RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 08 MARS 2024
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 21/04620 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDXQI
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 13 Avril 2021 par le Pole social du TJ de Paris RG n° 20/00220
APPELANT
Monsieur [H] [X]
[Adresse 6]
[Localité 3]
comparant en personne
INTIMEE
Caisse CPAM 75
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 Novembre 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre
M Gilles REVELLES, conseiller
M Christophe LATIL, conseiller
Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu au 16 février 2024 puis prorogé au 08 mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par [H] [X] (l'assuré) à l'encontre d'un jugement rendu le 13 avril 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris dans un litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10] (la caisse).
EXPOSÉ DU LITIGE
Les circonstances de la cause ont été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il convient de rappeler que la société [9] (la société) a effectué une déclaration d'accident du travail, sans réserves, concernant l'assuré, âgé de 32 ans, qui était son salarié pour un accident survenu le 19 décembre 2018 ; que, sur les circonstances de l'accident, la déclaration mentionne que l'assuré « travaillait sur ordinateur - crise d'épilepsie », la mention « NA » étant également renseignée concernant le siège et la nature des lésions ; que le certificat médical initial établi le 19 décembre 2018 aux urgences hospitalières constate un « crise convulsive sur le lieu de travail » et prescrit des soins jusqu'au 2 janvier 2019 sans arrêt de travail ; qu'un second certificat médical « initial » établi par le médecin traitant de l'assuré, établi le 21 décembre 2018, fait état d'une « crise convulsive sur son lieu de travail » avec un arrêt de travail jusqu'au 24 décembre 2018 ; que conformément à l'avis négatif du service médical, par décision du 27 mars 2019, la caisse a refusé de prendre en charge l'accident déclaré au titre de la législation sur les risques professionnels ; qu'à la suite de la contestation de l'assuré, une expertise technique a été mise en 'uvre ; que le médecin désigné, relevant que l'assuré avait fait une crise d'épilepsie, le 19 décembre 2018 puis une autre le 22 mars 2019 hors travail et au regard d'une IRM du 26 décembre 2018, a conclu le 8 juillet 2019 que la crise convulsive sur le lieu de travail n'avait pas de lien de causalité avec le travail ; que le 18 juillet 2019, la caisse a maintenu sa décision de rejet de prise en charge de l'accident au titre des risques professionnels ; que, lors de sa séance du 5 novembre 2019, la commission de recours amiable de la caisse a rejeté le recours de l'assuré, lequel a contesté cette décision en saisissant, le 10 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris ; que, par jugement du 13 avril 2021, le tribunal a déclaré recevable le recours mais mal fondé et a débouté l'assuré de sa demande d'expertise avant dire droit, l'a condamné aux dépens et l'a débouté de toutes ses demandes y compris au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'assuré a interjeté appel de ce jugement le 21 mai 2021, lequel lui avait été notifié à une date qui ne ressort pas des éléments du dossier à la disposition de la cour.
Présent à l'audience et renonçant à la présence de son conseil, aux termes de ses conclusions écrites soutenues oralement à l'audience du 20 novembre 2023, l'assuré demande à la cour d'infirmer le jugement et d'ordonner une mesure d'expertise médicale technique.
Après avoir sollicité un renvoi, la caisse a accepté, au regard des pièces versées par l'intéressé, la demande de retenue formée par l'assuré. Oralement la caisse demande à la cour la confirmation du jugement et à titre subsidiaire la mise en 'uvre d'une expertise médicale.
Il est renvoyé au mémoire écrit de l'assuré déposé à l'audience du 20 novembre 2023 et aux notes d'audience pour la caisse pour un exposé des moyens développés et soutenus à l'audience.
MOTIFS DE LA DÉCUSION
Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768, Bull. n° 132). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397).
Le salarié doit ainsi établir autrement que par ses propres affirmations les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel (Soc., 26 mai 1994, Bull. n° 181). Il importe qu'elles soient corroborées par d'autres éléments (Soc., 11 mars 1999, n° 97-17.149, Civ. 2e, 28 mai 2014, n° 13-16.968).
En revanche, dès lors qu'il est établi la survenance d'un événement dont il est résulté une lésion aux temps et lieu de travail, celle-ci est présumée imputable au travail, sauf pour celui qui entend la contester de rapporter la preuve qu'elle provient d'une cause totalement étrangère au travail.
Il est rappelé que la déclaration d'accident du travail du 19 décembre 2018, qui ne comporte aucune précision ni réserves, indique seulement que l'assuré « travaillait sur ordinateur » lorsqu'il a eu une « crise d'épilepsie ». Les heures de travail et le lieu de l'accident indiqués par l'employeur attestent du fait que l'accident s'est produit aux temps et lieu du travail. Le certificat médical initial établi aux urgences hospitalières le 19 décembre 2018 prescrivant des soins sans arrêt de travail, mentionne une « crise convulsive sur le lieu de travail ». Le second certificat médical « initial », établi ensuite par le médecin traitant de l'assuré le 21 décembre 2018, indique une « crise convulsive sur son lieu de travail » et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 24 décembre 2018.
Il n'est donc pas contestable qu'une lésion est apparue soudainement aux temp et lieu du travail de sorte que la présomption d'imputabilité de cet accident au travail doit trouver à s'appliquer.
Pour y faire obstacle, la caisse invoque une cause totalement étrangère à l'origine de la crise convulsive, à savoir une pathologie indépendante évoluant pour son propre compte et de nature congénitale. Elle se fonde sur l'avis de son médecin-conseil confirmé par le médecin désigné dans le cadre de l'expertise technique.
Il ressort précisément de cette expertise technique, réalisée le 8 juillet 2019 par le docteur [T], gastro-entérologue et hépatologue, que :
Compte tenu de l'ensemble du dossier médical, lésions et troubles mentionnés dans le certificat médical du 21 décembre 2018 « crise convulsive sur lieu de travail » n'ont pas de lien de causalité avec le traumatisme causé par l'accident dont l'assuré a été victime le 19 décembre 2018.
[L'assuré] a fait une crise d'épilepsie le 19 décembre 2018 et a été hospitalisé du 26 décembre au 2 janvier 2019 devant l'existence d'une thrombophlébite cérébrale du sinus latéral et sigmoïde gauche avec nécrose hémorragique temporale inférieure gauche, il a fait une nouvelle crise le 22 mars 2019, actuellement, il se plaint d'une asthénie'
L'expert a relevé que dans le compte-rendu hospitalier du 19 décembre 2018 il était mentionné : « une crise d'épilepsie chez un patient de 32 ans, scanner cérébral normal, bilan biologique normal hormis CKP à 300 ».
L'expert a également relevé que c'est l'IRM du 26 décembre 2018 qui a mis en évidence une « thrombophlébite cérébrale du sinus latéral et sigmoïde gauche avec une nécrose hémorragique temporale inférieure gauche ».
L'expert relève enfin que l'assuré a été hospitalisé dans le service des urgences cérébro-vasculaires avec un compte rendu de sortie du 2 janvier 2019 qui mentionnait : « un lien avec la crise d'épilepsie inaugurale et possible, le parenchyme cérébral hernié paraissant potentiellement épileptogène' »
L'assuré explique, en première instance, qu'il n'a jamais eu de crise avant le 19 décembre 2018 et qu'il s'agit d'une crise comitiale, c'est-à-dire une crise d'épilepsie généralisée avec perte de connaissance et convulsions, due à un surmenage et un stress intense sur le lieu de travail. Il se prévaut de l'avis de son médecin traitant qui contredit l'avis de l'expert technique et demande une nouvelle expertise confiée à un neuropsychiatre ou un généraliste avec faculté de faire appel à un sapiteur. Il explique qu'il était consultant et que le stress provenait de la nécessité de travailler tard et des courriels qu'il recevait très tardivement.
La caisse oppose que le compte-rendu hospitalier démontrait qu'il existait un état pathologique antérieur et que ce malaise aurait pu survenir à n'importe quel moment. Elle ajoute que le stress invoqué n'est apparu que pour les besoins de la cause.
La cour constate au contraire, au regard des pièces versées par l'assuré, que l'expert technique n'a pas pris connaissance du compte rendu hospitalier du 26 décembre 2018 au 2 janvier 2019 indiquant que le diagnostic de thrombose a été infirmé après un complément d'imagerie et qu'il s'agirait plutôt d'une myéloméningocèle et qui indique : « le lien avec les céphalées n'est pas clairement défini et le fond d''il a permis d'exclure un 'dème papillaire rendant une hypertension intracrânienne peu probable ». De plus, le médecin traitant de l'assuré indique que la crise n'était aucunement prévisible et que le lien avec le méningocèle n'est pas établi. Il ressort également du certificat du 5 septembre 2019 établi par le médecin traitant de l'assuré, qui le suit depuis de nombreuses années, que ce dernier a fait pour la première fois une crise d'épilepsie le 19 décembre 2018 dans un contexte de stress intense au travail. Le médecin traitant de l'assuré est d'avis que la crise comitiale, la première, doit être considérée comme un accident du travail puisqu'elle survient sur son lieu de travail et que l'assuré n'avait aucun antécédent neurologique et qu'elle a dû être favorisée par le contexte professionnel de stress au travail.
L'assuré explique que l'accident s'est produit à la sortie d'une réunion difficile qu'il est allé s'installer à une table longue en plein milieu de l'Open Space et qu'il s'est remis sur son ordinateur. C'est à ce moment-là qu'il a eu sa crise en perdant connaissance. Il fait valoir qu'il ressort du compte-rendu hospitalier qui lui a été remis qu'il avait fait une crise convulsive dite grand mal, aussi appelée tonico-clonique ou épilepsie généralisée ou crise comitiale, en d'autres termes un accident cérébral. Il relève que l'employeur n'a jamais contesté l'accident du travail et que cette crise n'avait jamais eu de précédent. Il ajoute que le premier scanner cérébral avait effectivement fait apparaître une anomalie qui semblait être une thrombophlébite du sinus gauche, soit un AVC, mais qu'à l'hôpital de la [11] le diagnostic de thrombophlébite a été infirmé, la radiologue ayant effectué le premier scanner cérébral ayant confondu une malformation cérébrale jamais découverte à ce jour avec une thrombophlébite. Il précise qu'il s'agit d'un méningo-encéphalocèle, soit une forme de hernie cérébrale. Il explique que la seconde crise qu'il a eue s'est produite 30 minutes après avoir reçu un courriel, qu'il produit au débat, d'une ancienne collègue qui lui demandait de revoir un dossier alors qu'il avait été préalablement prié de quitter son poste et de ne plus revenir jusqu'à son solde de tout compte, ce qui avait ravivé son stress.
Il existe donc une difficulté d'ordre médical dans l'interprétation des examens réalisés après l'accident et le rôle, fût-il partiel, du travail dans la réalisation de la crise convulsive dont l'assuré a été la victime.
Le jugement sera donc infirmé.
Une mesure d'expertise technique sera ordonnée en application des dispositions des articles L. 141-2 et R. 142-17-1, II., du code de la sécurité sociale.
Succombant à l'instance, la caisse sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
DÉCLARE l'appel recevable ;
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 13 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Paris ;
ET STATUANT À NOUVEAU,
ORDONNE une expertise médicale technique à l'effet de :
- Dire si le traumatisme provoqué par l'accident dont l'assuré a été victime le 19 décembre 2018, à savoir une « crise convulsive », a un lien de causalité, ou non, avec les lésions et troubles mentionnés dans le certificat médical du 21 décembre 2018 puis dans les suites de sa prise en charge hospitalière ;
- Préciser si ces lésions et troubles sont la conséquence, par origine ou aggravation, d'un état antérieur et, le cas échéant, si le travail a pu jouer, ou non, un rôle déclencheur ;
DÉSIGNE pour y procéder le docteur :
[O] [R]
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 5]
Port. : [XXXXXXXX01]
Email : [Courriel 8]
CONDAMNE la C.P.AM. de [Localité 10] aux dépens d'appel.
La greffière La présidente