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05/01/2023 | FRANCE | N°19/06410

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 05 janvier 2023, 19/06410


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 05 JANVIER 2023



(n° 2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06410 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CABKQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 15/08986





APPELANTS



Monsieur [H] [B] [O] ayant droit de Monsieur [V] [J]>
[Adresse 2]

[Localité 5]



Représenté par Me Laurent SALAAM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0386



Monsieur [W] [E] [J] ayant droit de Monsieur [V] [J]

[Adres...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 05 JANVIER 2023

(n° 2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06410 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CABKQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F 15/08986

APPELANTS

Monsieur [H] [B] [O] ayant droit de Monsieur [V] [J]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me Laurent SALAAM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0386

Monsieur [W] [E] [J] ayant droit de Monsieur [V] [J]

[Adresse 3]

[Localité 6] (ETAT UNIS)

Représenté par Me Laurent SALAAM, avocat au barreau de PARIS, toque : A0386

INTIMEE

SAS FAST RETAILING FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain ZANNOU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0113

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 26 juillet 2013, la société Fast Retailing France a embauché [V] [J] en qualité de « Senior Director », statut cadre, niveau 6 échelon 3, moyennant une rémunération annuelle brute de 220 000 dollars soit 165 000 euros brut annuel (soit encore 13 750 euros brut par mois).

Le contrat stipule, en complément du salaire de base, que le salarié pourra bénéficier d'un bonus annuel de performance discrétionnaire en application de la politique interne de la société.

Le contrat stipule encore qu'il est régi par le droit français et par la convention collective de l'industrie de l'habillement.

Lors de la rupture du contrat de travail, la société employait au moins 11 salariés.

Suivant acte non daté, la société Fast Retailing France (société d'origine), [V] [J] (salarié) et la société Comptoir des Cotonniers US (société d'accueil) ont également signé un contrat d'expatriation aux termes duquel les parties se sont accordées pour que [V] [J] soit expatrié auprès de la société d'accueil aux Etats-Unis pour une durée indéterminée.

Ce contrat stipule qu'au cours de la période d'expatriation, le contrat d'origine du 26 juillet 2013 sera suspendu.

Il stipule encore qu'il est soumis à la législation des Etats-Unis d'Amérique et que tout litige provenant de l'exécution, de l'interprétation ou de la rupture du contrat d'expatriation sera de la seule compétence des juridictions américaines.

Il est constant que [V] [J] a été admis à l'hôpital à [Localité 7] le 12 avril 2014 et qu'il s'est vu arrêté pendant dix jours ; que, le 26 avril 2014, il est rentré en France pour y être soigné et qu'il a été en arrêt de travail à compter du 28 avril 2014, prolongé à plusieurs reprises.

C'est dans ce contexte que, par lettre recommandée du 22 septembre 2014, [V] [J] a été convoqué par la société Fast Retailing France à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 1er octobre suivant.

Hospitalisé, [V] [J] ne s'est pas présenté à l'entretien préalable.

Prenant acte de ce que [V] [J] n'avait pas sollicité de report de l'entretien préalable, la société Fast Retailing France a sollicité ses observations sur son remplacement définitif pour assurer un fonctionnement satisfaisant de la filiale aux Etats-Unis.

Par lettre recommandée du 27 octobre 2014, la société Fast Retailing France a notifié à [V] [J] son licenciement pour procéder à son remplacement définitif afin d'assurer le fonctionnement de ladite filiale.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, [V] [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 17 juillet 2015.

Par jugement du 6 mai 2019 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la société Fast Retailing France à payer à [V] [J] :

49 500 euros à titre de rappel de bonus de l'exercice 2014 ;

4 950 euros à titre de congés payés afférents ;

1 663,19 euros à titre de remboursement des frais médicaux ;

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 4 septembre 2015, et jusqu'au jour du paiement ;

rappelant qu'en vertu de l'article R.1454-28 du code du travail, ces condamnations sont exécutoires de droit à titre provisoire, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et fixant cette moyenne à la somme de 13 750 euros brut ;

13 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation au titre de la visite médicale d'embauche, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement ;

1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté [V] [J] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société Fast Retailing France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Fast Retailing France au paiement des dépens.

Par déclaration du 20 mai 2019, [V] [J] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Par ordonnance du 28 novembre 2019, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de nullité de la déclaration d'appel fondée sur le non-respect de l'article 901 du code de procédure civile.

[V] [J] est décédé le 21 septembre 2020.

En vertu de l'acte de notoriété, la dévolution successorale s'établit entre son conjoint survivant, M. [H] [B] [O], et son fils, héritier réservataire, M. [W] [J]. Tous deux ont repris l'instance interrompue par le décès de [V] [J].

Aux termes de leurs dernières conclusions d'appelants notifiées par voie électronique le 23 septembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [O] et M. [J] demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et fondés en leurs demandes, fins et conclusions ;

- confirmer le jugement du 6 mai 2019 en ce qu'il a condamné la société Fast Retailing France à payer à [V] [J] :

- 49 500 euros à titre de rappel de bonus pour l'année 2014 ;

- 4 950 euros au titre des congés payés afférents ;

- 1 663,19 euros à titre de remboursement des frais médicaux ;

- 13 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation au titre de la visite médicale d'embauche ;

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- infirmer le jugement sur le surplus ;

statuant de nouveau,

- condamner la société Fast Retailing France à payer aux ayants droit de [V] [J] la somme de 82 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

- dire et juger que les intérêts seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;

- débouter la société Fast Retailing France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant mal-fondées ;

- condamner la société Fast Retailing France à payer aux ayants droit de [V] [J] la somme de 2 000 euros supplémentaires sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée portant appel incident transmises par voie électronique le 20 septembre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Fast Retailing France demande à la cour de :

à titre principal,

- dire et juger que les ayants droit de [V] [J] ne sont pas fondés à solliciter en cause d'appel l'infirmation du jugement en ce qu'il a débouté [V] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

- confirmer ledit jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de [V] [J] reposait sur une cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté [V] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de [V] [J] reposait sur une cause réelle et sérieuse et qu'il a débouté [V] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement ;

en tout état de cause,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à verser à [V] [J] les sommes suivantes :

- 49 500 euros à titre de rappel de bonus pour l'année 2014 ;

- 4 950 euros au titre des congés payés afférents ;

- 1 663,19 euros à titre de remboursement des frais médicaux ;

- 13 750 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation au titre de la visite médicale d'embauche ;

statuant à nouveau de,

- à titre principal, débouter les ayants droit de leur demande de rappel de salaire au titre de la rémunération variable ;

- à titre subsidiaire, dire et juger que le rappel de salaires au titre de la rémunération variable ne saurait être supérieur à la somme de 16 483,50 euros, outre la somme de 1 648,35 euros au titre des congés payés afférents ;

- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que le rappel de salaires au titre de la rémunération variable ne saurait être supérieur à la somme de 24 750 euros, outre la somme de 2 475 euros au titre des congés payés afférents ;

- débouter les ayants droit de leur demande de remboursement des frais médicaux ;

- débouter les ayants droit de leur demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation d'organiser une visite médicale d'embauche ;

- condamner les ayants droit à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 septembre 2022.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* Sur le rappel de bonus de l'exercice 2014 et les congés payés afférents

La société soutient que le contrat d'expatriation a commencé à être exécuté à compter du 4 janvier 2014 et qu'à partir de cette date, le contrat de travail du 26 juillet 2013 a été suspendu. Elle en veut pour preuve le versement des primes d'emménagement et d'accueil respectivement de 25 000 US dollars et 39 000 US dollars qui apparaissent sur le bulletin de paie de [V] [J] du mois de décembre 2013.

La société soutient que les premiers juges ont faussement interprété les termes du contrat d'expatriation pour conclure que celui-ci n'a pas pu s'appliquer. A cet égard, elle fait valoir que la prise d'effet du contrat d'expatriation n'était pas subordonnée à l'accomplissement des formalités relatives à la visite médicale et à l'adhésion aux différents organismes sociaux cités.

La société en conclut qu'il faut se référer à l'article 4 partie 2 du contrat d'expatriation pour déterminer les conditions de versement de la rémunération variable ' article qui prévoit « un bonus annuel de performance discrétionnaire en application de la politique du groupe calculé sur 30% de la rémunération annuelle brute, apprécié en fonction des performances individuelles et de l'atteinte des objectifs biannuels ». La société Fast Retailing France fait valoir que [V] [J], ayant débuté le 4 janvier 2014 et ayant été en arrêt de travail de façon continue à partir du 28 avril suivant, n'a exercé ses fonctions de « senior director » à New-York que pendant trois mois et demi et que son travail n'a ainsi pas pu être évalué sur l'année 2014. Enfin, la société souligne le caractère discrétionnaire du bonus à l'exclusion de toute attribution automatique.

Dans l'hypothèse où la cour considérerait que le bonus annuel de performance doit s'apprécier au regard de l'article 5 du contrat de travail du 26 juillet 2013 et qu'il est dû, la société fait valoir que le quantum à allouer ne peut être celui sollicité par les ayants droit et dit qu'il doit faire l'objet d'un pro rata.

Ce à quoi les ayants droit de [V] [J], qui réclament le bonus stipulé dans le contrat de travail du 26 juillet 2013, répliquent, en se référant à ce contrat et après avoir exposé que la société Retailing Fast France n'avait pas préparé de manière appropriée le « détachement » de [V] [J], que cette société n'a jamais fixé d'objectifs à [V] [J] et qu'elle s'est crue dispenser de lui verser le bonus égal à 30% de sa rémunération brute annuelle.

La cour relève que le contrat de travail du 26 juillet 2013 a été signé pour la société Fast Retailing France par Jun Yokohama en qualité de « CEO » et que ce contrat stipule que la société engage le salarié à partir d'une date à définir et pas plus tard que le 15 novembre 2013, pour une durée indéterminée.

La cour relève également que le contrat d'expatriation a été signé par [V] [J] (le salarié), pour la société Fast Retailing France (société d'origine) par Jun Yokohama en sa qualité de « CEO Europe » et pour la société Comptoir des Cotonniers US (société d'accueil) par [A] [K] et qu'il stipule dans sa partie 1. consacrée aux « liens entre la société d'origine et le salarié » que « au cours de la période d'expatriation, le Contrat d'origine signé entre les Parties le 26 juillet 2013 sera suspendu ».

La cour relève encore que ce contrat d'expatriation stipule, dans sa partie 2 consacrée aux « relations contractuelles entre le salarié et la société d'accueil » et à la rubrique 3. « durée de la mission » que « le Salarié sera affecté auprès de la Société d'accueil, sous réserve de l'obtention des permis de séjour et de travail et d'un avis médical d'aptitude nécessaires dès que possible et au plus tard le 15 novembre 2013, et ce, pour une durée indéterminée. La rubrique 4. stipule que la rémunération du salarié lui sera versée par la société d'accueil en US dollars et prévoit une partie fixe et permanente, un bonus annuel de performance discrétionnaire, une prime d'emménagement et une prime d'accueil. La rubrique 7. consacrée aux avantages en nature précise que la société d'accueil prend en charge les frais de logement du salarié et passe un contrat de location avec le bailleur. Enfin, la rubrique 8. prévoit que, « durant son expatriation, le Salarié sera affilié aux Etats-Unis en qualité d'expatrié et sera affilié au régime local de sécurité sociale des Etats-Unis par les soins de la Société d'accueil » et que « le Salarié bénéficiera d'une assurance complémentaire santé américaine telle qu'en vigueur au sein de la Société d'accueil ».

Dans sa partie 1 consacrée aux relations entre la société d'origine et le salarié, le contrat d'expatriation stipule que « durant son expatriation, le Salarié sera affilié au régime local de sécurité sociale des Etats-Unis (') » mais prévoit que la société d'origine devra, en dépit de la suspension du contrat d'origine, maintenir une couverture sociale française au salarié et prendre en charge son affiliation aux régimes volontaires français d'assurance maladie, de retraite de base et complémentaire ainsi que d'assurance chômage, en procédant aux formalités d'adhésion aux différentes caisses énumérées.

Enfin, le contrat d'expatriation prévoit qu'au cours de la période d'expatriation, le salarié reste rattaché hiérarchiquement au CEO Europe ou toute autre personne désignée et qu'il devra se conformer aux consignes données par son supérieur hiérarchique pour l'exécution de sa mission dans le cadre du contrat d'expatriation.

Le cadre contractuel étant exposé, en l'espèce, il ressort des éléments versés aux débats que :

[V] [J] est entré dans la société Fast Retailing France le 2 décembre 2013 comme l'indique son bulletin de paie de décembre 2013 ;

que, suivant attestation de Mme [M] [C], « ancienne salariée de Comptoir des Cotonniers / Princesse tam.tam aux Etats-Unis », [V] [J] a « travaillé au bureau new-yorkais de Comptoir des Cotonniers/Princesse tam.tam (Groupe Fast Retailing) en qualité de country manager Etats-Unis de décembre 2013 à avril 2014 » ; qu'il a « travaillé à raison de plus de 60 heures par semaine pendant cette période, incluant un travail régulier le week-end, notamment tous les dimanche pour le reporting du chiffre d'affaires et de l'activité auprès du siège parisien » ;

qu'en dépit de sa présence sur le territoire américain dès le mois de décembre 2013 pour y travailler, la rémunération de [V] [J] ne lui a pas été versée par la société d'accueil en US dollars mais par la société Fast Retailing France en décembre 2013, puis de mars à décembre 2014 (les bulletins de janvier et février 2014 n'étant produits par aucune des parties) ;

deux primes exceptionnelles correspondant au montant en US dollars des primes d'emménagement et d'accueil ont été versées par la société Fast Retailing France et non par la société d'accueil ;

la société Fast Retailing France ne fournit aucune explication sur la délivrance de bulletins de paie avec son en-tête et libellés en euros pendant la période où [V] [J] a été présent à [Localité 7] et a manifestement travaillé depuis ce lieu tout en rendant compte au siège parisien ;

aucun bulletin de paie délivré par la société d'accueil n'est versé aux débats ;

la société Fast Retailing France ne justifie pas que les autorités américaines avaient accordé une autorisation de séjour et de travail à [V] [J] lui permettant d'exercer ses fonctions de Directeur Senior pour une durée indéterminée au sein de la société d'accueil dont le siège social est à [Localité 7] ;

la société Fast Retailing France ne justifie pas non plus que les formalités relatives à la couverture sociale prévues au contrat d'expatriation tant du côté américain que du côté français ont été effectuées respectivement par la société d'accueil et par la société d'origine.

Eu égard à ce faisceau d'éléments, la cour conclut que la période d'expatriation au sens du contrat d'expatriation n'avait pas commencé pendant la présence de [V] [J] à [Localité 7] de décembre 2013 à avril 2014. A cet égard, si le CEO Europe avait vocation à rester le supérieur hiérarchique de [V] [J] pendant la période d'expatriation et à exercer le pouvoir de direction de l'employeur, la cour note que le débiteur effectif de la rémunération de [V] [J] de décembre 2013 à avril 2014 a été non pas la société Comptoir des Cotonniers US mais la société Fast Retailing France qui, au demeurant, ne rapporte pas la preuve que le cadre juridique prévu au contrat d'expatriation avait été effectivement mis en place. C'est d'ailleurs ce qui ressort précisément du courriel de [V] [J] du 27 novembre 2013 à la société Fast Retailing France qui souligne que, dans un premier temps, sa présence sur le territoire américain doit apparaître comme une mission et non un séjour à durée indéterminée et qu'il doit rester sur le « french payroll » jusqu'à l'obtention de son permis de travail (de janvier à juin).

La circonstance que la société Fast Retailing France ait versé elle-même en euros deux primes exceptionnelles pouvant correspondre au montant des primes de déménagement et d'accueil prévues dans le contrat d'expatriation est insuffisante pour conclure que la période d'expatriation avait commencé au sens du contrat d'expatriation.

Partant, la cour considère que la demande relative au bonus doit s'apprécier par rapport aux stipulations suivantes de l'article 5 du contrat de travail du 26 juillet 2013 :

« Au titre de la première année, les Parties ont convenu d'un montant de 30% de la rémunération annuelle brute de base telle que définie à l'article 5.1 du Contrat, sous réserve de l'atteinte de conditions de performance de la Société et du Salarié et que le Salarié soit salarié de l'entreprise ou de son groupe à la clôture de l'exercice de référence (1er juillet 2013 au 30 juin 2014). »

La société Fast Retailing France ne démontre pas avoir fixé des objectifs à [V] [J] et ne fournit aucun élément sur les conditions de performance de la société et sa politique interne. De plus, [V] [J] faisait partie des effectifs de la société au 30 juin 2014.

Les deux conditions stipulées étant réunies, il sera, dès lors, alloué aux ayants droit de [V] [J] la somme de 49 500 euros au titre du bonus et la somme de 4 950 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

* Sur le remboursement des frais médicaux

Les ayants droit de [V] [J] soutiennent que la société a violé les dispositions de sécurité sociale en matière d'expatriation et qu'à ce titre, ne lui ayant pas permis de bénéficier d'un dispositif de prise en charge de ces frais, la société doit être condamnée à leur rembourser les frais médicaux exposés par [V] [J] qu'ils évaluent à 2 298,37 US dollars.

Ce à quoi la société réplique que les ayants droit ne justifient pas du paiement des frais médicaux dont ils demandent le remboursement.

Les ayants droit de [V] [J] produisent un document rédigé en anglais qui s'analyse en une facture de l'hôpital [Localité 7] Presbyterian d'un montant de 2 298,37 US dollars dont la conversion à la date du 23 avril 2014 avait pour résultat, selon les ayants droit non utilement contredits sur ce point, 1 663,19 euros.

L'absence de preuve d'acquittement de la facture ne remet pas en cause le bien- fondé de la demande et conduit la cour à condamner la société Fast Retailing France à payer aux ayants droit de [V] [J] la somme de 1 663,19 euros.

La décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

* Sur les dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation d'organiser une visite médicale d'embauche

A l'appui de leur demande de confirmation de la somme allouée à titre de dommages-intérêts, les ayants droit de [V] [J] soutiennent que le salarié n'a été convoqué à aucune visite médicale d'embauche et préalablement à son expatriation en violation des dispositions R. 4624-10 et R. 4624-16 du code du travail et que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ce manquement de l'employeur cause nécessairement un préjudice au salarié.

Ce à quoi la société réplique en soutenant qu'aux termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyens renforcée. La société ne conteste pas que l'employeur est tenu d'organiser une visite médicale d'embauche mais soutient que l'absence de visite ne cause pas nécessairement un préjudice au salarié et qu'il appartient à ce dernier de caractériser un préjudice ayant son origine directe dans cette abstention.

Le premier alinéa de l'article R. 4624-10 du code du travail prévoit que le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.

De plus, le contrat de travail du 26 juillet 2013 stipule que l'embauche est subordonnée aux résultats de la visite médicale.

En l'espèce, eu égard au peu de temps écoulé entre le contrat de travail du 26 juillet 2013 et la première consultation médicale en milieu hospitalier à New-York du salarié et les arrêts de travail qui ont suivi, le manquement de l'employeur à son obligation d'organiser une visite médicale d'embauche a causé un préjudice à [V] [J] auquel il sera alloué une somme de 10 000 euros suffisant à réparer l'intégralité du préjudice.

La décision des premiers juges sera donc infirmée sur le quantum alloué.

Sur la rupture du contrat de travail

La société Fast Retailing France soutient que les ayants droit de [V] [J] ne sont pas fondés à solliciter l'infirmation du jugement entrepris sur le licenciement en raison de la rédaction de la déclaration d'appel : « Objet/portée de l'appel : Appel partiel. Le Conseil de prud'hommes de Paris ne s'est pas prononcé sur la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ». La société Fast Retailing France fait valoir que [V] [J] a entendu critiquer le jugement en ce qu'il n'avait pas statué sur sa demande en dommages-intérêts pour licenciement abusif et qu'en vertu du premier alinéa de l'article 562 du code de procédure civile, la cour n'est saisie que des chefs de jugement critiqués. Selon elle, le conseil de prud'hommes a statué sur sa demande en déboutant [V] [J] de sorte que l'appel est sans objet.

Les ayants droit de [V] [J] rappellent que le conseiller de la mise en état a déjà rejeté une demande de nullité de la déclaration d'appel et répliquent que si le conseil de prud'hommes s'est exprimé sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse dans le corps du jugement, il n'en a tiré aucune conclusion dans le dispositif de son jugement.

L'examen du dispositif de la décision des premiers juges révèle que s'ils n'ont pas expressément rédigé un chef de jugement disant que le licenciement n'était pas dépourvu de cause réelle et sérieuse et déboutant corollairement [V] [J] de sa demande d'indemnité pour licenciement abusif, ils ont néanmoins dit que [V] [J] était débouté du surplus de ses demandes.

La cour considère que les ayants droit de [V] [J] contestent le bien-fondé de ce débouté et la rédaction de l'appel partiel ne fait pas obstacle au jeu de l'effet dévolutif en l'espèce.

* Sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

« Nous faisons suite à l'entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement auquel vous ne vous êtes pas présenté le 1er octobre 2014 et pour lequel vous n'avez pas sollicité de report et à notre courrier du 3 octobre 2014 au sein duquel nous vous avons fait part, par écrit et afin de solliciter vos observations, des raisons qui nous conduisent à envisager votre licenciement.

Ces raisons sont les suivantes : votre absence perturbe gravement le bon fonctionnement de l'entreprise et rend nécessaire votre remplacement définitif.

En effet, vous êtes absent de votre poste de travail depuis le 28 avril 2014 à la suite d'arrêts de travail successifs.

Afin de pallier vos absences et d'assurer la continuité et le développement de notre activité aux Etats-Unis, nous avons dû solliciter l'une de nos collaboratrices que nous avons missionnée sur vos fonctions. Ainsi, nous avons pu demander à Madame [Z] [R], de se rendre en urgence aux Etats-Unis.

Cependant, cette situation ne peut perdurer car elle perturbe de façon importante le bon fonctionnement de notre Entreprise.

En outre, Madame [Z] [R], non satisfaite de sa situation qu'elle entend stabiliser, ne souhaite pas poursuivre sa collaboration dans le cadre d'une mission temporaire.

Votre poste de Sénior Director nécessitant une parfaite connaissance de notre activité, de notre secteur et de notre Groupe, nous n'avons d'autre choix que d'envisager de vous remplacer de façon définitive.

Par un courrier en date du 21 août 2014, nous vous avons demandé si nous pouvions envisager votre retour prochain en vous précisant les difficultés que nous rencontrions pour assurer votre remplacement temporaire.

Malheureusement, vous n'avez pas répondu à cette question. Vous n'avez pas non plus répondu à notre courrier du 3 octobre 2014 vous faisant état de cette situation qui nous conduit à envisager votre licenciement.

N'ayant aucune idée de la durée probable de votre absence, nous ne pouvons-nous heurter aux difficultés liées à un remplacement temporaire sur un poste si stratégique.

C'est la raison pour laquelle notre société se voit dans l'obligation d'envisager de procéder à votre remplacement définitif pour assurer le fonctionnement de notre filiale aux Etats-Unis.

Aussi, pour les raisons évoquées ci-dessus, nous vous notifions votre licenciement.

Votre préavis, d'une durée de trois mois, débutera à la date de première présentation de ce courrier. (') ».

Les ayants droit de [V] [J] soutiennent que le licenciement de ce dernier n'avait pas de cause réelle et sérieuse aux motifs que la société Fast Retailing France n'apporte pas la preuve de la nécessité de pourvoir au remplacement définitif du salarié ni la preuve de son remplacement effectif et définitif par un salarié répondant aux mêmes critères de responsabilité, de durée de travail, etc. Ils font valoir que Mme [R] a exercé temporairement les missions de [V] [J].

La société Fast Retailing France réplique que le licenciement de [V] [J] a une cause réelle et sérieuse dès lors que ce salarié occupait un poste à haute responsabilité aux Etats-Unis, secteur géographique clé pour le développement de la société et que l'absence d'informations de la part de [V] [J] et son absence prolongée ont entraîné un dysfonctionnement et une désorganisation de la société qui a été contrainte d'affecter de manière définitive Mme [R] sur le poste occupé par [V] [J].

En tout état de cause, la société Fast Retailing France considère que le montant de l'indemnisation sollicitée est excessif puisqu'il correspond à six mois de salaires bruts pour quatre mois de travail effectif et une ancienneté de treize mois et que [V] [J] n'a subi aucun préjudice car il a retrouvé un emploi dès le mois de décembre 2014, soit avant la rupture de son contrat de travail intervenue le 29 janvier 2015.

Constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement non la maladie du salarié mais l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié qui perturbent objectivement le fonctionnement de l'entreprise et en raison desquelles le remplacement définitif du salarié absent est une nécessité pour l'entreprise.

En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que :

[V] [J] a été en arrêt de travail à compter du 28 avril 2014 et qu'à la date de notification de son licenciement, il n'avait pas repris son travail de « senior director » ;

Compte tenu des missions de « senior director » exposées dans une annexe au contrat de travail du 26 juillet 2013 et en considération du contrat d'expatriation qui avait été signé, il est incontestable que [V] [J] était amené à jouer un rôle clé dans le développement du groupe sur le territoire américain.

La société Fast Retailing France ne justifie toutefois pas des difficultés rencontrées concrètement du fait de l'absence de [V] [J]. Elle se borne, en effet, à produire un avenant de mission temporaire à l'étranger au contrat de travail de Mme [Z] [R] en date du 28 juillet 2014 pour que cette salariée jusqu'alors basée au Japon accomplisse une mission du 1er juillet au 15 octobre 2014 en qualité de « US Retail Opérations Director » aux Etats-Unis. Ainsi la société Fast Retailing France ne justifie-t-elle pas avoir remplacé définitivement [V] [J] à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable à compter de la date du licenciement ni même de diligences en vue d'une nouvelle embauche. La société Fast Retailing France allègue avoir nommé définitivement Mme [R] pour remplacer [V] [J] sans toutefois étayer son allégation.

Partant, le licenciement de [V] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

* Sur les conséquences du licenciement

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est alloué au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge - 42 ans - de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies ' les ayants droit de [V] [J] ne produisant aucun élément sur la situation de leur conjoint et père dans les mois et années qui ont suivi le licenciement - il sera alloué aux consorts [O]-[J] en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 82 500 euros, suffisant à réparer le préjudice dans la limite de la somme demandée.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les autres demandes

* Sur les intérêts et leur capitalisation

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

Le jugement sera confirmé à ce titre.

La capitalisation des intérêts échus et dus au moins pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

* Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société Fast Retailing France sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer aux consorts [O]-[J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société sera déboutée de sa demande au titre de cet article.

La décision des premiers juges sera confirmée au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement sauf en ce qui concerne le bonus et les congés payés afférents, le remboursement des frais médicaux, les intérêts et les frais irrépétibles ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Fast Retailing France à payer à M. [H] [B] [O] et à M. [W] [J] en leur qualité d'ayants droit de [V] [J] la somme de 10 000 euros au titre des dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation d'organiser une visite médicale d'embauche ;

DIT que le licenciement de [V] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Fast Retailing France à payer à M. [H] [B] [O] et à M. [W] [J] en qualité d'ayants droit de [V] [J] la somme de 82 500 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus et dus au moins pour une année entière ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Fast Retailing France aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE la société Fast Retailing France à payer à M. [H] [B] [O] et à M. [W] [J] en leur qualité d'ayants droit de [V] [J] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/06410
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;19.06410 ?
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