La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/03/2024 | FRANCE | N°20/06714

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 21 mars 2024, 20/06714


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 21 MARS 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06714 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPZX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY COURCOURONNES - RG n° 19/00705





APPELANTE



S.A.S.U. CORNET'S

[Adresse 4

]

[Localité 5]

Représentée par Me Diane LEMOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : R158







INTIMEE



Madame [T] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabienne FE...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 21 MARS 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06714 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPZX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY COURCOURONNES - RG n° 19/00705

APPELANTE

S.A.S.U. CORNET'S

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Diane LEMOINE, avocat au barreau de PARIS, toque : R158

INTIMEE

Madame [T] [R]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Fabienne FENART, avocat au barreau d'ESSONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [T] [R] a été embauchée le 14 mars 2017 par la société Dyon par contrat de travail à durée indéterminée, en qualité de Caviste conseil/vendeuse statut non-cadre. La société Dyon possédait une boutique à [Localité 3], dans laquelle Mme [R] exerçait ses fonctions, et une autre boutique à [Localité 5].

En 2018, la société Dyon a cédé ses deux fonds de commerce à la société Cornet's. Le contrat de travail de Mme [R] a été transféré le 13 novembre 2018.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective du commerce de détail de boissons en magasin spécialisé, Mme [R] percevait un salaire mensuel brut de 1800 euros.

Le 1er mars 2019, la société Cornet's a convoqué Mme [R] à un entretien préalable à licenciement fixé au 8 mars 2019.

Le 26 mars 2019, la société Cornet's a notifié à Mme [R] son licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement.

Le 30 mars 2019, Mme [R] a été placée en arrêt de travail.

Le même jour, elle a déposé plainte au commissariat de [Localité 3] pour harcèlement moral.

Le 2 avril 2019, Mme [R] a accepté le contrat de sécurisation professionnelle.

Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes d'Évry Courcouronnes le 17 septembre 2019. Elle sollicitait le paiement d'heures supplémentaires, un rappel de salaire pour le mois de mars 2019, ainsi que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, non-respect de l'obligation de reclassement, non-respect de l'ordre des licenciements, préjudice moral, harcèlement moral, et absence de visite médicale.

Par jugement rendu en formation paritaire le 25 septembre 2020, et notifié le 8 octobre 2020, le conseil de prud'hommes d'Évry Courcouronnes a :

- dit que le licenciement de Mme [T] [R] est sans cause réelle et sérieuse

- condamné la société Cornet's, en la personne de son représentant légal, à payer à Mme [T] [R] les sommes suivantes :

* 958,33 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires

* 95,83 euros au titre des congés payés afférents

* 249,24 euros au titre du rappel de salaire sur le mois de mars 2019

* 24,92 euros au titre des congés payés afférents

avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter de la date de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 14 septembre 2019

* 11 571,72 euros au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

avec intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du prononcé du présent jugement

- débouté Mme [T] [R] du surplus de ses demandes

- débouté la société Cornet's de sa demande reconventionnelle

- mis les entiers dépens à la charge de la partie défenderesse.

La société Cornet's a interjeté appel du jugement par déclaration déposée par voie électronique le 15 octobre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 7 février 2023, la société Cornet's demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

- a jugé le licenciement de Mme [R] sans cause réelle et sérieuse

- l'a condamnée à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

*958,33 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires

*95,83 euros au titre des congés payés afférents

*249,24 euros au titre du rappel de salaire sur le mois de mars 2019

*24,92 euros au titre des congés payés afférents

*11 571,72 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

*1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle

- a mis à sa charge les entiers dépens

- confirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté Mme [R] du surplus de ses demandes.

Statuant à nouveau, de juger que:

- le licenciement pour motif économique de Mme [R] était justifié par une cause économique et donc bien fondé

- la procédure de licenciement de Mme [R] a été respectée

- Mme [R] n'a jamais fait l'objet de harcèlement moral de sa part

- Mme [R] ne justifie pas de la moindre heure qui aurait été effectuée sans avoir été réglée

et de :

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes

- ordonner à Mme [R] le règlement des sommes perçues dans le cadre de l'exécution provisoire d'un montant de 1 064,09 euros

- condamner Mme [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel, et à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 mai 2023, Mme [R] demande à la cour de :

- juger que le licenciement économique dont elle a été l'objet est sans cause réelle ni sérieuse et que la société CORNET'S a manqué à ses obligations à ce titre

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- dit que le licenciement économique ne reposait sur aucune cause réelle ni sérieuse

- condamné la société CORNET'S à lui verser les sommes de :

*11 571,72 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 958,33 euros au titre du rappel de salaire sur les heures supplémentaires, outre 95,83 euros pour les congés payés afférents, se décomposant comme suit :

* 237,36 euros du 13 au 30 novembre 2018 (16 heures)

* 720,97 euros du 11 au 31 décembre 2018 (341,20 euros (23 heures) et 379,77 euros (16 heures les dimanches, 100%))

* 249,24 euros au titre du rappel de salaire sur le mois de mars 2019, outre 24,92 euros pour les congés payés afférents

Subsidiairement, si la cour considérait le licenciement économique fondé :

- condamner la société CORNET'S à lui verser les sommes de :

* 11 571,72 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de reclassement

* 11 571,72 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'ordre des licenciements

- infirmer le jugement quant aux autres demandes et condamner la société CORNET'S à lui verser les sommes de :

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral

* 11 571,72 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

* 1 928,62 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale lors de l'embauche et dans les deux ans

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société CORNET'S aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 31 mai 2023.

L'affaire a été fixée à l'audience du 8 janvier 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur l'absence de visite médicale périodique

Aux termes de l'article R.4624-16 du code du travail, dans sa version applicable au litige, le travailleur bénéficie d'un renouvellement de la visite d'information et de prévention initiale, réalisée par un professionnel de santé mentionné au premier alinéa de l'article L. 4624-1, selon une périodicité qui ne peut excéder cinq ans. Ce délai, qui prend en compte les conditions de travail, l'âge et l'état de santé du salarié, ainsi que les risques auxquels il est exposé, est fixé par le médecin du travail dans le cadre du protocole mentionné à l'article L. 4624-1.

Mme [R] fait valoir qu'elle n'a bénéficié d'aucune visite médicale périodique, alors qu'elle aurait souhaité s'entretenir avec le médecin du travail.

La société répond que Mme [R] n'a jamais fait état de cette demande, qu'elle n'a pas eu le temps matériel d'organiser cette visite médicale en raison de l'encombrement des centres de médecine du travail et de ses difficultés financières, qu'elle pensait légitimement que la salariée avait passé une visite médicale au cours des 5 dernières années et que Mme [R] ne justifie d'aucun préjudice.

La cour retient que, Mme [R] ayant été embauchée le 14 mars 2017, elle devait bénéficier d'un renouvellement de la visite d'information et de prévention réalisée par un professionnel de santé dans un délai maximal de 5 ans, puisqu'à la suite du transfert de son contrat de travail, elle occupait un emploi identique qui l'exposait à des risques équivalents. Elle ne peut donc faire grief à la société de ne pas l'avoir organisée avant son licenciement intervenu le 26 mars 2019.

Dès lors, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande de dommages et intérêts formée à ce titre.

2/ Sur les heures supplémentaires

La durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-1 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré.

Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Mme [R] soutient qu'elle a effectué 16 heures supplémentaires en novembre 2018 et 23 heures supplémentaires en décembre 2018, et qu'elle a travaillé quatre dimanches pendant 4 heures au cours de cette période de fêtes.

La salariée verse aux débats le journal de caisse qui, selon elle, démontre les horaires d'ouverture du magasin dans lequel elle était l'unique vendeuse, ainsi qu'une publication faite sur les réseaux sociaux au sujet de l'ouverture du magasin les dimanches de décembre.

Elle présente ainsi des éléments suffisamment précis pour que l'employeur soit en mesure d'y répondre.

La société répond que la salariée ne rapporte aucune preuve des heures supplémentaires effectuées, heures. Elle ajoute qu'elle n'a jamais demandé à Mme [R] d'effectuer des heures supplémentaires autres que celles prévues dans son contrat de travail et soutient que la boutique n'était ouverte le dimanche que de 10h à 12h30.

La cour relève que :

-le contrat de travail prévoit les horaires de travail suivants : 10h à 12h30 et 15h à 19h30 du mardi au vendredi, et 9h30 à 13h et 14h30 à 20h le samedi,

-la salariée a précisé dans sa plainte du 30 mars 2019 qu'elle travaillait de 10h à 13h le dimanche (pièce 18 intimée)

-le journal de caisse mentionne quotidiennement l'heure à laquelle le fond de caisse a été réalisé en fin de journée, et ce du 15 novembre au 30 décembre 2018

-la société n'apporte aucun élément objectif et fiable justifiant du nombre d'heures travaillées de la salariée,

et que ce faisant, la société ne remplit pas la charge de la preuve qui lui incombe alors que Mme [R] a, de son côté, étayé sa demande en apportant à la cour des éléments précis.

En l'état des éléments d'appréciation dont la cour dispose, le nombre d'heures supplémentaires réalisées par la salariée sera arbitré à 3,5 heures entre le 15 et le 29 novembre et 7,5 heures au mois de décembre, outre 13 heures lors des quatre dimanches de décembre. Les bulletins de paie font état du paiement de 5,87 heures supplémentaires en novembre, sans qu'il puisse être déterminé si elles ont été effectuées avant ou après le 15 novembre, et 8,67 heures supplémentaires en décembre, qui seront déduites.

Il sera en conséquence accordé à Mme [R] un rappel d'heures supplémentaires qui sera arbitré à 227,42 euros, outre l'indemnité de congés payés de 22,74 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

3/ Sur le rappel de salaire

Mme [R] fait valoir que son bulletin de salaire de mars 2019 a été amputé de trois journées de travail. Alors qu'elle avait sollicité la journée du 7 mars comme congé payé, ce jour a été, à tort, considéré comme un jour d'absence, tout comme les 24 et 31 mars 2019. Elle réclame donc la somme de 249, 24 euros à ce titre, outre les congés payés afférents.

La société répond que ces trois journées ont été décomptées car elles correspondent à des journées prises par la salariée à sa demande, pour convenance personnelle. Elle produit la demande faite par Mme [R] pour le 7 mars.

Il ressort du mail adressé le 6 mars 2019 par Mme [R] à son employeur (pièce 29 intimée) que celle-ci avait indiqué avoir besoin de poser la journée du 7 mars « en CP », alors qu'elle disposait de 40,5 jours de congés payés. Par ailleurs, la cour relève que les 24 et 31 mars 2019, mentionnés sur le bulletin de paie comme des absences non rémunérées, étaient deux dimanches, donc des jours non travaillés qui ne pouvaient donner lieu à retrait de salaire.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [R] un rappel de salaire de 249,24 euros, outre 24,92 euros au titre des congés payés.

4/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme [R] fait valoir qu'à compter de janvier 2019, le gérant de la société n'a eu de cesse de la harceler, en l'accusant par ailleurs de vol.

Elle produit treize attestations de témoins qui ont recueilli ses doléances, constaté une dégradation de son état de santé, ou attestent de ses compétences, ainsi que sa plainte déposée le 30 mars 2019 pour harcèlement. Elle justifie d'un suivi psychologique notamment auprès du CMP de [Localité 2], produit un certificat établi le 29 mai 2019 décrivant un épisode dépressif récurrent avec une aggravation de la symptomatologie anxio-dépressive au cours des derniers mois, liée à des situations conflictuelles sur le lieu de travail, ainsi que de consultations en mars et avril 2019 pour des arrêts de travail avec « réaction à un facteur de stress ».

La cour retient au vu de ces éléments, qui relatent tous de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l'imputation par la salariée de ce dernier à ses conditions de travail, que cette dernière présente des éléments laissant présumer l'existence d'un harcèlement et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société répond qu'à la suite de l'inventaire du magasin de [Localité 3] réalisé le 25 février 2019, M. [N] a conclu qu'il manquait 667,58 euros de marchandises, et le gérant a questionné les deux salariés de la boutique, à savoir Mme [R] et M. [Z], cette démarche relevant de son pouvoir de direction. Par ailleurs, elle souligne que la plainte déposée par Mme [R] a fait l'objet d'un classement sans suite (pièce 6 appelante).

La cour relève en premier lieu que Mme [R] n'explicite pas dans ses conclusions le comportement qualifié de harcelant du gérant. La plainte qu'elle a déposée le 30 mars 2019 vise d'une part, le non-paiement d'heures supplémentaires, auquel il a été précédemment fait droit dans des proportions limitées, et d'autre part, les passages réguliers de M. [N] dans la boutique, notamment pour réaliser un inventaire au cours duquel il l'avait questionnée sur l'absence de bouteilles. Aucun élément n'établit le nombre de passages de M. [N] dans la boutique et la cour retient que les discordances de stock pouvaient légitimement susciter des interrogations.

Il apparaît ensuite que seuls trois attestants ont été personnellement témoins de l'attitude du gérant à l'égard de la salariée : M. [J] (pièce 25) indique qu'il lui montrait des documents, M. [W] (pièce 31) fait état de ce qu'il a remis le 23 avril 2019 à Mme [R] les documents du solde de tout compte accompagnés de la liste des produits ayant disparu, et M. [G] (pièce 32) décrit « un déferlement de violence verbale, de propos humiliants, de vexations en tout genre » le 20 avril 2019, lorsque la salariée est venue retirer son solde de tout compte, le gérant menaçant d'avoir recours à la force publique pour les faire sortir de la boutique et de porter plainte pour le vol de marchandises, mais il convient de souligner que ces derniers faits sont postérieurs au licenciement de Mme [R].

En l'état de ces éléments pris dans leur ensemble, la société intimée démontre suffisamment que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande à ce titre.

5/ Sur le préjudice moral

Mme [R] affirme qu'à compter de la fin du mois de janvier 2019, le gérant de la société n'a eu de cesse de la harceler en l'accusant par ailleurs de vol. Cette pression constante a eu des conséquences sur sa santé psychologique, en entraînant un arrêt de travail à compter du 30 mars 2019 puis la mise en 'uvre d'un suivi psychologique. Elle produit plusieurs attestations au soutien de ses affirmations.

La société souligne que Mme [R] forme deux demandes distinctes au titre du harcèlement moral et du préjudice moral, fondées sur les mêmes faits, et que les pièces qu'elle produit ne sont pas probantes.

La cour retient que Mme [R] invoque, au soutien de sa demande de dommages-intérêts, les mêmes éléments qu'au soutien de sa demande au titre du harcèlement moral, lequel a été précédemment écarté. Si les documents médicaux confirment un suivi psychologique en lien avec un épisode dépressif, la cour relève que le certificat du docteur [S] daté du 29 mai 2019 fait état d'un épisode dépressif récurrent sans que la date à laquelle ce suivi a été entamé ne soit précisée. Par ailleurs, les faits à l'origine de ce préjudice moral ne sont pas décrits, les vérifications liées à la disparition de marchandises étant, aux yeux de la cour, justifiées.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.

6/ Sur le licenciement économique

Selon l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L. 233-3 et à l'article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L. 1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visée aux articles L. 1237-17 et suivants.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

« Madame,

A la suite de notre entretien qui s'est tenu le 8 mars 2019, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour les motifs économiques suivants dans les conditions posées à l'article L.1233-3 du code du travail :

-notre chiffre d'affaires est fortement inférieur aux années antérieures

-les résultats provisoires sont en-dessous des prévisions pour le trimestre écoulé.

En dépit des recherches que nous avons effectuées au sein de notre entreprise conformément à l'article L.1233-4 du code du travail, nous n'avons pas trouvé de poste de reclassement qui corresponde à votre emploi dans votre catégorie... ».

La société soutient que :

- le chiffre d'affaires a nettement baissé sur l'exercice 2018 par rapport à l'exercice 2017, et ce tant pour la SASU Cornet's que pour l'établissement de [Localité 3] où travaillait Mme [R]

- près de 30% du chiffre d'affaires pour l'année 2018, déclaré dans les actes de cession, correspondait à des ventes réalisées avec un client d'un autre magasin également exploité par la société Dyon, gonflant ainsi artificiellement d'environ 70 000 euros le chiffre d'affaires du fonds de [Localité 3]

- les conditions de baisse sur au moins un trimestre sont remplies

- ce contexte économique justifiait la suppression du poste de vendeur occupé par Mme [R], qui n'a pas été remplacée.

Mme [R] rétorque que la société ne fournit aucun chiffre permettant d'apprécier le chiffre d'affaires et les résultats, et fonde sa décision sur des résultats provisoires qui n'existaient plus à la date de la rupture. Elle souligne qu'aucun des trois bilans n'est fourni in extenso et que le bilan 2018 ayant servi de fondement et d'appréciation des difficultés économiques n'a jamais été versé aux débats. S'agissant de l'escroquerie dont la société aurait été victime, le salariée pointe qu'il n'est justifié d'aucune poursuite engagée contre le vendeur. Elle ajoute que la situation économiquement difficile et l'importante baisse du chiffre d'affaires étaient connues de la société lors de la signature des actes de cession, laquelle a pourtant acquis le fonds avec les salariés en poste et procédé à des embauches.

La cour relève que la lettre de licenciement évoque un « chiffre d'affaires fortement inférieur aux années antérieures » et des « résultats provisoires en-dessous des prévisions pour le trimestre écoulé ».

Il ressort des comparatifs versés aux débats (pièce 2 appelante) que le chiffre d'affaires du magasin de [Localité 3] dans lequel travaillait Mme [R] a, au cours des deux derniers trimestres précédant le licenciement, connu l'évolution suivante : 38 086,43 euros de septembre à novembre 2018 et 65 485,58 euros de décembre 2018 à février 2019, tandis que le chiffre d'affaires de la SAS est passé de 103 237,87 euros de septembre à novembre 2018 à 161 846,78 euros de décembre 2018 à février 2019.

Par ailleurs, alors que la société met en avant que le maintien de Mme [R] aurait pu la mettre en péril, faute d'atteindre un chiffre d'affaires en rapport avec la charge mensuelle du site, force est de constater qu'aucune pièce ne vient le confirmer, puisqu'elle ne verse aux débats qu'un bilan comptable, certes négatif, mais établi au 30 septembre 2019, soit six mois après le licenciement de la salariée et qui ne peut donc fonder ce dernier.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, le juge octroie au salarié une indemnité dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux déterminés selon l'ancienneté du salarié.

Mme [R] ayant une ancienneté de 2 années au jour de l'envoi de la lettre de licenciement, dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, le montant de cette indemnité est au moins égale à un demi mois de salaire brut.

Eu égard à l'âge de Mme [R] à la date du licenciement, 55 ans, et au montant de son salaire, 1 928,62 euros, il lui sera alloué, en réparation de son entier préjudice au titre de la rupture abusive, la somme de 5 785,86 euros. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

7/ Sur les autres demandes

La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l'arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, qu'enfin la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil.

La société Cornet's sera condamnée à verser à Mme [R] la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et supportera les dépens d'appel, étant rappelé qu'en cas d'exécution forcée, le droit proportionnel à la charge du créancier ne peut être perçu quand le recouvrement ou l'encaissement de sommes par un huissier mandaté est effectué sur le fondement d'un titre exécutoire constatant une créance née de l'exécution d'un contrat de travail, par application des dispositions des articles R. 444-53 et R. 444-55 du code de commerce.

La société Cornet's sera, par voie de conséquence, déboutée de ses demandes à ces deux titres.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :

-dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse

-alloué à Mme [R] la somme de 249,24 euros à titre de rappel de salaire sur le mois de mars 2019, outre 24,92 euros au titre des congés payés afférents,

-alloué à Mme [R] la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté Mme [R] de ses demandes de dommages-intérêts pour absence de visite médicale, harcèlement moral et préjudice moral,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Cornet's à payer à Mme [T] [R] les sommes suivantes :

-227,42 euros au titre des heures supplémentaires

-22,74 euros au titre des congés payés afférents

-5 785,86 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

RAPPELLE que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, qu'enfin la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil,

CONDAMNE la société Cornet's à payer à Mme [T] [R] la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société Cornet's de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,

CONDAMNE la société Cornet's aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 20/06714
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;20.06714 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award