Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 08 NOVEMBRE 2022
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/00197 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBGMQ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Octobre 2019 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 18/05499
APPELANTS
M. [T] [L]
[Adresse 3]
[Localité 8] / BELGIQUE
Représenté par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Alain-François DERAMAUT, avocat au barreau de LILLE
Mme [J] [O] épouse [L]
[Adresse 10]
[Localité 9] / BELGIQUE
Représentée par Me Audrey HINOUX de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant Me Alain-François DERAMAUT, avocat au barreau de LILLE
INTIMES
M. [I] [N]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203
Mme [W] [X] épouse [N]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203
SARL ICHTIOS 'agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège'
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Justine CAUSSAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0203
SCP YVANE FALQUE OLIVIER CLERMONT NOTAIRES ASSOCIES
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentée par Me Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0499
Ayant pour avocat plaidant Me Marie -José GONZALES RIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : P499
Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE société à coopérative à capital variable, agréée en tant qu'établissement de crédit, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 4] / FRANCE
Représentée par Me Delphine TINGRY, avocat au barreau de PARIS, toque : B0196
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente chargée du rapport, et Mme Estelle MOREAU, conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
Madame Nicole COCHET, Magistrate honoraire juridictionnel
Greffier, lors des débats : Nora BENDERRADJ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 08 novembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente et par Florence GREGORI, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Par acte du 28 octobre 2014 reçu par M. [R] [U], notaire associé de la Scp Givel-Deramecourt, avec la participation de M. Olivier Clermont, notaire associé de la Scp Falque-Clermont, assistant le cessionnaire, M. [T] [L] a cédé les parts sociales qu'il détenait dans l'Eurl La ferme aquatique au profit de la Sarl Ichtios créée par M. [I] [N], pour un prix de 920 000 euros.
M. [T] [L] et Mme [J] [O] épouse [L] demeurant cautions solidaires des quatre prêts accordés à l'Eurl La ferme aquatique jusqu'à leur terme, l'acte prévoyait qu'en garantie du remboursement desdits prêts, M. et Mme [N] :
- se constituaient cautions personnelles et solidaires envers M. et Mme [L] de l'exécution de l'obligation de remboursement des prêts,
- affectaient, en nantissement, au bénéfice de M. et Mme [L] à concurrence de 100 000 euros, trois comptes ouverts dans les livres de la société Crédit agricole Nord Est, en garantie de paiement jusqu'au complet remboursement des prêts, l'acte précisant que 'M. et Mme [N] s'engageaient à nantir lesdits comptes bancaires et à en justifier au cédant dans les meilleurs délais, et au plus tard, dans le mois à compter des présentes'.
L'acte prévoyait également une garantie d'actif et de passif du cédant au profit du cessionnaire, le cédant s'engageant à contre-garantir la garantie d'actif et de passif à hauteur de 200 000 euros, somme versée le jour de l'acte entre les mains du séquestre institué, la Scp Givel-Deramecourt.
En 2016, la Sarl Ichtios a fait assigner M. et Mme [L] en garantie du passif et la Scp Givel-Deramecourt, en qualité de séquestre, devant le tribunal de commerce d'Arras.
M. et Mme [L] ont fait assigner, à leur tour, M. [I] [N] et Mme [W] [X] épouse [N], la Sa Crédit du Nord, la Caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France et la Scp Falque-Clermont, en qualité de co-rédacteur de l'acte de cession.
Les deux instances ont été jointes.
Par jugement du 14 février 2018, le tribunal de commerce d'Arras :
- s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris pour connaître de la mise en cause de la responsabilité de la Scp Falque-Clermont et au profit du tribunal de grande instance de Béthune pour connaître de la mise en cause de la responsabilité de la Scp Givel- [U],
- a prononcé un sursis à statuer et a invité la partie la plus diligente à le saisir à nouveau après les décisions à intervenir des tribunaux de grande instance de Paris et de Béthune.
Par jugement du 16 octobre 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :
- débouté M. et Mme [L] de leurs demandes formées à l'encontre de la Scp Falque- Clermont,
- dit que conformément au jugement du tribunal de commerce d'Arras, il lui sera réservé l'examen de toutes les autres demandes formées par M. et Mme [L],
- débouté la Scp Falque-Clermont de sa demande reconventionnelle,
- condamné solidairement M. et Mme [L] aux dépens,
- laissé à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
Par déclaration du 17 décembre 2019, M. et Mme [L] ont interjeté appel de ce jugement à l'encontre de la société Ichtios, M. et Mme [N], la Scp Falque-Clermont, la Scp Givel-Deramecourt, la Sa Crédit du Nord et la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France.
Le 10 mars 2020, M. et Mme [L] ont soulevé un incident relatif à l'étendue de la saisine de la cour au vu du jugement du tribunal de grande instance d'Arras et un incident de communication de pièces.
M. et Mme [L] ont saisi, le 28 septembre 2020, le tribunal de commerce d'Arras d'une requête en interprétation et par jugement du 10 mars 2021, ce tribunal a précisé que son incompétence pour juger du contentieux entre la Scp Givel-Deramecourt, la Scp Falque-Clermont et leurs contradicteurs, s'entend, au-delà de l'établissement d'une faute commise, à la détermination d'un éventuel préjudice subi par les parties en demande, ainsi qu'à leur condamnation éventuelle.
Par ordonnance du 1er juin 2021, le conseiller de la mise en état a :
- constaté le désistement de M. et Mme [L] de leur demande relative à l'étendue de la saisine de la cour laquelle est devenue sans objet,
- déclaré irrecevable leur appel à l'encontre de la Scp Givel-Deramecourt et de la Sa Crédit du Nord,
- déclaré irrecevable leur demande tendant à voir leur appel à l'encontre de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France déclaré recevable,
- les a déboutés de leur demande de communication par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France de la justification de l'état des remboursements des prêts accordés à la personne morale pour lesquels ils ont pris des engagements de caution.
Par arrêt du 19 janvier 2022, la cour a confirmé cette ordonnance, déférée par M. et Mme [L], en toutes ses dispositions.
Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 10 mars 2020, M. [L] et Mme [O] épouse [L], demandent à la cour de :
- les déclarer recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer la décision en ce qu'elle a considéré qu'elle était compétente pour statuer sur les préjudices liés à la faute de la Scp Falque-Clermont,
- en conséquence, dire et juger que le tribunal de commerce d'Arras est compétent pour trancher cette question,
- subsidiairement, si la juridiction estime que le tribunal de grande instance de Paris était compétent, infirmer la décision en ce qu'elle les a déboutés de leurs demandes,
statuant à nouveau, après avoir recueilli des établissements bancaires l'état des dettes exigibles,
- condamner la Scp Falque-Clermont à leur régler la somme de 10 000 euros à majorer en fonction de l'état des dettes exigibles qui sera produit en réparation des préjudices subis,
- confirmer la décision en ce qu'elle a dit que la responsabilité de la Scp Falque-Clermont était engagée,
- condamner la Scp Falque- Clermont à leur payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
- condamner les intimés aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Audrey Hinoux.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 3 juin 2020, la Scp Yvane Falque-Olivier Clermont, notaires associés, demande à la cour de :
- déclarer tant irrecevables que mal fondés M. et Mme [L] en leur appel, demandes et prétentions,
- déclarer irrecevables les demandes de M. et Mme [L] comme constituant des prétentions nouvelles,
- en tout état de cause, déclarer irrecevables M. et Mme [L] en leur demande tendant à voir dire par la cour que 'seul le tribunal de commerce d'Arras est compétent pour statuer sur le préjudice résultant de la faute invoquée à l'encontre de la Scp Falque et Clermont',
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [L] de l'ensemble de leurs demandes, au besoin par substitution de motifs,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir condamner M. et Mme [L] à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
y faisant droit,
- débouter M. et Mme [L] de toutes leurs demandes,
- les condamner à lui payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- les condamner ou tout succombant à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 12 juin 2020, M. [N], Mme
[X] épouse [N] et la Sarl Ichtios demandent à la cour de :
- leur donner acte de ce qu'ils s'en remettent à justice quant aux demandes formées par M. [L] quant à la responsabilité civile professionnelle de la Scp Falque-Clermont,
- dire que la cour d'appel n'est saisie que des demandes formées par M. [L] à l'encontre de la Scp Falque-Clermont,
- débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes dirigées à leur encontre tant sur le fond, qu'au titre des dépens et article 700 du code de procédure civile (sic),
- statuer ce que de droit sur les dépens.
La caisse régionale de Crédit agricole mutuel Nord de France, constituée le 15 décembre 2021, n'a pas conclu au fond.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 28 juin 2022.
SUR CE,
Sur la recevabilité de l'appel de M. et Mme [L]
Le conseiller de la mise en état, seul compétent pour le faire, a déjà statué par ordonnance du 1er juin 2021 sur la recevabilité de l'appel de M. et Mme [L], laquelle a été confirmée par la cour et la demande de la Scp Falque-Clermont formée devant la cour est irrecevable, au vu de l'autorité de la chose jugée.
Sur l'irrecevabilité des demandes de M. et Mme [L]
La Scp Falque-Clermont soutient que :
- M. et Mme [L] n'ont soulevé aucune exception d'incompétence devant le tribunal judiciaire de Paris pour statuer sur leurs préjudices et cette demande est irrecevable pour être nouvelle en appel,
- cette demande se heurte, en outre, à l'autorité de la chose jugée du jugement du tribunal de commerce d'Arras du 14 février 2018,
- de même, est toute aussi irrecevable pour être nouvelle en appel la demande subsidiaire au demeurant indéterminée tendant à obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 10 000 euros 'à majorer en fonction de l'état des dettes exigibles qui sera produit' en réparation des préjudices subis.
Par jugement du 10 mars 2021, postérieur aux conclusions déposées à la cour par la Scp Falque-Decorte, le tribunal de commerce d'Arras, interprétant son jugement du 14 février 2018, a précisé que son incompétence pour juger du contentieux entre la Scp Falque-Clermont et M. et Mme [L] s'étend, au delà de l'établissement d'une faute, à la détermination d'un éventuel préjudice et à leur condamnation.
L'irrecevabilité soulevée à ce titre par la Scp Falque-Clermont doit donc être rejetée.
De même, alors que M. et Mme [L] sollicitaient en première instance la condamnation de la Scp Falque-Clermont à leur payer une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, leur demande en appel de condamnation de la Scp Falque-Clermont à leur payer une somme de 10 000 euros à majorer en fonction de l'état des dettes exigibles qui sera produit, est recevable sur le fondement de l'article 566 du code de procédure civile aux termes duquel les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire, ladite demande n'étant pas, par ailleurs, indéterminée.
L'irrecevabilité soulevée à ce second titre doit également être rejetée.
Sur la responsabilité du notaire
Sur la faute
Le tribunal a jugé que :
- le notaire, qu'il soit rédacteur de l'acte ou qu'il assiste une des parties, est tenu de la même obligation de s'assurer de l'efficacité de l'acte qui doit être signé et d'éclairer les parties sur ses conséquences,
- M. [L] reproche à la Scp Falque-Clermont de ne pas l'avoir alerté sur l'insuffisance des garanties présentées par les cessionnaires telles qu'elles étaient prévues dans l'acte et sur le risque qu'il encourrait à le signer en l'état,
- l'acte reçu par M. [U], avec la participation de M. Clermont prévoyait au bénéfice du cédant l'affectation d'un nantissement, à concurrence de 100 000 euros, de trois comptes ouverts dans les livres de la société Crédit agricole Nord Est au nom des cessionnaires et stipulait à ce sujet que ' M. et Mme [I] [N] s'engagent à nantir les dits comptes bancaires et à en justifier au cédant dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois à compter des présentes',
- à défaut de la réalisation effective du nantissement le jour de la signature de l'acte authentique, un risque demeurait sur l'efficacité de cette garantie, et, au titre de son devoir d'information, la Scp Falque-Clermont était tenue d'en aviser le cédant et de le mettre en garde sur ses possibles conséquences, ce dont elle ne justifie pas, de sorte que sa responsabilité est engagée.
M. et Mme [L] demandent la confirmation du jugement retenant la faute de la Scp notariale en faisant leur la motivation des premiers juges.
Ils ajoutent que :
- la Scp Falque-Clermont était co-rédacteur de l'acte de cession,
- il n'a jamais été justifié du nantissement sur les trois comptes bancaires des époux [N],
- en rédigeant une clause laissant à la seule initiative d'une partie la constitution de la garantie selon son degré de fiabilité ou de fantaisie, les notaires ont manqué à leur obligation de s'assurer de la sécurité juridique de l'acte qu'ils ont co-rédigé, sachant que la constitution du nantissement aurait dû être effectuée préalablement à la signature de l'acte de cession.
La Scp Falque-Clermont répond que :
- l'acte de cession a été reçu par M. [U] avec la participation de M. Clermont,
- elle a donc assisté M. [N] puis la société Ichtios qui s'est substituée à ce dernier de sorte que M. [L] est mal fondé à mettre en cause sa responsabilité puisqu'en l'absence de rédaction d'acte, le notaire ne doit son devoir de conseil qu'à l'égard de son propre client,
- les appelants ne critiquent pas la validité ou l'efficacité de l'acte de cession dont ils ont accepté l'intégralité des clauses, assistés de M. [U],
- la clause de nantissement de comptes a été insérée compte tenu de l'accord intervenu par l'intermédiaire des experts-comptables respectifs des parties, en raison de l'absence de justificatif du nantissement effectué au jour de la signature, et de la volonté des parties, parfaitement éclairées, de poursuivre la signature de l'acte de cession,
- la mention du délai laissé à M. [N] pour constituer le nantissement a été discuté le jour de la signature de la cession et M. et Mme [L] ont accordé ce délai en toute connaissance de cause,
- la Scp Givel-Deramecourt a obtenu une confirmation du Crédit agricole le 28 mai 2015, selon laquelle trois comptes de Mme [N] pour un montant global de 100 531,702 € étaient nantis mais il est apparu ultérieurement que la banque n'avait pas enregistré ce nantissement,
- les notaires n'ont pas à répondre des dysfonctionnements des banques,
- elle n'a commis aucune faute, puisque si le notaire est tenu à une obligation d'information, il ne saurait cependant être exigé de lui des diligences particulières alors que les informations sont connues des parties.
Selon l'article 36-1 du règlement national des notaires, la participation est l'intervention d'un notaire à l'établissement d'un acte qu'il ne reçoit pas et cette participation ouvre droit au partage d'émoluments.
Le notaire participant à l'établissement d'un acte, doit veiller, à l'égard de toutes les parties, à la sécurité et à l'efficacité dudit acte et est également tenu à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde, en ce qui concerne notamment les conséquences et risques des stipulations convenues.
En prévoyant que le nantissement à concurrence de 100 000 euros de trois comptes bancaires ouverts dans les livres de la société Crédit agricole Nord Est au nom de M. et Mme [N] serait effectué par les époux [N] au profit de M. et Mme [L] dans les meilleurs délais et au plus tard dans le mois à compter de la signature de l'acte de cession, le notaire intervenant en participation a manqué à son obligation de veiller à l'efficacité de l'acte puisque ladite clause n'était nullement contraignante, laissant à la seule volonté des époux [N] la réalisation du nantissement au profit des époux [L], lequel n'est en définitive jamais intervenu.
Les conclusions de la Scp Givel-Deramecourt déposées en 2019 devant le tribunal de grande instance de Béthune assorties d'un bordereau de communication de pièces ( pièces n°5 et 6 de la Scp Falque-Clermont) n'établissent pas que M. et Mme [L] avaient connaissance du fait que le nantissement ne serait pas effectué à la date de la signature de l'acte de cession et qu'ils l'auraient accepté, de manière éclairée. En effet, ces conclusions reprennent une proposition faite au nom de M. [N] le 26 septembre 2014 par un auteur non identifié et adressé à un destinataire pas plus identifié laquelle ne mentionne ni un nantissement de comptes bancaires par les époux [N] ni a fortiori que celui-ci ne pourrait être effectif à la date de la signature de l'acte.
De même, la Scp Falque-Clermont soutient sans apporter aucune preuve de son allégation que les époux [L] ont accepté le jour de la signature de l'acte de laisser aux époux [N] un délai d'un mois pour effectuer le nantissement promis après avoir été informés des risques qu'ils prenaient d'une non réalisation de cette garantie.
Dès lors, la Scp Falque-Clermont a manqué à son obligation de veiller à l'efficacité de l'acte mais également à son obligation d'information et de conseil.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Le tribunal a considéré que M. et Mme [L] ne justifiaient pas des trois préjudices allégués puisque la mise en 'uvre de la caution par les établissements bancaires n'a pas donné lieu à un paiement de leur part et que l'action en justice des consorts [N] et le blocage des fonds sont fondés sur la garantie d'actif et de passif, laquelle est sans rapport avec la faute reprochée au notaire.
M. et Mme [L] font valoir que :
- ils ont reçu au cours de l'année 2015 des mises en demeure du Crédit agricole et du Crédit du Nord actionnant leur cautionnement et les informant de la déchéance du terme des prêts consentis,
- les banques n'ont toutefois pas engagé de procédure et ont été sommées par eux de s'expliquer sur leur silence en 2015 et 2016 mais en vain,
- l'action en justice intentée contre eux par les consorts [N] et la procédure engagée par eux pour obtenir le déblocage des fonds séquestrés chez le notaire sont également la conséquence de la négligence grave de la Scp Falque-Clermont,
- il doit être fait droit à leur demande en paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
La Scp Falque-Clermont répond que :
- M.et Mme [L] ne justifient d'aucun préjudice actuel et certain puisqu'ils ne démontrent pas l'existence d'une quelconque poursuite en paiement des prêteurs et qu'ils disposent d'une garantie à l'encontre des époux [N] telle que prévue dans l'acte de cession, à savoir un cautionnement solidaire,
- leur préjudice est en réalité inexistant,
- en tout état de cause, il leur appartient de mettre en oeuvre le cautionnement solidaire octroyé par les époux [N] et en s'abstenant de le faire, ils contribueraient à la réalisation de leur préjudice dont il ne peuvent dès lors solliciter la réparation auprès d'elle,
- cette demande est également formulée dans le cadre de la mise en cause de la responsabilité de la Scp Givel-Deramecourt devant le tribunal de Béthune alors qu'il n'est pas possible de solliciter devant deux juridictions la réparation du même préjudice,
- la procédure intentée par les époux [N] en garantie du passif et déblocage des fonds séquestrés ne constitue pas un préjudice en lien de causalité avec la faute imputée au notaire.
M. et Mme [L] justifient qu'ils ont reçu du Crédit du Nord le 13 novembre 2015 une mise en demeure de payer, en leur qualité de cautions solidaires, une somme de 61 854,83 euros au titre du prêt de 206 000 euros octroyé à la société La ferme aquatique et du Crédit agricole Nord de France, le 24 février 2016, une mise en demeure de payer, en leurs qualité de cautions solidaires, deux sommes au titre des deux prêts octroyés à la société La ferme aquatique puis le 31 août 2016 une lettre de déchéance du terme et mise en demeure de payer la somme de 104 823 euros au titre du prêt de 300 000 euros.
Ils ne justifient d'aucune action en paiement des banques depuis ces dates alors qu'une telle action est soumise à un délai de prescription ni d'aucun paiement de leur part, de sorte qu'ils n'établissent pas de préjudice actuel et certain à ce titre en lien de causalité avec les manquements retenus à l'encontre de la Scp Falque-Clermont.
Par ailleurs, les premiers juges ont considéré avec pertinence que les préjudices liés à l'action en justice intentée contre M. et Mme [L] par M. et Mme [N] au titre de la garantie du passif et à la procédure engagée contre le notaire pour obtenir le déblocage des fonds séquestrés sont sans lien de causalité avec la faute reprochée à la Scp Falque-Clermont relativement au nantissement de trois comptes bancaires en garantie du paiement des quatre prêts dont M. et Mme [L] restaient cautions solidaires.
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme [L] de leurs demandes de dommages et intérêts.
Sur la demande reconventionnelle de la Scp Falque-Clermont en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive
Le tribunal a jugé que le caractère infondé de la demande de M. et Mme [L] ne suffisait pas à caractériser un abus de droit et a débouté la Scp Falque-Clermont de sa demande de dommages et intérêts.
La Scp Falque et Clermont fait valoir que les demandes de M. et Mme [L] sont dénuées de tout fondement et revêtent un caractère fantaisiste de sorte qu'il convient d'infirmer le jugement sur ce point. M. et Mme [L] ne concluent pas sur ce point.
La cour retenant des manquements à l'encontre de la Scp Falque-Clermont, la procédure engagée par M. et Mme [L] ne saurait être qualifiée d'abusive et le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la Scp Falque-Clermont de sa demande à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.
Les dépens d'appel doivent incomber à M. et Mme [L], partie perdante.
La faute professionnelle de la Scp Falque-Clermont étant reconnue, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Déclare irrecevable l'irrecevabilité de l'appel de M. [T] [L] et Mme [J] [O] épouse [L] soulevée par la Scp Yvane Falque-Olivier Clermont,
Rejette les irrecevabilités des demandes de M. [T] [L] et Mme [J] [O] épouse [L] soulevées par la Scp Yvane Falque-Olivier Clermont,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne M. [T] [L] et Mme [J] [O] épouse [L] aux dépens,
Dit n'y avoir lieu à condamnation de M. [T] [L] et Mme [J] [O] épouse [L] au profit de la Scp Yvane Falque-Olivier Clermont sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,