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05/01/2023 | FRANCE | N°19/08241

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 05 janvier 2023, 19/08241


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 05 JANVIER 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08241 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAMOW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03643





APPELANTE



SARL ACA- AGENCE CENTRE [Localité 3]


[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Aurélie BELGRAND de la SCP MICHEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : 172



INTIMEE



Mademoiselle [V] [F]

[Adresse ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 05 JANVIER 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/08241 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAMOW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 17/03643

APPELANTE

SARL ACA- AGENCE CENTRE [Localité 3]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Aurélie BELGRAND de la SCP MICHEL ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : 172

INTIMEE

Mademoiselle [V] [F]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie-charlotte DELANNOY, avocat au barreau de PARIS, toque : R016

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de professionnalisation à durée déterminée à compter du 1er septembre 2016 jusqu'au 30 juin 2017, la société Agence Centre d'[Localité 3] (ci-après ACA) a embauché Mme [V] [F].

Par avenant en date du 9 mars 2017, son contrat a été transformé, avec effet rétroactif au 1er septembre 2016, en contrat à durée indéterminée en qualité de négociatrice, statut non cadre, moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 480,30 euros. L'avenant stipule un temps de travail de 35 heures par semaine soit 151,67 heures par mois.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale de l'immobilier en date du 9 septembre 1988 et la société employait moins de onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Les 16 juin et 11 juillet 2017, Mme [F] a été convoquée à un entretien en vue d'une éventuelle rupture du contrat de travail par le biais d'une rupture conventionnelle homologuée ' proposition que Mme [F] a refusée.

Le 20 juillet 2017, Mme [F] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement pour motif économique fixé le 1er août 2017.

Par lettre recommandée du 10 août 2017, la société ACA a notifié à Mme [F] son licenciement pour motif économique.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 20 novembre 2017.

Par jugement du 5 juin 2019 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

- requalifié le licenciement économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société à payer à Mme [F] les sommes suivantes :

* 308,33 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;

* 323,50 euros à titre d'heures supplémentaires ;

* 8 881,80 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de résultat ;

* 222,35 euros à titre de retenue sur solde de tout compte ;

* 1 200 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les créances salariales porteront intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement ;

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes ;

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 19 juillet 2019, la société ACA a régulièrement interjeté appel des chefs suivants du jugement : les heures supplémentaires, l'indemnité pour travail dissimulé, les dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de résultat et l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 5 avril 2022, le conseiller de la mise en état a :

- déclaré irrecevables les conclusions du 17 novembre 2021 émises par la société dans toutes ses parties en réponse aux conclusions d'appel incident de la salariée visée au dispositif en ce qu'il est demandé à la cour de statuer à nouveau sur les prétentions suivantes :

* 797 euros à titre de rappel de salaire sur la période courant du 8 juillet 2017 au 8 septembre 2017 et 79,70 euros au titre des congés payés afférents ;

* 647 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

* 26 645,40 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;

* 20 000 euros à titre indemnité pour harcèlement moral et, subsidiairement, au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat de la société ;

sous réserve de la saisine de la cour déterminée par l'appel principal,

- débouté Mme [F] de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

- réservé les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante transmises par voie électronique le 17 novembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et, y faisait droit, dans les limites de cet appel,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [F] :

* 323,50 euros à titre d'heures supplémentaires ;

* 8 881,80 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- prononcer la nullité du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [F] 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité « et de résultat », subsidiairement, l'infirmer de ce chef ;

- déclarer Mme [F] mal fondée en son appel incident, l'en débouter ;

- dire n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée transmises par voie électronique le 16 janvier 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [F] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a :

- requalifié le licenciement économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- dit et jugé que la société s'était rendue coupable de travail dissimulé ;

- dit et jugé que la société avait manqué à son obligation de sécurité de résultat ;

- condamné la société aux sommes suivantes :

* 308,33 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 8 881,80 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de résultat ;

* 222,35 euros à titre de retenue sur solde de tout compte ;

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

et statuant à nouveau :

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 797 euros à titre de rappel de salaire sur la période courant du 8 juillet 2017 au 8 septembre 2017 et 79,70 euros au titre des congés payés afférents ;

* 647 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires ;

* 26 645,40 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail ;

* 20 000 euros à titre indemnité pour harcèlement moral et, subsidiairement, au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat de la société ;

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 octobre 2022.

MOTIVATION

A titre liminaire, il résulte de la combinaison de l'appel principal et de l'appel incident que le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a requalifié le licenciement économique en licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur les chefs relatifs à l'indemnité de licenciement et à la retenue sur solde de tout compte.

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur le rappel de salaires et les congés payés afférents

Mme [F] soutient qu'elle a été embauchée à compter du 1er juillet 2016 et non du 1er septembre 2016 ; que son ancienneté était supérieure à un an à la date de ses arrêts de travail en juillet et août 2017 ; qu'en application de l'article 24-2 de la convention collective, elle aurait donc dû percevoir un complément de rémunération de sorte que son salaire soit maintenu à hauteur de 90% pendant trente jours puis à hauteur des deux tiers pendant les trente jours suivants.

Elle reproche aux premiers juges de ne pas avoir motivé leur décision de rejet de sa demande et fait valoir qu'en ne faisant pas appel de l'indemnité de licenciement allouée en première instance, l'employeur a reconnu qu'elle avait plus d'un an d'ancienneté et qu'elle avait effectivement intégré les effectifs à compter du 1er juillet 2016.

Les conclusions de la société sont irrecevables sur ce point.

L'article 24.2 de la convention collective prévoit qu'en cas d'indisponibilité dûment justifiée, et sous réserve de la prise en charge par la sécurité sociale, le maintien de la rémunération du salarié malade ou accidenté a pour assiette 90 % du salaire brut mensuel contractuel défini à l'article 37.3.1 de la convention collective nationale de l'immobilier, acquis à la date de l'arrêt, pendant :
' 30 jours après 1 an de présence dans l'entreprise, sous réserve des dispositions de l'article D. 1226-1 du code du travail ; (').

En l'espèce, Mme [F] verse aux débats l'attestation d'une cliente de l'agence immobilière, Mme [Y] [O], qui déclare qu'en juillet 2016, alors qu'elle recherchait un bien immobilier à acquérir sur la commune d'[Localité 3], elle a eu comme interlocutrice Mme [F] au cours de l'été pour les visites et jusqu'à la signature de l'acte chez le notaire. De plus, son premier bulletin de salaire du mois de septembre 2016 fait mention d'une prime exceptionnelle de 553,54 euros qui n'est plus sur les bulletins de salaire suivants.

Ces éléments permettent d'établir que Mme [F] a été embauchée dès le mois de juillet 2016 par la société.

Mme [F], qui allègue des arrêts de travail en juillet et août 2017, n'est fondée à se prévaloir de ce complément de rémunération qu'à compter du 1er au 30 août 2017 une fois l'ancienneté d'un an acquise.

A compter du 1er août 2017, Mme [F] remplissait donc les conditions d'indemnisation dans la limite de 30 jours et l'employeur lui était donc redevable de la somme de 578,04 euros au titre du complément de rémunération et de la somme de 57,80 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les heures supplémentaires

La société reproche aux premiers juges une motivation hypothétique les ayant conduits à « supposer » que Mme [F] faisait 37 heures 30 par semaine et, en l'absence d'élément probant de l'une ou l'autre partie, d'avoir dit que le doute profitait à la salariée. Or, la société fait valoir que la notion de doute ne concerne pas le contentieux de la durée du travail ; qu'elle ne s'applique qu'au contentieux du licenciement ou à celui des discriminations.

La société fait valoir que Mme [F] se borne à produire une photographie des horaires d'ouverture de l'agence au public, à l'exclusion de tout décompte ; que, s'agissant d'une petite entreprise, elle n'avait pas de dispositif de computation du temps de travail et que Mme [F] terminait ses journées à 18 heures et non à 19 heures.

Ce à quoi Mme [F] réplique qu'elle a travaillé 40 heures par semaine du 1er juillet 2016 au 8 juillet 2017, du mardi au samedi de 9h30 à 12h30 et de 14 heures à 19 heures ; qu'elle assurait la permanence jusqu'à 19 heures. Elle fait également valoir que les attestations produites par l'employeur sont dépourvues de force probante : l'une émanant d'une salariée de la société et l'autre émanant d'un prétendu restaurateur voisin, au demeurant ni datée ni signée.

Aux termes de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ses éléments au regard des exigences légales rappelées supra. Après analyse des pièces produites par l'une ou l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande, Mme [F] présente les horaires de l'agence et soutient qu'elle travaillait ainsi du mardi au samedi de 9h30 à 12h30 et de 14h à 19h. Selon Mme [F], elle a travaillé quarante heures par semaine et non trente-cinq heures comme stipulé dans l'avenant du 9 mars 2017 sur la période du 1er juillet 2016 au 8 juillet 2017.

L'employeur produit une attestation au nom de M. [L] [C] mais ce document n'est ni daté si signé par son auteur. Il produit également deux attestations de Mme [B] [A] ' qui a été salariée de la société ACA de septembre 2010 à mai 2018. La première attestation en date du 13 février 2018 a certes été rédigée à une date où Mme [A] était encore dans un lien de subordination avec la société ACA mais la seconde, plus détaillée, l'a été le 20 octobre 2021. Or, dans cette seconde attestation, Mme [A] déclare notamment que Mme [F] finissait avant elle et avant la fermeture de l'agence mais que Mme [F] l'attendait souvent jusqu'à la fermeture pour qu'elle la raccompagne chez elle. Mme [A] déclare encore qu'aucun des gérants n'avait demandé à Mme [F] de rester à l'agence jusqu'à la fermeture.

Eu égard à ces éléments, la cour ne retient pas l'existence d'heures supplémentaires, déboute Mme [F] de sa demande et infirme la décision des premiers juges à ce titre.

*sur l'indemnité de travail dissimulé

La société soutient que la double preuve exigée par l'article L. 8221-5 du code du travail n'est pas rapportée à savoir la réalité de la dissimulation d'heures de travail effectuées sur ordre de l'employeur et le caractère intentionnel d'une telle dissimulation.

Mme [F] soutient, quant à elle, que les heures supplémentaires effectuées n'ont pas été déclarées puisqu'elles n'apparaissent pas sur ses bulletins de salaire et qu'en tout état de cause, elle a commencé à travailler au sein de la société le 1er juillet 2016 alors qu'elle n'a été déclarée qu'à compter du 1er septembre suivant.

Selon l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 du code du travail prévoit qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

L'existence d'un travail dissimulé ne peut être retenu du fait de l'existence d'heures supplémentaires non déclarées compte tenu du rejet de la demande de Mme [F] à ce titre.

En revanche, il ressort de l'attestation de Mme [O], déjà citée, que Mme [F] a travaillé à l'agence en juillet et août 2016 avant même la signature du contrat de professionnalisation et qu'elle a accompagné cette cliente tout au long de l'été dans la recherche et l'acquisition d'un bien immobilier. Pourtant, l'employeur ne justifie pas d'une déclaration préalable à l'embauche à cette date et n'a pas remis de bulletins de salaire à Mme [F]. L'élément intentionnel est suffisamment caractérisé par le fait que l'avenant avait un effet rétroactif à compter du 1er septembre 2016 sans prise en compte des deux mois précédents.

En conséquence, il sera alloué à Mme [F] une somme forfaitaire de 8 881,80 euros et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

*sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral, à titre principal, et pour violation de l'obligation de sécurité, à titre subsidiaire

La société critique la motivation des premiers juges et sollicite la nullité du jugement de ce chef en ce que tout en soulignant que l'employeur ne rapporte pas la preuve de problèmes de santé de Mme [F] avant son embauche, le conseil de prud'hommes déclare que la dégradation de l'état de santé de la salariée en lien avec ses conditions de travail n'est pas probante et en conséquence, condamne l'employeur à verser à la salariée la somme de 1 000 euros.

La société fait valoir qu'il importe seulement de savoir si, après l'embauche, l'employeur a ou non respecté les obligations mises à sa charge par l'article L. 4121-1 du code du travail et allègue une évidente contradiction dans la motivation des premiers juges, ce qui équivaut, selon elle, à un défaut de motivation sanctionné par la nullité.

Mme [F] conclut, tout d'abord, sur le harcèlement moral en exposant qu'il a pris plusieurs formes : un harcèlement de management et des agissements directs qui ont dégradé ses conditions de travail et altéré sa santé physique et mentale. Elle allègue une surcharge de travail et des actes de dénigrement répétés. Elle souligne également l'absence de prise en compte par l'employeur des préconisations du médecin du travail.

Subsidiairement, Mme [F] soutient que l'employeur a violé son obligation de sécurité de résultat et fait valoir qu'il n'a pris aucune mesure alors qu'elle faisait l'objet d'une surveillance médicale renforcée et que le médecin du travail avait demandé qu'elle n'effectue pas seule les visites et états des lieux et qu'il lui soit attribué un secteur de prospection. Mme [F] observe, enfin, que l'employeur reconnaissait, en première instance, n'avoir mis en 'uvre aucune mesure pour assurer la santé au travail de sa salariée.

Le premier alinéa de l'article 455 du code de procédure civile exige notamment que le jugement soit motivé.

La contradiction dans les motifs équivaut à une absence de motifs.

Aux termes de l'article 458 du même code, ce qui est prescrit par les articles 447, 451, 454, en ce qui concerne la mention du nom des juges, 455 (alinéa 1) et 456 (alinéas 1 et 2) doit être observé à peine de nullité.

Toutefois, aucune nullité ne pourra être ultérieurement soulevée ou relevée d'office pour inobservation des formes prescrites aux articles 451 et 452 si elle n'a pas été invoquée au moment du prononcé du jugement par simples observations, dont il est fait mention au registre d'audience.

En l'espèce, le conseil de prud'hommes, après avoir rappelé l'article L. 4121-1 du code du travail, relève que l'employeur n'apporte aucun élément pour justifier qu'avant son embauche, Mme [F] avait des problèmes de santé ; que « cependant, la dégradation de son état de santé liée à ses conditions de travail n'est pas probant » ; qu'« en conséquence, le Conseil condamne la société AGENCE CENTRE [Localité 3] à verser à la salariée la somme de 1 000 euros ».

La lecture des motifs retenus par les premiers juges révèle une contradiction entre le constat de l'absence de preuve de dégradation de l'état de santé de la salariée et la conséquence qui en est tirée, à savoir une condamnation pécuniaire de l'employeur.

Toutefois, la société demande, dans le dispositif de ses conclusions, la nullité du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [F] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité « et de résultat ». La demande, de par sa rédaction, est cantonnée au chef de jugement alors que seule la nullité du jugement peut être prononcée.

La société n'a d'ailleurs pas tiré les conséquences d'une éventuelle nullité du jugement dans ses conclusions.

Par conséquent, la société sera déboutée de sa demande de nullité du chef de jugement critiqué.

Sur le harcèlement moral

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose :

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 du même code précise :

Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, Mme [F] invoque un harcèlement de management et des agissements directs qui ont dégradé ses conditions de travail et sa santé. Ainsi invoque-t-elle une surcharge de travail et des actes de dénigrement, des insultes et du mépris manifesté par les deux co-gérants, le tout à l'origine d'une grave altération de sa santé physique et mentale.

S'agissant de la surcharge de travail, Mme [F] produit des fiches de prospection et un mandat de vente rentré par elle ainsi que la lettre qu'elle a envoyée à l'inspection du travail le 30 juillet 2017 et la fiche d'aptitude médicale faisant suite à une visite du 3 février 2017.

S'agissant des actes de dénigrement, des insultes et du mépris, Mme [F] se réfère à la lettre précitée qu'elle a envoyée à l'inspection du travail et à une main courante du 11 juillet 2017.

S'agissant de l'altération de sa santé, Mme [F] verse aux débats deux arrêts de travail sur la période du 8 juillet au 11 août 2017, une prescription médicale et un certificat de passage aux urgences le 3 août 2017. Elle verse également aux débats une attestation de son père et une attestation de Mme [M].

Or, ces éléments ne sont pas pertinents pour établir la surcharge de travail, le dénigrement, les insultes et le mépris invoqués - seul l'état de santé de Mme [F] étant avéré. Il en résulte que Mme [F] ne présente pas d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Mme [F] sera donc déboutée de sa demande en ce qu'elle est fondée sur un harcèlement moral et la décision des premiers juges confirmée à ce titre.

Sur la violation de l'obligation de sécurité

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161-1 ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En l'espèce, la fiche d'aptitude médicale de Mme [F] remplie par le docteur [J] [D] le 3 février 2017 pour le poste de travail « apprentie négociatrice en immobilier en alternance » indique que Mme [F] est apte au poste suivant : 35 heures par semaine école et travail alternance mais « pas de responsabilité ; pas de secteur attribué de prospection ; pas de visite systématique seule ; pas d'état des lieux seule ».

Le médecin du travail a conclu en demandant à revoir Mme [F] trois mois plus tard avec les vaccins.

Or, l'employeur à qui incombe la charge de rapporter la preuve qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé physique et mentale de la salariée est défaillant à rapporter la preuve de ses diligences pour tenir compte notamment des préconisations du médecin du travail. A cet égard, l'attestation de Mme [A] est insuffisante à caractériser lesdites diligences.

Eu égard aux éléments médicaux qu'elle produit, Mme [F] établit que le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité a eu des conséquences sur sa santé et lui a donc causé un préjudice qui sera intégralement réparé par l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de 1 000 euros. La décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

Sur la rupture du contrat de travail

*sur les dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail

Mme [F] soutient qu'elle a subi un préjudice personnel et de carrière significatif qui justifie l'allocation d'une indemnité correspondant à 18 mois de salaire. Elle fait valoir que, pour être embauchée en contrat de travail à durée indéterminée, elle a dû mettre fin de manière anticipée à sa formation à l'école supérieure de l'immobilier ; qu'à la suite de son licenciement en août 2017, elle n'a pas pu se réinscrire immédiatement à l'école car elle était hors délai pour le faire et qu'elle a donc dû attendre septembre 2018 pour reprendre sa formation ; qu'elle n'était alors pas en capacité de retrouver un autre contrat de travail à durée indéterminée.

Les conclusions de la société sont irrecevables sur ce point.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Toutefois, l'article L. 1235-5 du même code précise que l'article L. 1235-3 précité n'est pas applicable au licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté dans l'entreprise et au licenciement opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, mais que le salarié peut prétendre, en cas de licenciement abusif, à une indemnité correspondant au préjudice subi.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [F], de son âge (20 ans), de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies ' Mme [F] ne produisant aucun élément sur sa situation ' une somme de 3 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice, lui sera allouée et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société ACA sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et condamnée à payer à Mme [F] une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Le chef du jugement allouant à Mme [F] une somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles en première instance sera confirmé.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

CONFIRME le jugement sauf en ce qui concerne les demandes relatives au rappel de salaire et aux heures supplémentaires ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Agence Centre d'[Localité 3] à payer à Mme [V] [F] les sommes suivantes :

- 578,04 euros au titre des rappels de salaire ;

- 57,80 euros au titre des congés payés afférents ;

DÉBOUTE Mme [V] [F] de sa demande au titre des heures supplémentaires ;

Y ajoutant,

DÉBOUTE la société Agence Centre d'[Localité 3] de sa demande en nullité du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [F] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité « et de résultat » ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Agence Centrale [Localité 3] aux dépens ;

CONDAMNE la société Agence Centrale [Localité 3] à payer à Mme [V] [F] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 19/08241
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;19.08241 ?
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