Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 08 JUIN 2022
(n° , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/07797 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B55E3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Mars 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/02650
APPELANTE
Madame [J], [F] [U] épouse [R]
[Adresse 1],
[Adresse 1]
[Localité 2].
Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMEE
SA SNGST prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Nathalie MULS-BRUGNON, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère par ordonnance du Premier Président en date du 16 décembre 2021
Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Mme [J] [U] épouse [R] a été engagée par la société anonyme (SA) SNGST, exerçant sous le nom commercial Octopus Sécurité, suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 avril 2014, en qualité d'agent de sécurité incendie au niveau 3, échelon 1, indice 1 de la convention collective nationale des Entreprises de Prévention et de Sécurité.
La salariée a été affectée sur le site de l'hôpital des [5].
Dans le dernier état des relations contractuelles, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 1 611,65 euros.
Le 5 avril 2017, Mme [J] [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur et de demandes de rappel de salaire, d'indemnités de repas et de déplacement, de prime de nuit et de dommages-intérêts pour non-respect de l'amplitude journalière, non-respect des mentions obligatoires sur le bulletin de salaire et préjudice moral.
A compter de janvier 2017, la salariée a été placée en arrêts de travail renouvelés jusqu'à la date de rupture de la relation contractuelle.
Le 14 mars 2018, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Activités diverses, a statué comme suit :
- déboute Mme [J] [U] de l'ensemble de ses demandes
- laisse les dépens de la présente instance à la charge de Mme [J] [U].
Par déclaration du 18 juin 2018, Mme [J] [U] a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 18 mai 2018.
Le 14 mai 2019, dans le cadre d'une visite de reprise, Mme [J] [U] a été déclarée « inapte définitive à l'emploi comme SSIAP », le médecin du travail précisant que « tout maintien de la salariée dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».
Le 11 juillet 2019, Mme [J] [U] s'est vu notifier un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 8 mai 2020, aux termes desquelles
Mme [J] [U] demande à la cour d'appel de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel
- infirmer la décision entreprise.
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée en date du 2 avril 2014 aux torts exclusifs de la SAS Octopus Sécurité.
En conséquence,
- condamner la SAS Octopus Sécurité à payer à Madame [J], [F] [U] les sommes suivantes :
* 48,36 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de l'indemnité repas
* 555,52 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de l'indemnité de déplacement
* 1 629,90 euros bruts au titre de la prime de site
* 162,99 euros bruts au titre au titre des congés payés y afférents
* 18,22 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre de la prime de nuit
* 1,82 euros bruts au titre au titre des congés payés y afférents
* 5 169,71 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés
* 3 223,30 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis
* 322,23 euros bruts à titre de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis
* 38,01 euros nets au titre de l'indemnité de licenciement
* 45 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul et à titre subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (résiliation)
* 45 000 euros nets à titre subsidiaire, à titre d'indemnité pour licenciement nul et à titre infiniment subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (inaptitude)
* 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'amplitude journalière et des temps de repos
* 5 000 euros au titre du non-respect des mentions obligatoires du bulletin de salaire
* 1 405,44 euros à titre de remboursement d'indemnités journalières
* 4 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
avec intérêts légaux à compter de la date de réception, par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation
- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil
- ordonner la remise par la SAS Octopus Sécurité, à Madame [J] [U] d'un bulletin de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir, sous astreinte journalière de 100 euros par document
- condamner la SAS Octopus Sécurité aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 8 mai 2020, aux termes desquelles la SA SNGST demande à la cour d'appel de :
- déclarer Madame [U] mal fondée en son appel
En conséquence :
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions
- débouter Madame [U] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail du 24 mars 2014 ainsi que de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- condamner Madame [U] aux entiers dépens d'appel.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 16 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur l'indemnité repas
Mme [J] [U] fait valoir qu'elle n'a pas perçu l'intégralité de ses indemnités repas, et sollicite donc un rappel de salaire pour un montant de 48,36 euros correspondant à des indemnités non perçues pour les mois de novembre 2014, février, septembre et octobre 2015 et pour l'année 2017.
Mais, il ressort de l'examen des plannings de travail versés aux débats par l'employeur (pièce 3), non contredits par les bulletins de paie de la salariée (pièces 23, 47 et 48), que Mme [J] [U] a bien perçu, pour les périodes visées, les primes de panier correspondant aux journées de travail effectuées, c'est donc à bon escient que les premiers juges ont débouté la salariée de sa demande de ce chef.
2/ Sur l'indemnité de déplacement
Mme [J] [U] affirme qu'elle n'a commencé à percevoir une indemnité de déplacement, au même titre que l'ensemble des salariés de la société, qu'à compter du mois de novembre 2015, et, qu'en dépit des régularisations effectuées par l'employeur, il lui reste dû une somme de 555,52 euros au titre des indemnités de déplacement, dont elle demande le règlement.
La société intimée rappelle que les remboursements de frais de transport étaient effectués à la condition que les justificatifs des frais engagés soient adressés au siège de la société et qu'il n'a été réglé à Mme [J] [U] que les déplacements qu'elle a établi avoir effectué. A défaut, pour la salariée de justifier par une quelconque pièce des déplacements dont elle revendique le remboursement complémentaire, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.
3/ Sur la prime de site
Mme [J] [U] revendique, sur le fondement du principe « à travail égal, salaire égal », le règlement d'une prime de site qui a été versée à ses collègues de travail et dont elle n'a, elle-même, jamais bénéficié (pièces 23, 47 et 48 salariée). Elle estime que le montant cumulé de ces primes s'est élevé pour les années 2014 à 2017 à une somme de 1 629,90 euros bruts, outre 162,99 euros au titre des congés payés y afférents.
Mais alors qu'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe «à travail égal salaire égal » de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, la salariée appelante ne verse aux débats aucun document autre que ses propres bulletins de salaire pour justifier que des salariés de la société auraient perçu une prime de site. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.
4/ Sur la prime de nuit
La salariée reproche à l'employeur de ne pas lui avoir réglé l'intégralité de ses primes de nuit et elle revendique pour les mois d'octobre 2015 et de janvier 2017 un rappel de salaire de 18,23 euros.
La lecture des plannings de travail de la salariée, non contredits par l'analyse de ses bulletins de paie permet de constater qu'elle a bien été rémunérée pour les heures de nuit effectuées et que c'est à juste titre que les premiers juges l'ont déboutée de sa demande de ce chef.
5/ Sur les congés payés
Mme [J] [U] soutient, qu'en application des dispositions de la convention collective, elle aurait du percevoir 4% supplémentaires pour les périodes de congés pour les années 2014/2015, 2015/2016 et 2016/2017 puisqu'elle a pris ses congés en dehors des périodes d'été. Elle observe, également, que des congés payés acquis en 2016 et 2017 ne lui ont pas été payés, de même que l'intégralité de ses droits à congés à partir du moment où elle a été placée en arrêt maladie.
En conséquence, elle sollicite une somme totale de 5 169,71 euros à titre d'indemnités pour les congés payés acquis et non pris.
Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective en raison d'absences liées à une maladie, un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 3141-26 du code du travail.
Il sera donc fait droit à la demande d'indemnité compensatrice de congés payés sollicitée par la salariée pour les congés acquis antérieurement à juin 2017 et ayant dû être reportés en raison de son placement en arrêt de travail
Si les articles L. 3141-3 et suivants du code du travail, subordonnent l'acquisition de droits à congés payés à l'exécution d'un travail effectif ou à des périodes assimilées à un tel travail, selon la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne, la directive 2003/88/CE n'opère aucune distinction entre les salariés absents en raison d'un congé maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé. En cas d'absence pour congé maladie dûment prescrit, un Etat membre ne peut pas subordonner le droit au congé annuel payé à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence. En l'espèce, en l'absence d'un accord d'entreprise, d'un règlement intérieur ou de dispositions de la convention collective nationale des Entreprises de Prévention et de Sécurité permettant d'atteindre la finalité poursuivie par la directive, il convient de considérer que l'article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux dispose que « Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu'à une période annuelle de congés payés ». Mme [J] [U] n'ayant pas perdu sa qualité de salariée de la SA SNGST, du fait de son placement en arrêt de travail, elle pouvait légitimement prétendre à 4 semaines de congés payés par an au titre des années 2017 et 2018 et il lui sera alloué une somme de 5 169,71 euros à titre d'indemnités pour les congés payés acquis et non pris.
Il sera ordonné à la SA SNGST de délivrer à Mme [J] [U], dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie récapitulatif reprenant les congés payés acquis et réglés à la salariée, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte.
6/ Sur le non-respect des mentions obligatoire du bulletin de salaire
Mme [J] [U] fait grief à l'employeur de ne pas avoir fait apparaître sur ses bulletins de salaire le montant exact des congés payés, primes de site, primes de nuit, indemnité de repas et indemnités de déplacement auxquelles elle pouvait prétendre. Elle fait valoir que ces inexactitudes auront nécessairement un impact sur l'indemnisation qu'elle pourrait solliciter auprès de Pôle emploi ainsi que sur ses droits à la retraite. Elle demande, en conséquence, l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Cependant, la salarié se prévalant d'un préjudice futur et non certain puisque la présente décision lui permettra de rétablir ses droits auprès de l'assurance chômage et des caisses de retraite, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.
7/ Sur le non-respect de l'amplitude journalière et des temps de repos
La salariée rappelle, qu'outre les dispositions légales relatives au temps de travail et au temps de repos des salariés qui prévoient que la durée quotidienne de travail effectif par un salarié ne peut excéder 10 heures et que la durée maximale hebdomadaire de travail est de 48 heures, un accord du 18 mai 1993 relatif à l'aménagement du temps de travail, annexé à la convention collective applicable, reprenait les dispositions sur la durée maximale de travail hebdomadaire et précisait que le temps de repos entre deux services ne pouvait être inférieur à 12 heures et que 24 heures de repos devaient être prévues après 48 heures de travail.
Mme [J] [U] soutient que la société intimée ne s'est pas conformée à ces obligations légales et conventionnelles puisque, à titre d'exemple, au mois de février 2017, elle a été amenée à effectuer :
- le 1er : 10h
- du 5 au 10 février 2017 : 84 heures d'affilées.
- les 15 et 16, 48h et après 12h de repos les 18 et 19 à nouveau 48h, puis les 27 et 28 à nouveau 48h,
soit au total 226 heures dans le mois.
Situation qui s'est renouvelée au mois de mars, où elle a dû effectuer 288 heures, dont 2 x 48h (22-23 mars et 25-26 mars) avec seulement 12 heures de repos entre chaque période.
Mme [J] [U] ajoute que, durant son temps de travail, elle devait rester constamment à la disposition de son employeur et qu'elle ne bénéficiait, ainsi, nullement de ses temps de repos ni de pause.
La salariée revendique, en réparation du préjudice subi du fait du non-respect de l'amplitude journalière et des temps de repos, une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts.
La société intimée réplique que pour des raisons d'efficacité et de continuité du service, le ministère de la défense dont dépend l'hôpital des [5], demande à ce que les agents de sécurité incendie soient planifiés, non pas par vacations de 12 heures mais par vacations de 24 heures, suivies au minimum de 72 heures de repos. Ce cycle de travail a été autorisé par l'accord du 18 mai 1993 annexé à la convention collective applicable (pièce 9). L'employeur précise que les agents disposaient d'une salle de repos et d'une « base vie » pour dormir durant la nuit et se reposer la journée et, qu'ainsi, la vacation de 24 heures n'impliquait pas un temps de travail effectif pendant toute sa durée.
La société intimée relève encore que Mme [J] [U] était planifiée pour ce type de vacation entre 6 et 9 jours par mois, qu'elle ne s'est jamais plainte de ses horaires de travail et qu'elle a toujours été déclarée apte par la médecine du travail.
Mais, l'examen des plannings de travail de la salariée, tels que communiqués par l'employeur (pièce 9) démontre que loin de respecter les termes de l'accord du 18 mai 1993 et les conditions de ce qu'il présente comme sa propre organisation des vacations sur le site de l'hôpital des [5], la société a imposé à la salariée des périodes successives de travail de 24 heures suivies d'un temps de récupération de seulement 24 heures ou 48 heures, là où les dispositions conventionnelles prévoyaient un temps de repos de 72 heures.
En réparation du préjudice subi du fait de la privation de son droit à repos, il sera alloué à la salariée une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
8/ Sur le remboursement des indemnités journalières
Mme [J] [U] demande à ce que la société intimée soit condamnée à lui payer une somme de 1 405,44 euros puisqu'elle s'est vu contrainte de rembourser cette somme à l'Assurance Maladie car l'employeur avait adressé à cet organisme deux attestations de salaire avec des numéros de Siret différents (pièce 96).
Toutefois, il ressort de la pièce 96 produite par la salariée que la caisse d'Assurance Maladie lui a réclamé le remboursement d'une somme à laquelle elle ne pouvait prétendre et que si le versement erroné de cette somme est intervenue à la suite d'une erreur de transmission de l'employeur, il n'est pas justifié par Mme [J] [U] que le remboursement de cette somme indue lui a occasionné un préjudice. La salariée sera donc déboutée de sa demande ce chef.
9/ Sur le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [J] [U] affirme que bien qu'elle ait informé la société intimée de son état de grossesse à la fin de l'année 2014 (voir pièces 4, 5, 10, 11, 25, 27, 41, 72,73), celui-ci a refusé ses demandes pour travailler en journée et l'a contrainte à effectuer des heures de nuit. Elle n'a pas davantage bénéficié d'une réduction de ses horaires de travail, conformément à ce à quoi qu'elle pouvait prétendre au regard de la convention collective applicable. Ainsi, durant ses deux périodes de grossesse à risque en 2014/2015 et 2015/2016, elle s'est vue imposer des périodes de travail de 24 heures, parfois rapprochées, incluant des heures de nuit (pièces 27, 36, 37), avec des rondes de plus d'une heure souvent effectuées seule (pièces 26 et 28), sans possibilité de se reposer dans une chambre dédiée à cet effet (pièces 22,25, 28, 58). La salariée dénonce les pressions exercées régulièrement par l'employeur pour la contraindre à accepter ces conditions de travail.
Elle ajoute que la société intimée a, aussi, manqué à son obligation de sécurité en l'exposant à un risque d'accident puisqu'il lui était demandé d'utiliser, de manière répétitive, un escabeau (pièces 27, 28, 58), de porter des extincteurs faisant plusieurs dizaines de kilos (pièces 28, 58, 66) et de descendre au quatrième sous-sol de l'hôpital où étaient entreposés les déchets organiques du bloc opératoire, souvent mal stockés et laissant s'écouler diverses substances pouvant présenter un risque infectieux. Bien que le CHSCT ait informé la Direction de cette situation, connue depuis la fin de l'année 2015, aucune modification de son circuit de rondes n'est intervenue avant mars 2017 (pièce 70).
C'est d'ailleurs dans ce contexte que, le 20 novembre 2015, elle a fait l'objet d'une hospitalisation en urgence et a été placée en arrêt maladie jusqu'au 14 décembre 2015.
La salariée considère que l'employeur a totalement ignoré la réalité de son état de santé et qu'il l'a placée dans un état réel de danger. De la même façon, au retour de son congé maternité, le 23 septembre 2016, elle a dû attendre plus d'un mois avant de passer la visite médicale de reprise qui s'est déroulée le 18 octobre 2016.
À compter du premier trimestre 2017, sa charge de travail s'est encore accrue puisqu'elle s'est vue contrainte d'effectuer des cycles de 48 heures avec une seule journée de repos entre chaque cycle, alors même que la société intimée n'ignorait pas qu'elle était mère de deux très jeunes enfants, dont un présentant un handicap. Ces conditions de travail dégradées ont entraîné une détérioration de son état de santé et un syndrome dépressif sévère qui a nécessité son placement en arrêt de travail (pièces 74, 76 et 77).Tandis qu'elle se trouvait en arrêt maladie, l'employeur l'a indemnisée de manière irrégulière ce qu'il l'a placée dans une situation financière extrêmement délicate.
Mme [J] [U] sollicite, donc, une somme de 4 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
La cour retient au vu de ses éléments, qui relatent tous de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l'imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L'employeur affirme qu'il n'a pas été informé de l'état de grossesse de la salariée avant le 25 février 2015 et que celle-ci ne lui a jamais demandé, avant cette date, d'aménagement de son poste de travail ou d'affectation temporaire. La société intimée prétend que la salariée ne s'est jamais plainte auprès de sa hiérarchie des rondes qu'elle devait effectuer et que dès qu'elle a eu connaissance du risque infectieux lié au contrôle du quatrième sous-sol elle a modifié le circuit de rondes de la salariée (pièce 13) en attendant que le couloir soit nettoyé. L'employeur rappelle, également, que la sécurité des salariés sur le site était prévue par le plan de prévention de l'hôpital des armées.
Enfin, si des retards ont pu intervenir dans le versement des indemnités complémentaires dues à la salariée pendant sa période d'arrêt maladie, l'employeur les impute aux propres défaillances de la salariée dans la transmission des décomptes établis par la sécurité sociale.
En l'état de ces éléments, la cour relève, qu'alors que la directrice des Ressources Humaines reconnaît dans un courrier du 24 décembre 2014 (pièce 4 salariée) qu'elle avait connaissance de « l'état » de la salariée et des problèmes de santé qu'elle rencontrait dans le déroulement de sa grossesse puisqu'ils avaient entraîné un arrêt de travail durant le mois de décembre, Mme [J] [U] s'est pourtant vu imposer 4 vacations de 24 heures comprenant des heures de nuit durant le mois de janvier 2015. Il a même été exigé de la salariée qu'elle travaille 24 heures le 5 janvier et qu'après une pause de 31 heures, elle effectue 12 heures de travail le 7 janvier, puis 24 heures le 8 janvier, soit un total de 60 heures en 4 jours. Il a été retenu, précédemment, que l'employeur ne respectait pas le temps de repos de 72 heures qui devait suivre les vacations de 24 heures. Alors que la salariée verse aux débats de nombreux éléments attestant qu'il lui était demandé de travailler, y compris durant ses périodes de grossesse, dans des conditions pouvant présenter un danger pour sa sécurité il n'est nullement justifié par l'employeur des mesures qu'il aurait prises pour éviter à Mme [J] [U] des travaux en hauteur et des ports de charges excessives.
Ces agissements, pris dans leur ensemble, ayant eu un retentissement sur l'état de santé de la salarié, il sera dit que Mme [J] [U] a bien été victime d'un harcèlement moral et il lui sera alloué une somme de 4 000 euros en réparation du préjudice moral subi.
10/ Sur la résiliation judiciaire
Les dispositions combinées des articles L. 1231-1 du code du travail et 1224 du code civil permettent au salarié de demander la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquements suffisamment graves de ce dernier à ses obligations contractuelles.
Il appartient à Mme [J] [U] d'établir la réalité des manquements reprochés à son employeur et de démontrer que ceux-ci sont d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle. La résiliation prononcée produit les mêmes effets qu'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par ailleurs si, ayant engagé l'instance en résiliation de son contrat de travail, le salarié a continué à travailler au service de l'employeur et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat de travail était justifiée ; si tel est le cas, il fixe la date de la rupture à la date d'envoi de la lettre de licenciement; c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
La réalité et la gravité de ces manquements sont appréciées à la date où la juridiction statue et non à la date où ils se sont prétendument déroulés.
La salariée fondant sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail sur les faits de harcèlement moral et de manquement de l'employeur à son obligation de sécurité reconnus au point précédent qui sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle, il sera fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur, dont la date sera fixée au 11 juillet 2019, cette rupture produisant les effets d'un licenciement nul.
Sur l'indemnité pour licenciement nul, la salariée qui ne réclame pas sa réintégration, a droit une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement au moins égale à 6 mois de salaire.
Au regard de son âge au moment du licenciement, 33 ans, de son ancienneté de plus de 5 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, il convient de lui allouer une somme de 11 282 euros.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
La salariée peut, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes :
- 3 223,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 322,33 euros au titre des congés payés y afférents
- 38,01 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement prenant en compte les deux mois de préavis.
Il sera ordonné à la SA SNGST de délivrer à Mme [J] [U], dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
11/ Sur les autres demandes
Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2017, date à laquelle l'employeur a réceptionné sa convocation à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
La SA SNGST supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à Mme [J] [U] la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Déclare Mme [J] [U] recevable en son appel,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- débouté Mme [J] [U] de ses demandes de rappels de salaire au titre de l'indemnité repas, de l'indemnité de déplacement, de la prime de site, de la prime de nuit ainsi que des congés payés afférents
- débouté Mme [J] [U] de sa demandes de dommages-intérêts pour non-respect des mentions obligatoires du bulletin de salaire,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la SA SNGST à effet au 11 juillet 2019,
Condamne la SA SNGST à payer à Mme [J] [U] les sommes suivantes :
- 5 169,71 euros à titre d'indemnités compensatrice de congés payés
- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l'amplitude journalière et des temps de repos
- 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral
- 11 282 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul
- 3 223,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 322,33 euros au titre des congés payés y afférents
- 38,01 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement
- 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rappelle que les créances fixées par cette décision sont exprimées en brut,
Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 11 avril 2017, et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Ordonne la capitalisation des intérêts pourvus qu'ils soient dus pour une année entière,
Il sera ordonné à la SA SNGST de délivrer à Mme [J] [U], dans les deux mois suivant la notification de la présente décision :
- un bulletin de paie récapitulatif reprenant les congés payés acquis et réglés à la salariée
- un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SA SNGST aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,