Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 21 MARS 2024
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06926 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQSD
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRÉTEIL - RG n° 13/03099
APPELANTE
Madame [X] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Stéphane AMRANE, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC290
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 75101002202023575 du 23/09/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMEE
S.A.S. MAGASINS GALERIES LAFAYETTE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Catherine DAVICO-HOARAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Carine SONNOIS, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Mme Carine SONNOIS, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [X] [Y] a été embauchée par la société Magasins Galeries Lafayette en qualité de conseillère de vente catégorie III dans le cadre d'un contrat à durée déterminée en date du 29 septembre 2011, pour une durée de 6 mois, à effet du 1er octobre 2011.
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective des grands magasins et magasins populaires, la salariée percevait un salaire mensuel brut de 1 410 euros.
Par lettre du 12 décembre 2011, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 17 décembre 2011 en vue d'une éventuelle mesure de licenciement avec mise à pied prononcée à titre conservatoire.
Par lettre du 26 décembre 2011, Mme [Y] a été licenciée pour faute grave.
Le 19 septembre 2013, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir reconnaître la rupture abusive de son contrat de travail à durée déterminée. Elle sollicitait des dommages-intérêts pour rupture abusive et rupture vexatoire, une indemnité de précarité, l'annulation de la mise à pied et un rappel de salaire à ce titre.
Par jugement rendu le 10 juillet 2020, en formation de départage, et notifié à une date non déterminable, le conseil de prud'hommes de Créteil a :
- débouté Mme [X] [Y] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la SAS Magasins Galeries Lafayette
- condamné Mme [X] [Y] à payer à la SAS Magasins Galeries Lafayette la somme de 1 000 euros dans le cadre de l'article 700 du code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision
- condamné Mme [X] [Y] aux dépens.
Le Bureau d'aide juridictionnelle de Paris a, par décision du 23 septembre 2020, accordé l'aide juridictionnelle totale à Mme [Y].
Mme [Y] a interjeté appel du jugement par déclaration déposée par voie électronique le 16 octobre 2020.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 21 juin 2021, Mme [Y], appelante, demande à la cour de :
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré
- dire que la rupture est abusive et dénuée de cause réelle et sérieuse
- annuler la mise à pied à titre conservatoire
- condamner la société Magasins Galeries Lafayette à lui payer les sommes suivantes :
* 4 200 euros au titre de l'article L. 1243-4 du code du travail, outre la somme de 420 euros au titre des congés payés afférents
* 420 euros au titre de l'indemnité de précarité
* 26 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral lié à la rupture vexatoire de son contrat de travail
* 690 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 69 euros au titre des congés payés afférents
* 2 000 euros au titre de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991
- débouter la société Magasins Galeries Lafayette en ses demandes
- ordonner la remise d'un certificat de travail, d'une attestation Pôle emploi et d'un bulletin de salaire conformes à la décision à intervenir, et sous astreinte de 15 euros par document et par jour de retard à compter du prononcé de la décision.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 30 juillet 2021, la SAS Magasins Galeries Lafayette, intimée, demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions
- débouter Mme [Y] de ses demandes
- condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 février 2023.
L'affaire a été fixée à l'audience du 8 janvier 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1/ Sur la rupture du contrat de travail à durée déterminée
Selon les articles L. 1243-1 et L. 1243-2 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas d'accord des parties, de faute grave, de force majeure, d'inaptitude constatée par le médecin du travail ou d'embauche du salarié en contrat à durée indéterminée.
L'article L. 1243-4 du même code prévoit que lorsque la rupture anticipée du contrat de travail intervient, à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas prévus par la loi, le salarié peut se voir allouer des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat.
La lettre de rupture du contrat de travail, qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :
« Le samedi 10 décembre 2011, vous vous êtes battue avec une hôtesse de caisse du magasin. Alors que vous êtes descendue à la caisse du sous-sol du magasin pour échanger avec votre collègue, vous vous êtes violemment disputée avec cette dernière. Cela a commencé avec des échanges d'insultes et ensuite cela s'est prolongé par des échanges de coups, devant la clientèle. Il a fallu vous séparer et vous retenir afin que les échanges de coups cessent. Cet événement s'est déroulé alors que le magasin était ouvert et qu'il y avait encore des clients. Malgré l'intervention du responsable de vente, vous avez continué à échanger des coups.
Ces faits sont d'autant plus graves qu'ils portent nécessairement atteinte à l'image commerciale de notre magasin. Vous comprendrez que nous ne pouvons pas tolérer de tels comportements qui sont contraires aux règles les plus élémentaires de savoir-vivre qui doivent exister dans les relations de travail.
Ceci est constitutif d'un manquement particulièrement grave à la discipline de l'entreprise. Vous avez, à la suite de ces faits, été mise à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable '. Nous vous notifions par la présente notre décision de rompre le contrat pour faute grave ».
Au soutien de cette lettre, l'employeur produit :
- le compte-rendu d'incident daté du 11 décembre 2011 ainsi qu'une attestation, établis par M. [K], responsable de vente, qui explique être intervenu en entendant des cris et avoir découvert une hôtesse de caisse, [S] [P], le visage et le cou marqués et les lèvres en sang, et une collaboratrice, [X] [Y], le visage et le cou marqués, en train de s'empoigner et de s'invectiver violemment, en présence de clients. Il précise qu'il a dû être assisté par [Z] [C] et un certain [M], chef de poste sécurité, pour les ceinturer, les séparer puis les retenir, [X] [Y] revenant vers l'autre salariée pour en découdre à nouveau.
- un courriel du 11 décembre 2011 et une attestation de M. [A], directeur du magasin, qui a recueilli le témoignage de la caissière, présente lors des faits comme plusieurs clients, selon lesquels Mme [P] avait appelé Mme [Y] pour s'expliquer au sujet de cartes Cofinoga, cette dernière l'avait insultée et une rixe avait éclaté. M. [A] ajoute que Mme [Y], qui avait demandé à être reçue, a reconnu devant lui avoir réagi en usant de violence physique aux propos de Mme [P], et perdu la maîtrise de ses actes, par fierté.
- un rapport du 27 décembre 2011 et une attestation établis par M. [R], agent de sécurité, confirmant un échange de coups et d'insultes entre les deux femmes
- une attestation datée du 23 octobre 2013 de Mme [O], supérieure hiérarchique de M. [K], qui a pris en charge Mme [P], dont le visage était tuméfié comme celui de Mme [Y], après les faits.
Par ailleurs, l'employeur justifie avoir, le 26 décembre 2011, licencié Mme [P] pour faute grave, suite à ces mêmes faits.
Mme [Y] soutient qu'elle a, en réalité, été victime d'une agression de la part de Mme [S] [P] et produit :
- une attestation rédigée par cette dernière, datée du 4 janvier 2012, dans laquelle Mme [P] indique avoir pris l'initiative de faire venir Mme [Y] au sous-sol, à la fermeture du magasin, avant de l'agresser verbalement puis physiquement, la contraignant à se défendre, et ce en raison de propos tenus par une autre salariée, Mme [F] [W],
- un second écrit quasiment illisible daté du 9 novembre 2020 qui émanerait également de Mme [P], pour contester la présence de M. [K] lors des faits,
- une attestation de M. [U] [I], agent de sécurité, datée du 28 décembre 2020 qui indique qu'il n'était pas présent lors de l'altercation et n'est pas intervenu pour séparer les deux femmes, et qu'il n'y avait pas de clients,
- une attestation de Mme [B] datée du 8 octobre 2020 qui indique qu'elle est allée chercher Mme [Y] sur la demande de Mme [P], qu'il n'y avait plus de clients au niveau de la surface de vente, et que Mme [P] a insulté Mme [Y] avant de sortir de sa caisse pour l'agresser,
- une attestation de Mme [D] datée du 9 octobre 2020 selon laquelle Mme [Y] a été agressée par Mme [P] et s'est défendue, alors que les clients n'étaient plus présents,
- trois attestations de moralité rédigées par Mme [V] le 5 septembre 2017, M. [T] [G] le 16 octobre 2020 et M. [J] le 11 octobre 2020.
La cour retient qu'il ressort des attestations de Mme [P] et Mme [B], que Mme [Y] s'est rendue au niveau des caisses à la demande de la première.
Si, selon le compte rendu d'incident rédigé par M. [A] et son attestation ultérieure, Mme [Y] aurait insulté Mme [P] la première, ces faits n'ont pas été personnellement constatés par celui-ci, mais par une caissière en poste dont le témoignage n'est pas produit.
S'agissant ensuite du recours à la violence physique, Mme [P] reconnaît avoir agressé Mme [Y] qui s'est ensuite défendue, ce que Mme [D] et Mme [B] confirment en indiquant que Mme [P] est sortie de sa caisse pour agresser Mme [Y], tandis que M. [A] rapporte les propos tenus par Mme [Y] devant lui, laquelle avait admis avoir réagi en usant de la violence physique face aux propos de Mme [P]. Ce témoignage qui émane de l'employeur est donc contredit par les trois salariées, dont celle qui est impliquée dans les faits de violences.
Le doute devant profiter à la salariée, la cour retient que Mme [Y] n'est pas à l'origine de l'altercation verbale puis physique avec Mme [P], et que son attitude est justifiée par les coups reçus qui l'ont amenée à se défendre.
En l'absence d'éléments établissant la réalité de la faute grave reprochée à Mme [Y], la rupture du contrat de travail à durée déterminée n'est pas fondée.
Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.
Le contrat de travail ayant pour terme le 31 mars 2012, il sera alloué à Mme [Y] la somme de 4 200 euros, correspondant à trois mois de salaire.
La salariée peut également prétendre au versement des sommes suivantes :
-690 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire
-69 euros au titre des congés payés afférents
-420 euros au titre de l'indemnité de précarité.
2/ sur la demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire
Mme [Y] fait valoir qu'elle a été particulièrement affectée par la rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail, puisque son image a été conspuée et qu'elle a été considérée comme fautive alors qu'elle n'était que victime. Elle ajoute que l'employeur n'a pas assuré sa sécurité sur son lieu de travail, ce qui a généré la violence perpétrée à son encontre. La salariée produit un certificat médical établi par le Docteur [N] qui décrit un état de stress sévère avec perte de poids, dépression et insomnie, et un certificat du Docteur [H] qui fait état d'une alopécie accompagnée d'anxiété majeure.
L'employeur répond qu'elle ne justifie d'aucun préjudice ni d'aucun lien de causalité avec le licenciement.
La cour retient que les pièces médicales établissent qu'à la suite de la rupture du contrat de travail, l'état de santé de la salariée s'est fortement dégradé. Ce préjudice distinct de la perte de salaires et qui résulte de la rupture illicite, sera indemnisé par l'allocation d'un somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.
3/ sur les autres demandes
La cour ordonne à la société Magasins Galeries Lafayette de délivrer à Mme [Y] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie récapitulatif, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.
La cour rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l'arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, qu'enfin la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil.
La société Magasins Galeries Lafayette sera condamnée à verser à Mme [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et supportera les entiers dépens.
La société Magasins Galeries Lafayette sera, par voie de conséquence, déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la rupture du contrat de travail à durée déterminée n'est pas fondée,
CONDAMNE la société Magasins Galeries Lafayette à payer à Mme [X] [Y] les sommes suivantes :
- 4 200 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive
- 690 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire
- 69 euros au titre des congés payés afférents
- 420 euros au titre de l'indemnité de précarité
- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,
RAPPELLE que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l'arrêt et que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, qu'enfin la capitalisation est de droit conformément à l'article 1343-2 du code civil,
ORDONNE à la société Magasins Galeries Lafayette de délivrer à Mme [Y] dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie récapitulatif, une attestation Pôle emploi et un certificat de travail rectifiés, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte,
CONDAMNE la société Magasins Galeries Lafayette à payer à Mme [X] [Y] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991,
DEBOUTE la société Magasins Galeries Lafayette de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
CONDAMNE la société Magasins Galeries Lafayette aux entiers dépens.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE