REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 7
ARRET DU 01 DECEMBRE 2022
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 17/08844 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3USW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 31 Janvier 2017 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F13/16860
APPELANTE
Madame [G] [T]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Agnès CITTADINI, avocat au barreau de PARIS, toque : C2185
INTIMÉ
Monsieur [F] [W]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Marie-Hélène DUJARDIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2153
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre
Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre
Monsieur Laurent ROULAUD, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Julie CORFMAT
ARRET :
- CONTRADICTOIRE,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre et par Marie-Charlotte BEHR, Greffière en stage de préaffectation sur poste, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Mme [G] [T] a été engagée par le Docteur [F] [W] en qualité d'assistante dentaire suivant contrat à durée indéterminée du 25 septembre 2008. En dernier lieu, sa rémunération mensuelle brute était de 1 733,63€.
Mme [T] a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail successifs à compter du 1er octobre 2011 jusqu'au 14 mai 2013 pour syndrome dépressif. Cet arrêt de travail a été pris en charge au titre de la maladie professionnelle suivant décision notifiée par la CPAM à Mme [T] le 6 mai 2013, après examen par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Sur saisine par M. [W], le tribunal des affaires de sécurité sociale a débouté ce dernier de son recours, décision dont il a interjeté appel.
A l'issue de deux visites médicales de reprise des 21 mai et 11 juin 2013, Mme [T] a été déclarée inapte au poste d'assistante dentaire dans ce cabinet, le médecin précisant que son état de santé ne permettait pas actuellement de formuler de proposition de reclassement dans cette entreprise.
Par courrier du 5 août 2013, Mme [T] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 30 août 2013 auquel elle ne s'est pas rendu avant d'être licenciée par courrier du 27 septembre 2013 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Entre temps, Mme [T] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir la remise d'une attestation de salaire puis ultérieurement un rappel de salaires et une provision à titre de dommages et intérêts.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 22 novembre 2013 aux fins d'obtenir la condamnation de son employeur en paiement de diverses sommes dont des dommages et intérêts au titre du préjudice consécutif à des agissements de harcèlement sexuel et moral.
Mme [T] a déposé plainte pour ces faits en juillet 2012.
Le 11 juin 2014, le conseil a sursis à statuer dans l'attente de la décision pénale suite à l'enquête préliminaire en cours et a condamné M. [W] à payer à Mme [T] la somme de 1 800 euros à titre de dommages-intérêts pour remise tardive des documents sociaux.
Mme [T] ayant reçu un courrier l'avisant le 4 août 2016 du classement sans suite de sa plainte du fait de la perte de l'original de la procédure, elle a réintroduit la procédure devant le conseil de prud'hommes.
Par jugement du 31 janvier 2017, le conseil de prud'hommes a débouté Mme [T] de l'ensemble de ses demandes.
Mme [T] a régulièrement interjeté appel du jugement, notifié le 3 juin 2017, par déclaration du 23 juin 2017.
Par jugement du 22 novembre 2017, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré M. [W] coupable de faits d'agressions sexuelles aggravées sur la personne de Mme [T] entre avril 2009 et le 3 octobre 2011.
Par arrêt en date du 19 septembre 2019, la cour d'appel a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la chambre correctionnelle de la cour d'appel statuant sur appel interjeté par M. [W] contre la décision du tribunal correctionnel de Paris du 22 novembre 2017, dit que la présente juridiction sera ressaisie à la diligence des parties et réservé les dépens.
La Chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Paris, sur appel de M. [W], a par arrêt du 5 mai 2020 réformé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré [F] [W] coupable des faits reprochés, soit dans les entiers termes de la prévention et statuant à nouveau a constaté l'extinction de l'action publique ensuite de l'accomplissement du délai alors imparti pour la prescription des faits commis entre avril 2009 et le 29 août 2009 et l'a déclaré coupable pour le surplus de l'ensemble des faits reprochés dans les termes de la prévention mais sur la seule période comprise entre le 29 août 2009 et le 3 octobre 2011.
Par arrêt en date du 12 mai 2021, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi formé par M. [W] non admis.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par la voie électronique le 5 septembre 2022, Mme [T] demande à la Cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel ;
- rejeter la demande de sursis à statuer formulée par M. [W] ;
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
-dire et juger que le licenciement de Mme [T] nul sur le fondement des articles L.1153-4 et L.1152-3 et L.1211 du code du travail ;
En tout état de cause,
-dire et juger que le licenciement de Mme [T] est intervenu en violation des dispositions de l'article L.1226-10 du code du travail ou qu'il est tout le moins dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
-condamner M. [W] à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
45.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul sur le fondement des articles L. 1153-4 et L. 1152-3 du code du travail, en tout état de cause sur le fondement de l'article L.1226-15 du Code du travail ou à tout le moins pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral professionnel ;
- condamner M. [W] à verser à Mme [T] la somme de 4500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter M. [W] de sa demande reconventionnelle ;
- condamner M. [W] aux entiers dépens, lesquels comprendront l'intégralité des frais de signification et d'exécution que pourrait avoir à engager Mme [T] ;
- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 1er septembre 2022, M. [W] demande à la cour de :
In limine litis,
-surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par la chambre civile du Tribunal correctionnel ;
Au fond,
A titre principal,
-confirmer le jugement du 31 janvier 2017 rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a :
- dit que le licenciement pour inaptitude de Mme [T] était parfaitement justifié ;
- débouté Mme [T] de l'intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
-compte tenu des décisions pénales, limiter à l'équivalent de 6 mois de salaire la condamnation du Dr [W], soit à la somme de 10.401,78 euros à titre de dommages et intérêts ;
-constater que Mme [T] n'a fait l'objet d'aucun harcèlement moral ou préjudice moral qui justifie le versement de dommages et intérêts ;
- A titre principal, débouter Mme [T] de ses demandes relatives à un préjudice ou harcèlement moral ;
A titre subsidiaire, limiter l'éventuelle condamnation à ce titre à la somme de 2000 euros ;
-débouter Mme [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens ;
- condamner Mme [T] à verser au Dr [W] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La Cour se réfère pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties à leurs conclusions conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure.
L'instruction a été déclarée close le 7 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de sursis à statuer
M. [W] demande à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par la chambre civile du Tribunal correctionnel décidant des intérêts civils à allouer à Mme [T] et ce après une expertise médicale.
Mme [T] s'y oppose aux motifs que les deux procédures pénales et prud'homale sont sans lien et que les demandes civiles formulées dans le cadre de la réparation de l'infraction ne sont pas de nature à justifier la suspension du procès pénal.
Il s'évince en effet des conclusions déposées par Mme [T] qu'elle sollicite des dommages et intérêts pour licenciement nul et des dommages et intérêts pour préjudice moral professionnel.
La demande de sursis à statuer sera en conséquence rejetée.
Sur le harcèlement
En l'espèce, Mme [T] expose avoir subi un harcèlement sexuel de la part de son employeur, M. [W], et un harcèlement moral consécutivement au refus qu'elle a opposé à ses sollicitations sexuelles.
M. [W] conteste tout agissement constitutif de harcèlement sexuel et de harcèlement moral.
L'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel
Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des faits :
1° Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;
2° Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.
Selon l'article L.1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Il en résulte qu'il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un tel harcèlement.
En l'espèce, Mme [T] impute à son employeur, le Dr [F] [W], des agissements répétés en vue de rapprochements intimes et sexuels et ce à compter d'avril 2009. Elle précise que lorsqu'elle l'assistait durant les soins, M. [W] cherchait à avoir des contact avec elle, la frôlait ou la touchait tout le temps, pressait son sexe contre ses fesses, lui touchait les cuisses, se touchait le sexe à travers ses vêtements à longueur de journée ou regardait de manière très insistante son décolleté. Alors qu'elle était hospitalisée, son employeur lui a rendu visite et a essayé de l'embrasser, a écarté sa nuisette avant de lui faire des compliments sur sa poitrine. Le 18 mars 2010, alors qu'elle se trouvait seule dans la salle de stérilisation, M. [W] est apparu le pantalon et caleçon baissés et lui a demandé de venir toucher son sexe.
A l'appui du harcèlement sexuel allégué, elle verse les pièces suivantes :
- son procès-verbal d'audition par la Caisse d'assurance maladie dans le cadre de la reconnaissance de sa maladie professionnelle ;
- sa plainte déposée auprès du Procureur de la République contre M. [W] pour des faits de harcèlement sexuel suivi d'un harcèlement moral lié à ses refus ;
- son procès-verbal d'audition par les services de police ;
- l'attestation de Mme [I], ancienne assistante dentaire de M. [W] décrivant le comportement déplacé de celui-ci à son égard fait de blagues perverses, de tentatives de lui serrer la jambe pendant les soins et de déclaration d'amour suivie d'avances et de regards déplacés ;
- l'attestation de Mme [D] relatant son récit des faits ;
- des pièces médicales décrivant un syndrome anxio-dépressif pouvant être en lien avec les faits de harcèlement sexuel qu'elle a décrit ;
- la reconnaissance par la CPAM de l'origine professionnelle de sa " maladie " ;
- le compte rendu du suivi opéré par l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail suite à la prise de contact initiée le 30 novembre 2011 par Mme [T] ;
- le compte-rendu d'enquête, le rapport et les auditions et confrontation menées dans ce cadre ;
- le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris le 22 novembre 2017 déclarant M. [W] coupable de faits d'agressions sexuelles aggravées et le condamnant à un emprisonnement délictuel de 4 mois avec sursis ;
- l'expertise psychiatrique diligentée à la demande du tribunal des affaires de sécurité sociale concluant que Mme [T] souffre depuis 2011 d'un état anxio-dépressif d'évolution chronique et fluctuante qui a été reconnu comme étant en rapport avec une maladie professionnelle et que son état n'est pas consolidé à la date du 19 août 2013 ;
- l'arrêt rendu le 5 mai 2020 par la chambre des appels correctionnels de Paris confirmant la déclaration de culpabilité de M. [W] pour les faits d'agressions sexuelles aggravées pour la seule période comprise entre le 29 août 2009 et le 3 octobre 2011 et prononçant une peine de 1 an d'emprisonnement avec sursis à son encontre.
M. [W], conteste formellement les accusations portées contre lui. Il se prévaut dans ses écritures de la tardivité de la procédure initiée par la salariée au regard de la date des faits qu'elle dénonce, de l'absence d'éléments probants, d'attestations du Dr [S] et de Mme [V], des photographies des tenues portées par les assistantes dentaires ne permettant pas contrairement aux allégations de la salariée de se pencher sur leur décolleté, des incohérences qu'il souhaite mettre en avant dans les attestations présentées par la salariée ainsi que dans ses auditions durant l'enquête de police diligentée jusqu'aux décisions judiciaires ayant retenu sa culpabilité sur la seule foi des déclarations de Mme [T]. Il soutient que Mme [T] a mis en place une action concertée avec d'autres salariées pour rendre plus crédibles ses accusations aux motifs qu'elle n'aurait pas apprécié les éloges de son employeur à son ancienne assistance dans sa recherche de reconnaissance mise en avant par les expertises réalisées dans le cadre de l'instance pénale ou son refus de lui accorder une augmentation.
Toutefois, la cour n'a pas à examiner si les faits présentés par la salariée laissent supposer un harcèlement sexuel et dans ce cas, si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, dès lors que la matérialité d'un harcèlement sexuel de la salariée par l'employeur est admise du fait des agressions sexuelles judiciairement reconnues et sanctionnées.
En conséquence, le harcèlement sexuel est établi.
Mme [T] expose avoir également subi un harcèlement moral consécutivement au refus qu'elle a opposé aux sollicitations sexuelles de M. [W]. Elle invoque au soutien de sa prétention de reconnaissance d'un harcèlement moral des faits qui se présentent comme suit : à partir du moment où elle a signifié très clairement à M. [W] son refus de subir des agissements constitutifs de harcèlement sexuel, l'employeur lui a notifié deux avertissements injustifiés alors qu'elle n'avait jamais fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Son employeur n'a eu de cesse de lui faire des reproches cassants et des remarques désobligeantes par le biais de post-it. Elle a été mise au placard dès le passage à temps plein d'une autre collègue .
Outre les pièces déjà examinées dans le cadre des faits de harcèlement sexuel, Mme [T] verse aux débats les éléments suivants :
- la lettre d'avertissement en date du 31 août 2010 lui reprochant d'avoir refusé contrairement aux instructions reçues d'aider le Dr [S], collaborateur du Dr [W] durant la semaine du 26 au 30 juillet ainsi que le lundi 30 août 2010 ;
- son courrier en réponse à l'avertissement en date du 15 septembre 2010 motivé par son refus de travailler avec le Dr [S] pendant les absences du Dr [W],
- l'avertissement en date du 29 juillet 2011 lui rappelant les consignes arrêtées pendant les réunions de s'adresser aux praticiens, notamment au Dr [S], en utilisant le terme " Docteur " ainsi que les horaires de prise de son poste compte-tenu de ses retards ;
- sa mise à pied en date du 30 septembre 2011 lui rappelant qu'elle doit appeler le Dr [S] non par son prénom mais par son titre " Docteur " notamment devant les patients,
- la convocation pour entretien préalable avant mise à pied pour les mêmes raisons en date du 1er octobre 2011;
- l'attestation de Mme [A], collègue de travail, faisant état du changement de caractère de Mme [N] qui était devenue morose du fait que le Dr [W] lui faisait constamment des remarques désagréables sur son travail pour la plupart inscrites sur des post-it, espionnait ses faits et gestes ou la réprimandait pour des fautes qu'elle n'avait pas commises,
- l'attestation en date du 11 juillet 2012 de Mme [P] [J] [M], collègue de travail, confirmant les reproches faits à Mme [T], la dégradation progressive de l'ambiance et la modification de l'humeur de Mme [T] ;
- une deuxième attestation de Mme [A] faisant état de ce que la pratique partagée avec les dentistes était de s'appeler par leurs prénoms ;
- l'attestation en date du 9 juillet 2012 de la s'ur de Mme [T] ayant constaté son changement d'humeur et la détérioration de son état psychologique.
La concomitance entre les faits de harcèlement sexuel et les avertissements, notamment celui du mois d'août 2010, interroge. Si certains collègues ne font que reprendre les doléances de la salariée et n'ont été témoin d'aucun fait précis (Mme [D], Mme [A]), ils rapportent toutefois la gêne et le mal-être constaté chez la salariée, son changement d'humeur et la détérioration de son état de santé. Lors de son audition par les services de police, Mme [J] [M] précisait ne pas avoir été témoin de harcèlement sexuel mais plutôt de harcèlement moral. Elle relatait que le Dr [W] avait un comportement injuste avec Mme [T], employait un ton cassant et lui faisait sans cesse des reproches sur son travail, soit verbalement, soit par post it. A titre d'exemple, elle faisait état qu'en cas d'erreurs même commises par d'autres, le Dr [W] s'en prenait à Mme [T].
Mme [T] produit de nombreuses pièces médicales attestant de la dégradation de son état de santé, tels que des arrêts de travail successifs à compter du 1er octobre 2011 mentionnant un syndrome anxio-dépressif, des prescriptions d'anti-dépresseurs, le certificat du médecin psychiatre du 4 juillet 2012 évoquant un état dépressif pouvant être consécutif aux agissements décrits (harcèlement sexuel suivi d'un harcèlement moral), les avis du médecin de travail notamment suite à la deuxième visite en date du 11 juin 2013 déclarant Mme [T] inapte au poste d'assistante dentaire dans le cabinet ; la reconnaissance de l'origine professionnelle du syndrome dépressif en date du 6 mai 2013 et l'expertise psychiatrique en date du 8 juin 2018.
A l'exception d'une courte période où elle a repris une activité professionnelle postérieurement à son licenciement, Mme [T] a été sans discontinuité en arrêt de travail, étant toujours suivie le 22 septembre 2017 pour un épisode dépressif caractérisé et a été hospitalisée suivant compte rendu du 21 septembre 2018 en service psychiatrique du 22 janvier au 26 novembre 2018.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la salariée établit ainsi la matérialité de faits précis et concordants. La cour dit que ces faits, pris dans leur ensemble, sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral en ce qu'ils auraient eu pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible notamment d'altérer sa santé physique ou mentale.
En réponse, M. [W] justifie avoir contesté la qualification de maladie professionnelle de Mme [T]. Dans son courrier de contestation en date du 20 février 2012, il fait état de ce que les seuls différends ayant pu l'opposer à la salariée concernaient ses retards systématiques à son poste de travail. Dans un courrier adressé par son conseil le 30 juillet 2013 au Président du Tribunal des affaires de sécurité sociale du Val de Marne, il est fait état de ce que M. [W] conteste les accusations portées, accusations d'autant plus déplacées selon lui qu'à aucun moment Mme [T] n'a évoqué quelque harcèlement que ce soit lorsqu'elle exerçait ses fonctions au sein du cabinet dentaire ni fait état lorsqu'elle a été arrêtée pour raisons médicales de mauvais traitements de la part de son employeur ou d'une quelconque dégradation de ses conditions de travail qui auraient contribué à une dégradation de son état de santé.
Il expose, ainsi qu'il a eu l'occasion de le préciser durant son audition par les services de police, qu'il a du notifier à la salariée un avertissement compte tenu des difficultés rencontrées par le Dr [S] qui s'était plaint auprès de lui de l'attitude de la salariée. Le Dr [S], qui a été également entendu durant l'enquête, atteste à cet égard avoir constaté à son arrivée les bonnes relations entre Mme [T] et le Dr [W] mais que Mme [T] refusait de travailler avec lui. Il rapporte avoir noté son changement d'attitude lorsque le Dr [W] avait pris son parti notant que ce dernier l'avait recadrée à plusieurs reprises sans que l'attitude de la salariée n'évolue. Il a confirmé avoir été le 'déclencheur' de la mise à pied dû à une accumulation de problèmes rencontrées avec cette salariée (retard et contestation de l'autorité etc) ainsi qu' à la persistance de l'appeler par son prénom devant les patients alors qu'il avait demandé expressément qu'elle l'appelle par son titre " Docteur ". Il précisait que toutes les assistantes pouvaient l'appeler par son prénom en dehors de la présence des patients. Or, selon lui, Mme [T] n'a jamais voulu le comprendre malgré plusieurs rappels à l'ordre. Il indiquait également être à l'initiative du changement des pauses déjeuner des assistantes dentaires pour permettre un bon fonctionnement du cabinet.
Les autres salariées confirmaient lors de leurs auditions devant les services de police que si la pratique était d'appeler les dentistes par leur prénom, elles ne le faisaient pas devant les patients.
Mme [V] témoigne pour sa part que les repas étaient partagés dans la pièce de détente et que Mme [T] détendait l'atmosphère avec des histoires légères et qu'elle l'avait déjà vu se changer dans le couloir, étant observé qu'à la demande du Dr [S] il sera mis un terme à ces moments de détente communs.
Pour sa part, M. [W] évoquait dans son audition des accrochages avec la salariée à propos d'une demande d'augmentation et par rapport à son collègue le Dr [S] ainsi que par rapport au passage à temps plein d'[P] [M], ce que celle-ci confirmait dans son attestation en rapportant que Mme [T] lui avait déclaré se sentir inutile. M. [W] faisait état également lors de son audition par les services de police d'une altercation entre la salariée et le Dr [S] la veille de son arrêt maladie et causée par le fait qu'elle continuait à l'appeler par son prénom devant les patients.
Enfin, il souligne ne pas avoir été condamné pour harcèlement moral alors que l'enquête portait tant sur des faits de harcèlement moral que d'agression sexuelle par personne abusant de l'autorité que lui confère sa fonction.
Il en ressort que l'exercice par l'employeur en l'espèce de son pouvoir disciplinaire est de nature à contredire les éléments mis en avant par la salariée. Il en est de même des autres griefs évoqués par la salariée pour ne résulter pour certains que de ses propres récits contenus dans ses écritures et courriers et qui sont contredits par les attestations versées par l'employeur. Si le médecin du travail a pu constater un état dépressif de la patiente, l'imputabilité de celui-ci à un harcèlement moral consécutivement au harcèlement sexuel pour sa part établi, ne serait-ce au regard des décisions rendues par les juridictions répressives, ne résulte pas de constats personnels du médecin.
Au vu de l'ensemble des pièces et explications, l'employeur démontre que les agissements présentés par l'appelante au titre du harcèlement moral sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le harcèlement moral invoqué ne peut en conséquence être retenu.
Sur le licenciement
Il résulte des articles L. 1153-2 et L. 1153-3 et L. 1153-4 du code du travail que le licenciement d'un salarié victime de harcèlement sexuel est nul si ce licenciement trouve directement son origine dans ces faits de harcèlement ou leur dénonciation.
En l'espèce, Mme [T], victime de harcèlement sexuel de la part de son employeur, a été placée en arrêt de travail à compter du mois d'octobre 2011 pour " syndrome dépressif " . Elle n'a que peu repris le travail depuis son arrêt de travail, a été déclarée "inapte à un poste d'assistante dentaire dans ce cabinet " le 6 mai 2013 et a ensuite été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Le médecin du travail précisait que " l'état de santé de la salariée ne lui permet pas actuellement de formuler des propositions de classement dans l'entreprise. La salariée pourrait occuper un emploi similaire dans un contexte relationnel différent ".
Force est de constater que l'arrêt de travail de la salariée consécutif au harcèlement sexuel a en grande partie perduré jusqu'à la constatation de son inaptitude et que les termes de l'avis d'inaptitude, imposant un changement d'environnement, concordent avec l'état de santé de Mme [T] résultant du harcèlement subi de sorte que l'inaptitude de la salariée est manifestement consécutive à cette situation.
La Chambre des appels correctionnels de la Cour retenait comme motifs de sa décision visée en exorde du présent arrêt que l'expertise diligentée avait révélé que " Mme [T] présentait une personnalité égocentrée avec un besoin et une recherche excessive et permanente de reconnaissance sans troubles psychopathologiques majeurs avec un caractère extraverti, une image d'elle-même rendue instable par des mécanismes défensifs de fuite en avant avec une recherche narcissique de succès pour faire face à un manque de structuration. Ses blessures narcissiques non reconnues ont fait l'objet d'une demande excessive de considération dans le cadre professionnel. L'effondrement de sa personnalité sous forme d'une dépression grave s'est manifesté lors de sa mise à pied après une période de résistance. Ces deux épisodes évoquent non seulement deux phases psychiques consécutives à un vécu de harcèlement mais aussi les conséquences brutales de fortes blessures narcissiques qui ont ainsi fait décompenser sa personnalité ".
La cour constate qu'il existe, donc, un lien de causalité direct entre le harcèlement sexuel, la déclaration d'inaptitude et le licenciement pour inaptitude de la salariée.
La nullité du licenciement doit, en conséquence, être prononcée et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a débouté Mme [T] de sa demande à ce titre et de ses demandes financières subséquentes.
Sur les demandes financières consécutives à la rupture du contrat de travail
Sur les dommages et intérêts pour nullité du licenciement
Compte tenu de la rémunération de la salariée (1733,63 euros), de son ancienneté (5 ans) et de son âge à la date de la rupture (51 ans) ainsi que des conséquences matérielles et morales du licenciement à son égard, sachant qu'elle n'a pu reprendre une activité professionnelle stable depuis son licenciement ainsi qu'elle en justifie eu égard à son état de santé, il convient de condamner M. [W] à lui verser la somme de 22.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral professionnel
En l'espèce, Mme [T] réclame la somme de 40 000 euros en réparation d'un préjudice moral professionnel.
La procédure pénale diligentée à la suite des plaintes déposées par Mme [T] pour des faits d'agressions sexuelles commises à son encontre par son employeur a abouti à un arrêt rendu le 5 mai 2020 par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris qui a confirmé le jugement du Tribunal correctionnel en ce qu'il a, recevant la constitution de partie civile, condamné M. [W] à payer à Mme [T] la somme de 3000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi résultant directement de l'infraction et a ordonné une expertise pour évaluer le préjudice corporel.
Les décisions de la juridiction pénale statuant sur l'action civile ont autorité de chose jugée sur le juge civil dans les conditions fixées par l'article 1355 du code civil. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.
Il résulte de l'arrêt pénal que la cour a indemnisé le préjudice moral subi par Mme [T] " résultant directement de l'infraction commise à son encontre par M. [W] ", soit en lien avec les faits d'agressions sexuelles aggravées qu'elle avait retenus.
Dans le cadre de la présente procédure, Mme [T] forme une demande de dommages et intérêts pour réparer l'impact sur sa vie professionnelle du harcèlement sexuel et moral subi évoquant dans ses écritures un traumatisme subi non pas spécifiquement lié à la perte d'emploi mais aux conditions dans laquelle celle-ci s'est produite, c'est-à-dire aux faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral dont elle a fait l'objet. Or, seul le harcèlement sexuel a été retenu. Sa demande de dommages et intérêts est donc fondée sur la même cause et contre la même personne, qui se heurte à l'autorité de chose jugée de l'arrêt de la chambre des appels correctionnels du 5 mai 2020 dès lors que Mme [T] a été indemnisée par celui-ci du préjudice résultant du comportement fautif de son employeur.
Sa demande est donc irrecevable.
Sur le surplus
En application de l'article 1343-2 du code civil, la capitalisation des intérêts est de droit dès lors qu'elle est régulièrement demandée; il sera donc également fait droit à cette demande du salarié.
Le jugement entrepris sera également infirmé s'agissant de ses dispositions sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
M. [W] qui succombe sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Conformément aux prescriptions de l'article 700 du code de procédure civile, il sera condamné à verser à Mme [T] la somme de 3500 euros au titre des frais exposés par cette dernière en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Dit n'y avoir lieu à surseoir à statuer ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT le licenciement de Mme [G] [T] nul ;
DIT irrecevable la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi pour les faits de harcèlement sexuel ;
CONDAMNE M. [F] [W] à payer à Mme [G] [T] :
22.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
ORDONNE la capitalisation des intérêts,
CONDAMNE M. [F] [W] aux dépens de première instance et d'appel,
DÉBOUTE les parties de toute autre demande.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE