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04/04/2024 | FRANCE | N°21/02590

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 04 avril 2024, 21/02590


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 04 AVRIL 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02590 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDLHQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09566





APPELANTE



S.A.R.L. SECURITAS FRANCE

[Adresse 2]


[Localité 6]



Représentée par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020





INTIMÉS



Monsieur [M] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]



Représenté par Me Jean MAZURIE,...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 04 AVRIL 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/02590 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDLHQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Février 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/09566

APPELANTE

S.A.R.L. SECURITAS FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Michel GUIZARD, avocat au barreau de PARIS, toque : L0020

INTIMÉS

Monsieur [M] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Jean MAZURIE, avocat au barreau de BAYONNE, toque : 144

S.A.S.U. ATALIAN SECURITE anciennement dénommée LANCRY PROTECTION SECURITE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Séverine HOUARD-BREDON, avocat au barreau de PARIS, toque : E0327

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

A l'occasion de la reprise du marché sur lequel il était affecté (site du Crédit Agricole de [Localité 8]), Monsieur [R] a intégré les effectifs de la société Securitas le 1er novembre 1999 en qualité d'agent de sécurité; il bénéficiait alors d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel.

Par avenant du 5 juin 2015, le contrat de travail de Monsieur [R] a été transféré à la société Lancry Protection Sécurité, en qualité d'agent de sécurité confirmé, à temps partiel, avec reprise d'ancienneté au 25 juillet 1988.

Par courrier du 25 avril 2018, la société Lancry Protection Sécurité l'a informé de ce qu'à la suite de la perte du marché, la sécurité du site du Crédit Agricole de [Localité 8] était reprise par la société Securitas France à compter du 1er juin 2018.

Considérant que le salarié ne remplissait pas les conditions d'éligibilité au sens de l'accord relatif à la reprise du personnel et nonobstant la mise en demeure de la société Lancry Protection Sécurité en date du 7 juin 2018, la société Securitas France a refusé le transfert de son contrat de travail et saisi la commission de conciliation.

Après plusieurs réclamations restées sans réponse, un avenant à effet au 1er octobre 2018 avec reprise d'ancienneté a été proposé à Monsieur [R], lequel a refusé de le signer, parce qu'il n'obtenait pas paiement de ses salaires depuis la date d'effet du transfert au 1er juin 2018.

Dénonçant l'absence de reprise de son contrat de travail et sollicitant un rappel de salaire sur la période litigieuse, Monsieur [R] a saisi le 24 octobre 2019 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 4 février 2021, a :

- enjoint à la société Securitas de fournir du travail à Monsieur [R],

- condamné la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de

5 854,08 euros à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2018 à octobre 2018 et la somme de 585 euros pour les congés payés afférents,

- condamné la société Securitas à payer à Monsieur [R] la somme de 31 531,22 euros à titre de rappel de salaire pour la période d'octobre 2018 à décembre 2020 et la somme de 3 153 euros pour les congés payés afférents,

- condamné la société Securitas à payer à Monsieur [R] la somme de 250 euros à titre de remboursement de frais de formation,

- condamné solidairement les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas à payer à Monsieur [R] la somme de 10 000 euros au titre des préjudices moraux et financiers résultant de l'absence de fourniture de travail et du retard de paiement des salaires,

- condamné les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas à remettre à Monsieur [R] des bulletins de salaire conformes à la décision,

- condamné solidairement les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas à payer à Monsieur [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté Monsieur [R] du surplus de ses demandes,

- débouté les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas de leurs demandes reconventionnelles,

- condamné solidairement les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas aux dépens.

Par déclaration du 9 mars 2021, la société Securitas France a interjeté appel de ce jugement.

La société Lancry Protection Sécurité a également interjeté appel de ce jugement, selon déclaration du 15 mars 2021.

Par ordonnance du 19 juin 2023, les deux appels ont été joints sous le numéro RG 21/02590.

Par courrier du 30 mars 2021, la société Securitas France a adressé un nouvel avenant à Monsieur [R], qu'il a signé à effet du 1er mars 2021.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 29 novembre 2021, la société Securitas France demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

*enjoint à la société Securitas France de fournir du travail à Monsieur [R],

* condamné la société Securitas France à payer à Monsieur [R] les sommes de :

- 31 531,22 euros au titre du rappel de salaire pour la période d'octobre 2018 à décembre 2020,

- 3 153 euros au titre des congés payés afférents,

- 250 euros au titre du remboursement des frais de formation,

- 10 000 euros au titre des préjudices moraux et financiers résultant de l'absence de fourniture de travail et du retard de paiement des salaires, solidairement avec Lancry Protection Sécurité,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, solidairement avec Lancry Protection Sécurité,

*condamné la société Securitas à remettre à Monsieur [R] les bulletins de salaire conformes à la décision,

*débouté la société Securitas de sa demande de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

*débouté la société Securitas de ses demandes reconventionnelles tendant à :

- voir déclarer irrecevable la demande nouvelle de Monsieur [R] relative au remboursement des frais de formation pour 250 euros,

- se voir mettre hors de cause,

- voir débouter la société Lancry Protection Sécurité de sa demande de garantie,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [R] du surplus de ses demandes,

et statuant à nouveau

- juger irrecevables les demandes nouvelles de Monsieur [R] relatives aux dommages- intérêts pour discrimination à hauteur de 20 000 euros, et au remboursement des frais de formation pour 250 euros,

- débouter Monsieur [R] et la société Lancry Protection Sécurité de toutes leurs demandes, fins et prétentions dirigées à l'encontre de Securitas France,

- mettre hors de cause la société Securitas France,

subsidiairement :

- juger que la société Lancry Protection Sécurité sera tenue de garantir Securitas France de toutes sommes qui pourraient être mises à sa charge,

- juger que la remise d'un bulletin de paie unique et récapitulatif est autorisée,

en toute hypothèse :

- condamner tout succombant à verser à la société Securitas France la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 25 janvier 2024, la société Lancry Protection Sécurité, devenue la société Atalian Sécurité, demande à la cour de :

- juger irrecevables les demandes nouvelles de Monsieur [R] visant, subsidiairement à voir condamner la société Lancry Protection Sécurité à lui payer 250 euros au titre du remboursement des frais de formation et 20 000 euros afin de réparer la discrimination dont il a été victime,

- juger irrecevable la demande nouvelle formée à hauteur d'appel par la société Securitas de voir, à titre subsidiaire « juger que la société Lancry Protection Sécurité sera tenue de garantir Securitas de toutes sommes qui pourraient être mises à sa charge »,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

*condamné la société LPS désormais dénommée Atalian Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 5 854,08 euros à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2018 à octobre 2018 et la somme de 585 euros au titre des congés payés afférents,

* condamné la société LPS désormais dénommée Atalian Sécurité à remettre à Monsieur [R] des bulletins de salaire conformes à la décision,

* condamné la société LPS désormais dénommée Atalian Sécurité à payer à Monsieur [R] solidairement avec la société Securitas la somme de 10 000 euros au titre des préjudices moraux et financiers résultant de l'absence de fourniture de travail et du retard de paiement des salaires,

*condamné la société LPS désormais dénommée Atalian Sécurité à payer à Monsieur [R] solidairement avec la société Securitas la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société LPS désormais dénommée Atalian Sécurité de sa demande d'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 500 euros dirigée à l'encontre de la société Securitas,

*débouté la société LPS de ses demandes reconventionnelles,

*condamné solidairement les sociétés LPS et Securitas aux dépens de première instance,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [R] du surplus de ses demandes dirigées à l'encontre de la société LPS, désormais dénommée Atalian Sécurité,

en conséquence,

statuant à nouveau,

- débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société LPS, désormais dénommée Atalian Sécurité,

- débouter la société Securitas de l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de la société LPS, désormais dénommée Atalian Sécurité,

- ordonner à la société Securitas de proposer à Monsieur [R] un avenant de reprise conforme avec reprise rétroactive au 1er juin 2018, emportant toutes conséquences en matière de rappels de salaires depuis le 1er juin 2018,

- dire et juger que la société Securitas devra garantir la société Lancry Protection Sécurité, désormais dénommée Atalian Sécurité, de toutes condamnations, y compris frais et dépens, qui pourraient être prononcées à son encontre,

- condamner la société Securitas à verser à la société Lancry Protection Sécurité la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et la somme de 2 500 euros pour les frais irrépétibles à hauteur d'appel,

- condamner la société Securitas aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 janvier 2024, Monsieur [R] demande à la cour de :

à titre principal,

- confirmer la décision dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle l'a débouté de sa demande au titre de la discrimination dont il a été victime,

par voie de conséquence :

- confirmer les condamnations suivantes :

*enjoindre à la société Securitas France de fournir du travail à Monsieur [R],

* condamner la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 5 854,08 euros à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2018 à octobre 2018 et la somme de 585 euros pour les congés payés afférents,

*condamner la société Securitas France à payer à Monsieur [R] la somme de 31 531,22 euros à titre de rappel de salaire pour la période d'octobre 2018 à décembre 2020 et la somme de 3 153 euros pour les congés payés afférents,

*condamner la société Securitas France à payer à Monsieur [R] la somme de 250 euros au titre du remboursement des frais de formation,

* condamner solidairement les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas France à payer à Monsieur [R] la somme de 10 000 euros au titre des préjudices moraux et financiers résultant de l'absence de fourniture de travail et du retard de paiement des salaires,

* condamner les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas France à remettre à Monsieur [R] des bulletins de paie conformes à la décision,

* condamner solidairement les sociétés Lancry Protection Sécurité et Securitas France à payer à Monsieur [R] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant de nouveau sur la demande relative à la réparation du préjudice résultant de la discrimination :

- condamner la société Securitas France à payer la somme de 20 000 euros à Monsieur [R] pour réparer le préjudice résultant de la discrimination dont il a été victime,

à titre subsidiaire, si, par extraordinaire, la juridiction de céans devait considérer que la société Securitas n'avait pas à reprendre Monsieur [R] :

- enjoindre à la société Lancry Protection Sécurité de reprendre Monsieur [R],

- confirmer la condamnation de la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 5 854,08 euros à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2018 à octobre 2018 et la somme de 585 euros pour les congés payés afférents,

- condamner la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 31 531,22 euros à titre de rappel de salaire pour la période d'octobre 2018 à février 2020 et la somme de 3 153 euros pour les congés payés afférents,

- condamner la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 10 000 euros afin de réparer ses préjudices moraux et financiers,

- condamner la société Lancry Protection Sécurité à payer à Monsieur [R] la somme de 250 euros au titre du remboursement des frais de formation,

- condamner la société Lancry Protection Sécurité à payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par Monsieur [R] devant le conseil de prud'hommes,

en tout état de cause :

- débouter la société Securitas France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouter la société Lancry Protection Sécurité de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner solidairement les sociétés Securitas France et Lancry Protection Sécurité à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 janvier 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le même jour.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité de demandes qualifiées de 'nouvelles':

La société Securitas France considère que la société Lancry Protection Sécurité, désormais dénommée Atalian Sécurité, soulève vainement l'irrecevabilité de sa demande de garantie formulée contre elle, dans la mesure où le moyen devait être présenté devant le conseiller de la mise en état et où cette demande n'est que la conséquence logique et le complément nécessaire de ses prétentions.

La société Atalian Sécurité fait valoir que la société Securitas France a formulé une demande totalement nouvelle qui ne peut qu'être jugée irrecevable et que seule la cour est compétente pour statuer sur ce point.

Il est de principe que la cour d'appel est compétente pour statuer sur les fins de non-recevoir relevant de l'appel, celles touchant à la procédure d'appel étant de la compétence du conseiller de la mise en état.

Or, l'examen de la fin de non-recevoir édictée à l'article 564 du code de procédure civile, relative à l'interdiction de soumettre des prétentions nouvelles en appel, relève de l'appel et non de la procédure d'appel.

L'article 564 du code de procédure civile prévoit qu' « à peine d'irrecevabilité soulevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »

Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, selon l'article 565 du code de procédure civile.

Il résulte de l'article 566 du code de procédure civile que 'les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.'

En l'espèce, la demande de garantie présentée par la société Securitas France à l'encontre de la société Atalian Sécurité - qui tend à faire écarter une prétention adverse- s'avère être le complément de la prétention tendant au rejet des demandes dirigées à son encontre et à sa mise hors de cause.

Il en va de même de la demande au titre d'une discrimination tirée de la posture de la société Securitas France refusant de reprendre le contrat de travail du salarié, alors que ce refus est au coeur des prétentions de l'intéressé.

Ces demandes ne sauraient donc être écartées pour cause de nouveauté.

Sur le transfert du contrat de travail :

La société Securitas France rappelle que les conditions de l'article L. 1224-1 du code du travail n'étaient pas remplies en l'espèce, en l'absence de transfert de moyens matériels d'exploitation d'éléments incorporels et alors que le site du Crédit Agricole de [Localité 8] ne constituait pas une entité économique autonome. Elle souligne que les dispositions de l'accord du 5 mars 2002 modifié par l'avenant du 28 janvier 2011 en annexe de la convention collective nationale des entreprises de sécurité et de prévention ne prévoit aucun caractère obligatoire et automatique au changement d'employeur qui suppose l'accord exprès du salarié. Elle fait état de sa bonne foi dans ses obligations mais relevant que le contrat de travail originaire de Monsieur [R] n'avait pas été transmis, elle n'avait pu lui donner satisfaction, mais que pour se conformer à la suggestion de la commission de conciliation préconisant un arrangement, elle lui avait proposé un projet d'avenant à compter du 1er octobre 2018, lequel a été refusé par l'intéressé. Estimant ne pas être à l'origine de la privation de travail de Monsieur [R], elle sollicite l'infirmation du jugement entrepris qui lui a enjoint de fournir du travail à l'intimé.

La société Atalian Sécurité, anciennement dénommée Lancry Protection Sécurité, soutient que l'article L.1224-1 du code du travail n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, rappelle avoir adressé à la société entrante la liste du personnel transférable, accompagnée des pièces visées par l'accord de branche, dont le contrat de travail conclu en 2015, souligne que le contrat manquant, selon la société Securitas France, était justement le contrat souscrit précédemment entre cette dernière et le salarié à l'occasion d'une précédente reprise de marché et que la société entrante a ouvertement violé ses obligations conventionnelles parce que la reprise du contrat de travail de Monsieur [R] s'imposait à elle au 1er juin 2018 et qu'elle a tenté, dans l'avenant soumis à la signature du salarié, de rendre la reprise effective au 1er octobre 2018 seulement, en la conditionnant à un changement de site.

Elle considère donc que les demandes de Monsieur [R] dirigées à son encontre ne sont pas fondées, qu'elle ne doit aucun rappel de salaire entre juin et octobre 2018, l'entreprise entrante étant tenue de formuler un avenant de reprise conforme.

Soutenant que sa reprise ne posait aucune difficulté, Monsieur [R] considère que la société Securitas France a été de particulière mauvaise foi en ne reprenant pas son contrat de travail en raison de son âge et de son ancienneté et que la société Lancry Protection Sécurité, qui n'a pas maintenu sa rémunération tant que son contrat de travail n'était pas repris, contrairement à ses obligations, lui doit un rappel de salaire de juin à octobre 2018.

L'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002, relatif à la reprise du personnel dans le secteur des entreprises de prévention et de sécurité, qui organise le maintien des contrats de travail des salariés en cas de changement de prestataire, impose au nouveau titulaire du marché de se faire connaître auprès de l'entrepreneur "sortant", lequel est pour sa part tenu d'informer son personnel de la perte du marché. L'accord fixe par ailleurs les conditions nécessaires pour que la garantie d'emploi soit applicable et les obligations incombant à l'entreprise sortante, puis à l'entreprise entrante.

Cet accord est indépendant de l'application éventuelle de l'article L.1224-1 du code du travail, ne s'inscrivant, comme le précise son préambule, ni dans le cadre de ce texte ni dans celui d'une application volontaire de cet article mais exclusivement dans le cadre d'un transfert de marché d'un prestataire à un autre, dans le respect des dispositions légales, réglementaires et conventionnelles organisant l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ainsi que de celles interdisant la discrimination syndicale et toute autre forme de discrimination.

Alors que les conditions de transfert prévues par l'article 2.2 de ce texte conventionnel étaient remplies, que les obligations à la charge de l'entreprise sortante ont été respectées tant à l'égard de la société entrante que du salarié, lequel justifiait non seulement du nombre d'heures de vacation requis mais encore d'une ancienneté contractuelle de plus de quatre années et figurait donc dans la liste des contrats obligatoirement repris, l'argument de la société Securitas France affirmant ne pas être en possession du contrat de travail initial de l'intéressé ne peut être admis comme valable, dans la mesure où tous les éléments contractuels avaient été transmis, d'autant que la même société Securitas France produit un document contractuel correspondant à une précédente relation de travail avec l'intimé dans le cadre d'une reprise de marché en 2002.

Il convient donc de confirmer le jugement de première instance qui a enjoint à la société Securitas France de fournir du travail à Monsieur [R].

Cependant, il est de principe que si l'entrepreneur entrant manque à ses obligations conventionnelles, le changement d'employeur ne s'opère pas.

L'article 2-3 de l'avenant du 28 janvier 2011 à l'accord du 5 mars 2002 relatif à la reprise du personnel des entreprises de prévention et de sécurité, intitulé 'modalités de transfert des salariés' prévoit qu' 'à défaut de transmission dans les délais de l'intégralité des éléments énumérés ci-dessus pour un salarié donné, l'entreprise entrante pourra refuser le transfert de ce salarié, que l'entreprise sortante devra reclasser en les conservant les mêmes classification et rémunération'.

Il n'est pas contesté que la société Lancry Protection Sécurité a cessé de fournir du travail à Monsieur [R] et de lui régler son salaire, alors qu'aucun avenant de reprise n'avait été proposé au salarié.

Il convient donc de confirmer le jugement de première instance qui a condamné la société Lancry Protection Sécurité, devenue Atalian Sécurité, à payer à Monsieur [R] le rappel de salaire correspondant à la période du 1er juin au 1er octobre 2018 - date à laquelle un avenant a été proposé à l'intéressé -, à hauteur du montant réclamé qui n'est pas strictement contesté, ainsi que les congés payés y afférents.

Cependant, la société entrante Securitas France ne pouvant justifier du bien-fondé de son refus de reprendre le salarié dans ses effectifs à compter du 1er juin 2018, date de reprise du marché sur lequel il était affecté, elle devra garantir cette condamnation.

Alors qu'un avenant au contrat de travail a été signé par les parties, stipulant une date d'entrée dans l'entreprise au 1er octobre 2018, il convient de confirmer le jugement de première instance qui a condamné la société Securitas France, en sa qualité d'employeur sur la période, à un rappel de salaire à compter de cette date, ainsi que les congés payés y afférents.

Il y a lieu également de rejeter la demande tendant à condamner la société Securitas France à proposer à Monsieur [R] un avenant de reprise rétroactif au 1er juin 2018, emportant toutes conséquences en matière de rappels de salaires depuis cette date.

Enfin, le salarié réclame le remboursement de frais de formation qu'il a exposés.

Alors que cette demande se rapportant au transfert de son contrat de travail et constituant un complément des demandes salariales présentées ne peut être considérée comme nouvelle, l'intimé justifie d'une formation « management sécurité » dispensée en décembre 2018 dont il a supporté le coût (250 €) alors qu'il s'agissait d'une formation professionnelle devant être prise en charge par son employeur; il convient donc de confirmer le jugement qui a condamné la société Securitas France, eu égard à l'avenant signé entre les parties stipulant une date d'entrée dans ses effectifs au 1er octobre 2018, à lui rembourser cette somme.

Sur les préjudices moraux et financiers :

Monsieur [R], invoquant l'absence de fourniture de travail et le retard apporté au paiement de ses salaires, sollicite 10'000 € en réparation de ses préjudices moraux et financiers, à la charge des deux sociétés appelantes.

La société Securitas France considère que le salarié ne s'explique pas sur l'intérêt légitime qu'il aurait à se prévaloir d'un préjudice alors que le processus de reprise a échoué à cause de son refus de signer l'avenant et conclut au rejet de la demande, infondée en son principe et en son quantum, lequel n'est d'ailleurs nullement justifié.

La société Lancry Protection Sécurité, devenue Atalian Sécurité, rappelle avoir mis en demeure la société entrante de respecter ses obligations envers Monsieur [R] et de reprendre le contrat de travail de ce dernier, avoir saisi la Commission de conciliation et d'interprétation, qui a enjoint à la société Securitas France de revoir sa position et avoir considéré de bonne foi, en l'absence de toute autre sollicitation des parties, que la situation était résolue. Estimant ne pouvoir être tenue pour responsable d'un quelconque préjudice de Monsieur [R] et alors que ce dernier ne justifie nullement de sa situation professionnelle depuis le 1er juin 2018, elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris.

Le salarié évincé dispose d'une action indemnitaire contre la société entrante si elle a empêché sans raison légitime le changement d'employeur, sous réserve d' un recours d'une société à l'encontre de l'autre.

Si aucune faute n'est reprochée à la société Lancry Protection Sécurité à l'occasion de la reprise des contrats de travail des salariés affectés sur le site du Crédit Agricole de [Localité 8], l'absence de fourniture de travail et de rémunération au salarié qui restait dans ses effectifs a causé à l'intéressé un préjudice financier et moral, ce dernier se trouvant sans rémunération et contraint à de nombreuses relances pour être reconnu en sa qualité de salarié.

Ce préjudice qui résulte de la carence de la société sortante mais également de la faute de la société entrante à reprendre le contrat de travail litigieux doit être réparé à hauteur de la somme de 3000 €, à la charge des deux sociétés appelantes in solidum, toutes deux ayant contribué au dommage.

Cependant, cette carence de la société Lancry Protection Sécurité à fournir du travail à Monsieur [R] étant consécutive au refus de reprise du contrat de ce dernier par la société entrante, il convient de dire que cette dernière garantira la société devenue Atalian Sécurité de cette condamnation.

En revanche, alors qu'il ne pouvait se prévaloir d'un maintien de son affectation sur le site Crédit Agricole dans la mesure où son lieu de travail n'avait pas été contractualisé mais relevait d'une clause stipulant que ses 'lieux de travail' 'sont ceux des clients de l'établissement de [Localité 7] dont le périmètre d'activité couvre les départements de l'Île-de-France et de la Région Parisienne ( 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95), tels qu'ils résultent du planning prévisionnel ou modifié', comme l'intéressé l'avait d'ailleurs indiqué dans ses courriers des 13 août et 17 octobre 2018 où il précisait que son affectation pouvait se faire aussi sur un autre site, les conséquences résultant du refus de signature de l'avenant en octobre 2018 ne sauraient être opposées aux sociétés appelantes. Et ce d'autant que Monsieur [R] ne justifie pas de sa situation professionnelle d'octobre 2018 jusqu'au jour de la signature de l'avenant ayant pris effet au 1er mars 2021et qu'il n'a saisi le conseil de prud'hommes que près de 18 mois après le refus de la société entrante de reprendre son contrat de travail.

Sur la discrimination :

Monsieur [R] réclame la condamnation de la société Securitas France à lui verser la somme de 20 000 € en réparation de la discrimination dont il a été victime, discrimination à raison de son âge et de son ancienneté.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, 'lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'

En l'espèce, Monsieur [R] invoque que son âge et son ancienneté, induisant la crainte pour un employeur de payer une indemnité de départ à la retraite d'un montant élevé, sont sans 'aucun doute' à l'origine de la décision de ne pas reprendre son contrat de travail.

Il produit ses différents courriers de relance adressés à la société Securitas France, les réponses de cette dernière, ainsi qu'un historique de ses entretiens, communications et rencontres avec elle.

Les différents écrits émanant du salarié sont sans valeur probante à ce sujet. Par ailleurs, les réponses faites par la société Securitas France apparaissent sans lien avec les critères de discrimination alléguée.

Par conséquent, convaincu d'une situation qu'il a seulement pu déduire alors qu'il était dans l'incompréhension du refus de la société Securitas France de le reprendre, Monsieur [R] ne présente pas d'éléments de fait laissant supposer une discrimination à son encontre.

Sa demande d'indemnisation doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur la remise de documents:

La remise d'un bulletin de salaire conforme à la teneur du présent arrêt s'impose à la charge de la société Lancry Protection Sécurité, devenue Atalian Sécurité, et de la société Securitas France, pour les périodes où chacune d'elles était l'employeur de Monsieur [R], la première du 1er juin au 1er octobre 2018, la seconde au-delà.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

La société Securitas France, qui succombe, doit être tenue aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles et d'allouer à Monsieur [R], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme globale (pour la première instance et l'appel) de 4 000 € à la charge de la société Securitas France.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société devenue Atalian Sécurité la totalité des frais irrépétibles exposés par elle à l'occasion de l'instance. Il y a lieu de condamner la société Securitas France à lui payer 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONSTATE la recevabilité des demandes du salarié pour discrimination, remboursement des frais de formation et de la demande en garantie de la société devenue Atalian Sécurité,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux dommages-intérêts pour préjudices moraux et financiers, aux frais irrépétibles et aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Lancry Protection Sécurité, devenue Atalian Sécurité, et la société Securitas France in solidum à payer à Monsieur [M] [R] la somme de 3 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudices moraux et financiers,

CONDAMNE la société Securitas France à garantir la société devenue Atalian Sécurité des condamnations prononcées à son encontre,

CONDAMNE la société Securitas France à payer à Monsieur [R] la somme globale de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel,

CONDAMNE la société Securitas France à payer à la société Lancry Protection Sécurité, devenue Atalian Sécurité, la somme globale de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE la remise par la société devenue Atalian Sécurité à Monsieur [R] d'un bulletin de salaire récapitulatif pour la période du 1er juin au 1er octobre 2018,

ORDONNE la remise à Monsieur [R] par la société Securitas France d'un bulletin de salaire récapitulatif pour la période du 1er octobre 2018 jusqu'à la prise d'effet de l'avenant de reprise signé,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Securitas France aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 21/02590
Date de la décision : 04/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-04;21.02590 ?
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