Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 8
ARRET DU 20 JANVIER 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08964 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFY3D
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Avril 2022 -Président du TJ de PARIS - RG n° 22/52568
APPELANTE
S.C. MEDARY agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège,
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Françoise HERMET LARTIGUE, avocat au barreau de PARIS, toque : C0716
Assistée par Me Sophie LIMOUZINEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : C716
INTIME
SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DU [Adresse 2] Représenté par son syndic la SARL SYGERIM [Adresse 1].
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté et assisté par Me François PARIS de la SCP DPG Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : C0051
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 décembre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Rachel LE COTTY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Florence LAGEMI, Président,
Rachel LE COTTY, Conseiller,
Patrick BIROLLEAU, Magistrat honoraire,
Greffier, lors des débats : Marie GOIN
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier, lors de la mise à disposition.
Le 5 octobre 2017, la société Medary a acquis les lots 3, 4 et 66 dépendant d'un immeuble en copropriété situé [Adresse 2]), consistant, pour les deux premiers, en deux boutiques au rez-de-chaussée et, pour le troisième, en un garage en sous-sol. Ces lots, qui ont été réunis, étaient occupés par la société De Widehem Automobiles, laquelle y exerçait une activité de garage.
Le lot 66 est décrit dans le règlement de copropriété comme 'un garage en sous-sol avec sa rampe d'accès à la rue, d'une superficie totale de 1.503,10 m², situé sous toute la surface de la cour et des bâtiments annexes à droite et à gauche dans la cour ainsi que sous partie du bâtiment rue'.
La société Medary ayant décidé de modifier l'affectation du lot 66 à usage de garage pour en faire une salle de fitness, a entrepris des travaux de décaissement du sol, après démolition du dallage du garage.
Soutenant que ces travaux, réalisés sans autorisation, affectent les parties communes, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 2]) (ci-après le syndicat des copropriétaires) a, par acte du 31 mars 2022, fait assigner en référé à heure indiquée, après y avoir été autorisé par ordonnance du 29 mars 2022, la société Medary devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, afin que soit ordonné l'arrêt des travaux et désigné un expert judiciaire.
Par ordonnance du 14 avril 2022, le juge des référés a :
ordonné à la société Médary de suspendre, jusqu'à obtention d'une éventuelle autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, l'exécution des travaux affectant les parties communes situées dans le garage de l'immeuble du [Adresse 2]), notamment, ceux portant sur la dalle de béton, en prenant les mesures de protection idoines, et ce sous astreinte de 15.000 euros par jour d'infraction constatée pendant un an ;
donné injonction à la société Medary et au syndicat des copropriétaires de rencontrer Mme [R] [G] en sa qualité de médiateur, aux fins d'information sur la mesure de médiation ;
ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [K] [Z], avec mission, notamment, de :
' prendre connaissance du projet immobilier de la société Medary,
' déterminer et décrire les travaux exécutés et restant à exécuter et donner un premier avis, au plus tard un mois après le versement de la consignation, sur leurs conséquences existantes et potentielles sur les parties privatives et communes de l'immeuble ;
' exposer les procédés de démolition et de construction permettant d'évaluer l'impact des travaux d'ores et déjà exécutés et l'impact potentiel du surplus sur les parties communes de l'immeuble et les autres lots privatifs ;
' prendre connaissance des désordres allégués par le syndicat des copropriétaires ainsi que de tout désordre connexe ayant d'évidence la même cause mais révélé postérieurement à l'assignation, sans préjudice des dispositions de l'article 238 alinéa 2 du code de procédure civile ;
' les décrire, en indiquer la nature, l'importance, la date d'apparition, en rechercher la ou les causes ;
' fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues et sur les comptes entre les parties ;
' après avoir exposé ses observations sur la nature des travaux propres à remédier aux désordres et leurs délais d'exécution, chiffrer, à partir des devis fournis par les parties éventuellement ,assistées d'un maître d'oeuvre, le coût de ces travaux :
' fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d'évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels resultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;
' dire si des travaux urgents sont nécessaires soit pour empêcher l'aggravation des désordres et du préjudice qui en résulte, soit pour prévenir les dommages aux personnes ou aux biens ; dans l'affirmative à la demande d'une partie ou en cas de litige sur les travaux de sauvegarde nécessaires, décrire ces travaux et en faire une estimation sommaire dans un rapport intermédiaire qui devra être déposé aussitôt que possible ;
rejeté le surplus des demandes ;
condamné la société Medary aux dépens de l'instance et à payer au syndicat des copropriétaires la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par déclaration du 4 mai 2022, la société Medary a relevé appel de cette décision en ses dispositions lui ayant ordonné, sous astreinte, de suspendre les travaux et l'ayant condamnée aux dépens et à payer une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 29 novembre 2022, la société Medary demande à la cour de :
infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle lui a, à tort, ordonné la suspension des travaux sous astreinte et l'a condamnée à payer au syndicat des copropriétaires une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
débouter en conséquence le syndicat des copropriétaires de toutes demandes au titre de la suspension des travaux concernant la démolition des parties privatives du lot 66, afin de mettre en conformité ledit lot avec la future utilisation commerciale et le démantèlement du garage ;
déclarer irrecevables toutes demandes nouvelles du syndicat des copropriétaires tendant à suspendre les travaux jusqu'à autorisation d'une assemblée alors qu'il était exclusivement sollicité en première instance la suspension jusqu'à avis de l'expert ;
débouter le syndicat des copropriétaires de l'intégralité de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
le condamner à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 30 novembre 2022, le syndicat des copropriétaires demande à la cour de :
juger irrecevable et, en tout état de cause, infondée la société Medary en son appel ;
la débouter de toutes ses demandes ;
confirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a :
ordonné à la société Medary de suspendre, jusqu'à l'obtention d'une éventuelle autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires, l'exécution des travaux affectant les parties communes de l'immeuble situées dans le garage de l'immeuble du [Adresse 2]), notamment, ceux portant sur la dalle de béton, en prenant les mesures de protection idoines, et ce sous astreinte de 15.000 euros par jour d'infraction constatée pendant un an ;
condamné la société Medary à lui payer la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
condamné la société Medary aux entiers dépens de l'instance ;
y ajoutant,
condamner la société Medary au paiement de la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société Medary aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée le 7 décembre 2022.
Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur le trouble manifestement illicite
Selon l'article 835, alinéa 1, du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite désigne toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Le caractère illicite de l'acte peut résulter de sa contrariété à la loi, aux stipulations d'un contrat ou aux usages.
En application de l'article 9 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.
L'article 25 de ladite loi dispose que ne sont adoptées qu'à la majorité des voix de tous les copropriétaires les décisions concernant, notamment, l'autorisation donnée à certains copropriétaires d'effectuer à leurs frais des travaux affectant les parties communes ou l'aspect extérieur de l'immeuble et conformes à la destination de celui-ci.
Au cas présent, il est acquis qu'à compter de mars 2022, la société Medary a entrepris, dans le lot 66, des travaux ayant, notamment, consisté en la destruction de la dalle de béton du garage et le décaissement du sol sous celle-ci.
Pour contester la suspension des travaux ordonnée en première instance, l'appelante soutient qu'il ne s'agit que de travaux de mise en conformité de ses locaux privatifs, qui n'affectent en aucune manière les parties communes de l'immeuble dès lors que le caractère privatif de la dalle de béton, qu'elle affirmait devant le premier juge, a été confirmé par l'expert judiciaire et que les travaux ne sont pas contraires à une décision de l'assemblée générale des copropriétaires.
Le règlement de copropriété énonce à l'article 10 du chapitre IV relatif aux parties communes, intitulé 'Consistance des parties communes', que celles-ci comprennent, notamment, la totalité du terrain construit ou non et la terrasse du garage situé sous le sol de la cour.
Il prévoit en son article 16 que 'chacun des propriétaires aura, en ce qui concerne les locaux lui appartenant exclusivement, le droit d'en jouir et d'en disposer comme de chose lui appartenant en toute propriété, à condition de ne pas nuire aux droits des autres copropriétaires et de ne rien faire qui puisse compromettre la solidité de la maison'.
Il résulte des pièces produites et, notamment de la note de synthèse de l'expert judiciaire du 28 novembre 2022, que les travaux entrepris par la société Medary ne se limitaient pas, comme elle le soutient, au retrait de la dalle de béton du garage dont l'expert a indiqué qu'elle ne participait pas à la stabilité structurelle de l'immeuble, mais que la démolition de cette dalle était un préalable aux travaux de décaissement du sous-sol sous la cour arrière de l'immeuble, l'appelante projetant de procéder à ce décaissement ainsi qu'à des aménagements au sous-sol et au rez-de-chaussée dans les lots lui appartenant.
Il était ainsi initialement prévu un approfondissement du sous-sol sur environ 80 cm, nécessitant une reprise en sous-oeuvre et la création d'escaliers et ascenseur justifiant de nouvelle fondation ainsi qu'il résulte de l'étude géotechnique de la société Ginger CEBTP dont un extrait est reproduit dans la note de synthèse susvisée.
Dans cette note, l'expert judiciaire a listé les travaux d'ores et déjà exécuté consistant en :
la démolition du dallage, laquelle n'a pas eu de conséquence technique,
les excavations du sol d'assise du dallage,
l'exécution de banquettes périphériques servant de soutènement au sol conservé pour éloigner les terrassements de la zone d'influence des fondations des murs constituant le support de la cour, l'expert ayant précisé qu'il avait été finalement choisi de garder en périphérie du sous-sol une zone non décaissée pour éviter une reprise en sous-oeuvre affectant les murs porteurs,
des perçages rapprochés en plancher haut du sous-sol afin de créer une trémie d'escalier reliant un lot du rez-de-chaussée appartenant à l'appelante au lot 66.
Il ne peut sérieusement être contesté que le décaissement entrepris sous le dallage du garage constitue de manière évidente une atteinte à une partie commune, dès lors que le règlement de copropriété qualifie de commun la totalité du terrain, construit ou non, et que l'expert judiciaire rappelle que le sol d'assise des fondations en ce compris les poteaux centraux constitue une partie commune qui participe à la stabilité de l'édifice côté cour.
Il doit être relevé que selon l'expert judiciaire, dont les conclusions provisoires mentionnées dans la note de synthèse ne sont pas contredites par l'appelante, 'les travaux effectués (ainsi que ceux encore projetés) portent techniquement atteinte aux parties communes dès lors qu'elles intéressent des zones récupérant les contraintes des édifices constitutifs de la structure et des fondations de la partie cour de l'immeuble'.
En outre, les perçages rapprochés effectués au niveau du plancher haut du lot 66 afin de créer une trémie et un accès au lot du rez-de-chaussée, portent également atteinte aux parties communes de l'immeuble.
Ainsi, dès lors que ces travaux affectent les parties communes, la société Medary avait l'obligation de solliciter l'autorisation préalable de la copropriété.
C'est vainement, que l'appelante invoque une décision de 'rejet de non autorisation' de ses travaux, qui aurait été prise lors de l'assemblée générale du 10 juin 2021. La société Medary, qui entend tirer profit d'une erreur matérielle commise lors de l'établissement du procès-verbal de cette assemblée générale, soutient en effet que la résolution n° 29 en ayant refusé d'interdire ou refusé de ne pas autoriser les travaux, les aurait en réalité autorisés.
L'examen des pièces produites démontre que la société Medary et la société Melin (cette dernière étant associée aux travaux litigieux) ont sollicité, sous certaines conditions, l'autorisation de la copropriété pour réaliser des travaux portant sur les parties communes de l'immeuble, puis, prévu que cette dernière se ferait communiquer les études de sols, les études acoustiques et les notes de calcul de BETafin de lui permettre, dans un second temps et lors d'une assemblée générale spéciale, de statuer sur l'autorisation à donner pour la réalisation desdits travaux.
Il apparaît des termes de la résolution n° 29, votée le 10 juin 2021, que la copropriété a refusé la réalisation de ces travaux, ce refus résultant de la modification du texte de la résolution proposé par les sociétés Medary et Melin par l'ajout de négations.
Ainsi, la lecture en bon sens de cette résolution, qui ne nécessite aucune interprétation, et des résultats des votes permet de comprendre que les votes 'contre' majoritaires s'appliquent au refus des travaux tandis que les votes 'pour' minoritaires et n'émanant que des sociétés Medary et Melin s'appliquent à leur autorisation.
Au surplus, un procès-verbal rectificatif des erreurs matérielles affectant la résolution n°29 a été établi et adressé aux copropriétaires le 29 mars 2022, démontrant que les votes en faveur du refus des travaux sont majoritaires.
En tout état de cause, il n'est pas justifié de la tenue d'une assemblée générale spéciale qui aurait expressément autorisé les travaux après communication des études précitées ainsi qu'il avait été indiqué dans le projet de résolution de l'appelante.
En outre, les moyens invoqués par la société Medary tenant à l'absence de désordre occasionné, à ce jour, par les travaux entrepris ou à l'existence de 'multiples décaissements' et de 'multiples aménagements' réalisés dans le sol par le précédent exploitant du garage, au demeurant non justifiés, ou encore à l'absence d'opposition des services de l'urbanisme, sont sans pertinence dès lors qu'ils ne sont pas de nature à l'exonérer de ses obligations à l'égard de la copropriété.
Ainsi, la réalisation des travaux litigieux, contraire aux dispositions susvisées de la loi du 10 juillet 1965 et du règlement de copropriété, constitue un trouble manifestement illicite évident.
C'est donc avec raison que le premier juge a ordonné la suspension des travaux jusqu'à l'obtention d'une autorisation de l'assemblée générale, la cour relevant que contrairement à ce que soutient l'appelante, le premier juge n'a pas statué ultra petita de ce chef. En effet, le juge des référés a le pouvoir d'ordonner toute mesure propre à mettre fin au trouble manifestement illicite constaté que seule une autorisation de la copropriété voire d'une juridiction du fond peut faire cesser en l'espèce.
Il convient donc de confirmer l'ordonnance entreprise de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le sort des dépens de première instance et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.
Succombant en ses prétentions, la société Medary supportera les dépens exposés en appel et sera condamnée à payer au syndicat des copropriétaires, contraint d'exposer des frais irrépétibles pour assurer sa défense, la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance dans ses dispositions dont il a été fait appel ;
Condamne la société Medary aux dépens exposés en appel, avec faculté de recouvrement direct au profit de la SCP DPG Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à payer au syndicat des copropriétaires du [Adresse 2]) la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier, Le Président,