REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 22 MAI 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06627 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFSHS
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 02 Mars 2022 -TJ de CRETEIL RG n° 21/0373
APPELANT
Monsieur [W] [R]
[Adresse 6]
[Localité 3]
né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 8]
Représenté par Me Stéphane FERTIER de l'AARPI JRF AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075
Assisté par Me Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
S.A.S EDELIS
Ayant son siège social
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Assistée par Me Olivier THEVENOT , Avocat au barreau de TOULOUSE, Avocat plaidant
S.A.S. EXELL FINANCE
Ayant son siège social
[Adresse 4]
[Localité 5]
N° SIRET : 424 582 823
Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège
Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056
Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU - CICUREL - MEYNARD - GAUTHIER - MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240
Assistée par Me Frédéric CAZAUX Avocat du barreau de TOULOUSE, Avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile l'affaire a été débattue le 03 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Edouard LOOS, Président, entendu en son rapport et Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Le 27 mars 2002, par l'intermédiaire de la société Exell Finance, Monsieur [W] [R] a signé un contrat de réservation préliminaire aux fins d'achat, en l'état futur d'achèvement, d'un bien immobilier constitué du lot numéro 63 de la résidence Vieux Port, à [Localité 9] (02), pour un montant de 90 000 euros TTC, auprès de la société 4M Promotion devenue Edelis, dans le but de réaliser un investissement immobilier leur permettant de défiscaliser les revenus de ce bien.
Par acte sous seing privé daté du 27 mars 2003 mais en réalité du même jour, par l'intermédiaire de la même société, Monsieur [R] a signé le même type de convention pour l'achat du lot numéro 72 de la même résidence au prix de 92 200 euros TTC auprès de la société 4M Promotion devenue Edelis dans le même but.
Les actes de vente en l'état futur d'achèvement ont été conclus en la forme authentique par acte reçu par Me [O] [H] notaire à [Localité 10], le 12 août 2002.
Le Financement de l'acquisition du lot numéro 72 a été assuré par un prêt de 92 200 euros consenti par le Crédit Mutuel le 10 juin 2002 et celle du lot numéro 63 par la société Sampaio le 1er octobre 2002.
Par acte d'huissier de justice en date des 8 et 9 décembre 2020, Monsieur [W] [R] a fait assigner les sociétés Exell Finance et Edelis, soutenant en substance qu'il a été démarchés par la société Exell Finance afin de procéder à un investissement immobilier locatif dans le cadre du régime fiscal de la loi Besson, mais que cette société, mandataire de la société Edelis, a manqué à ses obligations d'information et de conseil en surévaluant les biens, en cachant leur faible rendement locatif et en ne l'avertissant pas des risques de l'opération.
* * *
Vu l'ordonnance prononcée le 2 mars 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil qui a statué comme suit :
- Déclare les demandes irrecevables comme prescrites
- Condamne Monsieur [W] [R] aux dépens et à payer aux sociétés Edelis et Exell Finance la somme de 500 (cinq cent) euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel déclaré le 30 mars 2022, par Monsieur [W] [R],
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 novembre 2022 par Monsieur [W] [R],
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 février 2023 par la société Edelis,
Vu les dernières conclusions signifiées le 24 février 2023 par la société Exell Finance,
M. [W] [R] demande à la cour de statuer comme suit:
Vu l'article 2224 du code civil, les articles 31 et 700 du code de procédure civile,
- Infirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil du 2 mars 2022 (RG n° 21/00273) en ce qu'elle a :
Déclaré les demandes irrecevables comme prescrites
Condamné Monsieur [R] aux dépens et à payer à la société Edelis France et à la société Exell Finance, chacune, la somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Et par conséquent, Statuant à nouveau,
A titre principal,
- Déclarer recevable l'action formée à l'encontre de la société Edelis en sa qualité de promoteur-vendeur de l'opération d'investissement,
- Déclarer recevable l'action formée à l'encontre de la société Exell Finance, structure de commercialisation et prescripteur de l'opération,
- Déclarer non prescrite l'action indemnitaire diligentée à l'égard des intimées,
A titre subsidiaire
- Déclarer que la société Edelis a manqué à son obligation de conseil à l'encontre de l'appelant,
- Déclarer recevable Monsieur [R] en son action à l'encontre d'Edelis pour avoir qualité à agir contre elle,
En tout état de cause :
- Condamner in solidum Edelis et Exell Finance au règlement de la somme de 2 000 euros au titre des disposition de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les intimés aux entiers dépens de première instance et d'appel dont le recouvrement sera effectué par Maître Stéphane Fertier de la Selarl JRF & Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Edelis demande à la cour de statuer comme suit :
Vu les articles 2222 et 2224 du code civil, les articles 32 et 122 du code de procédure civile,
Au principal,
- Juger que les actes authentiques de vente ont été signés entre Monsieur [W] [R] et la société 4M Promotion le 12 août 2002.
- Juger que Monsieur [W] [R] a assigné la société Edelis par acte en date du 8 décembre 2020.
Par conséquent,
- Confirmer l'ordonnance rendue le 2 mars 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil en ce qu'elle a jugé irrecevables les demandes de Monsieur [W] [R].
- La confirmer encore, en ce qu'elle a condamné, Monsieur [W] [R] au paiement de la somme de 500 euros au bénéfice de la Sas Edelis sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'incident.
A titre subsidiaire,
Si par extraordinaire la cour venait à considérer l'action de monsieur [R] non prescrite,
- Juger que Monsieur [W] [R] allègue d'un défaut conseil reposant sur la simulation fiscale qui lui a été remise par Exell Finance.
- Juger que la Sas Edelis a donné mandat à Exell Finance de vendre les biens de la Résidence Vieux Port sans lui donner mandat de commercialiser le dispositif fiscal De Robien et d'établir la simulation fiscale.
Par conséquent, statuant à nouveau :
- Infirmer l'ordonnance rendue le 2 mars 2022.
- Juger irrecevable pour défaut de qualité à agir l'action de Monsieur [R] dirigée à l'encontre de la Sas Edelis.
- Confirmer l'ordonnance en ce que Monsieur [R] a été condamné au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'incident devant le juge de la mise en état.
En tout état de cause,
- Condamner Monsieur [W] [R] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par la Selarl 2H Avocats, en la personne de Maître Patricia Hardouin, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Exell Finance demande à la cour de statuer comme suit :
Vu les dispositions des articles 56 et 122 du code de procédure civile, les dispositions des articles 1147 (ancien), 1382 (ancien), 2222 et 2224 du code civil,
- Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Créteil le 2 mars 2022 en toutes ses dispositions
- Débouter Monsieur [W] [R] de l'ensemble de ses demandes.
- Débouter la société Edelis de son appel incident formé à titre subsidiaire.
Et y ajoutant :
- Condamner Monsieur [W] [R] à payer à la société Exell Finance une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- Condamner Monsieur [W] [R] au paiement des entiers dépens, en ce compris les dépens d'appel, dont distraction au profit de la Scp Brodu Cicurel Meynard Gauthier Marie, société d'avocats, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
M. [W] [R] soutient, au visa de l'article 2224 du code civil, que l'action n'est pas prescrite au motif que le point de départ de la prescription d'une action en réparation du préjudice constitué par la perte de chance de ne pas contracter est le jour de réalisation du dommage, soit en l'espèce, le jour du débouclage de l'opération. Les investisseurs ne peuvent avoir conscience des risques liés à l'opération qu'à la revente du bien puisque c'est à ce moment qu'ils découvrent que le produit de vente ne couvre pas les frais engagés dans l'opération. Ni les carences locatives, ni la baisse de loyers ne sont susceptibles de révéler ce déséquilibre négatif. L'omission d'informations sur les risques, renforcés par la surévaluation du bien immobilier, support de l'opération, est constitutive du manquement à l'obligation d'information et de conseil imputable aux intimées.
La société Edelis soutient en revanche, au visa de l'article 2224 du code civil, que l'action est prescrite aux motifs que le point de départ de la prescription est le jour de la conclusion du contrat de vente ou l'année de la première location respectivement pour la surévaluation du bien, le défaut d'information sur les risques, et pour le défaut d'information sur le contexte local. Il revenait au requérant de se renseigner sur la valeur réelle du bien immobilier, sur la réalité du marché locatif et sur les risques encourus dès lors qu'il dispose d'une faculté de rétractation.
La société Exell Finance soutient, au visa des articles 1151 ancien, 2222 et 2224 du code civil, que l'action est prescrite aux motifs qu'en cas de manquement à une obligation d'information, le dommage réside en une perte de chance de ne pas contracter, de sorte que le jour de la conclusion du contrat marque le point de départ de la prescription de l'action, à moins que le requérant ne démontre l'existence d'un préjudice direct justifiant le report. Un investisseur diligent sait que l'opération en cause comporte un aléa et doit donc s'informer en conséquence. La non-réalisation de l'objectif fiscal lui est inopposable puisqu'il n'est pas contractuellement prévu que l'acquisition du bien immobilier est exclusivement subordonnée à cet objectif.
Ceci étant exposé, l'article 2224 du code civil est ainsi rédigé :
'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'
La prescription quinquennale est également applicable à la demande fondée sur le dol sauf à préciser que, en application de l'article 1144 du code civil, le point de départ de l'action se situe au jour de la découverte du dol.
Concernant la surévaluation du bien immobilier au jour de son acquisition et l'état du marché locatif , il appartenait à M. [R] de se renseigner sur l'estimation du bien immobilier et les perspectives locatives au jour de son acquisition le 12 août 2002. Sagissant du défaut d'information et de conseil et d'un préjudice fondé sur la perte de chance de ne pas contracter, le point de départ de la prescription se situe au jour de la conclusion du contrat soit le 12 août 2002 . L'assignation ayant été délivrée le 8 décembre 2020, les demandes se trouvent ainsi prescrites sur ce fondement .
Concernant le grief relatif à l'impossibilité d'obtenir la rentabilité promise, il doit être relevé que l'appelant ne se situe pas sur le terrain de la perte locative puisqu'il admet n'avoir connu que trés peu de désarrois locatifs.
Selon M. [R], le point de départ de la prescription devrait se situer au jour du débouclage de l'opération en 2016 et au plus tard lorsqu'il a sollicité une estimation de son bien en octobre 2020.
Si le point de départ de la prescription peut être reporté au jour de la connaissance du principe du dommage et non nécessairement de son montant, l'appelant a adhéré au dispositif fiscal dit 'Loi Besson' prévoyant une durée de location de 9 années. Dans l'hypothèse même retenue par l'appelant de report du point de départ de la prescription au jour du débouclage de l'opération, cette dernière se situerait à l'expiration du délai de 9 années suivant la première mise en location intervenue en février 2004. L'action introduite le 8 décembre 2020 se trouve ainsi prescrite .
Le point de départ de la prescriptin ne peut pas se situer au jour où l'investisseur décide de faire procéder à une estimation immobilière car il dépendrait d'une décision purement subjective et potestative.
L'ordonnance déférée doit ainsi être confirmée.
La cour n'estime pas devoir allouer une somme complémentaire aux intimées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME l'ordonnance déférée ;
REJETTE toutes autres demandes ;
CONDAMNE M. [W] [R] aux dépens et accorde à Scp Brodu Cicurel Meynard Gauthier Marie et à maître Hardouin, avocats, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS