RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 12 Décembre 2022
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 19/19791 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA34A
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI lors du prononcé, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 06 Novembre 2019 par:
M. [J] [K]
Né le [Date naissance 2] 1985 à [Localité 3] (REP CENTREAFRIQUE),
Demeurant Chez Maître Jacques DERIEUX - [Adresse 1] ;
non comparant
Représenté par Maître DERIEUX Jacques, avocat au barreau de TOULOUSE, toque 307 substitué par Maître COLOMA Anne toque B1100C
comparante
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 09 Mai 2022, renvoyée au 05 septembre 2022 puis au 07 novembre 2022 ;
Entendus Me Anne COLONNA, avocat au barreau de PARIS, toque : B1100 substituant Me Jacques DERIEUX, avocat au barreau de TOULOUSE, toque : 307 représentant M. [J] [K],
Me Anne-Laure ARCHAMBAULT,avocate au barreau de Paris, toque : R079, représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale, les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
Le 9 juin 2018, sur la base d'un mandat d'arrêt international émis à son encontre le 22 juin 2012, M. [J] [K], de nationalité brésilienne, a été placé en détention à la prison de [5] ([Localité 4], Royaume-Uni) pour infractions à la législation sur les stupéfiants.
En suite de l'opposition formée au jugement rendu par défaut par le tribunal correctionnel de Paris le 20 mai 2016 l'ayant notamment condamné à une peine délictuelle de cinq ans, il a été placé sous contrôle judiciaire le 6 décembre 2018.
Par jugement en date du 9 mai 2019, le tribunal correctionnel de Paris l'a relaxé des fins de la poursuite.
Le 6 novembre 2019, M. [K] a déposé une requête auprès du premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête, en date du 6 novembre 2019, à laquelle est joint un certificat de non-appel du jugement du 9 mai 2019, développée oralement :
- 24 000 euros au titre du préjudice moral,
- 1800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
S'agissant du préjudice moral subi, il explique qu'au moment de son incarcération il était âgé de 33 ans, vivait en concubinage avec sa compagne brésilienne et que les revenus modestes de sa famille ne lui ont pas permis d'assurer une simple visite. Il ajoute qu'il a été détenu dans une prison surpeuplée, que les différents rapports de l'inspecteur anglais des prisons notaient des conditions de détention déplorables, avec notamment un climat de violences prégnant, en sorte que ses conditions de détention n'en ont été que plus dures.
Dans des écritures déposées le 9 mai 2022 et soutenues à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, après avoir abandonné sa demande d'irrecevabilité, d'ordonner le sursis à statuer dans l'attente de la fiche pénale et de la production de l'intégralité de la procédure pénale et, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions la demande formée au titre du préjudice moral subi par M. [K] qui ne saurait excéder la somme de 14 000 euros ainsi que celle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, qui ne saurait excéder la somme de 1 000 euros.
Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions visées par le greffe le 8 avril 2022, après avoir renoncé à l'irrecevabilité de la requête, le demandeur ayant justifié du caractère définitif de la relaxe, conclut au rejet de la demande de sursis à statuer en l'absence de fiche pénale française et d'audition de M. [K] au cours de l'instruction. Il conclut à la recevabilité d'une période de détention indemnisable de cinq mois et vingt-huit jours et recommande l'ndemnisation du préjudice moral, tenant compte de la situation du requérant, en retenant son âge, la séparation d'avec sa concubine et l'absence d'incarcération antérieure tout en écartant les conditions de détention qualifiées de 'déplorables' en l'absence de justificatif.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes
indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [K] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 6 novembre 2019, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
M. [K] produit une pièce en langue anglaise, assortie de sa traduction, intitulée 'Durée de détention dans l'attente de l'extradition', qui atteste de son incarcération du 9 juin au 5 décembre 2018 à la prison de [5] au seul titre du mandat d'arrêt d'extradition.
La période de détention accomplie à l'étranger et liée à l'exécution d'un mandat d'arrêt européen délivré dans le cadre de la procédure ayant abouti à une décision de relaxe doit être prise en compte pour l'indemnisation du préjudice causé par la privation de liberté.
La demande de M. [K] au titre d'une détention provisoire indemnisable du 9 juin au 5 décembre 2018, soit cinq mois et vingt-huit jours, est donc recevable.
Sur le sursis à statuer
Il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente d'une fiche pénale qui n'existe pas, M. [K] n'ayant pas été incarcéré en France, ou de l'accès du conseil de l'agent judiciaire de l'Etat au dossier pénal, dès lors que ce dernier ne comporte ni audition du requérant ni enquête de personnalité le concernant, comme le montre l'inventaire produit par l'agent judiciaire de l'Etat.
La demande est donc rejetée.
Sur l'indemnisation
M. [K] était âgé de 33 ans lors de son incarcération. Il vivait en concubinage au Brésil et a été séparé de sa compagne durant sa détention au Royaume-Uni, laquelle n'a pas pu lui rendre visite. Bien que le jugement de relaxe mentionne qu'il a déjà été condamné, son casier judiciaire français ne mentionne aucune condamnation en sorte que la preuve d'une détention exécutée antérieurement à son incarcération sur mandat d'arrêt international n'est pas rapportée. Confronté pour la première fois au monde carcéral, il a subi un choc psychologique certain aggravé par l'isolement affectif ainsi vécu.
En revanche, il ne produit aucun élément établissant la dureté alléguée de ses conditions de détention.
Ces éléments justifient une indemnisation du préjudice moral subi à hauteur de 18 000 euros.
L'équité justifie que lui soit allouée une somme de 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
Déclarons la requête de M. [J] [K] recevable ;
Déboutons l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande de sursis à statuer ;
Allouons à M. [J] [K] les sommes suivantes :
- 18 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
- 1 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 12 Décembre 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ