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15/05/2023 | FRANCE | N°21/06126

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 15 mai 2023, 21/06126


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 15 Mai 2023



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 21/06126 et N°RG 21/06665



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 11 Février 2021 et 19 mars 2021...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 15 Mai 2023

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 21/06126 et N°RG 21/06665

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 11 Février 2021 et 19 mars 2021 par :

M. [Z] [D]

né le [Date naissance 1] 1994 à KATY (MALI), demeurant [Adresse 2] ;

Comparant et assisté de Me Xavier MARTINEZ, avocat au barreau de Seine Saint Denis

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 20 Mars 2023 ;

Entendu Me [J] [V] assistant M. [Z] [D],

Entendu Me Rosa BARROSO, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Anne Bouchet, Substitute Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [Z] [D], de nationalité française, mis en examen des chefs de tentative de meurtre en bande organisée, association de malfaiteurs en vue de commettre un crime, violences sur agents de la force publique, dégradation de biens publics, a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 3] du 19 janvier 2018 au 8 mars 2019, date à laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire.

Le 16 juillet 2019, il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs de violences volontaires sur agents de la force publique, violences avec arme et guet apens à l'encontre d'agents de la force publique et dégradations de biens publics, qui par jugement du 2 octobre 2020, l'a relaxé. La décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non-appel du 13 janvier 2021.

Les 11 février et 19 mars 2021, M. [D] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celles-ci, soutenues oralement,

- en réparation de son préjudice matériel, la somme de 41 076.95 euros se décomposant ainsi :

* 12 273,90 euros au titre de la perte de rémunération,

* 3 803,05 euros au titre de la perte de chance de cotiser à la retraite,

* 15 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir suivre une scolarité pour la rentrée de septembre 2018 à juin 2019 en BTS électrotechnique,

* 10 000 euros au titre de la perte de chance de pouvoir trouver un emploi régulier ou une scolarité régulière durant sa période de contrôle judiciaire,

- en réparation de son préjudice moral, la somme de 40 000 euros,

- en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 7 000 euros.

Dans ses écritures notifiées par RPVA et déposées le 19 juillet 2022, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de ramener l'indemnité qui sera allouée à M. [D] en réparation de son préjudice moral à la somme de 28 000 euros, de le débouter de ses demandes au titre du préjudice matériel et de ramener l'indemnité qui lui sera allouée au titre des frais irrépétibles à 1 000 euros.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 13 février 2023, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de quatre cent dix jours et à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées, mais au rejet des demandes au titre du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Les deux requêtes ayant le même objet, il convient de les joindre sous le numéro le plus ancien.

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [D] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 11 février 2021, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

La demande de M. [D] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 19 janvier 2018 au 8 mars 2019, soit pour une durée de quatre cent treize jours.

Sur l'indemnisation

- Le préjudice moral

M. [D] fait état d'un choc carcéral important. Il invoque son jeune âge, la durée de l'incarcération alors qu'il était inconnu des services de police et de justice et qu'il clamait son innocence, l'éloignement d'avec sa famille, sa mère n'ayant obtenu un permis de visite que dix mois après son placement en détention, des conditions d'incarcération difficiles en raison notamment de mauvaises conditions d'hygiènes, présence de souris et de rats, de la surpopulation carcérale et de scènes de violences auxquelles il a assistées, départs de feu et agressions sexuelles entre détenus, outre des problèmes cutanés causés par le calcaire des douches. Il soutient être resté abîmé psychologiquement à sa sortie détention, ses proches faisant part de leur désarroi à son égard. Il affirme enfin être souvent dévisagé dans son quartier qui, bien qu'il ait été relaxé, le considère coupable.

L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général rappellent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnation antérieures, soulignant que seules les circonstances liées à l'âge, à la durée de la détention, à sa situation personnelle et à son absence de passé carcéral peuvent être prises en compte.

A la date de son incarcération, M. [D] était âgé de 19 ans, célibataire et sans enfant. Il a subi un préjudice moral certain en raison du choc carcéral, lequel n'a pas été amoindri par une précédente incarcération, et de la durée de son incarcération. Ce choc a été aggravé par la souffrance d'avoir été séparé d'avec sa famille avec laquelle il vivait, même si ses parents qui résidaient en Seine Saint Denis à 55 kilomètres de la maison d'arrêt de [Localité 3] ont obtenu le 28 mai 2018 une autorisation de visite permanente, qui a été renouvelée le 17 septembre 2018.

En revanche, le requérant dénonce les conditions de sa détention à la maison d'arrêt de [Localité 3] en produisant deux articles sur un départ de feu et une agression sexuelle entre détenus mais ne démontre pas avoir subi personnellement des conditions de détention particulièrement difficiles, étant relevé que le rapport d'enquête sur sa personnalité, dans lequel il ne faisait état d'aucune difficulté de cohabitation, ne met pas en évidence des problèmes particuliers.

De même les protestations d'innocence du requérant au cours de l'instruction ou durant l'incarcération et le sentiment éprouvé de n'avoir pas su se faire entendre des juges, sont sans portée sur le montant de la réparation

Il lui sera alloué une somme de 34 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Le préjudice matériel

M. [D] explique que la détention l'a freiné dans son avancée professionnelle car il n'a pu travailler durant sa détention alors qu'il était titulaire d'un bac électrotechnique et du permis de conduire, qu'il avait l'intention de continuer son activité professionnelle de manutentionnaire ou de préparateur de commande puis de postuler à un BTS en septembre 2018 et devait, pour ce faire, trouver un employeur en alternance. Il comptait ainsi réaliser différents emplois jusqu'à la rentrée 2018. Il invoque par conséquent une perte de revenus à hauteur du Smic de 2019 pendant dix mois, une perte de chance de cotiser pour ses droits à la retraite évaluée à 25% du salaire brut perdu ainsi qu'une perte de chance de postuler utilement et de suivre des études supérieures.

Il ajoute que, du fait de son contrôle judiciaire, l'obligeant à résider à [Localité 4] de mars 2019 à octobre 2020, il a été limité dans ses champs d'intervention et n'a pu se présenter à un rendez-vous avec la société [5] pour réaliser un stage en alternance pour son BTS.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public concluent au rejet de ces demandes car M. [D] ne justifie pas qu'au moment de son placement en détention, il occupait un emploi et considèrent que la preuve de l'existence des pertes de chance alléguées n'est pas rapportée.

Il résulte des pièces du dossier, notamment l'arrêt de la chambre de l'instruction du 14 février 2019 que M. [D] a 'passé' son bac au printemps 2017 et qu'il envisageait de poursuivre en BTS mais que ce projet a échoué avant même son incarcération faute d'avoir trouvé un employeur en alternance.

Il ne justifie pas qu'au moment de son incarcération il était employé de sorte qu'il ne peut pas prétendre à une perte de salaires.

Il démontre l'accomplissement de missions d'interim du 27 juin au 21 juillet 2017, du 20 au 22 septembre 2017, du 29 novembre au 2 décembre 2017, du 13 au 15 décembre 2017 et du 18 au 22 décembre 2017. Bien que de courtes durées, la régularité de ces missions caractérise une perte de chance de trouver un emploi suffisamment sérieuse pour donner lieu à indemnisation à hauteur de 30% du SMIC pendant dix mois, soit 3 682 euros.

Le demandeur n'ayant pu cotiser ni pour sa retraite de base, ni pour ses retraites complémentaires, le préjudice subi s'analyse en une perte de chance d'obtenir les points de retraite qu'il était en droit d'escompter si, n'étant pas incarcéré, il avait pu normalement cotiser, laquelle peut être évaluée à 552 euros (3 682 x 0,15).

En revanche, faute de justifier de démarches pour la poursuite de ses études, à l'exception d'un mail relatif à une convocation pour des tests en juillet 2019, soit postérieurement à la levée d'écrou, aucune perte de chance ne peut être retenue à ce titre.

Enfin, les éventuels préjudices résultant du contrôle judiciaire ne peuvent pas être réparés dans le cadre de la présente procédure.

Il y a lieu, par suite, de lui allouer la somme globale de 4234 euros en réparation de son préjudice matériel.

PAR CES MOTIFS

Ordonnons la jonction des requêtes enregistrées sous les numéros de RG 21/06126 et 21/06665 sous le premier de ces numéros,

Déclarons la requête de M. [Z] [D] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 34 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 4 234 euros en réparation de son préjudice matériel,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [D] du surplus de ses demandes,

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 15 Mai 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA MAGISTRATE DÉLÉGUÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 21/06126
Date de la décision : 15/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-15;21.06126 ?
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