RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 31 MARS 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/10213 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6KPD
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 juin 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BOBIGNY RG n° 18-00571/B
APPELANTE
SA [5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Bruno LASSERI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946, substitué par Me Alix ABEHSERA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1946
INTIMÉE
CAISSE D'ASSURANCE MALADIE DU VAL DE MARNE
Service juridique
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 février 2023, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre, et Monsieur Gilles BUFFET, conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Raoul CARBONARO, président de chambre, et par Madame Alisson POISSON, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par la société [5] d'un jugement rendu le 26 juin 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny, dans un litige l'opposant à la CPAM du Val de Marne.
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [R] [U] (l'assurée), salariée de la société [5] (la société) en qualité d'hôtesse navigant commercial, a déclaré avoir été victime d'un accident du travail le 28 juin 2017 à 18 heures ; que la déclaration d'accident du travail établie par son employeur le 30 juin 2017 décrit les circonstances suivantes : 'La salariée travaillait à l'office. Notre salariée déclare que lors de la manipulation d'une voiture repas, elle a ressenti une vive douleur au niveau de l'épaule', le siège et la nature des lésions précisés étant 'épaule droite-douleur'; que le certificat médical initial établi le 30 juin 2017 mentionne une 'tendinite coiffe des rotateurs droite' et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 7 juillet 2017 ; que, par décision du 5 juillet 2017, la CPAM du Val de Marne (la caisse) a pris en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels ; que, par courrier du 30 août 2017, la société a saisi la commission de recours amiable de la caisse d'un recours afin de contester la décision de prise en charge de la caisse ; que, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mars 2018, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité de Bobigny afin de contester la décision implicite de rejet de la caisse ; que, par jugement du 26 juin 2018, le tribunal a déclaré recevable le recours formé par la société, déclaré opposable à la société la décision de prise en charge de la caisse au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail de l'assurée du 28 juin 2017, avant dire droit sur la contestation de l'imputabilité des soins et arrêts de travail pris en charge après l'accident initial, ordonné une expertise médicale sur pièces confiée au docteur [V] afin de dire si l'ensemble des arrêts de travail de l'assurée est en relation directe et certaine avec son accident déclaré le 28 juin 2017, renvoyé l'affaire à l'audience du 18 octobre 2018 et réservé les autres demandes.
Le jugement a été notifié à la société le 24 juillet 2018 qui en a interjeté appel par déclaration du 20 août 2018.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son avocat, la société demande à la cour de :
- la recevoir en son appel, la disant bien fondée,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny le 26 juin 2018 en ce qu'il a déclaré la décision de la caisse de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, les faits déclarés par l'assurée le 28 juin 2017, opposable à la société,
Statuant à nouveau :
A titre principal,
- constater que la caisse n'a pas démontré, dans ses rapports avec l'employeur, ni la matérialité des faits allégués le 28 juin 2017, ni le lien de causalité direct et certain entre les lésions constatées et les faits déclarés par l'assurée,
- en conséquence, déclarer inopposable, à l'égard de la société, la décision de la caisse de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, les faits déclarés par l'assurée le 28 juin 2017,
A titre subsidiaire,
- constater qu'il existe un différend d'ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés, à l'accident déclaré par l'assurée le 28 juin 2017,
- en conséquence, ordonner, avant dire droit au fond, une expertise médicale judiciaire confiée à tel expert avec pour mission de :
- prendre connaissance de l'intégralité des documents détenus et transmis par la caisse, conformément à l'article L.141-2-2 du code de la sécurité sociale, concernant les prestations prises en charge au titre du sinistre initial,
- déterminer exactement les lésions initiales provoquées par l'accident,
- fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions,
- dire si l'accident a seulement révélé ou s'il a temporairement aggravé un état indépendant à décrire et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date, cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte,
- en tout état de cause, dire à partir de quelle date la prise en charge des soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n'est pas médicalement justifiée au regard de l'évolution du seul état consécutif à l'accident,
- fixer la date de consolidation des seules lésions consécutives à l'accident à l'exclusion de tout état indépendant évoluant pour son propre compte,
En tout état de cause :
- renvoyer l'affaire à une audience ultérieure pour qu'il soit débattu du caractère professionnel des lésions, prestations, soins et arrêts en cause.
Aux termes de ses conclusions écrites soutenues à l'audience par son avocat, la caisse demande à la cour de :
- déclarer irrecevable pour forclusion le recours de la société à l'encontre de la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident dont l'assurée a été victime le 28 juin 2017 ainsi que des soins et arrêts de travail prescrits au titre de cet accident,
- dire opposable à la société la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident survenu à l'assurée le 28 juin 2017 ainsi que la prise en charge des arrêts et soins qui lui ont été prescrits à la suite de cet accident,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner la société aux dépens,
- condamner la société à payer à la caisse la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
En application du deuxième alinéa de l'article 446-2 et de l'article 455 du code procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l'audience pour l'exposé de leurs moyens.
SUR CE :
Sur la forclusion du recours de la société :
L'article R.142-6 du code de la sécurité sociale dispose que, lorsque la décision du conseil d'administration ou de la commission n'a pas été portée à la connaissance du requérant dans le délai d'un mois, l'intéressé peut considérer sa demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal des affaires de sécurité sociale prévu à l'article L. 142-2, tandis que l'article R.142-18 du code de la sécurité sociale prévoit que le tribunal des affaires de sécurité sociale est saisi, après l'accomplissement, le cas échéant, de la procédure prévue à la section 2 du présent chapitre, par simple requête déposée au secrétariat ou adressée au secrétaire par lettre recommandée dans un délai de deux mois à compter soit de la date de la notification de la décision, soit de l'expiration du délai d'un mois prévu à l'article R. 142-6.
Ainsi que le tribunal l'a relevé à juste titre, la forclusion tirée de l'expiration du délai prévu par l'article R.142-18 du code de la sécurité sociale ne peut être opposée à la société que si elle a été informée par la commission de recours amiable de la caisse, lorsqu'elle l'a saisie, des recours pouvant être exercés contre ses décisions et des délais prévus.
Or, tant en première instance qu'en appel, la caisse ne justifie pas avoir procédé à cette information en accusant réception du recours amiable formalisé par la société.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a écarté la forclusion soulevée par la caisse.
Sur la matérialité du fait accidentel :
Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, no 00-21.768, Bull. no132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).
Le salarié (ou la caisse substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l'employeur) doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. no181) ; il importe qu'elles soient corroborées par d'autres éléments (Soc., 11 mars 1999, no 97-17.149, Civ 2ème 28 mai 2014, no 13-16.968).
En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celle-ci est présumée imputable au travail, sauf pour celui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail.
Il est observé, en premier lieu, qu'aux termes de la déclaration d'accident du travail, l'assurée a déclaré avoir ressenti une vive douleur au niveau de l'épaule en manipulant une voiture repas.
L'assurée a donc fait état d'un geste à l'origine de la douleur décrite.
Il est relevé que l'accident a été inscrit le jour même, soit le 28 juin 2017, au registre d'accidents du travail bénins, de sorte que l'existence du fait accidentel ne repose pas que sur les dires de l'assurée. Il s'ensuit que l'employeur a été immédiatement informé de la survenance de l'accident, ce que confirme la déclaration d'accident du travail qui désigne une personne avisée est nommément désignée dans la déclaration d'accident du travai.
Par ailleurs, la lésion 'tendinite coiffe des rotateurs droite', qui est compatible avec le fait accidentel en cause, a été constatée aux termes du certificat médical initial du 30 juin 2017, soit deux jours après la survenance de l'accident déclaré, ce certificat mentionnant le 28 juin 2017 comme date de l'accident.
Si la société produit des certificats médicaux ultérieurs mentionnant une date déclarée de l'accident du 29 juin 2017, cette date ne procède que d'une erreur matérielle au regard de la date figurant sur le certificat médical initial du 30 juin 2017.
Aussi, les douleurs décrites par l'assurée survenues le 28 juin 2017, alors qu'elle exercait ses fonctions d'hôtesse de l'air en manipulant une voiture repas, ont été objectivées par un médecin, aux termes du certificat médical initial, dans un délai très court de leur apparition.
Si la déclaration d'accident du travail ne mentionne pas de témoins, il est rappelé que cette seule circonstance n'est pas de nature à écarter la réalité du fait accidentel dès lors que les déclarations de la victime sont corroborées par d'autres éléments.
Aussi, au regard de ces éléments, il y a lieu de considérer comme établie la survenance d'un événement aux temps et lieu du travail dont il est résulté une lésion, de sorte que celle-ci est présumée imputable au travail.
Par ailleurs, la société ne produit aucun élément de nature à laisser supposer que l'assurée présentait les lésions décrites avant qu'elle ne débute son service le 28 juin 2017, ni même que le fait accidentel n'aurait joué aucun rôle dans leur apparition lorsqu'il s'est produit, ou encore que la lésion en cause se serait manifestée ou aurait été connue avant l'accident.
Par conséquent, la société ne justifiant pas que la lésion serait imputable à une cause totalement étrangère au travail, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré opposable à la société la décision de prise en charge de la caisse, au titre de la législation sur les risques professionnels, de l'accident du travail dont l'assurée a été victime le 28 juin 2017.
Sur l'imputabilité des soins et arrêts :
S'appuyant sur le rapport du docteur [L], médecin conseil de la société, aux termes duquel l'ensemble des arrêts de travail et soins pris en charge au titre de l'accident du travail déclaré relèverait des conséquences exclusives d'une cause étrangère, en l'occurence un état pathologique évoluant pour son propre compte, la société sollicite la mise en oeuvre d'une expertise judiciaire pour vérifier l'imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l'accident du travail du 28 juin 2017. Elle considère que s'agissant d'un litige purement médical, il conviendra d'identifier les lésions pouvant résulter de l'accident de l'assurée et, par la suite, distinguer les arrêts de travail relevant des seules conséquences de cet accident, les arrêts de travail n'ayant pas de lien direct et exclusif avec l'accident du 28 juin 2017 devant être déclarés inopposables à la société.
La caisse rappelle que la présomption d'imputabilité s'étend aux soins et arrêts de travail prescrits à la suite de l'accident jusqu'à la date de consolidation fixée par le médecin conseil de la caisse et que la société ne justifie d'aucun élément objectif permettant d'envisager l'existence d'une cause totalement étrangère ni une pathologie préexistante susceptible d'être la cause exclusive des prescriptions contestées.
La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire.
En l'espèce, bénéficie de la présomption d'imputabilité à l'accident du travail du 28 juin 2017 l'ensemble des soins et arrêts de travail jusqu'à la guérison de la victime constatée, selon les conclusions non contestées de la caisse, le 6 mai 2020.
La société se prévaut d'un rapport médical de son médecin conseil, le docteur [L], aux termes duquel il rappelle que le certificat médical initial rapporte le diagnostic de 'tendinite de la coiffe des rotateurs droite'; que les lésions décrites successivement sont caractéristiques d'une tendinopathie chronique dégénérative de la coiffe des rotateurs et qu'aucune lésion anatomique traumatique n'est identifiée, en particulier tendineuse ; que les tendinopathies sont des pathologies microtraumatiques d'hyperutilisation dont l'origine ne relève pas d'un événement traumatique unique et soudain mais d'une souffrance chronique des structures tendineuses au long cours ; qu'il existe un état antérieur dont l'évolution naturelle a conduit à une intervention chirurgicale le 7 mars 2018 ; qu'il n'y a aucun argument médical objectif permettant de considérer que l'événement du 28 juin 2017 a décompensé ou aggravé cet état antérieur et que la caisse a pris en charge des lésions strictement dégénératives s'intégrant dans le cadre d'un état pathologique indépendant qui évolue pour son propre compte.
Mais même à supposer l'existence d'un état antérieur consistant en une tendinopathie, étant rappelé par ailleurs qu'elle peut être d'origine traumatique, il est relevé que cet état antérieur a pu être dolorisé ou révélé du fait de l'accident du travail initial, le docteur [L], se prévalant de considérations médicales générales, ne pouvant se borner à affirmer, sans donner aucun élément sur l'état de santé de l'assurée avant l'accident, que ce dernier n'aurait eu aucun rôle dans l'apparition, la révélation ou la dolorisation de la tendinite de la coiffe des rotateurs constatée le 30 juin 2017.
Par conséquent, la demande d'expertise formulée par la société, qui ne repose sur aucun commencement de preuve, sera rejetée.
Aussi, il convient de dire opposable à la société l'ensemble des soins et arrêts de travail prescrits au titre de l'accident du travail du 28 juin 2017, le jugement étant infirmé du chef de l'expertise judiciaire qui est sans fondement au regard de la présomption d'imputabilité non utilement combattue.
La société sera condamnée aux dépens et à payer à la caisse 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
DÉCLARE l'appel recevable,
CONFIRME le jugement rendu le 26 juin 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Bobigny en toutes ses dispositions sauf en celles ayant ordonné une expertise médicale sur pièces confiée au docteur [V],
Statuant à nouveau,
DÉCLARE opposable à la société [5] l'ensemble des soins et arrêts prescrits à la suite de l'accident du travail du 28 juin 2017,
CONDAMNE la société [5] aux dépens d'appel,
CONDAMNE la société [5] à payer à la CPAM du Val de Marne 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La greffière Le président