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22/04/2024 | FRANCE | N°22/07055

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 10, 22 avril 2024, 22/07055


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 10



ARRÊT DU 22 AVRIL 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07055 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTNJ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mars 2022 - TJ de Paris RG n° 20/07872





APPELANTE



Madame [B] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]



Représentée par Me Gwenaël SAINTILAN de la SELARL

GWENAEL SAINTILAN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0664



INTIME



LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE Le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile de France et du...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 10

ARRÊT DU 22 AVRIL 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07055 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFTNJ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Mars 2022 - TJ de Paris RG n° 20/07872

APPELANTE

Madame [B] [F]

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Gwenaël SAINTILAN de la SELARL GWENAEL SAINTILAN AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : E0664

INTIME

LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE Le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile de France et du département de Paris

en ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien

1, Pôle Juridictionnel Judiciaire,

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC129

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Xavier BLANC, Président

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

Monsieur Edouard LOOS, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Xavier BLANC, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE

[L] [F] était associé de la société par actions simplifiée Atermes ayant pour activité l'étude, la réalisation et la commercialisation de tous matériels, principalement électroniques, optiques et optroniques, à usage civil et militaire et détenait 29,94% de son capital, soit 752 actions sur un total de 2 512 actions. Il est décédé le [Date décès 1] 2012, laissant pour lui succéder notamment sa fille, Mme [B] [F].

Une déclaration de succession a été établie par les héritiers de [L] [F] le 7 juin 2013. Il y est déclaré à l'actif de succession la pleine propriété de 752 actions de la société Atermes pour une valeur totale de 310 637 euros, soit 413,08 euros par action.

Suivant proposition de rectification en date du 30 novembre 2016, le service de contrôle des valeurs mobilières de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF) a notifié à Mme [B] [F] une imposition supplémentaire au titre des droits de succession par suite du rehaussement de la valeur vénale des 251 titres de la société Atermes qui lui étaient dévolus, portant la valeur vénale déclarée à la somme de 2 622,78 euros par action, en ayant recours à la méthode d'évaluation globale de la société Atermes par combinaison de valeurs mathématique, de productivité et de rendement.

Dans sa réponse du 1er février 2018 aux observations du conseil de Mme [F] du 23 janvier 2017, la DNVSF a admis une valeur de 1 410,21 euros l'unité, après avoir limité la méthode d'évaluation à une combinaison de la valeur mathématique et de la valeur de rendement et appliqué une décote pour clause d'agrément de 10 %.

Mme [F] a sollicité la saisine de la Commission départementale de conciliation afin que le litige lui soit soumis. Cette dernière a rendu son avis le 17 décembre 2018 et a partiellement adopté la position défendue par Mme [F] en proposant de porter la décote pour clause d'agrément appliquée à la valeur des titres retenue par le service de 10 à 30 %.

L'administration fiscale a émis un avis de mise en recouvrement le 15 mars 2019 portant sur une créance totale de 58 465 euros sur la base d'une action valant 1 410,21 euros, se composant de 50 056 euros de droits et de 8 409 euros d'intérêts de retard.

La contestation de Mme [F] a fait l'objet d'une décision de rejet le 16 septembre 2019.

Par acte du 8 novembre 2019, Mme [B] [F] a fait assigner l'administration fiscale devant le tribunal de grande instance de Paris (devenu tribunal judiciaire de Paris), en dégrèvement des impositions supplémentaires mises à sa charge.

Par jugement rendu le 17 mars 2022, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :

'- Rejette les demandes formées par Mme [B] [F];

- La condamne à payer à l'administration fiscale 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamne aux dépens.'

Par déclaration du 4 avril 2022, Mme [B] [F] a interjeté appel du jugement.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 novembre 2022, Mme [B] [F] demande à la cour de :

'- Dire et juger Mme [F] recevable et bien fondée en ses demandes et y faisant droit,

- Réformer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 17 mars 2022 (9ème chambre, 3ème section ' RG 20/07872)

En conséquence,

A titre principal,

- Dire que la valeur des actions de la société Atermes transmises à l'occasion du décès de M. [L] [F] s'élevait à la somme de 413,08 € par action,

- Ordonner en conséquence le dégrèvement des suppléments de droits de succession réclamés à Mme [B] [F],

A titre subsidiaire,

- Dire que la valeur des actions Atermes telle que déterminée par l'administration fiscale doit être affectée d'une décote de 30% et non de simplement 10% comme retenu par le service,

- Ordonner en conséquence le dégrèvement des suppléments de droits de succession réclamés à Mme [B] [F] à due concurrence,

En tout état de cause,

- Condamner la Direction nationale de vérification des situation fiscales à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner M. le Directeur de la direction nationale de vérification des situations fiscales aux entiers dépens.'

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 septembre 2022, le Directeur régional des finances publiques d'Île de France demande à la cour de :

'- Dire et juger Mme [B] [F] mal fondée en son appel du jugement rendu le 17 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,

- Débouter Mme [B] [F] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

Statuant à nouveau,

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 17 mars 2022 en toutes ses dispositions,

- Confirmer les rappels effectués par l'administration ;

Y faisant droit,

- Condamner Mme [B] [F] aux entiers dépens de première instance et d'appel,

- Condamner M. [B] [F] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.'

MOTIFS DE LA DÉCISION

1.- Sur la valorisation des actions de la société Atermes

Enoncé des moyens

Mme [B] [F] rappelle que la valeur vénale de titres non cotés doit être déterminée en tenant compte de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait déterminée le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel au jour de l'acte et en déduit que l'évaluation de tels titres doit être opérée, lorsque cela est possible, par référence aux transactions portant sur des titres de la même société réalisées à une date proche du fait générateur de l'impôt, en l'occurrence les droits de succession exigibles du fait du décès de [L] [F] le [Date décès 1] 2012.

Elle fait valoir qu'il convient de prendre en compte en premier lieu la cession des actions dont elle a hérité à un actionnaire de la société Atermes intervenue en mai 2013 au prix de 413,08 euros. Elle soutient que cette cession constitue un terme de référence pertinent, excluant que l'administration fiscale puisse recourir à une autre méthode d'évaluation que la méthode par comparaison, puisque le prix de cession ne peut être suspecté d'être un prix de convenance dès lors qu'il a été confirmé par l'expert-comptable de la société après une analyse économique et financière de la société et des contraintes assortissant les titres cédés et qu'il n'a pu être retenu qu'après accord unanime des neuf associés de la société en raison de l'agrément conditionnant toute cession d'actions de la société Atermes. Mme [B] [F] fait valoir en deuxième lieu que deux autres cessions de titres sont intervenues au même prix le 18 juillet 2013 entre d'autres associés minoritaires de la société Atermes et que ces cessions constituent des termes de référence pertinents, bien que postérieures au décès de [L] [F], d'autant qu'elles n'ont pas donné lieu à redressement par l'administration fiscale, comme elle l'a reconnu devant la commission de conciliation, ce qui établit qu'elles ne reposent pas sur un prix de convenance.

Mme [F] conteste en revanche que la valeur unitaire de l'action retenue en juin 2012 dans le cadre d'une augmentation de capital ne puisse être retenue comme un terme de référence puisque, d'une part, cette valeur découle d'une analyse comptable effectuée sur la base des comptes arrêtés au 31 décembre 2011, soit près d'un an avant le décès de [L] [F] et que les comptes de l'année 2012 devaient être clos quelques semaines plus tard seulement, révélant une nette baisse de résultats et que, d'autre part, une augmentation de capital et une cession de titres qui met en présence des intérêts divergents n'ont pas le même objet et ne peuvent être comparées surtout lorsque, comme en l'espèce, l'augmentation de capital est un simple jeu d'écritures comptables, sans aucun mouvement financier, une augmentation de capital par incorporation de réserves ne modifiant en rien la valeur intrinsèque de la société.

Mme [F] soutient que la méthode d'évaluation par combinaison de différentes valeurs mise en oeuvre par l'administration fiscale repose sur des bases théoriques et ne conduit pas à prendre en compte la situation réelle de la société Atermes, alors que déterminer la valeur d'une entreprise consiste à déterminer le prix qu'un dirigeant prudent et avisé serait prêt à payer afin d'en faire l'acquisition. Elle fait valoir que la proposition de rectification ne caractérise pas que l'administration fiscale ait effectué les diagnostics nécessaires afin d'appréhender exactement la situation économique et financière réelle de la société Atermes.

Elle soutient ainsi qu'en raison du caractère minoritaire de sa participation, des contraintes juridiques affectant les titres dont elle a hérité et du faible rendement des participations détenues dans le capital de la société Atermes, aucun investisseur n'aurait accepté de payer un prix de cession par action élevé, tel que celui résultant de la méthode d'évaluation appliquée par l'administration fiscale, dans le cadre d'un fonctionnement normal de marché. Elle en déduit que lorsqu'il n'existe, comme en l'espèce, qu'un acheteur potentiel, en l'occurrence un des associés de la société Atermes, alors le prix de cession est déterminé par ce dernier.

Enfin, et à titre subsidiaire, Mme [F] fait valoir qu'afin de tenir compte de l'illiquidité des actions s'agissant d'une société non cotée, de l'absence de libre cessibilité des actions en raison des stipulations statutaires et de l'absence de pouvoir décisionnaire découlant de sa participation très minoritaire puisqu'elle ne représente que 9,99 % du capital de la société Atermes, une décote spécifique qui ne peut être inférieure à 35-40 % doit être appliquée au résultat de la formule d'évaluation retenue par l'administration fiscale.

En réponse, l'administration fiscale fait valoir que l'évaluation de la société Atermes a été effectuée à partir d'informations communiquées par la société elle-même, que les activités de la société ont été présentées dans la proposition de rectification et que les données du bilan permettant d'apprécier la situation financière de la société y ont été exposées. Elle soutient que le secteur d'activité de la société, ses perspectives avec le développement du système BARIER, les contraintes subies dans le domaine spécifique de la vente de matériels militaires et la qualité d'actionnaire minoritaire de [L] [F] à la date du décès, ont ainsi été prises en compte.

Elle précise qu'elle a en outre recherché si des transactions comparables avaient été réalisées antérieurement sur les titres de la société mais que les deux cessions du 18 juillet 2013 auxquelles Mme [F] fait référence ne peuvent être retenues comme des termes de comparaison puisque , d'une part, elles sont postérieures au fait générateur de l'impôt et que, d'autre part, elles ont été réalisées par M. [O] [X], au même prix unitaire de 413,08 euros que celui auquel ce dernier a acquis ces titres auprès des héritiers de [L] [F], le service ayant ainsi démontré que la valeur unitaire déclarée de 413,08 euros était une valeur de convenance.

L'administration fiscale expose qu'elle n'a pas retenu l'opération d'augmentation de capital pour déterminer la valeur des titres transmis dans la succession de [L] [F], même si une augmentation de capital traduit l'augmentation de valeur de la société et peut donc constituer une valeur de comparaison et qu'entre l'augmentation de capital du 29 juin 2012 et la date du décès de [L] [F], le [Date décès 1] 2012, aucun événement exceptionnel susceptible de déprécier la valeur des titres ne s'est produit. Elle fait valoir également que la valeur déclarée par la contribuable ne résulte pas de méthodes de valorisation par comparaison ou par combinaison de valeurs mais a été déterminée essentiellement en fonction des possibilités financières de l'acquéreur des titres, soit M. [O] [X], et des besoins des héritiers pour le règlement des droits de succession, ce qui ne saurait constituer des critères de référence pour la détermination de la valeur vénale des actions de la société Atermes.

Soutenant que l'évaluation des actions de la société Atermes détenues par Mme [F] doit s'effectuer à la date du fait générateur de l'imposition, soit au jour du décès de [L] [F], l'administration fiscale expose que la détermination de la valeur vénale des actions de la société Atermes ne peut être faite, en l'absence de termes de comparaison, que par application de la méthode d'évaluation par combinaison de valeurs, soit en l'espèce, à l'issue des échanges intervenus dans le cadre de la procédure de rectification contradictoire, une valeur mathématique, dont le montant n'a fait l'objet d'aucune observation de la part de Mme [F], pour deux valeurs de rendement. Elle souligne que cette méthode de valorisation a été confirmée par la Commission départementale de conciliation qui indique dans son avis que 'les méthodes d'évaluation doivent être retenues dans leur principe et leur combinaison », soit (1VM+2VR)/3.'

L'administration fiscale ajoute que la décote de moindre liquidité des actions détenues par Mme [F] doit-être limitée dans la mesure où la cession des titres par un associé n'est pas empêchée mais simplement retardée par l'exercice du droit de préemption et la procédure d'agrément. Elle fait valoir que la présence d'une clause d'agrément qui s'applique au paquet de titres transmis par [L] [F] représentatif de 29,94 % du capital social justifie l'application d'une décote de 10 % et que la proposition de la Commission de conciliation de porter la décote pour clause d'agrément de 10 % à 30 % au motif qu'il existait un réel besoin de liquidité pour le paiement des droits de succession, n'est donc fondée que sur la situation personnelle de la contribuable et non sur des éléments objectifs d'appréciation de la valeur de la société Atermes.

Réponse de la cour

L'article L.17 du livre des procédures fiscales dispose que : 'En ce qui concerne les droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière ou la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elle est due au lieu et place de ces droits ou taxe, l'administration des impôts peut rectifier le prix ou l'évaluation d'un bien ayant servi de base à la perception d'une imposition lorsque ce prix ou cette évaluation paraît inférieur à la valeur vénale réelle des biens transmis ou désignés dans les actes ou déclarations.

La rectification correspondante est effectuée suivant la procédure de rectification contradictoire prévue à l'article L. 55, l'administration étant tenue d'apporter la preuve de l'insuffisance des prix exprimés et des évaluations fournies dans les actes ou déclarations.'

En application des dispositions combinées de cet article et des articles 666 et 758 du code général des impôts, les biens sont évalués à leur valeur vénale au jour du fait générateur de l'impôt, soit au jour du décès du défunt pour les droits de mutation par décès.

En effet, en application de l'article 720 du code civil, la succession s'ouvre par le décès qui, seul, est donc susceptible de constituer le fait générateur des droits de mutation à titre gratuit devant être calculés sur la base de la valeur vénale réelle des biens transmis. Tout autre événement, dont la cession par un ou plusieurs héritiers des biens transmis par succession, comme invoquée par Mme [F] en l'espèce, est insusceptible de se substituer au décès en tant que fait générateur de l'imposition.

S'agissant des actions de sociétés non cotées en bourse, si, à la date du décès, aucun prix n'est connu, la valeur vénale de ces actions doit être appréciée, pour l'assiette des droits de mutation à titre gratuit, en tenant compte de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu'aurait entraînée le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à la date du fait générateur de l'impôt.

La valeur vénale réelle de ces titres au jour du décès ne peut être déterminée par référence à des éléments comptables, des facteurs économiques ou financiers, des faits ou des actes juridiques postérieurs au décès car, précisément, ils n'étaient pas survenus et réalisés de façon certaine au jour du décès et ne pouvaient donc avoir un quelconque impact sur la valeur vénale effective des titres à cette date.

Par suite, Mme [B] [F] soutient à tort que les cessions d'actions entres associés de la société Atermes intervenues entre elle et M. [O] [X] au mois de mai 2013 puis entre celui-ci et M. [K] [D], d'une part, et Mme [T] [Y], d'autre part, le 18 juillet 2013 pour un prix identique de 413,08 euros par action puissent constituer des termes de comparaison pertinents pour évaluer les titres détenus par [L] [F] dans le capital de la société Atermes au jour de son décès, le [Date décès 1] 2012.

Non seulement, par nature, ces ventes de gré à gré entre associés ne permettent pas d'identifier un prix équivalent à un prix de marché dans un contexte de fait qui n'exclut pas la possibilité d'une entente entre eux, en l'absence par exemple de conflits entre associés, mais, en outre, ces cessions sont postérieures de cinq à sept mois au décès de [L] [F] et ne sont pas intervenues à périmètre constant puisque ce dernier possédait, au jour de son décès, 752 actions de la société Atermes, soit 29,94 % de son capital et que la cession faite par Mme [B] [F] a porté sur 251 actions puis celles faites par M. [O] [X] sur 145 actions chacune.

De même, l'avis de valeur émis le 15 mai 2013 par l'expert-comptable de la société Atermes ne peut suffire à caractériser la valeur vénale des actions détenues par [L] [F] au 12 novembre 2012 dès lors qu'il se réfère au bilan arrêté au 31 décembre 2012, sans toutefois proposer un quelconque calcul de valeur des actions de la société Atermes sur la base de données chiffrées dûment exposées et explicitées et qu'il mentionne des perspectives d'évolution de marché de la branche d'activité de la société Atermes postérieures à 2012, sans les caractériser précisément et sans justifier de leur impact sur la valorisation des parts dès le 12 novembre 2012.

Les augmentations de capital par création de sept nouvelles actions et par incorporation de réserves auxquelles les actionnaires de la société Atermes ont procédé le 29 juin 2012 ne peuvent pas davantage servir de termes de comparaison pertinents, comme le reconnaît au demeurant l'administration fiscale à présent puisqu'elle indique qu'elle ne les a pas retenues comme tels en raison du délai qui les séparent du décès de [L] [F], dès lors qu'il s'agit essentiellement d'une opération de restructuration de l'actif de la société Atermes intervenue entre associés, sans acquisition de nouvelles actions par des tiers à un prix qui pourrait caractériser dès lors une valeur de marché.

Par suite, en l'absence de termes de comparaison pertinents, l'administration fiscale a eu recours à raison à la méthode d'évaluation globale de l'entreprise par combinaison de plusieurs valeurs.

En application de l'article L.17 du livre des procédures fiscales susvisé, il appartient à l'administration fiscale ayant recours à cette méthode d'évaluation alternative d'apporter la preuve qu'elle identifie la valeur vénale des actions d'une société non cotée en bourse au plus proche de celle qu'aurait entraînée le jeu de l'offre et de la demande dans un marché réel à la date du fait générateur de l'impôt, laquelle s'apprécie, pour un acquéreur normalement prudent et avisé, au regard de la capacité de la société en cause à produire des bénéfices ou des dividendes.

Il en résulte que l'administration fiscale doit procéder à une actualisation au jour du fait générateur de l'impôt, en l'espèce au [Date décès 1] 2012, des éléments d'actif et de passif figurant au bilan de référence de la société Atermes, soit en l'espèce le bilan arrêté au 31 décembre 2011.

La détermination de la valeur mathématique correspond à la valeur vénale actualisée des différents éléments de l'actif diminuée de la somme des éléments du passif actualisé.

En l'espèce, il ressort de la proposition de rectification en date du 30 novembre 2016 que l'administration fiscale a retenu, pour déterminer la valeur mathématique qu'elle qualifie de 'valeur patrimoniale actualisée', des éléments d'actif inscrit au bilan clos le 31 décembre 2011, sans opérer de correctifs aux fins d'actualisation, excepté la prise en compte d'une valeur actualisée de la participation de la société Atermes dans la société SM5 Automation. Il en ressort également qu'elle n'a pris en compte aucune dette d'emprunt alors que l'indication des éléments inscrits au passif du bilan arrêté au 31 décembre 2012 révèle un endettement bancaire de 1 754 235 euros. Elle ne démontre pas, alors que cette information lui était accessible, que cet endettement a été intégralement constitué après le décès de [L] [F], soit entre le [Date décès 1] et le 31 décembre 2012, ou, si tel n'était pas le cas, que cet élément de passif était compensé par des actifs constitués avant le décès.

Il ne peut être tiré aucune conséquence du fait que Mme [B] [F] ne critique pas expressément les modalités de calcul de la valeur mathématique dès lors que cette dernière conteste la méthode d'évaluation utilisée par l'administration fiscale dans son ensemble et qu'elle soutient qu'elle repose sur des données théoriques ne reflétant pas la valeur vénale réelle des actions de la société Atermes.

Par ailleurs, dans la proposition de rectification du 30 novembre 2016, l'administration fiscale a indiqué prendre en considération la situation économique de la société Atermes et les particularités liées à son secteur d'activité dans le cadre du calcul de la valeur de productivité. Elle indique ce qui suit en page 7 de la proposition de rectification : 'Considérant la notoriété au niveau national et européen de la société, les perspectives d'avenir au jour du fait générateur (développement du système BARIER'), son faible endettement mais aussi le fait que la société oeuvre dans un secteur d'activité risqué (haute technologie), contraignant (autorisations pour la vente de matériels militaires), concurrentiel, un bêta de 1,5 correspondant à un risque important est retenu. Le bêta des sociétés du secteur de la défense ressort à 0,95 (DAMADARAN).'

Or, ultérieurement, dans le cadre de la procédure contradictoire de rectification, l'administration fiscale, dans sa réponse du 1er février 2018 aux observations de Mme [F], a abandonné toute référence à la valeur de productivité et, par suite, toute prise en compte des éléments économiques, commerciaux et industriels spécifiques contribuant à déterminer la valeur globale de la société Atermes.

L'administration fiscale n'a plus retenu que la valeur mathématique et la valeur de rendement, calculée à partir de la moyenne des dividendes versés au cours des trois années précédant le décès de [L] [F], sans démontrer que cette valeur de rendement et le coefficient multiplicateur de 2 qu'elle lui a affecté permettait de prendre en compte la réalité de l'activité industrielle et commerciale spécifique de la société Atermes.

Il en résulte que, comme le soutient Mme [B] [F], il n'est pas établi que la formule (VM+2VR) / 3 reflète la valeur vénale réelle des actions de la société Atermes au jour du fait générateur des droits de mutation par décès, le [Date décès 1] 2012.

Par suite, l'insuffisance de valeur des actions de la société Atermes dans la déclaration de succession du 7 juin 2013 n'est pas établie.

Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dégrèvement de droits de mutation à titre gratuit supplémentaires et d'intérêts de retard mis à la charge de Mme [B] [F] par décision de rejet du 16 septembre 2019.

2.- Sur les frais du procès

En considération de l'infirmation intervenue au principal, la décision déférée sera également infirmée en ses dispositions relatives aux dépens de première instance et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante au procès, l'Etat sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, en application des articles 695 et suivants du code de procédure civile.

Pour ce motif, il sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné à payer à Mme [B] [F] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions

Statuant à nouveau,

ORDONNE le dégrèvement des droits de mutation à titre gratuit supplémentaires et des intérêts de retard mis à la charge de Mme [B] [F] par décision de rejet de la Direction nationale des vérifications de situations fiscales du 16 septembre 2019,

Y ajoutant,

CONDAMNE l'Etat aux dépens de première instance et d'appel,

DÉBOUTE l'Etat de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'Etat à payer la somme de 3 000 euros à Mme [B] [F] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

LA GREFFIÈRE, LE PRÉSIDENT

S.MOLLÉ X.BLANC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 22/07055
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-22;22.07055 ?
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