RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 12 Décembre 2022
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 19/19617 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3JW
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI lors du prononcé avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 24 Juillet 2019 par:
M. [T] [U]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 3],
demeurant [Adresse 1] ;
non comparant
Représenté par Me Véronique MASSI, avocate au barreau de PARIS, toque : G0098 substituée par Me TORTIS Marie, avocate au barreau de PARIS, toque : J024
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 14 Novembre 2022 ;
Entendus Me Marie TORTOS, avocate au barreau de PARIS, toque : J024 substituant Me Véronique MASSI représentant M. Véli [U], Me Colin MAURICE- SARL CM & AVOCATS, avocat au barreau de PARIS représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale, les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
Le 19 février 2016, M. [T] [U], de nationalité française, a été mis en examen des chefs de vol et recel de vol en bande organisée, faux et usage de faux, participation à une association de malfaiteurs et escroquerie en bande organisée. Par ordonnance du même jour, il a été placé en détention provisoire et incarcéré au centre pénitentiaire de [Localité 4].
Le 2 juillet 2016, il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire. Renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d'escroquerie et d'association de malfaiteurs, il a été déclaré coupable des faits d'escroquerie et condamné par le tribunal correctionnel de Créteil le 20 octobre 2017 à la peine de 18 mois d'emprisonnement assortie intégralement du sursis.
Il a ensuite été relaxé par la cour d'appel de Paris le 28 février 2019.
Le 24 juillet 2019, M. [U] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Aux termes de celle-ci, soutenue oralement, il sollicite les sommes suivantes :
- 9 720 euros au titre des honoraires liés à son incarcération,
- 10 002 euros correspondant au montant de la perte de salaire pendant l'incarcération,
- 1 324 euros correspondant au montant de la perte de salaire post incarcération en raison des arrêts de travails dus à un état dépressif,
- 122 140 euros correspondant à la perte de chance de conserver son emploi et au montant de la perte de salaire en découlant,
- 150 000 euros au titre du préjudice moral.
Dans ses conclusions déposées le 25 mai 2022, reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel d'allouer à M. [U] les sommes de 7 770,27 euros au titre de son préjudice matériel et de 12 000 euros au titre de son préjudice moral, outre le rejet du surplus des demandes.
Le procureur général, dans ses conclusions du 20 juin 2022, développées oralement, conclut à :
- la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de quatre mois et quatorze jours,
- l'indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention subie, à la situation du centre pénitentiaire de [Localité 4] en particulier, et prenant en compte les circonstances familiales, culturelles, psychologiques et personnelles particulières soulignées, s'agissant d'une première incarcération,
- à l'indemnisation partielle du préjudice matériel s'agissant de l'indemnisation des frais d'avocat occasionnés par la détention, à l'indemnisation du préjudice matériel s'agissant de la perte de salaires occasionnée par la détention, et de la perte de chance de percevoir des salaires postérieurement à l'incarcération pendant deux périodes d'arrêt maladie mais au rejet de l'indemnisation du préjudice matériel s'agissant de la perte de chance de conserver un emploi. Enfin, il s'en rapporte sur les frais irrépétibles.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [U] a adressé sa requête aux fins d'indemnisation, signée par son avocat le 24 juillet 2019, laquelle est recevable puisqu'elle n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visés à l'article 149 du code de procédure pénale, et entre dans le délai de six mois à compter de la décision de relaxe devenue définitive, au vu du certificat de non-pourvoi établi le 24 juillet 2019.
La demande de M. [U] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 19 février 2016 au 2 juillet 2016 pour une durée de quatre mois et quatorze jours.
Sur l'indemnisation
- Le préjudice moral
M. [U] fait état pour l'essentiel de conséquences 'sans précédent' sur son état psychique et de conditions de détention particulièrement difficiles, soulignant qu'il s'agissait d'une première incarcération, qu'il n'a pas pu faire valoir ses droits dans la procédure de licenciement subie en parallèle et qu'il a été contraint de repousser ses fiançailles et son mariage.
Agé de 40 ans, et confronté pour la première fois au monde carcéral, M. [U] a subi un choc psychologique certain, son préjudice étant aggravé par le fait qu'il a été éloigné de sa concubine même si la preuve du report de son mariage n'est pas rapportée.
Il justifie par la production de certificats médicaux datés des 22 juin et 12 juillet 2016 avoir développé en détention un zona et un 'état pathologique (syndrome dépressif) ayant débuté le 4 juillet 2016' soit immédiatement après sa remise en liberté, lesquels sont donc en lien direct avec la détention.
En outre, même si M. [U] ne fait pas état de difficultés spécifiques dont il aurait souffert du fait des conditions de détention plus que médiocres au sein du centre pénitentiaire de [Localité 4], il n'en demeure pas moins que l'état de vétusté et de surpopulation chronique de ce centre, parfaitement notoire et régulièrement dénoncé, a nécessairement eu un impact sur le quotidien de chaque détenu. M. [U], ayant été l'un d'eux et en ayant souffert comme tous, est fondé par conséquent à souligner comme un facteur aggravant le préjudice né des conditions de la détention.
Son préjudice moral sera évalué à la somme de 15 000 euros.
- Le préjudice matériel
Lors de son incarcération, M. [U] était conseiller clientèle au sein de la banque postale depuis le 13 septembre 2010, moyennant un salaire net mensuel de 2 796 euros selon le cumul annuel net imposable 2015. Il produit une lettre de son employeur l'informant de son placement en absence justifiée non rémunérée à compter du 16 février 2016 et de la suspension de son contrat de travail en raison de son incarcération.
Il a repris son poste le 2 juillet 2016 puis a été arrêté du 12 au 19 juillet 2016 et à nouveau du 26 au 28 juillet 2016 en raison d'un syndrome dépressif consécutif à sa détention.
Pendant son incarcération M. [U] a perçu les sommes suivantes :
- février 2016 : 2 242,52 euros
- mars 2016 : 0 euro
- avril 2016 : 747,83 euros
- mai 2016 : 817,39 euros
- juin 2016 : 0 euro
- juillet 2016 : 1 342,54 euros + 130,17 euros (indemnités journalières).
Il a ainsi perdu des salaires à hauteur de 11 495,55 euros (2 796 x 6 - 5 280,45), qu'il convient d'indemniser à hauteur de 11 326 euros, montant de la demande.
En revanche, son licenciement ayant été causé, selon la lettre de son employeur du 20 juin 2016, par des faux en écriture et des ouvertures de comptes au vu de pièces ou d'informations douteuses, c'est à dire pour des faits qui lui étaient reprochés dans la procédure, ses demandes au titre de la perte de chance de conserver son emploi et du préjudice financier lié aux pertes de salaires durant sa période de chômage et de ses emplois ultérieurs, qui ne sont pas en lien direct et exclusif avec la détention provisoire mais avec les infractions pour lesquelles il a été poursuivi puis relaxé, ne peuvent qu'être rejetées. En effet, même maintenu en liberté, son employeur aurait pu procéder à son licenciement compte tenu des faits qui lui étaient reprochés.
Concernant les frais d'avocats, M. [U] produit deux factures d'honoraires. La première en date du 19 février 2016, intitulée « note d'honoraires- Provision sur honoraires», comprend des prestations qui ne sont pas directement en lien avec la détention, de sorte qu'elle ne peut être accueillie. En revanche, la seconde facture en date du 15 mars 2017 concerne outre des prestations sans lien avec la détention, une demande de mise en liberté (1 800 euros TTC) et l'appel du rejet de la demande de mise en liberté (1 200 euros TTC), qu'il convient d'indemniser.
Son préjudice matériel sera ainsi évalué à la somme de 14 326 euros.
Enfin, il convient de lui allouer la somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [U] recevable ;
Allouons à M. [U] les sommes suivantes :
- 15 000 euros au titre du préjudice moral ;
- 14 326 euros au titre du préjudice matériel ;
- 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laissons la charge des dépens à l'Etat.
Décision rendue le 12 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ