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11/10/2022 | FRANCE | N°19/21489

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 11 octobre 2022, 19/21489


Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 11 OCTOBRE 2022



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/21489 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBBI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de MELUN - RG n° 17/01445



APPELANT



Monsieur [U] [F] [V] [I] [J]

Né le [Date naissance 3] 19

80 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069 et as...

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 11 OCTOBRE 2022

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/21489 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CBBBI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Octobre 2019 -Tribunal de Grande Instance de MELUN - RG n° 17/01445

APPELANT

Monsieur [U] [F] [V] [I] [J]

Né le [Date naissance 3] 1980 à [Localité 7]

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représenté par Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069 et assisté de Me Jean-Philippe TUENI, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

SCP CHARRIER MONCEAU LE GAL TAGOT DE RAVEL D'ESCLAPON - aux droits de laquelle vient SELAS ' LE GAL TAGOT BERTIN ALLILAIRE',

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Herve-bernard KUHN de la SCP KUHN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0090 et assisté de Me Catherine ROCK-KUHN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Estelle MOREAU, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre

Madame Estelle MOREAU, conseillère, chargée du rapport

Madame Claire DAVID, magistrate honoraire juridictionnelle

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors du prononcé à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

***

[C] [N] et [R] [J], mariés sous le régime de la communauté, sont décédés respectivement les [Date décès 1] 2010 et [Date décès 8] 2011, laissant pour leur succéder leur fils, M. [U] [J]. Les déclarations de succession ont été dressées par la Scp Jean de Ravel d'Esclapon, Serge Guillet, Yves Le Gal, Yves Charrier aux droits de laquelle vient la Scp Yves Charrier, Georges Monceau, Pierre-Alain Le Gal, Grégoire Tagot, Antoine de Ravel d'Esclapon (ci-après, l'étude notariale).

Par acte du 19 décembre 2007, [R] [J] avait réalisé un apport d'un droit de présentation et des immobilisations de son cabinet d'architecte à la Selarl Agence [J] fondée par lui, le contrat d'apport stipulant expressément que les parties optaient pour le report d'imposition des plus-values prévues à l'article 151 octies du code général des impôts. M. [U] [J] avait rejoint dès 2004 le cabinet d'architecte, d'abord en qualité de salarié, puis de directeur adjoint de la Selarl Agence [J].

A l'issue d'une vérification fiscale courant 2013, M. [U] [J] a fait l'objet d'une proposition de rectification par l'administration fiscale le 23 décembre 2013 pour un montant de 457 148 euros en ce que la déclaration de succession de [C] [N] ne reprenait pas le droit au report d'imposition prévu à l'article 151 octies du code général des impôts, relative à la plus-value réalisée par [R] [J] lors de l'apport de son activité d'architecte à la Selarl Agence [J].

C'est dans ces circonstances que par acte du 28 avril 2016, M. [U] [J] a fait assigner l'étude notariale en responsabilité civile professionnelle devant le tribunal de grande instance de Melun.

Par jugement du 15 octobre 2019, le tribunal a :

- condamné l'étude notariale à verser à M. [U] [J] la somme de 55 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs prétentions plus amples ou contraires,

- condamné l'étude notariale aux dépens.

Par déclaration du 21 novembre 2019, M. [J] a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 11 mai 2022, M. [U] [J] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu la responsabilité professionnelle de l'étude notariale et l'a condamnée à indemniser son préjudice,

- réformer le jugement en ce qu'il a limité son préjudice à la somme de 55 000 euros à titre de dommages et intérêts,

et, statuant à nouveau :

- condamner l'étude notariale à lui régler :

- la somme de 565 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre les intérêts de retard appliqués sur les dernières mises en demeure,

- la somme de 82 436 euros à parfaire au titre des intérêts de retard et pénalités de recouvrement,

- la somme de 30 438 euros au titre de l'augmentation de l'assiette qui lui est imposable ayant engendré à sa charge une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus,

- la somme de 240 000 euros au titre de la privation de fonds dont il aurait pu faire un autre usage et du préjudice financier qui en découle,

- condamner l'étude notariale à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'étude notariale aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er juillet 2020, la Scp Yves Charrier, Georges Monceau, Pierre-Alain Le Gal, Grégoire Tagot, Antoine de Ravel d'Esclapon aux droits de laquelle vient désormais la Selas Le Gal Tagot Bertin Allilaire (ci-après, l'étude notariale) demande à la cour de :

- déclarer l'appel interjeté par M. [J] tant irrecevable que mal fondé,

- l'en débouter,

- confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- condamner M. [J] en tous les dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 17 mai 2022.

Par conclusion d'incident notifiées et déposées le 9 juin 2022, l'étude notariale demande à la cour de :

- rabattre l'ordonnance de clôture et renvoyer l'affaire,

- fixer un nouveau calendrier de procédure,

- à défaut, de rejeter purement et simplement les écritures signifiées le 11 mai 2022 et les pièces 11 et 12 communiquées le 19 mai 2022.

Par conclusions d'incident notifiées et déposées le 13 juin 2022, M. [J] demande à la cour de :

- juger que le principe du contradictoire et les droits de la défense ont été respectés,

- rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture de la Scp en l'absence de démonstration d'une cause grave,

- dire n'y avoir lieu à rejeter des débats ses conclusions et pièces.

L'incident a été joint au fond lors de l'audience du 29 juin 2022.

SUR CE :

Sur la recevabilité de l'appel :

L'étude notoriale ne soulevant au moyen au soutien de sa demande, l'appel doit être déclaré recevable.

Sur la demande de rabat de la clôture et de renvoi à la mise en état, et subsidiairement de rejet d'écritures et de pièces :

La Scp soutient que :

- par conclusions notifiées le 11 mai 2022, alors que la clôture était prévue au 19 mai 2022 et les plaidoiries fixées au 29 juin 2022, M. [J] a répondu à ses écritures notifiées le 1er juillet 2020 en développant des arguments nouveaux,

- trois pièces ont en outre été versées aux débats par M. [J] une heure avant la clôture,

- le respect du principe de contradictoire impose la révocation de l'ordonnance de clôture, le renvoi des plaidoiries et la fixation d'un nouveau calendrier pour lui permettre de répliquer.

M. [J] répond que :

- l'étude notariale a disposé de quasiment une semaine pour prendre connaissance et éventuellement répliquer à ses conclusions déposées le 11 mai 2022, et ne démontre nullement l'existence d'une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture,

- le principe du contradictoire a été respecté et l'étude notariale n'explique pas en quoi ses conclusions ne contenant aucune demande nouvelle ainsi que ses pièces nécessitaient une réplique ni pourquoi elle n'aurait pas été en mesure d'y répondre avant l'audience de clôture,

- une partie ne peut solliciter le rejet des conclusions sans avoir au préalable sollicité un report de la clôture pour répliquer.

L'avis de fixation rendu le 19 avril 2021 a fixé la date de clôture le 17 mai 2022. L'appelant a certes conclu en réplique plusieurs mois après les dernières écritures de l'intimé, le 11 mai 2022, puis communiqué des pièces le 12 mai 2022, mais le délai imparti jusqu'à l'ordonnance de clôture permettait à l'intimé de prendre connaissance de ces écritures et pièces et d'y répliquer. Il n'a, en outre, été sollicité aucun report de clôture avant la date de celle-ci. Le respect du contradictoire ayant été respecté, aucune cause grave ne justifie le rabat de l'ordonnance de clôture et le renvoi à la mise en état et la demande de rejet des débats des écritures et pièces de l'appelant n'est pas davantage fondée, en sorte que les demandes sont rejetées.

Sur la responsabilité :

-Sur la faute

Le tribunal a jugé que :

- le contrat d'apport stipulait expressément que tant l'apporteur que la société optaient pour le régime spécial des plus-values prévu à l'article 151 octies du code général des impôts, permettant de reporter dans le temps l'imposition des plus-values,

- dans la déclaration de succession, le notaire a indiqué que les parties requéraient le bénéfice de l'exonération des droits de succession à concurrence des trois quarts de la valeur transmise, mécanisme s'apparentant à un dispositif du pacte Dutreil,

-le notaire a manqué à son obligation d'information et son devoir de conseil à l'égard de M. [U] [J] quant à la nécessité de souscrire l'engagement formel prévu par le code général des impôts en ce que :

- aucune mention n'a été portée dans les déclarations de succession concernant le report de l'imposition sur les plus-values des parts apportées par [R] [J] à la Selarl Agence [J],

- le notaire, qui était détenteur du contrat d'apport, ne justifie pas avoir vérifié le régime fiscal des plus-values au sein de la société Agence [J], ni avoir informé M. [U] [J] de la possibilité dont il bénéficiait, par le contrat d'apport, de solliciter le report d'imposition.

Les parties ne discutent pas de la faute telle que retenue par le tribunal et font porter le débat sur le lien de causalité et le préjudice. Le manquement de l'office notarial à son devoir de conseil quant à la possibilité et aux conditions permettant de bénéficier du report d'imposition posé par l'article 151 octies du code général des impôts est donc caractérisé.

-Sur le lien de causalité et le préjudice :

Le tribunal a jugé que :

- le bénéfice des dispositions du report d'imposition de l'article 151 octies du code général des impôts suppose que les associés prennent à l'occasion de l'accord l'engagement de soumettre à l'impôt les plus-values constatées lors du décès et ayant bénéficié du report d'imposition, en cas de cession de parts ou de cession des biens par la société de droit,

- en s'abstenant de prendre, lors des déclarations de succession de ses parents, l'engagement formel prévu par l'article 151 octies du code général des impôts, M. [U] [J] a perdu le droit au report d'imposition de la plus-value constatée par [R] [J] lors de l'apport de son activité d'architecte à la Selarl Agence [J], et il en est résulté un redressement fiscal sur la plus-value constatée depuis le décès de chacun de ses auteurs,

- en connaissance de la possibilité de report d'imposition des plus-values, M. [J], compte tenu de la nature de son patrimoine, aurait opté pour cette faculté plutôt que de s'acquiter de cette imposition dès le décès de ses parents ainsi qu'il y a été contraint par le contrôle fiscal,

- cependant, M. [J] ne justifie pas qu'il aurait pu transmettre la société à ses héritiers et continuer ainsi à bénéficier du report d'imposition, et l'imposition étant due, il est mal fondé à soutenir que son préjudice est constitué par le montant du contrôle fiscal,

- son préjudice est constitué par l'immobilisation des liquidités qu'il a dû employer au paiement de l'impôt sur les plus-values de la société Agence [J], devant être évalué à 50 000 euros,

- il justifie également d'un préjudice au titre de l'examen de sa situation fiscale, estimé à 5000 euros.

M. [J] soutient que par la faute de l'office notarial, il a perdu le bénéfice d'une exonération totale et définitive de l'imposition de la plus-value ou du maintien ultérieur du report d'imposition en ce que :

- son père avait opté pour le régime du report d'imposition de la plus-value prévu à l'article 151 octies du code général des impôts,

- le bénéfice du report d'imposition aurait dû s'appliquer lors du décès de sa mère, puis de celui de son père, si l'office notarial les avait informés de la possibilité de choisir cette option,

- il est toujours détenteur des parts de la société Agence [J], 10 ans après le décès de ses parents, démontant ainsi sa volonté de s'inscrire dans une gestion durable de cette société,

- en sa qualité de dirigeant de la Selarl Agence [J] dont il détient les actions par succession, il aurait pu bénéficier d'une exonération totale et définitive de la plus-value en report d'imposition lors de son départ en retraite puisqu'il remplit les conditions requises par l'article 151 septies A du code général des impôts applicable en cas de cession à titre onéreux de parts ou d'actions de sociétés,

- il aurait pu transmettre par voie de donation à ses enfants les titres reçus en rémunération de l'apport avec maintien du report d'imposition, de même qu'à sa succession ses enfants auraient pu maintenir le report d'imposition.

Au titre de son préjudice, il fait valoir :

- le montant total de l'impôt mis en recouvrement du fait du défaut de conseil et d'information de l'office notarial à l'origine de son redressement fiscal,

- les pénalités de recouvrement et intérêts de retard mis à sa charge par le trésor public,

- l'accroissement inattendu de son impôt sur le revenu,

- la privation de fonds dont il aurait pu faire un autre usage, notamment dans le développement de la société d'architecture.

L'étude notariale réplique que :

- M. [J] n'apporte pas la preuve d'un préjudice actuel et certain s'agissant du montant d'imposition mis en recouvrement et ne justifie pas du règlement des sommes réclamées,

- l'appelant est seul responsable des intérêts de retard et de la majoration de 10 % allégués car il n'avait toujours pas acquitté les impôts réclamés fin 2018,

- M. [J] est mal fondé à demander la réparation de l'intégralité du montant de l'impôt qu'il aurait payé à l'administration fiscale car l'imposition n'est que la conséquence, non de la faute du notaire invoquée, mais de l'application de la loi fiscale à une opération donnée et ne saurait constituer en elle-même un préjudice indemnisable que sur le fondement de la perte de chance,

-la perte de chance de ne pas avoir demandé le report d'imposition de la plus-value litigieuse ne peut, en conséquence, donner lieu à indemnisation qu'à proportion de la probabilité de la chance perdue et non à 100% comme le soutient M. [J],

- M. [J] ne saurait prétendre à une indemnisation au titre des impositions dues mais uniquement de la perte financière subie à raison de l'indisponibilité des liquidités affectées au paiement des impositions qui auraient pu être reportées, en sorte que le préjudice a été pertinemment apprécié par les premiers juges,

- M. [J] est infondé à solliciter le remboursement des intérêts et majorations de retard - dont le quantum et le paiement ne sont pas démontrés- et le remboursement de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, qui sont déjà inclus dans la somme totale de 565 000 euros réclamée au titre de l'impôt mis en recouvrement.

Le notaire engage sa responsabilité à charge pour celui qui l'invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.

L'article 151 octies du code général des impôts prévoit un régime de report d'imposition des plus-values réalisées à l'occasion de l'apport par une personne physique d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité à une société soumise à un régime réel d'imposition. Ce report d'imposition prend fin, notamment, à la date de la cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport.

Le report est maintenu en cas de transmission à titre gratuit des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport si le ou les bénéficiaires de la transmission prennent l'engagement d'acquitter l'impôt sur la plus-value en report dès que l'un des événements mettant fin au report se réalise. Des conditions sont posées pour l'exercice de l'option, dont celle que l'exploitation doit être continuée personnellement dans les mêmes conditions par les héritiers ou donataires, ou par un seul héritier en cas d'indivision successorale.

Le report d'imposition mentionné à l'article 151 octies est maintenu en cas de report ou de sursis d'imposition des plus-values constatées à l'occasion d'événements censés y mettre fin, jusqu'à ce que ces dernières deviennent imposables, qu'elles soient imposées ou exonérées, ou que surviennent d'autres événements y mettant fin à l'occasion desquels les plus-values constatées ne bénéficient pas d'un report ou d'un sursis d'imposition.

M. [J] a fait l'objet d'une proposition de rectification de l'administration fiscale le 23 décembre 2013 aux motifs que :

- selon l'acte d'apport conclu le 19 décembre 2007 entre [R] [J] et la Selarl Agence [J], les parties ont opté pour le report d'imposition des plus-values prévues à l'article 151 octies du code général des impôts,

- alors qu'au 20 mai 2010, le capital de la Selarl Agence [J] est détenu à hauteur de 900 parts en pleine propriété par [R] [J] et à hauteur de 900 parts par l'indivision successorale de [C] [J] dont [R] [J] est usufruitier et M. [U] [J] nu-propriétaire, la déclaration de succession de [C] [J] ne comporte pas l'engagement d'acquitter la plus-value réalisée lors de l'apport des biens non amortissables à la Selarl Agence [J] lorsque interviendra la cession ou le rachat des parts sociales de ladite Selarl ou la cession par celle-ci des biens non amortissables apportés,

- en principe, la transmission à titre gratuit (donation, succession) des droits sociaux reçus en rémunération d'un apport d'une entreprise individuelle dans le cadre des dispositions de l'article 151 octies du code général des impôts met fin au report d'imposition des plus-values afférentes aux éléments non amortissables apportés,

- toutefois, le report d'imposition est maintenu si le bénéficiaire de la transmission prend l'engagement d'acquitter l'impôt sur ces plus-values à la date à laquelle interviendra la cession ou le rachat de ses droits, ou la cession par la société des biens non amortissables apportés si elle est antérieure,

- le bénéficiaire de la transmission à titre gratuit des droits sociaux doit prendre l'engagement formel d'acquitter l'impôt sur la plus-value,

- en l'absence de reprise de l'engagement de payer l'impôt sur la plus-value par M. [U] [J], la plus-value de report est devenue imposable au nom de [C] [J] à la date de son décès, soit pour un montant total de 457 148 euros avec intérêts et majorations de retard, compte tenu de l'absence de déclaration de revenus dans les délais légaux au titre de l'année 2010.

M. [J] étant toujours détenteur des parts de la Selarl Agence [J] dix ans après le décès de ses parents et exerçant son activité professionnelle au sein de celle-ci, il est certain que dûment conseillé par l'office notarial sur la possibilité de bénéficier d'un nouveau report d'imposition, il aurait nécessairement opté pour le régime fiscal prévu à l'article 151 octies du code général des impôts puisqu'il en remplissait les conditions et qu'il aurait alors pris l'engagement d'acquitter l'impôt sur la plus-value à la date à laquelle interviendra la cession ou le rachat de ses droits, ou la cession par la société des biens non amortissables apportés si elle est antérieure.

Au vu de ces éléments, la faute de l'étude notariale lui a fait perdre le bénéfice du report d'imposition de la plus-value auquel il pouvait alors prétendre, lui causant ainsi un préjudice actuel, certain et entièrement consommé, et non pas une simple perte de chance.

Si le report d'imposition est maintenu en cas d'opérations ouvrant droit à un nouveau report ou à un sursis d'imposition, l'appelant ne justifie pas que le report d'imposition aurait pu être maintenu à l'occasion de sa succession, à défaut d'établir que les conditions posées par l'article 151 octies auraient alors été remplies, les premiers juges ayant retenu avec exactitude qu'il n'est pas démontré qu'un enfant de l'appelant aurait repris la Selarl Agence [J], ce dernier étant âgé de 39 ans au moment de son entrée en succession.

De même, M. [J] échoue à établir qu'il aurait pu bénéficier du régime d'exonération visé à l'article 151 septies A en cas de cession à titre gratuit ou onéreux d'actions de société. En particulier, l'appelant qui ne produit aucun élément relatif à l'activité de la Selarl Agence [J] ne démontre pas qu'il aurait rempli les conditions posées par cet article, notamment le fait que le cédant ne doit pas détenir plus de 50% des droits dans les bénéfices sociaux de l'entreprise cessionnaire au moment de la cession et dans les trois années suivantes.

L'impôt étant dû et M. [J] ne justifiant pas de circonstances qui lui auraient permis d'en être définitivement exonéré à l'issue du report d'imposition dont il a été privé du bénéfice par la faute du notaire, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que son préjudice consiste non pas en l'imposition appliquée mais en l'immobilisation des fonds ayant servi à l'acquitttement immédiat de l'impôt, que M. [J] qualifie de 'privation des fonds dont il aurait pu faire un autre usage' , préjudice justement évalué à la somme de 50 000 euros compte tenu du montant de l'imposition appliquée pour un montant total de 565 000 euros et des taux de rendement actuels.

Si M. [J] fait valoir un préjudice lié aux majorations et intérêts de retard appliqués par l'administration fiscale pour des montants respectifs de 44 965 euros et de 37 471 euros, il ne justifie pas de ces montants.

L'imposition dont il a fait l'objet pour un montant total de 565 000 euros incluant les intérêts de et pénalités de retard, mais également la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ainsi qu'il l'a soutenu devant les premiers juges, ses demandes indemnitaires de ce chef, en sus du préjudice d'immobilisation retenu, sont infondées.

Le jugement est donc confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

M. [J] échouant en ses prétentions sera condamné aux dépens d'appel sans qu'aucune considération d'équité ne justifie sa condamnation au paiement d'une indemnité de procédure supplémentaire au bénéfice de l'office notarial dont la faute est caractérisée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit l'appel recevable,

Déboute la Scp Yves Charrier, Georges Monceau, Pierre-Alain Le Gal, Grégoire Tagot, Antoine de Ravel d'Esclapon aux droits de laquelle vient désormais la Selas Le Gal Tagot Bertin Allilaire de sa demande de rabat de l'ordonnance de clôture et de renvoi à la mise en état et de sa demande de rejet des débats des écritures et pièces de procédure de M. [U] [J],

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Déboute la Scp Yves Charrier, Georges Monceau, Pierre-Alain Le Gal, Grégoire Tagot, Antoine de Ravel d'Esclapon aux droits de laquelle vient désormais la Selas Le Gal Tagot Bertin Allilaire de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [U] [J] aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/21489
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;19.21489 ?
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