RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 12 Décembre 2022
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 19/14918 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAM7X
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du Premier président, assistée de Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI lors du prononcé avons rendu la décision suivante
Statuant sur la requête déposée le 26 Août 2019 par :
M. [D] [T]
né le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 3],
demeurant Cabinet de Maître David-Olivier KAMINSKI - [Adresse 1] ;
Comparant
Assisté par Me David KAMINSKI, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 14 Novembre 2022 ;
Entendus Me David-olivier KAMINSKI, avocat au barreau de PARIS assistant M. [D] [T], Me Hadrien MONMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0141 substituant Me Xavier NORMAND - SCP NORMAND &ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [D] [T] a été mis en examen du chef d'association de malfaiteurs, vols en bande organisée, recel de vol en bande organisée, délits en matière d'arme et de produits explosifs.
Il a été incarcéré à la maison d'arrêt de [Localité 4] du 10 juin 2016 au 9 octobre 2016 puis du 25 octobre 2016 au 19 janvier 2017.
Le 27 février 2019, il a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu.
Le 26 août 2019, M. [T] a adressé une requête au Premier Président de la cour d'appel de Paris, en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête, soutenue oralement, les sommes suivantes :
- 90 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 18 000 euros au titre des frais engagés pour sa défense pénale relative au contentieux de la détention,
- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures déposées le 7 avril 2022, reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de débouter le requérant de sa demande au titre du préjudice matériel et de ramener à de plus justes proportions qui ne saurait excéder la somme de 13 000 euros la demande formulée au titre du préjudice moral ainsi que celle fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, dans ses conclusions du 16 mai 2022, développées oralement, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de six mois et vingt-cinq jours, à l'indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention subie, à la situation de la maison d'arrêt de [Localité 4] et prenant en compte les circonstances familiales et personnelles particulières soulignées, s'agissant par ailleurs d'une première incarcération, mais au rejet en l'état de l'indemnisation au titre des frais d'avocat occasionnés par la détention, le requérant devant produire une note détaillée des prestations de son conseil. Enfin, il s'en rapporte sur les frais irrépétibles.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [T] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 26 août 2019, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel produit ; cette requête est signée par son avocat et la décision n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [T] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 10 juin 2016 au 9 octobre 2016 puis du 25 octobre 2016 au 19 janvier 2017, soit pour une durée de 207 jours.
Sur l'indemnisation
- Le préjudice moral
Agé de 41 ans au moment de son incarcération, M. [T] a subi un choc psychologique certain en étant incarcéré à deux reprises, la dernière par une chambre de l'instruction alors qu'un juge des libertés et de la détention avait ordonné sa mise en liberté, périodes au cours desquelles ses liens familiaux, notamment avec son fils né en 1996, ont été coupés.
Le choc n'a pas été minoré par une précédente incarcération car même si son casier judiciaire fait état de huit condamnations, il s'agissait d'une première détention.
En outre, même si M. [T] ne fait pas état de difficultés spécifiques dont il aurait souffert du fait des conditions de détention plus que médiocres au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4], il n'en demeure pas moins que l'état de vétusté et de surpopulation chronique de cet établissement, parfaitement notoire et régulièrement dénoncé par divers rapports, notamment celui du CPT de novembre 2015, comme relevé par le ministère public, a nécessairement eu un impact sur le quotidien de chaque détenu. M. [T], ayant été l'un d'eux et en ayant souffert comme tous, est fondé par conséquent à souligner comme un facteur aggravant le préjudice né des conditions de la détention.
Son préjudice moral sera évalué à la somme de 21 000 euros.
- Le préjudice matériel
Le remboursement des honoraires versés à un avocat et des frais exposés au titre de la défense ne peut concerner que les prestations directement liées à la privation de liberté.
La facture d'honoraires produite, d'un montant global de 18 000 euros HT, mentionne des diligences autres que celles liées à la détention provisoire proprement dite mais isole le coût de celles exclusivement liées à la privation de liberté à hauteur de 10 000 euros HT, en sorte qu'il sera fait droit à la demande à hauteur de cette seule somme.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [D] [T] recevable ;
Allouons à M. [D] [T] les sommes suivantes :
- 21 000 euros au titre du préjudice moral ;
- 10 000 euros HT au titre du préjudice matériel ;
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons des dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 12 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ