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21/03/2024 | FRANCE | N°20/07589

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 21 mars 2024, 20/07589


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 21 MARS 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07589 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUKP



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY-COURCOURONNES - RG n° F18/00628





APPELANTE



SAS CSF Agissant poursuites et dil

igences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 1]

Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 21 MARS 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07589 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUKP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY-COURCOURONNES - RG n° F18/00628

APPELANTE

SAS CSF Agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 10]

[Localité 1]

Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

INTIMEE

Madame [G] [I]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Julien HADJADJ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0420

PARTIE INTERVENANTE :

Organisme POLE EMPLOI

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représenté par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 3

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

Mme [G] [I] a été engagée par la société CSF, suivant contrat de professionnalisation à durée déterminée à compter du 31 janvier 2005. La relation contractuelle s'est poursuivie sous la forme d'un contrat à durée indéterminée.

La société CSF exploite sur l'ensemble du territoire français des magasins sous l'enseigne "Carrefour market".

Le 7 septembre 2006, la salariée a signé un contrat à durée indéterminée en qualité de Manager de rayon. Puis, à compter du 1er novembre 2008, elle a été affectée au poste de Directrice de magasin au sein du Carrefour market de Viarmes (95).

A partir du 1er novembre 2010, Mme [G] [I] a été nommée Directrice du magasin Carrefour market de[Localité 8]n (78) et, également, de celui de Roissy-sur-Seine (95) à compter du 1er octobre 2012.

Le 1er décembre 2016, elle a été nommée au poste de Directrice de région. Cette région étant composée de huit magasins placés sous sa responsabilité. Elle exerçait cette fonction au sein de la Direction opérationnelle [Localité 9] Île-de-France.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, la salariée percevait une rémunération mensuelle brute de 6 293,28 euros (moyenne sur les 12 derniers mois de salaire figurant dans l'attestation Pôle emploi).

Le 19 juin 2018, Mme [G] [I] s'est vu notifier un licenciement pour insuffisance professionnelle, libellé dans les termes suivants :

"Ces derniers mois, nous avons relevé plusieurs manquements dans l'exercice de vos fonctions de directrice de région, malgré le fait que vous ayez été alertée à plusieurs reprises au cours des derniers mois sur ces manquements et malgré l'accompagnement de votre hiérarchie

1- Concernant les résultats des magasins de votre région et leur tenue

" En votre qualité de directrice de région, vous devez assurer une tenue des magasins de votre région leur permettant d'atteindre leur budget de chiffre d'affaires, mais aussi de démarque, tout en maîtrisant les coûts. Vous devez ainsi définir pour chaque point vente la stratégie et les conditions permettant d'atteindre les budgets fixés, les uns étant souvent dépendant des autres, ce qui oblige à adopter une vision globale.

Or, 7 magasins sur 8 de la région ont connu en 2017 une baisse de chiffre d'affaires par rapport à l'historique. Aucun des magasins de la région n'a atteint son budget et sur cette même année, 6 magasins sur 8 ont connu une diminution du nombre de clients.

A fin avril 2018 les performances continuent de se dégrader, avec un chiffre d'affaires cumulé qui n'est pas au niveau du budget et encore en évolution négative par rapport à l'historique.

Ainsi, l'évolution du chiffre d'affaires TFC HE cumulé à fin avril 2018 sur votre région est en deçà du total des magasins de la direction opérationnelle Île-de-France.

Toujours à fin avril 2018, les résultats de démarque font apparaître un taux sur votre région en dégradation par rapport à 2017.

La tenue des magasins sous votre responsabilité s'est nettement dégradée et a conduit à la perte d'une partie de la clientèle. Les remontées des baromètres clients des derniers mois ont d'ailleurs fait apparaître de nombreux points d'alerte, récurrents, mais pour lesquels les mesures nécessaires n'ont pas été prises. Le dernier baromètre clients d'avril 2018 fait ainsi ressortir une baisse de la satisfaction générale importante avec un score bien en deçà des scores des autres régions ou de l'indice de satisfaction général de la direction opérationnelle à cette même date.

II en ressort des notations très négatives sur plusieurs items : temps d'attente en caisse, temps d'attente à l'accueil, disponibilité des produits dans les rayons, disponibilité des promotions et disponibilité des produits habituels. La stratégie que vous avez adoptée de réduction des heures travaillées et des frais de personnel, sans tenir compte des besoins et problèmes des magasins, a conduit à une détérioration importante de leur tenue et à un mécontentement des clients. Votre hiérarchie vous a demandé à plusieurs reprises de revoir cette stratégie et d'ajuster les heures travaillées aux besoins des magasins pour ne pas dégrader leur tenue, le risque étant à terme une perte de clients, ce que nous constatons aujourd'hui. Vous avez maintenu vos choix sans prise en compte de ces remarques.

2 -Concernant le management des équipes et le suivi des stagiaires de la pépinière

Une instabilité des équipes d'encadrement perdure depuis plusieurs mois sur plusieurs magasins, rendant difficile le management des équipes.

Cette instabilité est en partie due à la stratégie commerciale et économique que vous avez adoptée, qui conduit les équipes d'encadrement de plusieurs magasins à devoir elles même suppléer les absents. La mise en 'uvre précipitée de certaines de vos décisions, sans anticipation, conduit à une désorganisation des équipes de plusieurs magasins, qui n'ont pas été préparées pour y faire face. Il s'ensuit des départs précipités ou absences de certains collaborateurs qui n'étaient pas prévus.

Plusieurs remontées faites ces dernières semaines font par ailleurs apparaître un management de votre part qui n'est pas en adéquation avec les valeurs portées par notre entreprise et qui a conduit à plusieurs départs de salariés de l'encadrement, soit vers l'externe soit vers d'autres régions.

En effet, nous avons été alertés à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines de comportements ou paroles qui ne sont pas en adéquation avec nos valeurs et avec ce que nous attendons aujourd'hui d'un manager.

Nous avons ainsi été destinataires fin avril 2018 de la part de l'un des directeurs de votre région d'un courrier dénonçant plusieurs agissements de votre part, propos qui m'ont été confirmés par la suite lors d'un RDV mi-mai avec ce même directeur. Il en est de même pour un autre directeur de votre région qui nous a informé début juin des comportements inacceptables de votre part l'ayant conduit à quitter l'entreprise.

Ainsi, à ce jour, sur les huit magasins de votre région, un seul directeur actuellement en poste était déjà présent au moment de votre arrivée. Cinq ont quitté le groupe et un est en arrêt de travail depuis 1 an.

Nous vous avons en outre alertée à plusieurs reprises sur la nécessité d'anticiper les départs de vos directeurs et managers et d'être vigilante à faire les choses progressivement. Vous n'avez néanmoins pas tenu compte de nos remarques et ces différents mouvements dans l'encadrement ainsi que les départs subis placent aujourd'hui la région dans une situation très instable sur le plan humain.

Cette instabilité vous amène à être régulièrement demandeuse de stagiaires de la pépinière (directeurs ou managers) afin de remplacer les absences, ce qui se fait souvent au détriment de leur formation.

Ainsi, nous avons pu constater au 15 mai, un absentéisme en formation particulièrement important pour les stagiaires de votre région (12 absents sur la période du 1" janvier au 15 mai 2018, représentant 70% des absences de la direction opérationnelle).

Le suivi des stagiaires n'est par ailleurs pas réalisé conformément à nos process et à ce qui se fait sur les autres régions. Aujourd'hui, les compétences acquises par les stagiaires de vos magasins apparaissent en dessous des standards des stagiaires des autres régions, rendant leur temps de présence en pépinière pour les former plus important et décalant ainsi la date possible de nomination.

Plusieurs stagiaires positionnés sur des magasins ne bénéficient pas d'un suivi régulier de leur formation,voire pour certains, ont été directement missionnés sur des magasins sans passage sur un magasin formateur et ce malgré les demandes que j'ai pu vous faire.

Plus généralement, le suivi de la formation des salariés n'est pas correctement réalisé (...)

3 - Concernant la communication sur les sujets RH

La communication avec votre Responsable Ressources Humaines et vous-même n'est aujourd'hui pas satisfaisante et compromet une gestion optimale des carrières des équipes d'encadrement de votre région.

Vous faites très souvent appel aux services de votre RRH uniquement pour combler des absences ou pour des besoins temporaires, ce qui est loin d'être l'objectif de gestion des carrières visé.

Ainsi par exemple, j'ai moi-même découvert lors d'une réunion téléphonique en mai 2018, avec l'ensemble des directeurs de région, que vous aviez prévu certains changements de magasin pour des directeurs de magasin de votre région, qui ne correspondaient pas du tout à nos précédents échanges téléphoniques sur le sujet.

Ce manque de communication a de nouveau été mis en avant lors de votre décision de nommer un nouveau directeur sur le magasin de [Localité 5] fin mai. Vous vous êtes engagée sur une augmentation de salaire auprès de cette personne sans en avoir en amont échangé avec votre hiérarchie ou moi-même, alors que vous n'ignorez pas le process qui doit être respecté lors de chaque mouvement de directeur.

Nous vous avons alertée à de nombreuses reprises sur la situation et sur vos axes d'amélioration mais nous n'avons pas constaté de changements dans vos pratiques et vos résultats ont continué à se dégrader au fil du temps.

Lors de votre dernier entretien individuel compétences et carrières, qui s'est tenu le 9 février 2018, votre hiérarchie vous a fortement alertée sur la situation et sur ce qu'il attendait de vous. vous avez été évaluée en dessous du niveau sur l'ensemble de l'entretien et en appréciation globale, montrant bien la nécessité de vous ressaisir rapidement.

Lors de la séance de clôture du coaching que vous avez suivi, le 27 mars 2018, nous vous avons de nouveau fait part des points à travailler et à améliorer.

Monsieur [M], votre responsable hiérarchique, vous a reçue de manière individuelle à plusieurs reprises ces derniers mois pour vous faire part des difficultés et construire avec vous des plans d'action. Il a également pris du temps pour tourner avec vous sur les magasins de votre région.

Néanmoins, malgré notre accompagnement, nous ne constatons pas à ce jour d' évolution positive. Vous avez toujours affirmé que votre façon de faire était la bonne, sans remise en question et sans écoute des remarques qui vous étaient formulées.

Les constats que nous avons pu faire ces dernières semaines mettent en avant une situation préoccupante sur la région, que ce soit au regard des indicateurs économiques, de turn over, d'absentéisme ou au regard de la gestion des hommes, avec des équipes qui ne sont toujours pas stables. Plus grave encore, ces dernières semaines certains collaborateurs nous ont écrit pour faire part de leur mal être et de comportements en inadéquation avec les valeurs de notre entreprise".

Le 13 juillet 2018, Mme [G] [I] a saisi le conseil de prud'hommes

d'[Localité 6] pour contester son licenciement.

Le 15 septembre 2020, le conseil de prud'hommes d'Évry-Courcouronnes, dans sa section Encadrement, a statué comme suit :

- dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et condamne la société CSF à verser à Mme [G] [I] les sommes suivantes :

* 77 895,40 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

* 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- déboute Mme [G] [I] de ses demandes de capitalisation des intérêts de l'exécution provisoire

- condamne la société CSF aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 novembre 2020, la société CSF a relevé appel du jugement de première instance dont elle a reçu notification le 2 novembre 2020.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 19 octobre 2021, aux termes desquelles la société CSF demande à la cour d'appel de :

- juger que les manquements de Madame [I] justifiaient son licenciement pour faute simple

- juger l'absence de toute décision de licencier prise antérieurement à la mise en 'uvre de la procédure de licenciement

- juger l'absence de tout licenciement pour un prétendu motif économique

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes le 15 septembre 2020, en toutes ces dispositions

Statuant à nouveau,

- débouter Madame [I] de l'intégralité de ses demandes

- débouter Pôle emploi de sa demande de remboursement des allocations chômages à hauteur de 19 754,46 euros et de sa demande au titre de l'article 700

En tout état de cause,

- condamner Madame [I] au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des entiers dépens.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 28 juillet 2021, aux termes desquelles

Mme [G] [I] demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes le 15 septembre 2020 en toutes ses dispositions

Y ajoutant,

- condamner la société CSF au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 20 juillet 2021, aux termes desquelles

Pôle emploi demande à la cour d'appel de :

- dire et juger Pôle emploi recevable et bien fondée en sa demande

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il qualifie le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- condamner la société CSF à lui verser la somme de 19 754,46 euros en remboursement des allocations chômage versées à la salariée

- condamner la société CSF à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner la société CSF aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur le licenciement pour insuffisance professionnelle

L'insuffisance professionnelle se définit comme l'incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification. L'appréciation de cette insuffisance professionnelle relève du pouvoir de direction de l'employeur mais ce dernier doit, en tout état de cause, invoquer des faits objectifs précis et vérifiables imputables au salarié pour justifier le licenciement.

Par ailleurs, le juge doit contrôler le respect des dispositions de l'article L. 6321-1 du code du travail qui prévoient que l'employeur doit assurer l'adaptation de ses salariés à leurs poste de travail et veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi compte tenu de l'évolution des technologies, des organisations et des emplois.

Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à la salariée :

- des défaillances dans le pilotage des enjeux économiques et commerciaux des huit magasins placés sous sa responsabilité. En effet, alors qu'en sa qualité de Directrice de région Mme [G] [I] se devait de contribuer à la performance économique des huit magasins placés sous sa responsabilité, ceux-ci ont enregistré sur l'année 2017 une baisse globale de 3,97 % de leur chiffre d'affaires. Cette dégradation a persisté sur l'année 2018 puisque, au mois d'avril, une nouvelle baisse de 5,22 % a été enregistrée par rapport à l'année précédente. Au total, les magasins placés sous la supervision de la salariée ont connu une baisse de 10 % du chiffre d'affaires à compter de sa nomination ainsi qu'une diminution du résultat opérationnel courant (pièces 22, 23). Ces mêmes magasins ont également connu un taux de démarque sur les produits alimentaires deux fois plus élevé que dans les autres commerces (pièce 24). C'est dans ces conditions que la salariée s'est vue classer en 11ème position sur 12 s'agissant des résultats des Directeurs régionaux pour la direction opérationnelle [Localité 9] Île-de-France et qu'elle a été alertée sur le caractère insatisfaisant de ses résultats à l'occasion de l'entretien "compétence et carrière" du 9 février 2018 (pièce 13).

Dans le même temps, il a été observé une dégradation de la tenue des magasins placés sous la responsabilité de la salariée avec un indice de satisfaction général des clients de - 20, très en deçà des indices des autres directions régionales, lesquels étaient compris entre + 55 et +118 (la moyenne pour la direction opérationnelle [Localité 9] Île-de-France étant de +77) (pièce 25).

- des lacunes dans sa mission de management qui se sont, notamment, traduites par une instabilité des équipes d'encadrement dans plusieurs magasins compris dans le périmètre de l'intimée et le départ de sept Directeurs de magasins sur huit (pièce 35). L'employeur attribue cette désaffection ainsi que l'augmentation du taux d'absentéisme (pièce 27) à la stratégie déployée par Mme [G] [I] consistant à réduire les frais de personnel et à faire reporter sur l'encadrement des tâches confiées précédemment aux collaborateurs. La société appelante a, par ailleurs, été alertée sur des agissements inadaptés de l'intimée à l'égard de certains Directeurs de magasin pouvant s'apparenter à du harcèlement moral. L'un d'entre eux ayant dû être arrêté pour un burn out qu'il impute aux pressions exercées par Mme [G] [I] avant d'être reconnu inapte (pièce 28). Un autre a écrit, le 6 juin 2018, à la Direction de l'entreprise pour signaler que la seule raison qui lui avait fait quitter le groupe c'était le management agressif de la salariée (pièce 29). L'employeur affirme que Mme [G] [I] avait été alertée sur son individualisme et la nécessité d'améliorer sa communication lors de ses entretiens d'évaluation de mars 2017 et février 2018 et que les ordres du jour des comités d'entreprise de sa "région" avaient régulièrement pointé la dégradation des conditions de travail dans les huit magasins placés sous son contrôle (pièces 30, 31, 32)

- un défaut de communication avec la Direction des Ressources Humaines. À cet égard, il est reproché à la salariée d'avoir pris des décisions importantes en matière de gestion du personnel sans en avoir informé préalablement le service des ressources humaines, comme : la nomination d'un nouveau Directeur sur l'un des magasins de sa région, le choix d'augmenter sa rémunération et les transferts et mouvements de directeurs entre les différents magasins de sa région (pièce 35). Lors d'un audit réalisé par la Responsable des Ressources Humaines au sein de la direction opérationnelle [Localité 9] Île-de-France celle-ci a fait état des difficultés pour le service de travailler avec l'intimée (pièce 35), ce qui a abouti à une gestion calamiteuse du personnel et une démotivation de celui-ci. Il a, également, été constaté un défaut de formation et d'accompagnement des stagiaires ce qui les a mis en difficulté dans leur prise de fonction.

L'employeur souligne, en outre, qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir assuré l'adaptabilité de la salariée à ses nouvelles fonctions de Directrice de région et de ne pas l'avoir accompagnée dans sa prise de poste puisque Mme [G] [I] a bénéficié de 10 séances individuelles de 2 heures, rémunérées par la société appelante, avec un consultant professionnel, pour l'aider à "gagner en ouverture", apprendre à "pondérer son niveau d'exigence qui la rend parfois un peu directe voire abrupte dans sa manière de fédérer son entourage" et à "développer l'expression de soi pour aller davantage vers l'autre" (pièce 10).

Mme [G] [I] fait valoir, qu'alors qu'en 13 années d'ancienneté elle n'avait jamais eu à souffrir du moindre reproche quant à la qualité de son travail, ainsi qu'en attestent les évaluations qu'elle produit aux débats (pièces 2, 3, 4, 5), elle s'est vu notifier pour la première fois en 2018 une évaluation négative (pièce 7). Avant même d'avoir eu le temps de corriger ses erreurs et qu'il ait été procédé à un nouveau bilan le trimestre suivant, comme le recommandait l'évaluateur, il lui a été notifié son licenciement.

La salariée soutient que celui-ci n'a pas été motivé par son insuffisance professionnelle comme le prétend l'employeur mais qu'il s'inscrivait dans le plan de restructuration de la société Carrefour et de ses filiales entraînant la suppression de 2 400 postes.

Contrairement à ce que soutient la société appelante, Mme [G] [I] affirme ne pas avoir été formée, ni préparée à prendre ses fonctions de Directrice régionale. À cet égard, elle relève que la formation de coaching qui lui a été dispensée s'adressait à plusieurs salariés et qu'elle n'avait aucun lien avec une prise de fonction comme Directrice régionale. Par ailleurs, elle n'a reçu aucune préparation aux aspects commerciaux et de gestion des Ressources Humaines compris dans ses fonctions.

En outre, alors que la société appelante soutient qu'elle rencontrait des difficultés relationnelles bien avant sa nomination au poste de Directrice région, elle n'a pas hésité à la nommer sur un poste pour lequel elle ne présentait pas le profil requis sans mettre en 'uvre de mesures pour la préparer à ses nouvelles fonctions.

Mme [G] [I] fait grief à l'appelante de ne pas communiquer les documents comptables officiels des huit magasins de sa région pour justifier de la supposée dégradation des chiffres dénoncée et elle prétend que les pièces produites au soutien des thèses de l'employeur sont non datées, incompréhensibles et non probantes. En outre, avant même sa prise de fonction, sa région enregistrait de mauvais résultats, ce qui lui avait été annoncé par le Directeur opérationnel, le 4 février 2017. Il lui était alors demandé de prendre "un plan de crise" en urgence (pièce 21). La salariée affirme qu'elle a mis en 'uvre des mesures pour remédier à ces difficultés et que si le chiffre d'affaires de sa région a été en recul de 5,22 % pour l'année 2018, la société CSF n'a pas jugé nécessaire de licencier un Directeur de région qui avait enregistré un recul de 7,82 % de son chiffre d'affaires sur cette même année. Mme [G] [I] accuse, en outre, la société appelante de présenter des éléments financiers tronqués ne mettant pas en évidence ses réelles performances économiques. Il en est de même s'agissant des chiffres communiqués sur le taux de démarque.

L'intimée observe, aussi, que pour que les mauvais résultats d'un salarié justifient son licenciement il faut que celui-ci se soit vu fixer des objectifs quantifiables et réalistes. Or, à aucun moment l'employeur ne démontre lui avoir notifié un quelconque objectif en termes de chiffre d'affaires.

Mme [G] [I] conteste, également, que les magasins placés sous sa responsabilité aient connu une dégradation dans leur tenue et dans l'accueil des clients et elle observe que le résultat des "baromètres clients" ne présente aucune pertinence dès lors qu'il n'est pas explicité la manière dont ils ont été réalisés.

S'agissant des reproches qui lui sont faits en termes de management, la salariée constate que le taux d'absentéisme qui lui est reproché était équivalent, voire inférieur à celui constaté sur d'autres régions, si l'on en croit les propres documents produits par l'employeur (pièce 27 employeur). En outre, sur les huit magasins de sa région seul deux d'entre eux ont connu une augmentation du taux d'absentéisme les autres connaissant plutôt une régression (pièce 33).

Mme [G] [I] affirme que les deux courriers de Directeurs de magasin dont se prévaut la société appelante pour dénoncer son management agressif ont été rédigés par des salariés qui, pour l'un avait déjà rencontré des difficultés avec son prédécesseur en raison de son manque d'implication et qui, pour l'autre, a été mis en cause par l'intimée pour un non-respect de la réglementation du travail de nuit, ce qui prive ces dénonciations de toute objectivité. D'ailleurs, si l'employeur avait craint de voir sa responsabilité engagée pour des faits de harcèlement moral, comme il le prétend, il lui appartenait de mettre en 'uvre une enquête contradictoire à la suite des signalements reçus comme le prévoit l'article 6.3.2 de la convention d'entreprise de la société CSF (pièce 112).

S'agissant du courrier du Représentant du personnel, le Directeur du magasin concerné par les problématiques soulevées les a démenties en expliquant que 15 à 20 fois par jour les élus du personnel venaient le trouver pour lui réclamer "des heures", pour accabler la Directrice régionale de critiques infondées et pour le menacer de grèves (pièce 113).

Alors qu'il est pointé son management agressif mettant en péril l'obligation de sécurité à laquelle se doit l'employeur, Mme [G] [I] verse aux débats la pétition adressée au Directeur opérationnel, signée par une trentaine de salariés pour réclamer son maintien dans son poste lorsqu'elle a été licenciée (pièce 47). Elle produit aussi de nombreux témoignages de collaborateurs qui vantent ses qualités (pièces 51 à 62, 75).

Enfin, concernant ses supposées difficultés de communication avec le Responsable des Ressources Humaines, Mme [G] [I] note que l'audit sur lequel se fonde l'employeur est non daté, non signé et que le document a manifestement été tronqué. Il est donc impossible d'identifier l'auteur de ce document et de s'assurer qu'il n'a pas été établi pour les besoins de la cause et ce, d'autant qu'il comporte de nombreuses erreurs soulignées par l'intimée. Afin de démentir les assertions selon lesquelles elle était défaillante dans ses échanges avec le service des Ressources Humaines (RH), la salariée produit de nombreux mails échangés avec la Responsable RH au sujet des salaires, des départs et des recrutements (pièces 85 à 91).

Mme [G] [I] se plaint, encore, que la décision de la licencier ait été prise et annoncée publiquement avant même qu'elle ne reçoive sa convocation à l'entretien préalable, comme en témoignent plusieurs de ses collègues (pièces 50 à 62).

En cet état, la cour observe que l'employeur n'établit pas avoir fait bénéficier la salariée d'une formation suffisante et d'un accompagnement lors de sa promotion comme Directrice de région, puisque la seule mesure qui a été mise en 'uvre a été un coaching sur la gestion des relations humaines et qu'il n'est justifié d'aucun accompagnement en termes de définition de stratégies commerciales ou de gestion des ressources humaines, alors que les manquements reprochés à la salariée portent sur ces deux domaines. L'expérience acquise par la salariée comme Directrice de deux magasins ne peut être considérée comme suffisante pour dispenser l'employeur de toute formation à l'occasion d'une promotion sur des fonctions présentant une envergure et des responsabilités bien plus étendues. Ainsi que le justifie Mme [G] [I], la baisse du chiffres d'affaires sur les huit magasins de sa région ne lui est pas imputable puisque cette tendance préexistait à sa nomination et qu'elle a été enregistrée dans d'autres régions, certaines rencontrant des difficultés encore plus graves sans que le Directeur de région ne soit menacé. En outre, comme le relève à raison l'intimée, une baisse de chiffres d'affaire ne peut être sanctionnée que si l'employeur avait défini des objectifs au salarié.

S'agissant des défaillances graves en termes de management pointées par l'employeur, qui évoque un contexte de harcèlement moral lui imposant de prendre des mesures pour préserver la santé des collaborateurs de l'intimée, force est de constater qu'antérieurement aux lettres de dénonciation versées aux débats aucune alerte, observation ou sanction n'avait été notifiée à la salariée par rapport à son comportement professionnel et que postérieurement aux accusations la visant, aucune enquête contradictoire n'a été diligentée, en violation de la propre convention d'entreprise de CSF.

Enfin, s'agissant de l'absence de communication entre l'intimée et la Responsable des ressources humaines, le document sur lequel s'appuie l'employeur à défaut, d'être daté, signé et complet est insuffisamment probant pour établir des manquements de la salariée.

En outre et même à les supposer établies, la cour constate que la salariée s'est vu pour la première fois mise en garde sur ses défaillances lors de son entretien d'évaluation de février 2018, après avoir bénéficié d'une augmentation de salaire le mois précédent. De surcroît, il avait été prévu, lors de son entretien d'évaluation de lui laisser la possibilité de redresser la situation avant un nouveau bilan qui devait intervenir le trimestre suivant. Or, sans même laisser à Mme [G] [I] le temps de s'améliorer et sans lui proposer d'accompagnement à cet effet, l'employeur a mis en 'uvre la procédure de licenciement.

C'est donc à bon escient que les premiers juges ont dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Mme [G] [I] qui, à la date du licenciement, comptait 13 ans et 5 mois d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, à une indemnité comprise entre 3 et 11,5 mois.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 38 ans, de son ancienneté de plus de 13 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de la justification du fait que la salariée a traversé une phase de dépression à la suite de son licenciement et qu'elle a rencontré de grandes difficultés pour retrouver un emploi, il convient de lui allouer, en réparation de son entier préjudice la somme de 72 372 euros.

Le jugement entrepris sera donc réformé sur le montant des dommages-intérêts accordés.

Il sera ordonné à la société CSF de délivrer à Mme [G] [I], dans le mois suivant la notification de la présente décision, un bulletin de paie et des documents de fin de contrat rectifiés, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

2/ Sur les autres demandes

La cour observe que si Mme [G] [I] forme des demandes au titre des intérêts légaux et de la capitalisation dans le corps de ses écritures, celles-ci ne sont pas reprises dans le dispositif de ses conclusions qui demande la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions. Or le jugement déféré l'a déboutée de ses demandes de capitalisation des intérêts.

Les conditions d'application de l'article L. 122-14-4 alinéa 2, devenu L. 1235-4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement des allocations de chômage versées à la salariée à hauteur de 19 754,46 euros.

La société CSF supportera les dépens d'appel et sera condamnée à payer à Mme [G] [I] une somme de 1 500 euros et à Pôle emploi une somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant de la condamnation au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau de ce seul chef et y ajoutant,

Condamne la société CSF à payer à Mme [G] [I] les sommes suivantes :

- 72 372 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Rappelle que les créances fixées par cette décision sont exprimées en brut,

Ordonne le remboursement par la société CSF aux organismes sociaux concernés de 19 754,46 euros au titre des indemnités de chômage payées à la salariée licenciée,

Condamne la société CSF à payer à Pôle emploi la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société CSF aux dépens d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 20/07589
Date de la décision : 21/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-21;20.07589 ?
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