 Euros, il est demandé à la Cour de bien vouloir :
- condamner la société Comcorp à régler à Mme [I] la somme de 1.500 euros en indemnisation du préjudice moral qu'elle a subi au titre de l'avertissement du 12 octobre 2016
- condamner la société Comcorp à régler à Mme [I] la somme de 1.500 euros en indemnisation du préjudice moral qu'elle a subi au titre de l'avertissement du 2 novembre 2016 ;
- condamner la société Comcorp à régler à Mme [I] la somme de 62.770 euros représentant 13,5 mois de salaire à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Y ajoutant,
Vu l'absence de toute formation qualifiante et de tout entretien professionnel en 16 ans de collaboration,
- constater que la société Comcorp a manqué à son obligation de formation à l'égard de Mme [I] ;
En conséquence,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 13.949,04 euros à titre d'indemnité pour manquement à l'obligation de formation ;
Y ajoutant,
- constater que la société Comcorp a déclassé Mme [I] ;
En conséquence,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 13.949,04 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice moral et professionnel subi par elle à raison de ce déclassement ;
Y ajoutant,
En l'absence d'accord de Mme [I],
- constater que la convention de forfait en heures de Mme [I] est privée d'effet ;
En conséquence,
A titre principal
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 25.859,83 euros en règlement des heures supplémentaires effectuées et des majorations y afférentes au titre des années 2017, 2016 et 2015 ;
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 2.585,98 euros à titre des congés payés y afférents ;
Y ajoutant,
- constater que Mme [I] a réalisé un total de 296 heures dépassant le contingent annuel de la convention collective applicable au titre des années 2017,
2016 et 2015 ;
En conséquence,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 9.072,24 euros à titre d'indemnité réparant la privation au droit au repos compensateur ;
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 907,22 euros au titre des congés payés y afférents.
A titre subsidiaire
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 16.171,69 euros en règlement des heures supplémentaires effectuées et des majorations y afférentes au titre des années 2017, 2016 et 2015 ;
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 1.617,16 euros à titre des congés payés y afférents ;
Y ajoutant,
- constater que Mme [I] a réalisé un total de 46,7 heures dépassant le contingent annuel de la convention collective applicable au titre des années 2017, 2016 et 2015 ;
En conséquence,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 1.385,38 euros à titre d'indemnité réparant la privation au droit au repos compensateur ;
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 138,53 euros au titre des congés payés y afférents.
Y ajoutant,
- constater que la société Comcorp n'a pas respecté les dispositions légales relatives à la durée du travail ;
En conséquence,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 13.949 euros représentant 3 mois de salaire au titre du non-respect des dispositions légales relatives à la durée du travail ;
Y ajoutant,
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 27.898 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
En tout état de cause,
- ordonner le remboursement par la société Comcorp des indemnités de chômage perçues par la salariée licenciée dans la limite de six mois de salaires et dire qu'à cette fin, une copie certifiée conforme du présent jugement sera adressée à Pôle Emploi ;
- condamner la société Comcorp à verser à Mme [I] la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société Comcorp aux entiers dépens ;
- juger que les condamnations prononcées porteront intérêts de droit à compter du jour de l'introduction de la demande en application de l'article 1343-2 du Code civil ;
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 avril 2020, la société Comcorp demande à la cour de :
- confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 22 juillet 2019 en ce qu'il a débouté Mme [I] de ses demandes relatives :
* à l'indemnité pour manquement à l'obligation de formation ;
* à l'indemnité pour déclassement ;
* au règlement des heures supplémentaires et des congés payés afférents ;
* à l'indemnité réparant la privation au droit au repos compensateur ;
* au non-respect des dispositions légales relatives à la durée du travail ;
* à l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
- dire et juger que le licenciement de Mme [I] est fondé et justifié ;
En conséquence, réformer partiellement le jugement du Conseil de prud'hommes de Paris du 22 juillet 2019 en ce qu'il a :
- dit que les avertissements des 12 octobre et 2 novembre 2016 étaient injustifiés ;
- dit que le licenciement de Mme [I] était sans cause réelle et sérieuse et condamné la société Comcorp à lui verser 50.000 euros au titre des dommages et intérêts ;
- ordonné à la société Comcorp de rembourser au Pôle Emploi les indemnités chômage versées dans la limite de 4.000 euros
- condamner Mme [I] à payer la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Mme [I] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 octobre 2021 et l'affaire a été fixée à l'audience du 11 janvier 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COURÂ :
Sur l'exécution du contrat
Sur l'annulation des avertissements
En application de l'article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
L'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'article L. 1333-2 du même code précise que le conseil de prud'homme peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.
Sur l'avertissement du 12 octobre 2016
L'avertissement était ainsi rédigé :
« Vous étiez responsable de la gestion du compte client SPIE ICS et étiez à ce titre l'interlocuteur principale de ce client ;
Je suis particulièrement surpris d'avoir reçu une lettre recommandée avec accusé de réception de ce client SPIE ICS qui accusait l'agence de manquement et rompait le contrat avec arrêt définitif le 17 juillet.
N'ayant pas été prévenu de la mauvaise relation en cours avec ce client, J'ai répondu que s'il y avait manquement celui-ci devait être dûment argumenté et qu'en tout état de cause ce n'était pas le cas.J'ai donc proposé au client de le rencontrer pour en discuter et tirer à profit les mois qui nous restaient à courir jusqu'à la fin du contrat le 19 novembre 2016.
Ce client m'a expliqué son mécontentement de ne pas trouver chez nous des personnes capables de comprendre sa problématique et de répondre à ses besoins en communication en relation presse.
En votre qualité de responsable de le gestion de ce compte, il est bien évident que votre responsabilité est engagée dans ce manquement.
Lorsque j'ai proposé au client de le mettre en contact avec une autre équipe, il s'avère que celle-ci a répondu aux attentes et cela nous a permis de signer un avenant au contrat spécifiant sa continuation. Malheureusement une contribution financière pour effacer le mécontentement nous a été contrainte.
Il est donc avéré que vous avez fait preuve d'insuffisance professionnelle dans la gestion de ce dossier et que la qualité du travail fourni n'a pas été celle que votre employeur peut légitimement attendre de vous. Je tenais à vous signifier mon mécontentement et je me vois dans l'obligation, par cette lettre, de vous adresser un avertissement.(...) ».
Pour infirmation du jugement déféré qui a annulé cet avertissement, la société rappelle que Mme [I] avait la responsabilité de la gestion de ce compte client et qu'elle a été dans l'obligation d'indemniser ce dernier afin de maintenir le contrat commercial. Elle souligne que l'insuffisance professionnelle n'étant pas une faute disciplinaire, aucune prescription n'est encourue.
Pour confirmation de la décision, la salariée invoque la prescription de deux mois et réplique qu'il n'y avait aucun manquement de la part de l'agence dans ce dossier.
Il est constant qu'en délivrant un avertissement pour insuffisance professionnelle en dehors de toute faute, l'employeur ne se place pas sur un terrain disciplinaire de sorte que la prescription de deux mois des faits fautifs n'est pas applicable.
Sur le fond, si l'employeur justifie de la lettre de mécontentement de la société SPIE ICS par la voix de son directeur général M. [P] quant à la gestion de son image, il est produit aux débats le rapport de M. [M] (supérieur de Mme [I]) de présentation des actions réalisées et des résultats sur le 1er semestre 2016 par l'équipe de la société Comcorp (pièce 29) qui n'est pas utilement critiqué, dont il ressort un manque de disponibilité dudit M. [P] et une absence de suites données par la société, de sorte qu'il convient d'admettre que l'avertissement délivré à Mme [I] pour insuffisance professionnelle n'est pas justifié et doit être annulé. Le préjudice subi par Mme [I] de ce chef est évalué à la somme de 250 euros, montant au paiement duquel la société Comcorp sera condamnée.
Sur l'avertissement du 2 novembre 2016
L'avertissement était essentiellement ainsi libellé :
« (') Il s'avère que votre insuffisance dans la gestion des dossiers s'est poursuivie et que vous avez de nouveau commis un manquement professionnel ayant de graves répercussions.
Dans le cadre de l'appel d'offre émis par l'[5], les offres devaient parvenir au client potentiel avant la date limite du 26 août 2016.
Vous étiez responsable de la gestion de ce dossier et n'avez pas pris les précautions élémentaires qui s'imposaient puisque vous avez adressé notre proposition tardivement , celle-ci ayant été réceptionnée le 29 août.
J'ai été informé par l'[5] que notre candidature était rejetée en raison du non-respect de ce délai impératif.
En votre qualité de Directrice Conseil il était pourtant de votre responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour adresser notre appel d'offre dans les temps. Vous auriez dû prévoir cette échéance à votre planning et la respecter.
La répétition de vos manquements professionnels, dont le dernier en date du 12 septembre 2016, justifie donc que nous vous notifions par la présente un avertissement.(...) ».
Pour infirmation du jugement déféré, la société Comcorp fait valoir que Mme [I] en expédiant le dossier seulement 48 heures avant la date limite s'exposait à un risque de retard au regard du délai d'acheminement postal et qu'elle ne peut prétendre avoir effectué correctement sa mission.
Pour confirmation de la décision, Mme [I] réplique qu'elle avait veillé personnellement à l'expédition de la proposition dès la validation du dossier et qu'elle avait obtenu qu'elle soit prise en compte puisque le retard était lié à un délai d'acheminement postal inhabituel.
Au constat qu'il n'est pas contesté que la proposition avait bien été admise (même si elle n'a au final pas été retenue pour d'autres raisons), il convient d'en déduire que l'insuffisance reprochée à Mme [I] n'est pas rapportée et que c'est à bon droit que la sanction a été annulée par les premiers juges. Ils seront confirmés sur ce point et le préjudice de ce fait subi par la salariée évalué à la somme de 250 euros montant au paiement duquel la société appelante sera condamnée.
Sur la demande d'indemnité en réparation du préjudice moral et professionnel en raison de son déclassement
Mme [I] réclame une indemnité pour déclassement en faisant valoir qu'à compter de la réorganisation de la société, décidée le 20 novembre 2015, corroborée par le nouvel organigramme, elle a été privée de toute fonction de management sans aucune équipe placée sous sa direction et s'est retrouvée au même rang hiérarchique que ceux qu'elle dirigeait antérieurement sous la subordination de M. [M], auquel elle devait soumettre toutes ses demandes. Elle indique avoir été écartée du CODIR et jamais conviée au COPIL qui l'a remplacé, sans réaction de son employeur malgré ses plaintes, ce qui a eu des répercussions sur sa santé et l'a conduite à prendre des anxiolytiques.
La société s'oppose à cette demande en répliquant qu'elle assurait toujours l'encadrement de salariées, qu'elle n'a été évincée d'aucun organe de direction et que M. [M] a toujours été son supérieur hiérarchique.
De la confrontation des deux organigrammes de la société pour 2015 et 2016, il ressort que Mme [I] est restée Directrice conseil sans qu'il puisse être déduit de la présentation du Pôle Alexis ([M]) où elle apparaît au même titre que ses collaborateurs, qu'elle avait perdu leur encadrement en l'absence d'autre élément de preuve. Il est constant que le CODIR auquel elle participait a été remplacé par un COPIL dont il n'est pas établi qu'elle était la seule à ne pas en faire partie. Il s'en déduit que le déclassement invoqué par Mme [I] qu'elle a sans doute ressenti n'est pas établi et y ajoutant à la décision des premiers juges qui n'ont pas statué sur ce point, elle sera déboutée de sa demande d'indemnité de ce chef.
Sur la demande de privation d'effet de la convention individuelle de forfait en heures
Pour infirmation du jugement déféré, Mme [I] fait valoir que si un accord collectif a été signé au sein de la société sur l'aménagement du temps de travail des salariés en forfait heures, elle n'a jamais acquiescé à la mise en place de ce forfait puisqu'elle n'a jamais souscrit à la note de service transmise.
Pour confirmation, la société réplique que la salariée était soumise à la modalité de réalisation de mission (forfait heures sur la semaine avec plafond annuel en jours) issue de la convention collective Syntec applicable, en vertu de la note de service interne du 18 novembre 2013 et du courrier remis, en mains propres, qu'elle a signé le 20 janvier 2014 ainsi que des bulletins de paie qu'elle n'a jamais contestés.
Aux termes de article L.3121-55 du Code du travail le forfait hebdomadaire ou mensuel en heures doit être impérativement formalisé par écrit.
Il est de droit aux termes des articles L. 3121-40 et L. 3121-41 du code du travail en leur rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, applicable au litige, que l'existence d'une convention de forfait ne peut résulter que d'un accord entre les parties qui ne saurait se déduire de la seule mention sur le bulletin de paie d'une rémunération forfaitaire d'heures supplémentaires.
Il résulte toutefois de la lettre contresignée par Mme [I] du 20 novembre 2013 qu'elle a été informée sans qu'elle s'y oppose de l'application de la modalité 2 réalisation de mission de la convention collective, de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande d'inopposabilité de la convention de forfait en heures et ne peut donc prétendre que le calcul des heures supplémentaires doit concerner toutes les heures effectuées au-delà de 35 heures. Par confirmation du jugement déféré, Mme [I] sera déboutée de l'ensemble de ses prétentions relatives aux heures supplémentaires et repos compensateurs ainsi que d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur la demande d'indemnité pour défaut de formation
Mme [I] réclame une indemnité de 13.949,04 euros en réparation de son préjudice causé par l'absence de toute formation qualifiante ou d'entretien professionnel en 16 années de collaboration avec son employeur.
La société Comcorp s'oppose à cette demande en faisant observer que la salariée ainsi qu'elle le reconnaît elle-même a bénéficié d'une dizaine de jours de formation mais aussi de nombreuses promotions durant la relation contractuelle de sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice.
Il est constant que l'employeur est tenu d'assurer l'adaptation de ses salariés à l'évolution de leur emploi, des technologies et des organisations pendant toute la durée du contrat.
Si l'employeur n'a pas veillé à assurer la formation régulière de sa salariée et n'a pas effectué d'entretiens professionnels, il n'en reste pas moins que Mme [I] a connu des promotions au sein de l'entreprise, de sorte que son préjudice sera réparé par une indemnité de 1.000 euros, au paiement de laquelle la société sera condamnée, par ajout à la décision déférée, les premiers juges n'ayant pas statué sur cette demande.
Sur la rupture du contrat de travail
Sur le bien-fondé du licenciement
La lettre de licenciement qui circonscrit le litige était ainsi libellée :
« Par courrier du 15 janvier 2018 nous vous avons convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 23 janvier 2018.
Lors de l'entretien, pour lequel vous êtes venue accompagnée d"un salarié de l'entreprise, nous vous avons reçu afin de recueillir vos explications sur les faits reprochés.
Ces faits, nous vous le rappelons, sont les suivants:
Vous avez été embauchée le 8 octobre 2001 sous contrat de travail à durée indéterminée par la SARL H&B COMMUNICATION, devenue la société COMCORP, en qualité d'attachée de presse.
Tout au long de votre parcours vous avez bénéficié d'une formation sur le tas grâce à votre participation à plusieurs services, ce qui vous a permis plusieurs promotions intéressantes.
L'entreprise a été soucieuse de l'évolution de votre carrière puisque vous avez accédé en 2015 au poste de Directrice-Conseil et êtes aujourd'hui |'un des manager les plus importants de COMCORP.
Vos fonctions impliquent plusieurs missions :
- conseil dans le développement stratégique de la structure,
- commercial en relation directe avec les clients et prospects,
- management d'équipes et suivi opérationnel dans la réalisation des projets.
Surtout, vous devez participer activement au développement et à la notoriété de l"agence en incarnant sa dimension stratégique.
De par votre ancienneté et la nature des taches qui vous sont confiées, vous avez une parfaite de l'entreprise et des contours de vos missions.
Vous savez donc ce qui est attendu de vous.
Il s'avère que depuis de nombreux mois votre comportement inquiète la direction qui considère que vous ne maîtrisez pas les différents aspects de vos fonctions dont vous semblez vous désintéresser.
Au plan technique vos performances sont estimées insuffisantes, notamment dans le suivi opérationnel des projets :
En août 2016, notre proposition en réponse à l'appel d'offre de l'[5] a été transmise hors délai, ce qui a empêché CONMCORP de candidater.
En octobre 2016, le client SPIE ICS dont vous aviez la charge, et qui était l'un de plus important de votre portefeuille, a rompu unilatéralement le contrat qui le liait à l'agence en faisant valoir que son interlocuteur au sein de l'entreprise était incapable de comprendre sa problématique et de répondre à ses besoins.
Votre responsabilité était évidemment engagée puisque vous aviez en charge la gestion de ces comptes.
Je vous avais notifié à l'époque un avertissement et des mises en garde mais ces mesures n'auront pas eu l'effet escompté puisque les clients HELVAR et CRAY, dont vous étiez responsable au quotidien, ont été perdus pour les mêmes raisons en 2017.
Les relevés de notre logiciel interne montrent également que seulement 60% de votre temps de travail peut être facturé aux clients, ce taux étant le plus faibles de l'ensemble du personnel, or membres du Comité de Direction, ce qui caractérise un manque d'investissement et d'efficacité évident.
Sur le plan commercial vos performances sont aussi insuffisantes :
Alors que la fidélisation et la fertilisation de votre portefeuille clients constituent le c'ur d'activité de votre métier, il s'avère que la marge brute a baissé de 9 % sur 1 ans et la marge brute prévisionnelle pour 2018 accuse une baisse de 22% suite, entre autres, à la perte des 2 clients importants HELVAR et CRAY.
Ces chiffres sont totalement anormaux au regard du marché et traduisent une dégradation importante de la qualité de vos prestations.
Vous m'avez indiqué à plusieurs reprises passez un temps considérable à la prospection, or sur 16 prospections menées en 2017, seuls 2 ont été gagnés, soit un taux de réussite famélique de 12,5% alors que la moyenne dans la profession se situe normalement aux alentours de 33% de prospections remportées.
Le niveau de responsabilité qui est le vôtre implique que vous preniez des initiatives, notamment en termes de développement et de stratégie globale.
Or, il n'en est rien, bien au contraire.
A titre d'exemple, vous ne prenez que trop rarement l'initiative de contacter des journalistes, alors que notre activité impose naturellement d"être en contact régulier avec les médias pour favoriser la communication de nos clients, notamment institutionnels, ainsi que la visibilité de COMCORP.
Au niveau du management et du relationnel en général votre comportement est très contesté:
Plusieurs salariés qui sont placés sous votre responsabilité se sont plaints auprès de la Direction du désintérêt que vous montrez pour vos missions et de l"absence totale d'encadrement de votre part, ce qui les place en difficulté.
Certains Consultants se retrouvent submergés de travail car vous n"assumez pas vos responsabilités : pas de réponse aux mails, aucun accompagnement, participation sporadique aux réunions, etc.
Il vous arrive même de vous décharger auprès de certains salariés de tâches qui devraient vous incomber.
D'autres membres du personnel rapportent que vous faites un usage abusif d'internet à des fins personnelles, durant les heures de travail, et ont expressément demandé à ne plus être placés sous votre responsabilité.
Il s'avère que vous avez candidaté pour être embauchée auprès d'entreprises concurrentes durant l'année 2017, cette volonté de départ explique sûrement votre absence de motivation et votre insuffisance professionnelle mais ne peut les excuser.
Votre ancienneté importante dans l'entreprise n'excuse pas non plus votre mauvaise volonté manifeste.
Il s'avère que vous n'avez jamais vraiment pris la dimension de ce poste stratégique pour la société et vous placez la direction en face d'un constat alarmant.
A votre degré de responsabilité ce bilan est inacceptable, vos manquements entraînent des troubles au niveau du fonctionnement des équipes ainsi que des pertes importantes pour l'entreprise.
Votre licenciement est envisagé pour ces raisons qui constituent des motifs de rupture de votre contrat de travail.
Lors de l'entretien vous n'avez pas fourni d'explications satisfaisantes nous permettant de réviser notre jugement.(...) »
Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.
L'insuffisance professionnelle peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsqu'elle repose sur des éléments précis, objectifs et imputables au salarié. Le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur en formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties.
Pour infirmation du jugement déféré, la société Comcorp défend le bien-fondé du licenciement de Mme [I] au vu des manquements et erreurs grossières de cette dernière qui le conteste.
Au soutien de la réalité du premier grief lié au manque d'investissement de la salariée pour ses fonctions, la société évoque une dégradation de la situation évoluant depuis 2015 et se rapporte d'une part aux relevés du logiciel interne montrant que seulement 60% du temps de travail de Mme [I] soit 132 jours sur 214 travaillés pouvaient être facturés, ce qui constitue le ratio le plus faible de l'ensemble du personnel et d'autre part à la chute des performances commerciales de l'intéressée en faisant observer que la marge brute de son porte-feuille présentait une baisse de marge prévisionnelle de 22% pour 2018.
C'est à juste titre toutefois que la salariée se référant à la fiche de son poste oppose qu'elle n'a jamais été investie de fonctions commerciales de prospections mais de la fertilisation et de la fidélisation de son porte-feuille clients repérés par l'équipe de dirigeants et d'un département NewBiz en charge du « sourcing » et du « pricing » comme cela résulte des pièces qu'elle verse au dossier. Elle ajoute de façon convaincante qu'elle a réussi à faire fructifier son porte-feuille clients comme en attestent les différents courriels de félicitations tant de sa hiérarchie (MM. [M], [G]) que de clients. Elle souligne et établit que la baisse de sa marge de 22% (pièce 17, société) est liée à la perte de deux clients en raison de leurs difficultés financières propres (sociétés Cray et Helvar, pièces 17 et 18, salariée) Elle réplique sans être contredite s'agissant de la saisie insuffisante des temps facturables, que la facturation de ses clients reposait sur un forfait annuel mensualisé et non sur une facturation au temps passé. Il n'est par ailleurs pas justifié de la surcharge des collaborateurs de Mme [I] du fait d'une inertie de cette dernière ou de son temps passé sur les réseaux sociaux.
Au soutien de l' insuffisance managériale de la salariée la société Comcorp s'appuie sur le courriel de Mme [C] [E] daté du janvier 2018 dans lequel cette dernière se plaint du désintérêt de l'appelante sur son travail en expliquant notamment que celle-ci ne lisait pas ses courriels comme en témoignaient ensuite ses questions.C'est toutefois à juste titre que Mme [I] oppose que ce grief est contredit par ses promotions successives et sa longévité dans la société, la cour observant que l'unique témoignage produit n'est pas corroboré par d'autres attestations et ne saurait dès lors établir à lui seul l'insuffisance managériale invoquée.
Enfin le grief de détournement de clientèle développé par la société Comcorp dans ses écritures, faute d'être évoqué dans la lettre de licenciement ne peut être invoqué pour fonder celui-ci.
Il se déduit de ce qui précède que la cour à l'instar des premiers juges retient que l'insuffisance reprochée à Mme [I] n'est pas établie et que le licenciement prononcé est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle sérieuse
Pour infirmation partielle du jugement déféré, Mme [I], revendiquant un salaire de mensuel de 4.649,68 euros, sollicite une indemnité de 62.770 euros en faisant valoir que les premiers juges ont sous évalués son préjudice alors qu'elle n'a pas retrouvé d'emploi à ce jour.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre 3 et 13,5 mois du salaire brut de la salariée en l'espèce.
Au constat qu'à la date de la rupture, Mme [I] était âgée de 46 ans et bénéficiait d'une ancienneté de plus de 16 ans. Elle justifie du bénéfice des indemnités de chômage jusqu'en décembre 2019. Dès lors et au vu des bulletins de salaire produits, il convient d'allouer à Mme [I], par infirmation du jugement déféré, la somme de 60.000 euros d'indemnité en réparation de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les indemnités chômage
L' application de L.1235-3 appelle celle de l'article L.1235-4 du code du travail, qui prévoit que, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif à Pöle Emploi de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.
En l'espèce, il convient d'ordonner le remboursement par la société Comcorp des indemnités de chômage versées à Mme [I] dans la limite de 6 mois.
Sur les autres dispositions
La capitalisation des intérêts est ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
Partie perdante, la société Comcorp est condamnée aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point et à verser à Mme [I] une somme de 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, elle-même étant déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'indemnité pour manquement à l'obligation de formation .
Et statuant à nouveau de ces chefs et y ajoutant :
CONDAMNE la SAS Comcorp à payer à Mme [K] [I] les sommes suivantes :
-500 euros à titre de d'indemnité pour préjudice moral suite à l'annulation des avertissements des 12 octobre et 2 novembre 2016.
-1.000 euros d'indemnité pour le manquement de l'employeur à son obligation de formation.
- 60.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- 2.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE le remboursement par la SA Comcorp à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [K] [I], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités.
ORDONNE la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.
DEBOUTE la SAS Comcorp de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la SAS Comcorp aux dépens d'appel.
La greffière, La présidente.