Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 04 AVRIL 2024
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07800 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCVVV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01732
APPELANT
Monsieur [W] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010
INTIMEE
S.A.S. CYLLENE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Grégoire BRAVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P43
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [W] [F] a été engagé par la société ABC systèmes et formation, suivant contrat de travail à durée indéterminée à effet au 13 septembre 2005, en qualité d'ingénieur commercial.
En 2008, le salarié a été promu chef des ventes. En 2011, il a été nommé Directeur commercial et marketing.
Au cours de l'année 2017, la société ABC systèmes et formation a été rachetée par le fonds d'investissement Industries et finances partner, duquel est issue la société Cyllène.
Le salarié s'est vu proposer et a accepté le transfert de son contrat de travail au sein de la société Cyllène pour y occuper les fonctions de Directeur commercial du groupe Cyllène (alors composé des sociétés Cyllène, ABC systèmes et formation).
Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention collective nationale des bureaux d'étude technique, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite Syntec), le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 10 301,58 euros (moyenne sur les 12 derniers mois figurant sur l'attestation Pôle emploi).
Le 28 septembre 2018, le salarié s'est vu notifier un licenciement pour faute grave, libellé dans les termes suivants :
« - Alors que vous étiez parfaitement informé que des commerciaux que vous étiez en charge de manager envoyaient des vidéos et des dessins à caractère pornographique, vous n'êtes pas intervenu et vous n'avez pas alerté la Direction Générale ;
- Vous avez mis en péril et désorganisé l'activité du Groupe Cyllène par le maintien d'une
ambiance particulièrement délétère et malsaine au sein du Service Commercial, service
stratégique pour le Groupe, et par votre carence dans le suivi de nombreux dossiers
commerciaux dont vous étiez en charge.
Par courrier daté du 2 août 2018, Madame [S] [G] nous a informé qu'elle estimait être victime de faits de harcèlement, constitués notamment d'humiliations répétitives et de comportements obscènes de la part de plusieurs de ses collègues (dont Messieurs [U] [D] et [C] [P], placés directement sous votre responsabilité).
Elle nous a indiqué dans ce courrier qu'elle se serait confiée à vous dès le début de l'année 2018 et vous aurait demandé d'intervenir, sans réaction probante de votre part.
Nous avons été fortement surpris des agissements que Madame [S] [G] y dénonçait puisque, de votre côté, vous ne nous avez parlé, au cours du mois de janvier 2018, que d'un dessin isolé de sexe masculin qu'elle prétendait selon vous avoir découvert dans son cahier et dont elle ne vous rapportait pas la preuve. Vous nous aviez par ailleurs indiqué que vous considériez qu'il s'agissait simplement d'un prétexte pour faire plus de télétravail.
Les faits dénoncés dans le courrier de [S] étant extrêmement graves si avérés, nous avons, dès réception de son courrier, ouvert une enquête interne en août 2018.
C'est au cours de cette enquête interne que nous avons découvert des faits graves vous concernant et notamment des envois par des commerciaux que vous étiez en charge de manager de vidéos et de dessins à caractère pornographique, ainsi que des insultes, sans que cela ne provoque la moindre intervention de votre part, ni a minima que vous alertiez la Direction Générale.
Vous avez donc laissé s'installer une ambiance particulièrement délétère et malsaine au sein du Service Commercial qui couplée à votre carence dans le suivi de nombreux dossiers commerciaux dont vous étiez en charge, ont mis en péril l'activité du Service Commercial et, par conséquent, l'activité du Groupe Cyllène.
1. Sur les envois de vidéos et de dessins à caractère pornographique par des commerciaux que vous étiez en charge de manager, sans intervention de votre part ni alerte à la Direction Générale :
Dans le cadre de l'enquête interne ouverte en août 2018, nous avons accédé aux messageries professionnelles et aux échanges professionnels sur Skype de certains des Commerciaux que vous étiez en charge de manager.
Nous avons notamment constaté que, le 2 octobre 2017, des vidéos à caractère pornographique avaient été adressées par Messieurs [I] [Y] et [U] [D], Commerciaux, à l'adresse e-mail [Courriel 5] (c'est-à-dire l'adresse générique de l'ensemble du service commercial) avec notamment le commentaire suivant : "Pour [S] qui ne semble pas connaître le process d'une bonne Bifle".
En votre qualité de Directeur Commercial de la société ABC systèmes et formation, vous aviez en charge le management du service commercial et vous étiez dans le groupe de messagerie [Courriel 5] donc destinataire de ces deux vidéos. Pourtant vous n'êtes pas intervenu...
Nous avons également découvert une photo adressée par Monsieur [A] [L], également commercial, le 22 septembre 2017, à l'adresse e-mail [Courriel 5] montrant Monsieur [U] [D] ennuyant et ridiculisant Monsieur [M] [V], commercial, alors qu'il faisait sa sieste pendant sa pause déjeuner (...). Là encore, vous n'êtes pas intervenu votre absence d'intervention à ces deux occasions est inacceptable (...). En outre, nous avons été totalement effarés de découvrir que lorsque Monsieur [C] [P], Chef des Ventes, vous a adressé le 20 mars 2018 un dessin de sexe masculin en réponse à votre e-mail lui demandant de valider ses commissions de vente du mois de février 2018, vous n'avez ni réagi ni répondu (...)
En votre qualité de Directeur Commercial, vous auriez dû intervenir, prendre les sanctions appropriées et remonter cet incident à la Direction Générale, ce que vous n'avez pas fait.
2. Sur la mise en péril et la désorganisation de l'activité du Groupe Cyllène par le maintien d'une ambiance particulièrement délétère et malsaine au sein du Service Commercial, service stratégique pour le Groupe et par votre carence dans le suivi de nombreux dossiers commerciaux dont vous étiez en charge :
Nous avons également constaté que plusieurs commerciaux avaient une attitude provocante et violente envers leurs collègues et qu'un vocabulaire insultant et vulgaire était utilisé dans plusieurs échanges entre commerciaux ou avec vous.
En effet, nous avons découvert dans les messageries professionnelles de Messieurs [U] [D] et [C] [P] que ceux-ci proféraient de très nombreuses insultes envers plusieurs de leurs collègues.
En votre qualité de Directeur Commercial, il vous appartenait d'animer et d'encadrer le service commercial et donc, notamment, de montrer l'exemple par un comportement exemplaire et un vocabulaire dénué de propos injurieux, diffamatoire ou excessif.
Or, dans vos échanges du 12 avril 2018 avec Monsieur [C] [P], Chef des Ventes qu'il vous appartenait de manager, vous répondez à la question du lieu dans lequel vous vous trouvez par : "Dans ton...". Monsieur [C] [P] vous répond alors par "Je te chie dessus" cela à quoi vous répondez par un Smiley ":)".
Cet échange est parfaitement intolérable dans le milieu professionnel (...)
Au-delà de ces insultes, nous avons également découvert, à l'occasion de notre enquête interne l'attitude provocante de Messieurs [C] [P] et [U] [D] envers certains de nos collègues du plateau commercial et, notamment, Messieurs [K] [R] et [M] [V].
En témoignent de nombreux échanges sur les messageries professionnelles.
Vous n'avez jamais agi ni n'avez remonté l'information à la Direction Générale concernant cette ambiance délétère et malsaine au sein du Service Commercial.
Pourtant, cette ambiance délétère et malsaine a été fortement préjudiciable à l'activité du Groupe Cyllène puisqu'elle s'est notamment traduite par un nombre important de départs au sein du service commercial d'ABC systèmes et formation, freinant ainsi le développement commercial du Groupe, le désorganisant.
En témoignent notamment le chiffre d'affaires du premier semestre 2018 d'ABC systèmes et formation en baisse par rapport à celui du premier semestre 2017 (6 121 265 € HT au 30 juin 2018 à comparer aux 7 210 883 € HT au 30 juin 2017), ainsi que le chiffre d'affaires des sociétés du Groupe Cyllène au cours du premier semestre 2018 qui n'a pas augmenté par rapport à celui du premier semestre 2017 alors que l'objectif attendu et réaliste était une augmentation de + 6%.
Au-delà de ces nombreuses fautes mentionnées ci-dessus et qui justifient à elles seules votre licenciement, nous avons constaté une carence dans le suivi de plusieurs dossiers vous incombant.
En effet, en votre qualité de Directeur Commercial, il vous appartenait notamment de promouvoir les produits et services des sociétés du Groupe Cyllène au sein du portefeuille clients existant et en prospectant de nouveaux clients.
Cela nécessitait notamment la mise en place d'un CRM ainsi que la mise en autonomie des commerciaux sur la GESCO.
Or, malgré nos multiples relances, vous n'avez pas mis en place le CRM ni mis en autonomie les commerciaux sur la GESCO.
Nous avons également eu à déplorer votre manque d'investissement dans la rédaction d'offres commerciales permettant d'incrémenter le catalogue de services ainsi que l'absence de suivi de plusieurs clients tels que Clarins, CMS, Mondadori, Figaro ou encore Daher.
Nous déplorons par ailleurs le peu de propositions reçues de votre part quant à l'activité et à la stratégie commerciale du Groupe Cyllène. Vos propositions se limitaient, en effet, la plupart du temps, à la critique du pay plan des commerciaux ou à des propositions d'évolutions salariales comme celle d'[C] [P] dont vous connaissiez pourtant le comportement inacceptable.
Nous considérons donc que ces faits caractérisent pour le moins une abstention gravement fautive à vos missions contractuelles et ne résultent pas d'une simple insuffisance".
Le 28 février 2019, M. [W] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour contester son licenciement et solliciter un rappel d'heures supplémentaires, des dommages-intérêts en raison de la dégradation de son état de santé ainsi que des dommages-intérêts pour préjudice moral.
Le 22 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa section Encadrement l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Cyllène de sa demande reconventionnelle et a condamné M. [W] [F] aux dépens.
Par déclaration du 17 novembre 2020 (RG 20/07800), puis rectificative du 24 novembre 2020 (20/07949), M. [W] [F] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 9 novembre 2020.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 12 février 2021, aux termes desquelles M. [W] [F] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 22 octobre 2020 en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes
- débouter la société Cyllène de ses demandes, fins et conclusions
Statuant à nouveau,
- dire que le licenciement de Monsieur [W] [F] par la société Cyllène est intervenu sans cause réelle et sérieuse
- condamner la société Cyllène à payer à Monsieur [W] [F] :
* la somme de 5 000 euros au titre des primes contractuellement prévues
* la somme de 30 630,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 3 063,08 euros au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir
* la somme de 40 841,08 euros à titre d'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir
* la somme de 117 418,10 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
* la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait des circonstances brutales et vexatoires du licenciement, avec intérêt au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir
* la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la dégradation de l'état de santé de Monsieur [W] [F], avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir
* la somme de 113 667,03 euros au titre du rappel de salaire en heures supplémentaires
* la somme de 11 366,70 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés afférents aux heures supplémentaires
- ordonner à la société Cyllène de remettre à Monsieur [W] [F] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi ainsi qu'un bulletin de paie conformes à l'arrêt à intervenir sous peine d'astreinte de cinquante euros (50 euros) par jour de retard et par document non remis passé un délai d'un mois suivant la notification du présent arrêt
- réserver sa compétence pour l'éventuelle liquidation de l'astreinte prononcée
- ordonner l'exécution provisoire de la présente décision
- condamner la société Cyllène à payer à Monsieur [W] [F] une indemnité d'un montant de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner la société Cyllène aux dépens.
Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 13 janvier 2021, aux termes desquelles la société Cyllène demande à la cour d'appel de :
- joindre les deux affaires enrôlées sous les numéros de RG 20/07800 & 20/07949
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris (RG 19/01732) le 22 octobre 2020 en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- dire que le licenciement notifié pour faute grave à Monsieur [F] le 28 septembre 2018 est légitime et bien fondé
En conséquence :
- débouter Monsieur [F] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- condamner Monsieur [F] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamner Monsieur [F] aux entiers débours et dépens.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 4 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
1/ Sur les heures supplémentaires
Selon l'article L. 3174-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci.
Le salarié explique qu'il a toujours travaillé, en moyenne, 50 heures par semaine alors que son contrat de travail prévoyait une durée de travail hebdomadaire de 39 heures.
A compter du 1er janvier 2018, il a été soumis à une convention de forfait en jours, à raison de 218 jours par an. Cependant, M. [W] [F] demande à ce que cette convention lui soit dite inopposable à défaut d'avoir été accompagnée de la réalisation des deux entretiens annuels, prévus par la convention collective Syntec pour s'assurer de l'articulation entre sa charge de travail et sa vie personnelle et familiale.
Pour justifier des heures supplémentaires qu'il prétend avoir accomplies, le salarié appelant verse aux débats :
- un listing de courriels des années 2015, 2016, 2017 et 2018 et une clé USB contenant lesdits courriels (pièce 39)
- la copie de son agenda électronique (pièce 40)
- un tableau Excel des heures supplémentaires effectuées par semaine civile.
Pour les 1 379 heures supplémentaires réalisées entre le 13 mai 2015 et le 13 mai 2018, M. [W] [F] réclame un rappel de salaire total de 113 667,03 euros, outre 11 366,70 euros au titre des congés payés afférents.
La société intimée observe, à titre liminaire, que les demandes de rappel de salaire au titre de l'année 2015 sont prescrites. Néanmoins, la cour observe que cette fin de non-recevoir qui figure dans le corps des conclusions n'est pas reprise dans le dispositif des écritures de l'intimée.
Sur le fond, elle objecte que plusieurs salariés et le représentant du personnel attestent que M. [W] [F] ne demandait pas à effectuer d'heures supplémentaires et que, d'ailleurs, sa charge de travail ne le justifiait pas (pièces 28, 29, 30, 31). Elle relève, également, que l'appelant ne démontre pas que l'employeur lui demandait d'effectuer des heures supplémentaires et qu'il ne justifie par aucune pièce des 50 heures hebdomadaires qu'il prétend avoir accomplies. Pire, l'analyse de son agenda démontre qu'il commençait habituellement ses journées à 10 heures et qu'il les finissait à 18 heures au plus tard, voire très fréquemment à 17 heures.
Le listing des mails produits par le salarié est, quant à lui, inexploitable puisqu'il regroupe, "en vrac", des mails qui ne sont pas classés par ordre chronologique, ce qui ne permet pas leur exploitation. La société intimée a, néanmoins, procédé à des pointages et s'est aperçue, à titre d'exemple, que pour la semaine 47 de 2017, les mails produits ne permettent quasiment jamais de connaître les heures de prise de poste et de fin de journée du salarié. Ses demandes de rappel de salaire sont donc infondées pour la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017.
S'agissant du forfait en jours mis en place à compter du 1er janvier 2018, l'employeur avance qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir organisé les deux entretiens annuels au titre de l'année 2018 alors que l'appelant a été placé en arrêt maladie à compter du 14 mai 2018. La société intimée soutient qu'un premier entretien aurait dû se dérouler à l'été 2018 mais qu'il n'a pas pu y être procédé en raison de la suspension du contrat de travail de M. [W] [F].
En cet état, la cour retient que le salarié ne peut valablement demander à ce que la convention de forfait en jours qui lui a été appliquée à compter du 1er janvier 2018 soit dite inopposable puisque, ayant été en arrêt à compter du mois de mai 2018, puis licencié au mois de septembre suivant, il ne peut affirmer que l'employeur ne se serait pas acquitté de ses obligations de réalisation de deux entretiens annuels avant la fin de l'année. En revanche, s'agissant des heures supplémentaires accomplies entre le 13 mai 2015 et le 1er janvier 2018, les éléments versés aux débats par l'employeur ne permettent pas d'établir de manière objective et fiable le nombre d'heures de travail effectuées par le salarié. Il sera, en conséquence, considéré que la société Cyllène ne remplit pas la charge de la preuve qui lui revient, le salarié ayant de son côté apporté à la cour des éléments précis. Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [W] [F] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires.
Il sera alloué au salarié appelant une somme arbitrée à 11 366 euros à titre de rappel de salaire, pour tenir compte des observations justifiées de l'employeur sur les horaires allégués, outre 1 136 euros au titre des congés payés afférents.
2/ Sur les demandes de rappel de primes
M. [W] [F] indique que l'avenant du 1er janvier 2018 à son contrat de travail prévoyait une prime de 5 000 euros pour un accroissement de 6 % du chiffre d'affaires de la société Cyllène et une autre prime d'un montant équivalent en cas d'augmentation de 6 % de la marge de la société.
Alors que le salarié appelant affirme que ces chiffres ont été atteints (pièces 33, 34), il déplore de ne pas avoir perçu lesdites primes dont il réclame le paiement pour un montant total de 5 000 euros (2 500 euros + 2 500 euros).
Cependant, la cour constate que les dispositions de l'avenant du 1er janvier 2018 spécifiaient que le salarié recevrait une prime s'il réalisait les objectifs qui lui étaient fixés en termes d'accroissement du chiffre d'affaires et qu'il est justifié par l'employeur que M. [W] [F] ne les a pas atteints, ainsi que cela lui a été détaillé dans un courrier du 26 juillet 2018 (pièce 32 salarié). C'est donc à bon escient que les premiers juges ont débouté le salarié de ses demandes de ce chef.
3/ Sur l'obligation de sécurité
M. [W] [F] rapporte, qu'à compter de la nomination de M. [E] [X] comme Directeur Général de la société Cyllène, puis de sa succession officieuse, à la fin de l'année 2017, au poste de Président Directeur Général, le climat professionnel s'est dégradé.
Outre que M. [E] [X] a imposé une baisse du plan de rémunération, une suppression de primes et un retrait de certains dossiers du portefeuille du salarié, sans préavis, le Directeur Général se plaisait à tenir des propos condescendants, dévalorisants et/ou humiliants à l'égard de ses subordonnés (pièces 22, 36, 37). Ainsi, le 7 décembre 2017, M. [E] [X] écrivait à l'appelant « En bref, ne vaudrait-il pas mieux que tu t'investisses pleinement avec tes collaborateurs dans un objectif de croissance en prenant en compte le nouveau périmètre que représente CetSI plutôt que de te livrer à un calcul d'épicier pour maintenir une rémunération aux contours pour le moins flous ' » (pièce 18). Le 31 janvier 2018, le Directeur Général envoyait à un de ses collaborateurs un dessin représentant des personnes poussées à l'eau à bord d'un bateau cette légende : « le chef doit savoir montrer la voie, les mauvais élèves quitteront donc le navire » (pièce 23).
M. [W] [F] verse aux débats des attestations de collègues, dont l'un fait état d'un comportement inadapté de la Direction à son égard "pour le pousser à partir ou à craquer moralement" (pièce 13). Un autre témoigne de ce que M. [E] [X] a annoncé, lors d'un comité technique, trois jours après le premier arrêt de travail de l'appelant, que "Monsieur [F] n'avait pas le costume pour le poste de directeur commercial et qu'il ne reviendrait pas de son arrêt maladie" (pièce 12). Son collaborateur, M. [C] [P], évoque le manque de respect de la Direction à l'égard de M. [W] [F] (pièce 48).
Le salarié appelant fait valoir que ces agissements ont entraîné une dégradation de son état de santé et des troubles dépressifs médicalement constatés (pièce 10). En conséquence, il revendique une somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi.
La société intimée répond que lors du rachat de la société ABC systèmes et formations par la société Cyllène, le salarié a bénéficié d'une visite médicale, 16 février 2018 et a été reconnu apte par le médecin du travail sans aucune réserve. Les arrêts de travail délivrés par la suite l'ont tous été pour un motif non professionnel. Elle ajoute que M. [W] [F] ne peut valablement prétendre avoir été disqualifié ou s'être vu priver de dossiers alors qu'il a été nommé directeur commercial de la société Cyllène, qui comprenait dans son périmètre son ancien employeur et deux autres sociétés.
L'intimée conteste la teneur des attestations versées aux débats, notamment, s'agissant des propos qui auraient été tenus sur l'appelant par M. [E] [X] lors d'un comité technique.
Elle estime que les mails produits pour dénoncer le management condescendant, voire humiliant du Directeur Général "reflètent simplement une exigence de professionnalisme de la part du Président de l'entreprise, sans aucun débordement ni ton polémique".
D'ailleurs, le 12 mars 2018, soit deux mois à peine avant son premier arrêt de travail M. [W] [F] n'hésitait pas à écrire à M. [E] [X] qu'il le trouvait "entrepreneur", "charismatique" et "pragmatique" et qu'il était "la première raison pour laquelle décidé de rester dans le groupe" (pièce 38 salarié).
Enfin, quand M. [W] [F] a fait état de ses difficultés en termes de santé, l'actionnaire de l'entreprise lui a répondu, en juin 2018, qu'elle était à son écoute et mobilisée pour l'accompagner, s'il le souhaitait.
La cour observe, qu'à l'exception d'un courriel, les communications de M. [E] [X] que le salarié qualifie de condescendantes et dégradantes à son égard sont toutes antérieures à l'e-mail qu'il a adressé à son supérieur hiérarchique pour louer ses qualités et l'assurer qu'il était la première raison à son maintien dans le groupe Cyllène. Il est donc impossible de retenir que le comportement de M. [E] [X] a été à l'origine de la dégradation de l'état de santé du salarié et que l'employeur aurait eu connaissance de cet état de fait et se serait abstenu d'intervenir pour protéger la santé du salarié. La cour relève, également, une contradiction dans l'argumentaire du salarié qui reproche à l'employeur de l'avoir privé d'une partie de son activité alors qu'au soutien de ses demandes au titre des heures supplémentaire il se plaint d'une surcharge de travail.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande indemnitaire au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité qui n'est pas caractérisé.
4/ Sur le licenciement pour faute grave
L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige. Il incombe à l'employeur d'alléguer des faits précis sur lesquels il fonde le licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur d'en apporter la preuve.
La société Cyllène explique qu'elle a reçu, le 6 août 2018, un courrier daté du 2 août 2018 d'une salariée, Mme [G], se plaignant de faits de harcèlement au sein de l'équipe commerciale dirigée par M. [W] [F]. L'intéressée affirmait qu'elle subissait des "attitudes méprisantes et humiliantes qu'aucune personne ne devrait avoir à subir". Elle ajoutait, qu'en raison des "comportements obscènes de la part de deux salariés" " mental a lâché car cela est allé beaucoup trop loin" (pièce 2). Mme [G] donnait, enfin, plusieurs exemples des agissements subis et, notamment, la réalisation par ses collègues de travail de dessins salaces dans son cahier de travail et sur le plateau de son bureau mais aussi d'humiliations physiques.
Cette salariée indiquait qu'elle avait signalé cette situation à M. [W] [F] mais que, si son manager avait fait passer un message au reste de l'équipe, cela n'avait pas eu pour effet de changer les comportements. Mme [G] concluait qu'elle s'était "sentie vraiment abandonnée par hiérarchie" et, notamment, par M. [W] [F] qui avait préféré lui proposer une rupture conventionnelle plutôt que de faire cesser les agissements dont elle était victime.
À la réception de ce courrier, la société intimée a diligenté une enquête qui a mis en évidence que M. [W] [F] avait été rendu destinataire d'un certain nombre d'e-mails à caractère pornographique de la part de ses subordonnés, sans qu'il n'intervienne pour faire cesser ces agissements (pièces 5, 7, pièce 3 salarié). Pire, lorsque Mme [G] s'est plainte auprès de lui des actes obscènes qu'elle subissait et qui la dissuadaient de venir au bureau, il a écrit à sa hiérarchie, le 1er février 2018 (voir pièce 24 salarié) que la salariée formulait des accusations sans preuve, qui lui servaient de prétexte pour privilégier le télétravail.
Plus généralement, l'employeur reproche à l'appelant d'avoir laissé s'installer une ambiance délétère et malsaine au sein du service commercial. Il est, ainsi, versé aux débats des exemples d'échanges particulièrement grivois entre M. [W] [F] et son chef des ventes, ce dernier se croyant autorisé à parler sans le moindre respect à son supérieur hiérarchique (pièce 4) mais, surtout, à ses collègues féminines qualifiés de "conne", "pute", "salope", "garage à bite".
Il est reproché au salarié de ne pas avoir accompli les missions qui lui étaient dévolues en sa qualité de Directeur Commercial, ce qui a entraîné une baisse du chiffre d'affaires de la société ABC systèmes et formations au premier semestre 2018 ainsi que des sociétés opérationnelles du groupe.
M. [W] [F] s'explique sur chacun des griefs qui lui sont faits au titre de la non-exécution de ses missions et objecte que loin d'être à l'origine de la désorganisation du groupe Cyllène, il en était la victime.
S'agissant du climat délétère qu'il aurait laissé s'installer au sein de la direction commerciale, le salarié appelant explique que son chef de vente a dessiné une verge "en signe de sa désapprobation de la nouvelle politique managériale et de rémunération" et non dans un but pornographique. Il qualifie d'autres échanges tendancieux auxquels il n'a pas toujours été associé, "d'aléas du quotidien de la vie en entreprise". Il ajoute, qu'alors qu'on stigmatise son défaut d'encadrement, il avait rappelé à l'ordre son chef des ventes sur son mode de communication inapproprié.
Enfin, tandis qu'il lui est reproché son inaction à la suite des révélations de Mme [G], M. [W] [F] affirme qu'il a transmis l'intégralité de ses échanges avec cette salariée à la Direction Juridique de l'entreprise et au secrétariat général. Il relève que c'était à eux et non à lui de diligenter une enquête sur les accusations de cette salariée. A titre personnel, il affirme être intervenu auprès de son équipe pour la rappeler à l'ordre.
M. [W] [F] tient, néanmoins, à souligner que Mme [G] était fréquemment absente, ce qui perturbait le service et que, c'est à la suite des reproches qu'il lui avait faits sur son attitude, que cette salariée a prétendu être victime d'agissements sexistes.
La cour constate qu'il ne ressort pas des échanges de mails avec sa hiérarchie produits par le salarié qu'il a alerté cette dernière en février 2018 sur les faits précis de harcèlement qui lui avaient été dénoncés par Mme [G]. En effet, s'il a signalé que la salariée rencontrait des difficultés, il a principalement mis l'accent sur le fait que l'intéressée abusait du télétravail, ainsi qu'en témoigne le courrier en réponse qu'il a rédigé, le 1er février 2018, à l'attention de Mme [G] et, où, après lui avoir reproché ses absences excessives, il conclut par "Je compte donc sur ta remobilisation et sur ton implication au service de l'entreprise".
L'absence de prise en compte par le salarié du signalement de fait de harcèlement moral et sexuel de la part d'une de ses collaboratrices, la dissimulation de la teneur précise des faits signalés lors de son rapport à sa propre hiérarchie et le mépris avec lequel il répondu à Mme [G] en lui reprochant son laxisme, constituent de la part du salarié un comportement fautif justifiant son licenciement. De surcroît, son manque de diligence, tant auprès de son équipe que de la Direction des Ressources Humaines, a contraint Mme [G], qui continuait à être victime des mêmes agissements, à saisir directement la Direction de la société, quelques mois plus tard, afin que celle-ci prenne les mesures qui s'imposaient. L'enquête diligentée par l'employeur a d'ailleurs abouti au licenciement des deux salariés mis en cause par Mme [G] comme étant ses principaux agresseurs.
Il ressort, en outre, des éléments versés aux débats que non seulement M. [W] [F] s'est abstenu de prendre les mesures appropriées pour faire cesser les comportements dénoncés mais qu'il les a autorisés, si ce n'est encouragés, en laissant se développer au sein de la direction commerciale qu'il dirigeait un mode de communication dégradé, sexualisé et irrespectueux entre salariés. Ces faits sont suffisamment graves pour dire fondé le licenciement pour faute grave, le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef et en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes indemnitaires au titre du licenciement et de sa demande de délivrance de documents de fin de contrat rectifiés.
5/ Sur le licenciement brutal et vexatoire
Le salarié appelant considère que la nature de la faute retenue à son encontre est le signe manifeste de la volonté de l'employeur de dénigrer jusqu'à son identité professionnelle. Cette attitude injurieuse qui caractérise, selon lui, un licenciement brutal et vexatoire lui a occasionné un préjudice moral dont il demande réparation à hauteur de 3 000 euros.
Cependant, la cour ayant dit le licenciement fondé et le salarié ne caractérisant aucun autre agissement brutal et vexatoire de la part de l'employeur, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef.
6/ sur les autres demandes
La société Cyllène supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a :
- débouté M. [W] [F] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents au titre des heures supplémentaires,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la société Cyllène à payer à M. [W] [F] les sommes suivantes :
- 11 366 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées
- 1 136 euros au titre des congés payés afférents
- 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la société Cyllène aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE