La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/11/2022 | FRANCE | N°19/10871

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 30 novembre 2022, 19/10871


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10871 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3WH



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F17/00316





APPELANT



Monsieur [I]-[O] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2

]



Représenté par Me Evelyn BLEDNIAK, avocat au barreau de PARIS, toque : K0093





INTIMEE



SA COMPAGNIE D'EXPLOITATION DES SERVICES AUXILIAIRES AÉRIENS (SERVAIR)

[Adresse ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRET DU 30 NOVEMBRE 2022

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10871 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3WH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F17/00316

APPELANT

Monsieur [I]-[O] [E]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Evelyn BLEDNIAK, avocat au barreau de PARIS, toque : K0093

INTIMEE

SA COMPAGNIE D'EXPLOITATION DES SERVICES AUXILIAIRES AÉRIENS (SERVAIR)

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée par Me Eric SEGOND, avocat au barreau de PARIS, toque : P0172

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Octobre 2022,

en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Véronique MARMORAT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Anne MENARD, présidente

Greffier, lors des débats : Mme Frantz RONOT

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Véronique MARMORAT, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffier en préaffectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige

Monsieur [E] a été embauché selon un contrat à durée indéterminée avec effet le 10 novembre 2000 par la société Servair, filiale du groupe Air-France-Klm, ayant comme activité la restauration et la logistique du transport aérien en qualité d'employé du commissariat hôtelier affecté à la société Servair 2 sur Roissy Charles-de-Gaulle. Le salarié a été promu le 1er mars 2012 aide chauffeur et délégué du personnel à compter de 2011.

Le 18 octobre 2016, monsieur [E] a été sanctionné d'une mise à pied disciplinaire de 4 jours pour " refus de tâches, insubordination, attitudes et propos intolérables le 28 juillet 2016." Il lui est reproché d'avoir le 28 juillet 2016 refuser de monter à bord d'un avion pour le charger car ses horaires étaient 7h30 - 16h et serait arrivé en hurlant dans le bureau de l'assistant des opérations en disant qu'il n'était pas un esclave et qu'il ne pouvait pas lui donner de directives ni d'heures supplémentaires et qu'il faisait "des feuilles pour les noirs plus chargées que pour les blancs."

Le 6 février 2017, monsieur [E] a saisi en contestation de cette sanction disciplinaire et en indemnisation d'une discrimination en raison de ses origines le Conseil des prud'hommes de Bobigny lequel par jugement du 18 juin 2919, a débouté le salarié de toutes ses demandes et l'a condamné aux dépens.

Le salarié a interjeté appel de cette décision le 25 octobre 2019.

Dans ses conclusions signifiées par voie électronique le 23 janvier 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [E] demande à la cour qu'elle infirme la décision du Conseil des prud'hommes dans toutes ses dispositions, d'annuler la sanction fondée sur une discrimination, ayant une cause injustifiée et disproportionnée et de condamner l'employeur aux dépens de première instance, d'appel, comprenant les frais d'huissier et à lui verser les sommes suivantes avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Servair 2 de sa convocation par devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes :

204,86 euros au titre de rappel de salaires des 9,16, 23 et 30 novembre 2016 outre celle de 20,49 euros pour les congés payés afférents

7 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison de la discrimination

1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Par conclusions signifiées par voie électronique le 3 mars 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Servair demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter le salarié de toutes ses demandes et de le condamner aux dépens et à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Motifs

Sur la sanction disciplinaire

Principe de droit applicable :

Aux termes des articles L 1333-1 et L 1333-2 du code du travail, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Selon l'article L 1333-4 du même code, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Application en l'espèce

En l'espèce, la sanction a été prise pour les motifs suivants exprimés dans la lettre de la société Servair du 18 octobre 2016 :

"Le 28 juillet 2016, vous aviez en charge le chargement du vol AF 338 arrière dont l'arrivée a été retardée en rotation avec un salarié intérimaire chauffeur chargeur. Mécontent de cette situation vous contraignant à rester au-delà de vos horaires de travail (7heures30 - 16heures01), vous avez refusé de monter à bord de l'avion et de charger le vol, laissant par conséquent votre collègue intérimaire traiter seul le chargement de ce vol.

Vous avez ensuite eu un comportement inadmissible dans le bureau de l'Assistant opérations présent vous adressant à ce dernier en hurlant que vous n'étiez pas un esclave et qu'il n'avait pas le droit de vous donner des directives ou de vous proposer des heures supplémentaires. Vous avez ajouté que le service transport faisait « des feuilles pour les noirs plus chargées que pour les blancs », le menaçant que si vous étiez renvoyé il en subirait les conséquences.

L'un des Responsables du service Transport, alerté par vos cris s'est rendu dans le bureau de l'assistant ops pour tenter de vous calmer, mais vous vous trouviez dans un tel état qu'il était impossible de communiquer avec vous. Il vous a cependant rappelé que vous ne pouviez refuser d'effectuer des heures supplémentaires, ce que vous n'avez pas admis.

Vous vous êtes ensuite rendu tous les trois devant le bureau du Responsable d'exploitation. L'Assistant opérations a rapporté les faits qui venaient de se dérouler, vous rappelant une nouvelle fois que vous auriez dû terminer le vol qui vous était affecté et qu'en cas de dépassement de vos horaires, les heures vous auraient été payées en heures supplémentaires.

Vous avez continué à crier, les tentatives du Responsable d'exploitation pour vous calmer restant vaines, il vous a finalement demandé de sortir de son bureau. Vous avez monté le ton et avez renouvelé vos accusations à l'encontre de votre hiérarchie indiquant que l'on vous attribuait une feuille de travail « pour les noirs ». Il vous a rappelé que vous auriez dû terminer votre vol d'autant qu'il n'y avait aucune solution de substitution. Il a rajouté que vos Responsables pouvaient vous imposer les heures supplémentaires dans un tel cas. Enfin, il vous a informé que votre attitude serait assimilée à une insubordination et à un refus de tâche.

Nous ne pouvons tolérer que vous ne réalisiez pas les tâches de travail résultant de votre contrat de travail en tant qu'Aide chauffeur.

D'une part, nous vous rappelons que vous ne pouvez refuser d'effectuer des heures supplémentaires à la demande de votre hiérarchie lorsque celles-ci sont demandées en raison des nécessités de l'entreprise. Votre refus de travail s'apparente à une insubordination.

Nous attirons également votre attention sur les conséquences de votre refus qui ont amené votre collègue de travail intérimaire à monter seul à bord de l'avion et à effectuer le chargement sans votre aide alors que vous attendiez dans le camion. De plus, lors de l'entretien, vous avez mis en avant des raisons personnelles familiales qui vous empêchaient d'effectuer ces heures supplémentaires. Vos propos sont contradictoires puisque malgré ces prétendues contraintes vous vous êtes tout de même rendu sur le vol sans pour autant aider votre collègue et à l'issue du chargement vous n'avez pas quitté immédiatement l'établissement mais avez continué à hurler dans les bureaux de vos Responsables puis dans un des bureaux de la Direction.

D'autre part, nous ne pouvons tolérer une telle attitude de défiance vis-à-vis de votre hiérarchie et des membres de la Direction. Nous vous rappelons qu'il vous appartient de vous exprimer avec correction à l'égard de ceux-ci et d'utiliser un ton approprié.

Enfin, vos propos et accusations sont inadmissibles. Nous vous affirmons que les encadrants du service Transport veillent à garantir l'équité dans l'attribution des feuilles de travail.

En conséquence, nous vous notifions une mise à pied d'une durée de 4 jours qui prendra effet aux dates suivantes : les 9, 16, 22 et 30 novembre 2016. "

Le salarié estime que la mise à pied est injustifiée et disproportionnée. Il explique avoir demandé du renfort, avoir travaillé 9 minutes en plus de son horaire et qu'il a aidé son collègue avant de partir. Monsieur [E] relève qu'aucun élément matériel ne vient établir son comportement prétendument inadmissible dans le bureau de l'assistant opérations. La société Servair persiste à affirmer que monsieur [E] n'est pas monté à bord et a laissé seul son collègue. Il ajoute qu'après l'altercation avec monsieur [N], assistant opérations transports, monsieur [F] (adjoint transport) est aussitôt intervenu pour essayer de le raisonner, mais la communication avec monsieur [E] se serait avéré alors impossible.

Pour établir la réalité de la faute disciplinaire, la société Servair produit les courriels suivants contemporains des faits :

Par courriel du 28 juillet 2016 à 18h09, monsieur [N], assistant opérations piste, informe monsieur [V], responsable exploitation en ces termes :

"Cause arrivée tardive de leur avion, ces messieurs ont finis 25mn + tard. Malgré ma proposition de les rémunérer en heure supplémentaire, monsieur [E] ' jr a carrément refusé et a eu un comportement non professionnel envers son chauffeur en refusant de monter à bord de l'avion. Il a donc laissé monsieur [S] travailler tout seul . ''!! .

Il a eu ensuite un comportement inadmissible dans mon bureau. Hurlant que ce n'était pas un esclave et que je n'avais pas le droit de lui donner des directives ou de lui proposer des heures sup, que le transport faisait des feuilles pour les noirs + charger que pour les blancs et que si il était renvoyé, j'en subirai moi-même les conséquences. Tout dans un vacarme ni nécessaire et non justifié.

[H], ce n'est pas la première fois que ce monsieur a un tel comportement'.. et il n'en n'est pas à son premier refus de tâche' il a aussi refusé les directives de monsieur [M]."

Monsieur [Z] organise un réunion et informe ainsi qu'il suit sa hiérarchie : " Ce mail pour te relater les événements intervenus ce jour, jeudi 28 juillet 2016, devant mon bureau :

J'ai reçu monsieur [E] [I] [O] accompagné d'[Y] [N] (ass ops transport) et de monsieur [B] [F] (adj transport). monsieur [N] m'a expliqué devant l'intéressé qu'il avait refusé de terminer son vol affecté sur sa feuille de travail pour la raison qu'il allait bientôt terminer sa vacation et qu'il ne voulait pas partir en retard, qu'il a laissé son chauffeur terminer le vol tout seul et qu'il est resté dans la cabine du camion à ne rien faire.

monsieur [N] lui a rappelé devant moi que sur nos directives il aurait dû terminer son vol et que son dépassement horaire, si il y en avait eu un, lui aurait été payé en heure supplémentaire.

monsieur [I] [O] a eu une attitude inadmissible à crier au transport et dans mon bureau, je lui ai demandé de se calmer à de nombreuses reprises et au vu de son comportement de sortir de mon bureau. Il a monté le ton et nous a accusé de lui attribuer une feuille de travail « pour les noirs » selon ses propres dires.

Je lui ai rappelé qu'il aurait dû terminer son vol et que nous n'avions aucune solution de substitution. Je lui ai rappelé que dans certains cas nous pouvions lui imposer de rester en heures supplémentaires et ce cas rentrait bien dans cette possibilité. Je l'ai donc informé que son attitude serait assimilée à de l'impertinence et à un refus de tache.

L'ensemble des personnes présentes sont restées calmes, seul monsieur [I] [O] s'est énervé, limite menaçant au niveau de ses gestes. "

Ces éléments ainsi que l'attestation de monsieur [F], corroborant cette version des faits constitue un manquement caractérisé à ces obligations qui a été sanctionné justement et de manière proportionnée par l'employeur.

Il convient en conséquence de confirmer la décision des premiers juges sur ce point.

Sur la discrimination

Principe de droit applicable :

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine.

L'article L .1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

L'article L 1132-4 précise que toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du chapitre consacré au principe de la non discrimination du code du travail est nul.

Application en l'espèce

Monsieur [E] expose qu'il a dénoncé une situation de discrimination à son égard et que le lendemain il a reçu une convocation pour un entretien préalable à sanction. Il estime qu'il est manifeste qu'il a été victime d'une sanction pour avoir dénoncé de fait de discrimination.

Pour établir ces éléments laissant supposer cette discrimination en raison de son origine, le salarié étant né à [Localité 5] en Haïti, monsieur [E] produit aucune pièce si ce n'est une lettre qu'il a écrit le 8 septembre 2016 soit le jour où était initialement prévu l'entretien préalable.

Cette pièce est insuffisante pour établir des faits laissant supposer cette discrimination.

En conséquence, il convient de rejeter cette demande, comme l'ont fait les premiers juges.

Par ces motifs

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne monsieur [E] à verser à la société Servair la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne monsieur [E] aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 19/10871
Date de la décision : 30/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-30;19.10871 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award