Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRÊT DU 4 OCTOBRE 2022
(n° / 2022, 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/13573 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAILJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2019 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 2017F01635
APPELANTS
Monsieur [R] [N]
Né le [Date naissance 5] 1988
Demeurant [Adresse 10]
[Localité 13]
Madame [O] [R]
Née le [Date naissance 11] 1989
Demeurant [Adresse 10]
[Localité 13]
SARL AMUSICA agissant par son gérant
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 532 161 445,
Ayant son siège social [Adresse 9]
[Localité 13]
Représentés par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,
Assistés de Me Laurence CARLES de la SELEURL LAURENCE CARLES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0992,
INTIMÉS
Monsieur [U] [I]
Né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 16] (CHINE)
Demeurant [Adresse 4]
[Adresse 4]
Madame [H] [C]
Née le [Date naissance 7] 1974
Demeurant chez M. [D] [N]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentés par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240,
Assistés de Me Qinglan LI, avocat au barreau de PARIS, toque : P451,
Monsieur [A] [G]
Né le [Date naissance 8] 1985 à [Localité 15] (CHINE)
Demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
Monsieur [K] [F]
Né le [Date naissance 6] 1986 à [Localité 16] (CHINE)
Demeurant [Adresse 12]
[Adresse 12]
Représentés et assistés de Me Stéphane GOLDENSTEIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C0303,
Monsieur [B] [Z]
Demeurant [Adresse 14]
[Adresse 14]
Non constitué
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant la cour, composée en double-rapporteur, de :
Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Madame Marie-Christine HEBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,
Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL
ARRÊT :
- par défaut
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*
* *
FAITS ET PROCÉDURE:
La SARL Amusica, créée le 6 juin 2011 par MM. [F] et [Z] et Mme [G] (les associés n° 1) et dont le siège social se trouve [Adresse 9], exerce une activité de restauration. M. [F] en était le gérant.
Par deux actes sous seing privé du 19 septembre 2012, stipulant en leur article 7 une garantie d'actif et de passif, les associés n° 1 ont cédé leurs parts de la société Amusica à M. [I] et Mme [C] (les associés n° 2) moyennant le prix total de 8 000 euros, outre le remboursement des comptes courants d'associés, s'élevant à 103 095 euros, à hauteur de 60 000 euros, le surplus (43 095 euros) étant abandonné par les cédants. Le 20 septembre 2012, M. [I] a succédé à M. [F] dans les fonctions de gérant.
Le 29 juillet 2013, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a adressé à la société Amusica une lettre recommandée avec demande d'avis de réception qui, après avoir fait référence à un procès-verbal du 9 août 2011 constatant une infraction à l'article L. 8251-1 du code du travail et à une précédente lettre recommandée du 13 mars 2012 l'informant de la mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 8253-1 du même code, lui notifiait sa décision de faire application de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 pour un montant de 33 600 euros et ce, au titre de l'emploi de deux étrangers non munis d'une autorisation de travail salarié (MM. [V] [F] et M. [E]).
Le 17 septembre 2013, la direction générale des finances publiques (DGFIP) a émis un titre de perception d'un montant de 33600 euros à l'encontre de la SARL Amusica.
Par acte sous seing privé du 17 décembre 2013 stipulant, en son article 9, une garantie d'actif et de passif, les associés n° 2 ont cédé leurs parts de la société Amusica à M. [N] et Mme [R] (les associés n° 3) moyennant le prix total de 20 000 euros, auquel s'ajoutait le prix de 99 000 euros versé au titre de la cession des comptes courants d'associés d'un montant de 179 568 euros.
Le 9 mai 2017, la DGFIP a mis en demeure la SARL Amusica de régler la somme de 36 960 euros correspondant au montant du titre de perception émis le 17 septembre majoré de 10 %.
Le 12 juillet 2017, un avis à tiers détenteur a été émis pour un montant de 36 960 euros et le compte bancaire de la société Amusica saisi à hauteur de ce montant.
Le 13 novembre 2017, les associés n° 3 et la société Amusica ont assigné les associés n° 2 et ces derniers ont, les 9, 13 et 19 février 2018, assigné en intervention forcée les associés n° 1.
Dans le dernier état de leurs prétentions, la société Amusica et les associés n° 3 ont sollicité que les associés n° 2 et n° 1 soient solidairement condamnés, sur le fondement des articles 1116 et suivants et 1382 (anciens) du code civil, à leur payer la somme de 36 960 euros, tandis que les associés n° 2 ont demandé la condamnation solidaire des associés n° 1 à leur payer la même somme et, à titre subsidiaire, d'être garantis par ces derniers de toute condamnation pouvant être prononcée à leur encontre.
Par jugement du 7 mai 2019, le tribunal de commerce de Bobigny a :
- déclaré recevables les demandes des associés n° 3 et de la société Amusica, des associés n° 2 et des associés n° 1,
- débouté la société Amusica, les associés n° 3 et les associés n° 2 de leurs demandes,
- débouté la société Amusica, les associés n° 3 et les associés n° 2 de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné solidairement la société Amusica, les associés n° 3 et les associés n° 2 aux dépens.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu :
- que les associés n° 3 n'avaient pas, contrairement aux stipulations de la garantie de passif, informé les associés n° 2 de la mise en demeure du 9 mai 2017 et de l'avis à tiers détenteur du 12 juillet 2017, ni exercé les voies de recours pour contester ces actes de poursuite ;
- que les associés n° 2 n'avaient pas mis en oeuvre la garantie de passif, expirée depuis le 18 septembre 2015, à l'encontre des associés n° 1.
La société Amusica et les associés n° 3 (M. [N] et Mme [R]) ont relevé appel de ce jugement selon déclaration du 4 juillet 2019 en critiquant les chefs de dispositif ayant rejeté leurs demandes.
Dans leurs conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 12 mars 2020, la société Amusica et les associés n° 3 (M. [N], Mme [R]) demandent à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de condamner solidairement les associés n° 1 et 2 à leur payer, sur le fondement des articles 1116 et suivants (anciens) et 1382 (ancien) du code civil, pour réticence dolosive, la somme de 36 960 euros avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2017, date de la première mise en demeure, et, en tout état de cause, de rejeter leurs demandes et de les condamner solidairement à leur payer la somme de 5 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Suivant conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 4 janvier 2021, les associés n° 2 (M. [I] et Mme [C]) demandent à la cour de confirmer le jugement et, « en conséquence » :
- de rejeter les demandes des associés n° 3 et de la société Amusica et de condamner solidairement ces derniers à leur payer la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
- de condamner solidairement les associés n° 1 à leur payer la somme de 36 960 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2017 et celle de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, et, à titre subsidiaire, de dire que les associés n° 1 sont tenus de les garantir de toute condamnation pouvant être prononcée à leur encontre au profit des associés n° 3 et de la société Amusica.
Par conclusions n° 3 déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 1er février 2021, Mme [G] et M. [F] (les associés n° 1 concluants) demandent à la cour de rejeter les demandes des associés n° 3 et de la société Amusica ainsi que celles des associés n° 2 et de condamner « ceux qui succomberont » au paiement de la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
L'un des trois associés n° 1, M. [Z], auquel la déclaration d'appel a été signifiée le 9 septembre 2019 selon procès-verbal de recherches infructueuses, n'a pas constitué avocat.
Par lettre du 30 mars 2021, la cour a invité les parties à s'expliquer par note en délibéré sur les points suivants avant le 7 mai 2021 :
* s'agissant de la demande de dommages et intérêts de 36 960 euros formée par les associés n° 3 et la SARL Amusica contre les associés n° 2 :
- en quoi le préjudice qui aurait été causé par la réticence dolosive dont les associés n° 3 et la SARL Amusica auraient été victimes de la part des associés n° 2 lors de la cession de parts du 17 décembre 2013 correspond-il à l'obligation de payer la somme de 36 960 euros plutôt qu'à une perte de chance de conclure la cession de parts à des conditions plus avantageuses '
- à supposer qu'il soit retenu que le préjudice subi correspond à une perte de chance de conclure la cession de parts à des conditions plus avantageuses, présenter des observations sur cette perte de chance ;
- en quoi la réticence dolosive invoquée a-t-elle causé un préjudice à la SARL Amusica '
* s'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par les associés n° 3 et la SARL Amusica contre les associés n° 1 (solidairement avec les associés n° 2) :
- en quoi la réticence dolosive qui aurait été commise par les associés n° 1 à l'égard des associés n° 2 lors de la cession de parts du 19 septembre 2012 aurait-elle causé un préjudice aux associés n° 3 et à la SARL Amusica, alors qu'il est par ailleurs soutenu par ces derniers que les associés n° 2 ont eux-mêmes commis une réticence dolosive lors de la cession de parts du 19 septembre 2012 '
* s'agissant de la demande de dommages et intérêts formée par les associés n° 2 contre les associés n° 1 à titre principal (à distinguer de la demande de garantie, qui n'est présentée que de manière subsidiaire)
- quel est le préjudice subi par les associés n° 2 du fait de la réticence dolosive qui aurait été commise par les associés n° 1 lors de la cession de parts du 19 septembre 2012 '
- à supposer qu'il soit retenu que le préjudice subi correspond à une perte de chance de conclure la cession de parts à des conditions plus avantageuses, présenter des observations sur cette perte de chance.
Les associés n° 3 et la société Amusica (sous la forme de conclusions n° 4), les associés n° 2 et les associés n° 1 concluants ont transmis leurs observations, respectivement, les 27 avril, 6 mai et 17 mai 2021. Par lettre du 20 mai 2021, les associés n° 2 ont demandé le rejet des débats de la note en délibéré des associés n° 1 concluants pour dépassement du délai fixé par la cour.
SUR CE,
- Sur la demande de rejet de la note en délibéré des associés n° 1
Si le délai imparti par la cour pour adresser une note en délibéré expirait le 7 mai 2021, son dépassement n'est pas sanctionné, sous réserve du respect du principe de la contradiction.
Or, les associés n° 2 n'invoquent ni la violation de ce principe, ni l'insuffisance du délai de 16 jours subsistant avant la date du délibéré pour, le cas échéant, présenter des observations en réponse.
Ils seront donc déboutés de leur demande de rejet de la note en délibéré du 17 mai 2021.
- Sur la demande de dommages et intérêts de 36 960 euros, pour dol, formée par les associés n° 3 contre les associés n° 2
Invoquant l'article « 1137 du code civil, anciennement article 1116 » et l'article 1117 (ancien) du même code, les associés n° 3 soutiennent que les associés n° 2 leur ont, lors de la cession du 17 décembre 2013, volontairement dissimulé une information essentielle sur le passif de la société Amusica, à savoir l'existence de la procédure mise en oeuvre par l'OFII. A cet égard, ils font valoir que les associés n° 2 avaient « le contrôle et la responsabilité » au moment où la décision de l'OFII du 29 juillet 2013 a été notifiée et que des contacts ont eu lieu entre l'OFII et le conseil de M. [I] à la suite de l'émission du titre de perception par la DGFIP.
Les associés n° 2 contestent le dol. Ils arguent qu'à défaut, d'une part, d'avoir été informés par les associés n° 1 du procès-verbal de constat du 9 août 2011 et de la notification de l'OFII du 13 mars 2012 et, d'autre part, d'avoir reçu le titre de perception du 17 septembre 2013, ils ignoraient l'existence de la dette lorsqu'ils ont cédé leurs parts.
Le dol allégué ayant été commis au plus tard le 17 décembre 2013, date de la seconde cession, seul l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et non l'article 1137 du même code, issu de la même ordonnance, doit recevoir application.
Il résulte de l'article 1116 (ancien) du code civil que celui qui excipe d'un dol au soutien d'une demande indemnitaire doit établir une intention dolosive et le caractère déterminant du dol invoqué.
Le dol allégué
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en application des articles L. 8253-1, L. 8271-17, R. 8253-3 et R. 8253-4 du code du travail, le processus donnant naissance à l'obligation de paiement de la contribution spéciale due en cas d'emploi d'un étranger non autorisé à travailler se décompose en plusieurs étapes ci-après décrites :
- établissement, par les personnes habilitées (agents de contrôle de l'inspection du travail, agents et officiers de police judiciaire, etc.), d'un procès-verbal constatant une infraction à la réglementation sur l'emploi d'un étranger et transmission d'une copie de cette pièce à l'OFII ;
- envoi par l'OFII à l'employeur d'une lettre lui indiquant que la contribution spéciale est susceptible de lui être appliquée et qu'il peut présenter ses observations dans un délai de quinze jours ;
- décision de l'OFII, prise au vu des observations éventuelles de l'employeur, appliquant et liquidant la contribution spéciale et émission d'un titre de perception.
Le procès-verbal du 9 août 2011 et la lettre de l'OFII du 13 mars 2012 informant la société Amusica de la mise en oeuvre de la procédure de contribution spéciale auxquels la décision du 29 juillet 2013 de l'OFII fait référence sont antérieurs à la cession de parts du 17 décembre 2013 intervenue entre les associés n° 2 et n° 3.
Par ailleurs, les associés n° 2 prétendent n'avoir reçu aucune information sur la procédure de contribution spéciale de la part des associés n° 1 à l'occasion de la cession du 19 septembre 2012, sans que cette allégation soit contredite par une pièce du dossier ou par les associés n° 1, qui eux-mêmes soutiennent avoir tout ignoré de la procédure.
La connaissance, par les associés n° 2, à la date de la cession du 17 décembre 2013, du procès-verbal du 9 août 2011 et de la lettre de l'OFII du 13 mars 2012 n'est donc pas établie.
La notification à la société Amusica de la décision de l'OFII du 29 juillet 2013 de faire application de la contribution spéciale à hauteur de 33 600 euros et l'émission par la DGFIP du titre de perception correspondant le 17 septembre 2013 sont intervenues alors que les associés n° 2 étaient propriétaires des parts.
La notification de la décision de l'OFII du 29 juillet 2013, envoyée en lettre recommandée avec demande d'avis de réception, a été retournée avec la mention « pli avisé et non réclamé », de sorte que sa réception n'est pas prouvée.
Le titre de perception du 17 septembre 2013 a, lui, bien été reçu ainsi qu'en atteste la lettre d'un avocat du 4 octobre 2013 adressée au directeur général de l'OFII indiquant que M. [I], gérant de la société Amusica, venait de lui communiquer un titre de perception pour un montant de 33 600 euros et qu'il était sollicité l'envoi d'une copie de la décision du 29 juillet 2013 sur laquelle reposerait la créance.
La réponse de l'OFII transmettant la copie demandée, envoyée en recommandé avec accusé de réception, a été retournée avec la mention « pli avisé et non réclamé ».
Il est établi par la lettre du 4 octobre 2013 mentionnée plus haut que M. [I] avait connaissance de la dette de 33 600 euros, pour avoir reçu le titre de perception correspondant, et également de son fondement, à savoir une décision de l'OFII du 29 juillet 2013.
Or, les associés n° 2 (dont M. [I]) ont déclaré à l'article 8 (12) de l'acte de cession de parts du 17 décembre 2013 que « la Société [Amusica] ne s'[était] vue affecter d'aucune obligation, dette ou passif, à l'exception des dettes à court terme ou obligations ou passifs contractés dans le cours normal des affaires ».
L'inexactitude de cette déclaration - la dette en cause ne relevant pas du cours normal des affaires - conjuguée au court laps de temps écoulé depuis la demande de renseignements adressée à l'OFII, à savoir moins de trois mois, caractérisent l'intention dolosive de M. [I].
En revanche, il ne résulte pas des éléments qui précèdent, ni d'aucune autre pièce du dossier, que Mme [C] a été informée de la dette de 33 600 euros, de sorte que l'intention dolosive n'est pas établie en ce qui la concerne.
Le caractère déterminant du dol allégué
Les associés n° 3 et la société Amusica se bornent, dans leurs conclusions, à affirmer que l'information dissimulée était déterminante, sans autre précision.
Dans leur note en délibéré, ils font valoir qu'« il est évident » que, s'ils avaient connu cette information, ils n'auraient pas consenti à acquérir les parts ou auraient subordonné leur accord à la définition d'un prix largement inférieur. Ils relèvent également que la dette litigieuse représente 184,8 % du prix d'acquisition.
Ni l'acte de cession (produit sans les documents remis par les cédants listés à l'annexe 2), ni aucune autre pièce du dossier n'apportent d'indications sur les raisons ayant motivé les associés n° 3 à acquérir les parts, sur les éléments pris en compte pour déterminer le prix ou encore sur la situation de la société Amusica à l'époque de la cession du 17 décembre 2013, dont la connaissance est pourtant indispensable pour apprécier l'importance relative d'un passif dissimulé de 33 600 euros.
Si la somme de 33 600 euros due à l'époque de la cession au titre de la contribution spéciale représente 168 % du prix de 20 000 euros versé pour les parts et 28,2 % du prix total réglé de 119 000 euros (incluant le rachat des comptes courants des associés), une telle circonstance ne suffit pas, en l'absence de connaissance des éléments ayant servi à fixer les prix, à établir que les associés n° 3, s'ils avaient été informés de la dette en cause, se seraient refusés à conclure la cession dans les conditions convenues dans l'acte de cession du 17 décembre 2013.
Les associés n° 3 échouent ainsi à démontrer le caractère déterminant du dol.
Il résulte de ce qui précède que la demande indemnitaire des associés n° 3 dirigée contre les associés n° 2 doit être rejetée, le jugement étant confirmé de ce chef.
- Sur la demande de dommages et intérêts de 36 960 euros, pour dol, formée par la société Amusica contre les associés n° 2
La société Amusica a eu connaissance, en la personne de son gérant, M. [I], du titre de perception du 17 septembre 2013 et, partant, de la dette de 33 600 euros.
Dès lors, le préjudice qu'elle allègue, constitué, selon la note en délibéré des appelants, de l'obligation soudaine de décaisser une somme de 33 600 euros et de régler en sus une pénalité de 10 %, n'a pas été causé par la dissimulation de la dette par les associés n° 2 aux associés n° 3 mais par le comportement de son ou ses gérants, qui se sont abstenus de faire procéder à son règlement. Or, la responsabilité de ces derniers ne peut être engagée que sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, qui n'est pas invoqué.
Il y a donc lieu de rejeter la demande de dommages et intérêts de la société Amusica dirigée contre les associés n° 3, le jugement étant confirmé de ce chef.
- Sur la demande de dommages et intérêts de 36 960 euros, pour dol, formée par les associés n° 2, d'une part, et les associés n° 3 et la société Amusica, d'autre part, contre les associés n° 1
Les associés n° 2, invoquant un dol et citant les articles 1116 (ancien), 1137, 1112-1, 1240 et 1382 (ancien) du code civil, prétendent que les associés n° 1 leur ont intentionnellement dissimulé, lors de la cession du 19 septembre 2012, tant le contrôle du 9 août 2011 que la lettre de l'OFII du 13 mars 2012.
Les associés n° 3 et la société Amusica font valoir que les associés n° 1 avaient connaissance de l'engagement de la procédure de contribution spéciale et en déduisent qu'en s'abstenant de communiquer cette information lors de la première cession du 19 septembre 2012, ils se sont « rendus coupables » de manoeuvres dolosives. Dans leur note en délibéré, ils ajoutent que la responsabilité in solidum des associés n° 1 est engagée en ce que la réticence dolosive dont ces derniers ont fait preuve à l'égard des associés n° 2 à l'occasion de la première cession a constitué « le point de départ » de leurs préjudices.
Les associés n° 1 concluants répliquent, d'abord, que leur responsabilité ne peut être engagée que sur le fondement contractuel et qu'en l'occurrence, la garantie d'actif et de passif n'a pas été mise en oeuvre et qu'aucune faute contractuelle n'est établie. Ils arguent, ensuite, qu'aucune réticence dolosive ne peut leur être reprochée dès lors qu'ils ignoraient l'existence de potentielles poursuites sur le fondement de l'article L. 8253-1 du code du travail. Enfin, ils soutiennent que les associés n° 2 et 3 ont commis une faute en s'abstenant d'exercer des recours contre la décision de l'OFII du 29 juillet 2013 et le titre de perception du 17 septembre 2013.
L'existence d'un contrat, y compris lorsqu'il stipule une garantie d'actif et de passif, ne fait pas obstacle à l'engagement de la responsabilité délictuelle des parties contractantes à raison d'un dol commis à l'occasion de la conclusion dudit contrat.
Le dol allégué ayant été commis au plus tard le 19 septembre 2012, date de la première cession, sont seuls applicables les articles 1116 et 1382 du code civil, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et non les articles 1137, 1112-1 et 1240 du même code, issus de la même ordonnance.
Il résulte de l'article 1116 (ancien) du même code, dans sa rédaction antérieure à la même ordonnance, que celui qui se prévaut d'un dol au soutien d'une demande indemnitaire doit établir une intention dolosive et le caractère déterminant du dol allégué.
Il est reproché aux associés n° 1 d'avoir dissimulé l'existence du contrôle du 9 août 2011 et de la lettre de l'OFII du 13 mars 2012 mettant en oeuvre la contribution spéciale et, plus généralement, la dette susceptible d'en résulter.
Par jugement du 19 janvier 2012 rendu contradictoirement à l'égard de la société Amusica et de M. [F] et dont il n'est pas soutenu qu'il a été frappé d'appel, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé ces derniers des poursuites engagées contre eux pour des faits de travail dissimulé et d'emploi de deux étrangers (MM. [V] [F] et [E]) non munis d'une autorisation de travail salarié commis du 15 juillet au 9 août 2011 et ce, après avoir retenu que les prévenus n'avaient pas la qualité d'employeur des deux étrangers concernés.
Les motifs de la décision mentionnent :
- que, le 9 août 2011, lors d'un contrôle effectué par l'Urssaf (assistée des services de police) sur un chantier situé [Adresse 9], il a été constaté la présence de deux ressortissants chinois non déclarés et se trouvant en situation irrégulière sur le territoire ;
- que des documents au nom de M. [F], gérant de droit de la société Amusica exploitante du futur restaurant, ayant été découverts sur place, ce dernier a été entendu et a déclaré avoir chargé un dénommé « [R] » de recruter deux ouvriers ;
- que les déclarations de M. [F] ont été confirmées par l'un des deux ouvriers présents sur le chantier.
Le procès-verbal constatant l'infraction du 9 août 2011 auquel se réfère la décision de l'OFII du 29 juillet 2013 n'est, certes, pas versé aux débats, ainsi que le soulignent les associés n° 1 concluants, mais il constitue le fondement des poursuites ayant donné lieu au jugement précité du 19 janvier 2012.
Il y a donc lieu de retenir que M. [F], qui était présent et assisté d'un avocat lors de l'audience pénale, en a eu connaissance.
En tout état de cause, M. [F], bien que non présent sur les lieux du contrôle intervenu le 9 août 2011, a été informé de celui-ci le jour où il été entendu ou, au plus tard, à l'occasion des poursuites pénales exercées.
Ainsi, M. [F] savait qu'un contrôle avait eu lieu le 9 août 2011 et qu'une infraction tenant à l'emploi de deux étrangers non munis d'une autorisation de travail salarié lui était imputée ainsi qu'à la société Amusica.
S'agissant de la lettre recommandée de l'OFII du 13 mars 2012 mentionnée par la lettre de cet organisme du 29 juillet 2013 et qui aurait informé la société Amusica de la mise en oeuvre à son encontre des dispositions de l'article L. 8253-1 du code du travail, elle n'est pas versée aux débats. Surtout, il n'existe aucune trace de sa réception.
La connaissance, par M. [F], au plus tard le 19 janvier 2012, du constat par procès-verbal d'une infraction à la réglementation sur l'emploi des étrangers le concernant lui et la société Amusica n'implique pas celle de la procédure initiée par l'OFII, ni, a fortiori, du passif susceptible d'en résulter.
Ainsi, rien n'indique qu'à la date de la cession du 19 septembre 2012, les associés n° 1 savaient que la procédure de contribution spéciale avait été mise en oeuvre, et donc qu'un passif latent existait à ce titre.
Compte tenu de cette ignorance et de la relaxe définitive tant de M. [F] que de la société Amusica plusieurs mois avant la cession, il n'est pas établi que l'absence d'information donnée par les associés n° 1 aux associés n° 2 sur l'existence d'un contrôle suivi du constat d'une infraction procède d'une intention dolosive.
Les associés n° 3, d'une part, la société Amusica et les associés n° 2, d'autre part, échouent dès lors à établir l'existence du dol qu'ils allèguent.
Leurs demandes indemnitaires doivent donc être rejetées.
Il convient, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les associés n° 2, la société Amusica et les associés n° 3 de leurs demandes indemnitaires dirigées contre les associés n° 1.
- Sur la demande de garantie formée à titre subsidiaire par les associés n° 2 contre les associés n° 1
Les associés n° 2 demandent, à titre subsidiaire, que les associés n° 1 les garantissent de toute condamnation pouvant être prononcée à leur encontre au profit des associés n° 3 et de la société Amusica.
Aucune condamnation n'ayant été prononcée au profit des associés n° 3, la demande est dépourvue d'objet, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté celle-ci.
- Sur les dépens et frais irrépétibles
Les associés n° 2 et 3, qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens et ne peuvent prétendre à une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les autres demandes fondées sur ce texte seront rejetées.
Les chefs de dispositif du jugement relatif aux dépens et frais irrépétibles seront confirmés.
PAR CES MOTIFS
Dit n'y avoir lieu à écarter des débats la note en délibéré transmise le 17 mai 2021 par Mme [A] [G] et M. [K] [F],
Confirme le jugement,
Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile présentées à hauteur d'appel,
Condamne in solidum M. [R] [N], Mme [O] [R], la SARL Amusica, M. [U] [I] et Mme [H] [C] aux dépens d'appel.
La greffière,
Liselotte FENOUIL
La Présidente,
Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT