RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 02 décembre 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/03642 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5HXG
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Janvier 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 17/01061
APPELANT
Monsieur [J] [O]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477 substitué par Me Guillaume HAUDRY, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
CNAV CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par M. [Y] [U] en vertu d'un pouvoir spécial
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le vendredi 18 novembre 2022, prorogé le vendredi 02 décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et par Madame Alice BLOYET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par M. [J] [O] d'un jugement rendu le 11 janvier 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny dans un litige l'opposant à la Caisse nationale d'assurance vieillesse d'Ile-de-France (la CNAV).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
M. [J] [O] était employé par la chambre de commerce et d'industrie de [Localité 3], avant son départ en retraite le 1er avril 2017, à l'issue de son congé de transition pris du 1er janvier 2016 au 31 mars 2017.
Auparavant par courrier en date du 10 janvier 2014, la CNAV avait avisé M. [O] qu'à compter du 1er avril 2017, il totaliserait 164 trimestres à l'ensemble des régimes lui donnant droit à un taux plein de 50 %. Par courrier du 28 novembre 2016, la CNAV lui indiquait qu'au 1er avril 2017, il totaliserait 164 trimestres lui ouvrant droit à un taux de 50 %.
Puis, par courrier en date du 10 février 2017, la CNAV indiquait à M. [O] qu'au 1er avril 2017, il pouvait obtenir un retraite calculée avec un taux de 47,25 % et qu'il aurait droit à une retraite au taux maximum de 50 % à compter du 1er avril 2018.
Par courrier en date des 27 février et 1er mars 2017, M. [O] demandait à la CNAV de vérifier le taux annoncé et indiquait qu'il était dans l'obligation de solliciter la liquidation de sa retraite au 1er avril 2017, compte tenu de la fin de son congé de transition fixée au 31 mars 2017.
Par courrier du 13 mai 2017, la CNAV notifiait à M. [O] l'attribution d'une retraite personnelle au taux minoré applicable de 47,25 % pour un montant mensuel net de 662,92 euros.
Après avoir saisi en vain la commission de recours amiable, le 06 juillet 2017, M. [J] [O] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny aux fins de contester le montant de sa pension au taux minoré.
Par jugement en date du 11 janvier 2018 le tribunal a :
- déclaré l'action de M. [J] [O] recevable ;
- dit que la CNAV a commis une faute en délivrant une information inexacte quant aux décomptes des trimestres à M. [J] [O] dans ses courriers des 10 janvier 2014 et 26 novembre 2016 l'ayant déterminé à fixer de manière définitive sa date de retraite au 1er avril 2017;
- condamné la CNAV à verser à M. [J] [O] la somme de 2 897 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- débouté les parties de toutes demandes plus amples ou contraires.
Pour statuer ainsi le tribunal a retenu que la CNAV a commis une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1240 du code civil en commettant à deux reprises une erreur de calcul dans le décompte des trimestres travaillés et créant de ce fait l'assurance chez l'affilié de la fiabilité des informations délivrées quant à la date de liquidation d'une retraite à taux plein ; que cette faute a causé de manière certaine et directe un préjudice financier à M. [O] qui réside dans la seule différence existant entre le montant des pensions effectivement perçues entre le 1er avril 2017 et le 1er avril 2018 et le montant d'une retraite à taux plein, tous régimes confondus qu'il pensait pouvoir percevoir à compter du 1er avril 2017 ; qu'une indemnisation constituée pour partie du salaire versé pendant le congé de transition engendrerait un gain financier dès lors que M. [O] a déjà effectué ce congé et en a donc perçu la rémunération correspondante.
M. [J] [O] a le 08 mars 2018 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 15 février 2018.
Le 13 avril 2018, la CNAV a exécuté le jugement en procédant au règlement de la somme de 2 897 euros.
Par notification du 8 avril 2021, la CNAV a avisé M. [O] de la révision du montant de sa retraite personnelle sur la base d'un taux plein à compter du 1er avril 2017 et lui a octroyé un rappel d'arrérages de pension d'un montant de 3 190,57 euros pour la période du 1er avril 2017 au 31 mars 2021.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son conseil, M. [J] [O] demande à la cour, par voie d'infirmation du jugement déféré, de :
A titre principal,
- condamner sous astreinte la CNAV à lui verser, au 1er avril de chaque année et de façon viagère, à compter du 1er avril 2018, la différence entre le montant total des pensions effectivement versé et le montant d'une retraite à taux plein, tous régimes confondus, soit la somme annuelle de
1 676,04, au titre du manque à gagner subi du fait de l'application de taux minorés de droits à la retraite ;
- condamner sous astreinte la CNAV à lui verser une somme de 44 345,81 euros au titre de la perte de chance certaine de pouvoir fixer le terme de son congé de transition à la date du 1er avril 2018 et de recevoir la rémunération correspondante du 1er avril 2017 au 1er avril 2018 ;
A titre subsidiaire,
- condamner sous astreinte la CNAV à lui verser une somme forfaitaire correspondant à la somme de 1 676,04 euros, multipliée par le nombre d'années qui, au 1er avril 2018, le sépare de l'âge statistique de l'espérance de vie des hommes en 2017, soit un montant total de 24 302,58 euros, au titre du manque à gagner subi par lui du fait de l'application de taux minorés de droits à la retraite ;
- confirmer le jugement du 11 janvier 2018 en ce qu'il a condamné la CNAV à réparer le manque à gagner subi par lui du 1er avril 2017 au 1er avril 2018 ;
En tout état de cause,
- condamner la CNAV à lui verser des intérêts de retard sur le montant total de ses condamnations, à compter du 1er avril 2017, avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil ;
- condamner la CNAV à verser à l'appelant la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [O] fait valoir en substance que :
- les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la CNAV sont remplies, dès lors que la faute commise reposant sur une erreur de calcul a été admise, qu'il existe un lien de causalité entre la faute de la CNAV et la réalisation du préjudice , par le fait qu'il a pu raisonnablement fonder sa décision de fixer la date de son départ en retraite au 1er avril 2017, sur la base des indications précises communiquées par la CNAV , n'ayant été informé de la correction des éléments de calcul qu'après avoir conclu la convention de congé de transition et s'être irrévocablement engagé à liquider sa pension de retraite à compter du 1er avril 2017 ;
- son préjudice doit être intégralement réparé ; son préjudice est certain en ce qu'il procède d'une part, d'un gain manqué, son préjudice étant viager ou subsidiairement sur la base de l'espérance de vie ; d'autre part, d'une perte de chance de fixer le terme de la convention de congé transition à la date du 1er avril 2018 ; il n'a perçu la rémunération de son congé de transition que pour la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2017, or si la CNAV lui avait communiqué des informations exactes sur le bénéfice du taux plein qu'à compter du 1er avril 2018, il aurait fixé le terme de son congé à cette date, comme il en avait la possibilité, la durée maximale du congé de transition étant de 36 mois ; la réalisation de la chance de fixer le terme du congé de transition au 1er avril 2018 était dépourvue d'aléa ; il a perdu une chance certaine de bénéficier de son congé de transition du 1er avril 2017 au 1er avril 2018 et de percevoir la rémunération correspondante, dont il convient de soustraire le total des sommes perçues au cours de la période au titre des pensions de retraite, préjudice dont la réparation est réclamée à titre principal et à titre subsidiaire, si la perte de chance n'était pas accueillie, les dispositions du jugement devraient être confirmées.
Par ses conclusions écrites soutenues oralement et déposées à l'audience par son mandataire, la CNAV demande à la cour, de :
- constater que la caisse a procédé à la révision de la pension de vieillesse de M. [O] à effet du 1er avril 2017 sur la base d'un taux plein ;
- constater que la caisse a payé, en conséquence, à M. [O] le rappel des arrérages de pension de vieillesse pour la période du 1er avril 2017 au 31 mars 2021 ;
En conséquence :
- rejeter la demande de condamnation de la caisse à verser, sous astreinte, la somme de 1 676,04 euros par an au titre du manque à gagner subi par M. [O] du fait de l'application de taux minorés de droits à retraite ;
- rejeter la demande de condamnation de la caisse à verser, sous astreinte, la somme de 44 345,81 euros au titre de la perte de chance subi par M. [O] ;
- rejeter la demande subsidiaire de condamnation de la caisse, à verser, sous astreinte, la somme forfaitaire de 24 302,58 euros au titre du manque à gagner subi par M. [O] du fait de l'application du taux minorés de droits à retraite ;
- rejeter la demande de condamnation de la caisse à verser à M. [O] les intérêts de retard sur le montant total des condamnations sollicitées à son encontre ;
- rejeter la demande de condamnation de la caisse à verser à M. [O] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La CNAV réplique en substance que :
- la situation à l'origine du préjudice allégué par l'assuré n'existe plus de telle sorte qu'il ne saurait y avoir lieu à quelque réparation que ce soit au titre de la perte de chance ou d'un manque à gagner ;
- il a été décidé à titre exceptionnel de rétablir les 11 trimestres de période reconnues équivalentes juridiquement non justifiées afin de permettre à M. [O] de se prévaloir du nombre de trimestres nécessaires pour une attribution de la retraite personnelle à effet au 1er avril 2017 sur la base d'un taux plein ; par notification du 8 avril 2021, M. [O] a été avisé de la révision du montant de sa retraite personnelle sur la base d'un taux plein au 1er avril 2017 et il a été destinataire d'un rappel d'arrérages de pension pour la période du 1er avril 2017 au 31 mars 2021 ; la CNAV s'est rapproché des caisses de retraite complémentaire en vue de les informer de la révision du taux et lesdites caisses ont confirmé la prise en compte de cette révision et ont modifié le montant de leurs retraites respectives à effet au 1er avril 2017 ; à ce jour, toutes les retraites servies à compter du 1er avril 2017 tant par la CNAV que par les caisses de retraite complémentaire sont liquidées sur la base d'un taux plein ;
- la perte de chance pour être prise en compte, doit être réelle et sérieuse ; la réparation ne peut pas être plus élevée que le préjudice ; toutes les demandes de condamnations reposent sur la notion d'une perte de chance laquelle résulterait de l'impossibilité pour M. [O] de prétendre à compter du 1er avril 2017 d'une retraite liquidée sur la base d'un taux plein, or la pension de vieillesse à compter du 1er avril 2017 a été révisée et un rappel d'arrérage de pension versé pour la période du 1er avril 2017 au 31 mars 2021 ; les caisses de retraite complémentaire ont supprimé les minorations affectant leurs retraites respectives à compter du 1er avril 2017 ;
- à ce jour, les critères attachés à la perte de chance ne se trouvent pas réunis et le préjudice ou manque à gagner qui en résulterait n'existe pas.
Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l'audience du 21 septembre 2022 qu'elles ont respectivement soutenues oralement.
SUR CE :
L'article 1240 du code civil dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'
Il résulte des pièces produites que c'est en raison des courriers de la CNAV des 10 janvier 2014et des 28 novembre 2016 (pièces n° 4 et 11 des productions de M. [O]) informant M. [J] [O] de son droit à pension de retraite à taux plein à compter du 1er avril 2017 que ce dernier a conclu avec son employeur une convention congé de transition pour la période du 1er janvier 2016 au 31 mars 2017, date à laquelle il s'engageait à procéder à la liquidation de sa pension de retraite, sous peine de s'exposer au remboursement des sommes perçues au titre du congé de transition (pièce n° 9 des productions de M. [O]).
Force est de constater que M. [O] n'a été avisé par la CNAV de la rectification de ses droits pour une retraite calculée avec un taux de 47,25 % et de son droit à pension de retraite à taux plein à compter du 1er avril 2018 que le 10 février 2017 (pièces 12 des productions de M. [O]) alors qu'il était déjà engagé dans un congé de transition à terme fixé au 31 mars 2017.
Par suite, il convient de retenir que la CNAV a commis une faute en commettant de manière réitérée une erreur de calcul dans le décompte des trimestres d'assurance permettant une liquidation de la pension vieillesse de M. [O] à taux plein et en informant ce dernier de manière erronée de son droit à pension de retraite à taux plein à compter du 1er avril 2017.
Cependant M. [O] ne justifie pas d'un préjudice en lien avec la faute commise.
En effet, il convient de relever que la CNAV a par notification en date du 8 avril 2021, informé M. [O] de la modification des éléments de calcul de sa retraite personnelle après régularisation de sa carrière à compter du 01 avril 2017 sur la base d'un taux plein de 50 %, le montant de sa retraite s'élevant à 795,41 euros bruts par mois, et du versement des arrérages de pensions pour la période du 01/04/2017 au 31/03/2017 de 3 190,57 euros (pièce n° 20 des productions de la CNAV). Par ailleurs la CNAV justifie avoir avisé les caisses de retraite complémentaire de la révision du taux retenu, et de ce que les droits IRCANTEC, Arrco-Argic ont été révisés à taux plein à compter du 1er avril 2017, sur la base de la notification faite par le régime général (pièce n° 21 des productions de la CNAV).
Par suite, il ne subsiste plus de préjudice financier pour M. [O] qui a été rétabli dans ses droits de pension de vieillesse à taux plein à compter du 1er avril 2017, tant au titre du régime de base que des régimes complémentaires. En conséquence, M. [O] doit être débouté de ses demandes de réparation du préjudice financier formées tant à titre principal que subsidiaire
Par ailleurs M. [O] ne justifie pas de l'existence d'une perte de chance de pouvoir fixer le terme de son congé de transition au 1er avril 2018, afin de bénéficier d'une retraite à taux plein à cette date et de percevoir la rémunération correspondante du 1er avril 2017 au 31 mars 2018, dès lors que la date de fixation de la retraite à taux plein a été rétablie par la CNAV au 1er avril 2017 et que cette date correspond au terme de la convention de congé de transition, date à laquelle il s'est engagé à procéder à la liquidation de sa pension de retraite servie par le régime général de la sécurité sociale, la durée du congé ne pouvant excéder cette date.
Par suite M. [O] doit être débouté de toute demande au titre de la perte de chance.
Le jugement sera donc confirmé, sauf en ses dispositions relatives au préjudice financier, étant observé que la CNAV a exécuté le jugement.
Succombant en son appel, comme tel tenu aux dépens, M. [O] sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DÉCLARE l'appel recevable ;
INFIRME le jugement déféré en ses dispositions relatives au préjudice financier ;
Statuant à nouveau,
DIT n'y avoir lieu à condamnation au titre de la réparation d'un préjudice financier ;
CONFIRME le jugement déféré en ses autres dispositions ;
DÉBOUTE M. [J] [O] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE M. [J] [O] aux dépens d'appel.
La greffière, La présidente,