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12/12/2022 | FRANCE | N°19/19677

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 12 décembre 2022, 19/19677


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 12 Décembre 2022



(n° , pages)



N°de répertoire général : N° RG 19/19677 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3PX



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du Premier président, assistée de Nora BENDERRADJ, Greffière, lors de

s débats et de Florence GREGORI lors du prononcé, avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 20 Août 2019 par

M. [B] [T] né le [Date n...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 12 Décembre 2022

(n° , pages)

N°de répertoire général : N° RG 19/19677 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3PX

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du Premier président, assistée de Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI lors du prononcé, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 20 Août 2019 par

M. [B] [T] né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 3] ([Localité 3]) demeurant Chez Maître [Adresse 5] ;

non comparant

représenté par Me Geoffroy CANIVET, avocat au barreau de PARIS (D0010)

représenté par Me Matthieu DE VALLOIS, avocat au barreau de PARIS (D0010)

substitués par Me Claire DUMONT, toque D0010 comparant

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 14 Novembre 2022 ;

Entendus Me Claire DUMONT, avocate au barreau de PARIS, toque : D0010 substituant Me Matthieu DE VALLOIS ainsi que Me Geoffroy CANIVET, avocats au barreau de PARIS représentant M. [B] [T], Me Célia DUGUES, avocate au barreau de PARIS, toque : R229 substituant Me Fabienne DELECROIX - SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocate au barreau de PARIS, toque ; R229 représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat, ainsi que Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale, les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

Le 24 avril 2014, M. [B] [T] a été mis en examen des chefs de proxénétisme aggravé, traite d'êtres humains aggravée et association de malfaiteurs en vue de la commission de délits punis de 10 ans d'emprisonnement. Le même jour, il a fait l'objet d'un placement en détention provisoire au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4].

Le 11 juillet 2014, il a été mis en liberté sous contrôle judiciaire.

Après avoir été partiellement relaxé par jugement du 27 février 2017, la cour d'appel a relaxé M. [T] de l'ensemble des chefs de prévention par arrêt du 18 février 2019.

Le 20 août 2019, M. [T] a adressé au premier président de la cour d'appel de Paris une requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans sa requête et ses conclusions en réplique, soutenues oralement, les sommes suivantes :

- 110 780 euros au titre de la réparation du préjudice matériel,

- 30 000 euros au titre du préjudice moral,

- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le rejet des demandes de l'agent judiciaire de l'Etat.

Par écritures déposées le 30 mai 2022, reprises partiellement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel d'allouer à M. [T] les sommes de 9 000 euros en réparation de son préjudice moral, de 15 780 euros au titre de son préjudice matériel et de ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, dans ses conclusions du 20 juin 2022, reprises à l'audience, conclut à :

- la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de deux mois et dix-huit jours,

- l'indemnisation du préjudice moral proportionné à la durée de la détention subie, à la situation de la maison d'arrêt de [Localité 4], et prenant en compte les circonstances familiales, culturelles, psychologiques et personnelles particulières soulignées, s'agissant par ailleurs d'une première incarcération,

- à l'indemnisation partielle du préjudice matériel s'agissant de la perte de chance de n'avoir pu se rendre à un entretien préalable au licenciement et des frais de justice,

- au rejet de l'indemnisation du préjudice matériel s'agissant de la perte de chance de retrouver rapidement un emploi.

Enfin, il indique s'en rapporter sur les frais irrépétibles.

Le requérant a eu la parole en dernier.

Sur ce,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

M. [T] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 20 août 2019, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive comme en atteste le certificat de non pourvoi produit ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

La demande de M. [T] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 24 avril 2014 au 11 juillet 2014 pour une durée de deux mois et dix-huit jours.

Sur l'indemnisation

- Le préjudice moral

M. [T] invoque un préjudice moral résultant du principe même de la détention et de sa durée, de la nécessité d'un suivi psychologique quatre jours seulement après la fin de son incarcération pour une symptomatologie anxio-dépressive, de l'absence de passé carcéral, de l'isolement familial et social qu'il a subi en lien avec une campagne de presse donnant suffisamment de détails pour que l'identité de sa famille soit déduite par leurs proches ainsi que des conditions de détention particulièrement difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 4].

Marié et père de deux enfants âgés de 21 ans et de 23 ans lors de son incarcération, M. [T], âgé de 54 ans, a subi un choc psychologique certain, d'autant plus qu'ayant un casier judiciaire vierge de toute condamnation, il était confronté pour la première fois au monde carcéral. Il n'a pas pu apporter le soutien nécessaire à ses enfants, à un moment où son épouse, souffrant de troubles psychiatriques, était également en détention dans le cadre de la même affaire.

En outre, même si M. [T] ne fait pas état de difficultés spécifiques dont il aurait souffert du fait des conditions de détention plus que médiocres au sein du centre pénitentiaire de [Localité 4], il n'en demeure pas moins que l'état de vétusté et de surpopulation chronique de ce centre, parfaitement notoire et régulièrement dénoncé par divers rapports, notamment celui sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale enregistré à la présidence de l'assemblée nationale le 23 janvier 2013, a nécessairement eu un impact sur le quotidien de chaque détenu. M. [T], ayant été l'un d'eux et en ayant souffert comme tous, est fondé par conséquent à souligner comme un facteur aggravant le préjudice né des conditions de la détention.

En revanche, ne peut donner lieu à réparation le préjudice issu de l'atteinte à l'image ou à la réputation résultant de la publicité donnée par les médias à l'affaire, même si les articles de presse relatent l'arrestation, la mise en détention et l'incarcération du demandeur.

Enfin, l'attestation du Docteur [W] établit un lien entre l'état pathologique de M. [T] et son licenciement, ce qui n'est pas en lien direct avec la détention et les autres attestations font état d'un suivi sans en indiquer les motifs, de sorte qu'il ne peut en être tenu compte.

Son préjudice moral sera évalué à la somme de 13 000 euros.

- Le préjudice matériel

M. [T] allégue d'une perte de chance de se rendre à l'entretien préalable à son licenciement et donc de conserver son emploi.

Lors de son incarcération, M. [T] était employé par la société [2] depuis le 19 novembre 1984. Il a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement le 26 mai 2014, puis le 25 juin 2014 auquel il n'a pas pu se rendre du fait de son incarcération, avant d'être licencié pour « motif personnel ».

S'il est avéré que la détention l'a empêché de se rendre à cet entretien, il ne peut pas en être déduit que sa présence lui aurait permis de conserver son emploi, et ce, d'autant plus, qu'il était représenté lors de cet entretien. Sa perte de chance à ce titre est donc hypothétique et ne peut être indemnisée.

M. [T] prétend qu'il a perdu une chance sérieuse, eu égard à son parcours professionnel, de retrouver un emploi dès l'entretien préalable et dans l'année qui a suivi et ce en raison notamment de l'état dépressif lié à la détention.

Il justifie de son parcours professionnel qui lui a permis de passer du statut d'agent en 1984 à celui de cadre en 2014 et de nombreuses candidatures pour tenter, en vain, de retrouver un emploi en 2015 et 2016 mais pas au-delà. Il est retraité depuis le mois d'août 2022.

Il convient d'indemniser le préjudice matériel résultant de perte de chance de retrouver un emploi postérieurement à la libération du requérant, tenant compte à la fois de son salaire mensuel moyen avant son incarcération (4 204 euros) et des indemnités qu'il a perçues du 23 avril 2015 au 1er janvier 2016 au titre d'une allocation d'aide au retour à l'emploi, soit 24 597,36 euros. Aucune précision n'est apportée pour la période entre sa libération et le 23 avril 2015.

Une somme de 35 000 euros lui sera allouée à ce titre.

Enfin, concernant les frais d'avocat, le requérant communique une lettre de mission et trois notes d'honoraires des mois de mai, juin et juillet 2014. Il justifie du lien entre ces diligences et le contentieux de la privation de liberté de sorte que sa demande, à hauteur de 15 780 euros, non critiquée, est bien fondée.

Son préjudice matériel global sera en conséquence évalué à la somme de 50 780 euros.

Enfin, il convient de lui allouer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Déclarons la requête de M. [B] [T] recevable,

Allouons à M. [B] [T] les sommes suivantes :

- 13 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 50 780 euros au titre du préjudice matériel ;

- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Laissons des dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 12 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 19/19677
Date de la décision : 12/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-12;19.19677 ?
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