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30/04/2024 | FRANCE | N°21/19729

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 30 avril 2024, 21/19729


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 30 AVRIL 2024



(n° 39 /2024 , 20 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19729 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVBU



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale finale rendue à [Localité 5], le 6 octobre 2021, sous le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous l

a référence 19423/MCP/EMT/GR/PAR





DEMANDERESSE AU RECOURS :



SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN

société anonyme de droit français,

immatriculée au RCS...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 30 AVRIL 2024

(n° 39 /2024 , 20 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19729 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVBU

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale finale rendue à [Localité 5], le 6 octobre 2021, sous le règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence 19423/MCP/EMT/GR/PAR

DEMANDERESSE AU RECOURS :

SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN

société anonyme de droit français,

immatriculée au RCS de SALON-DE-PROVENCE sous le numéro 585 104 972,

ayant son siège social : [Adresse 4]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocats plaidants : Me Sébastien BONNARD du cabinet HUGHES HUBBARD et REED LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J 013 et Me Michel RASLE de la SELARL CARBONNIER LAMAZE RASLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0298

DEFENDERESSES AU RECOURS :

Société RUHR OEL GmbH

société à responsabilité limitée, de droit allemand,

immatriculée au Registre du Commerce B du Tribunal d'instance de GELSENKIRCHEN, sous le numéro HRB 82190 HRB 7527,

ayant son siège social : [Adresse 1]

(ALLEMAGNE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

Ayant pour avocat plaidant : Me Silvestre TANDEAU DE MARSAC de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0147

Société SHELL DEUTSCHLAND OIL GmbH

société à responsabilité limitée de droit allemand,

immatriculée au Registre du Commerce B du Tribunal d'instance d'HAMBOURG, sous le numéro HRB 82190

ayant son siège social : [Adresse 6] (ALLEMAGNE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant : Me Erwan POISSON du cabinet ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J022

Société ESSO DEUTSCHLAND GmbH

société de droit allemand,

ayant son siège social : [Adresse 2] (ALLEMAGNE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant : Me Philippe PINSOLLE, du cabinet QUINN EMANNUEL URQUHART & SULLIVAN LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : L0055

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Laure ALDEBERT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 5], le 6 octobre 2021, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans un litige opposant d'une part la Société du Pipeline Sud-européen (ci-après SPSE) aux sociétés pétrolières de droit allemand Ruhr Oel GmbH (ci-après : « ROG »), Shell Deutschland GmbH (ci-après : « Shell ») et Esso Deutschland GmbH (ci-après : « Esso ») qui au moment des faits litigieux étaient administratrices, actionnaires et clientes de SPSE.

2. La SPSE est une société française créée en 1958 par plusieurs des grandes compagnies pétrolières du monde, y compris les sociétés défenderesses, afin d'acquérir, de construire et d'exploiter des pipelines destinés au transport et au stockage d'hydrocarbures.

3. SPSE était la propriétaire-exploitante d'un oléoduc approvisionnant en pétrole brut la raffinerie Mineraloelraffinerie Oberrhein GmbH (« la raffinerie MiRO ») à Karlsruhe en Allemagne que les sociétés pétrolières défenderesses à l'arbitrage, désignées « Miro Shippers », ont utilisé pendant des décennies.

4.Créée sous forme d'une société anonyme, SPSE est régie par ses Statuts qui définissent son objet social et sa gouvernance.

5.L'article 45 des Statuts contient une clause d'arbitrage qui prévoit que « Sous réserve de l'application des dispositions légales de l'article 2060 du code civil, toutes les contestations qui peuvent s'élever pendant le cours de la Société ou sa liquidation, soit entre la Société d'une part, et les actionnaires ou administrateurs d'autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes au sujet des affaires sociales, sont tranchées dé'nitivement par l'arbitrage ».

6. Au moment de sa création, les sociétés actionnaires ont conclu un Protocole d'Accord en date du 10 juillet 1959 qui, selon son préambule, énumère les principes de base sur lesquels elles se sont mises d'accord et qui précise l'esprit dans lequel elles conçoivent leur association.

7. Son article 30 contient une clause d'arbitrage qui prévoit que tous différends découlant du présent protocole sont réglés définitivement par l'arbitrage.

8. Les « Conditions Générales » régissent la fourniture par SPSE des services de transport aux clients, actionnaires et non-actionnaires. Elles comprennent également une clause d'arbitrage.

9. Le différend à l'origine de la sentence querellée porte sur la décision prise par les trois compagnies pétrolières ROG, Shell et Esso, qui étaient au moment des faits administratrices, actionnaires et clientes de SPSE, de mettre fin en 2012 à l'approvisionnement de la raffinerie MiRO par l'oléoduc de la SPSE, et d'utiliser l'oléoduc concurrent TAL.

10. Toutes les livraisons de pétrole brut à [Localité 3] destinées à l'approvisionnement de la Raffinerie Miro ont été arrêtées et détournées vers le pipeline italien concurrent, entrainant selon SPSE une chute de 40 % de son volume de transport.

11.Estimant que les Miroshippers avaient agi de concert dans leur intérêt personnel au détriment de l'intérêt social de SPSE, informée sans préalable de leur décision, alors que les sociétés pétrolières avaient voté en 2011, en conseil d'administration des dépenses d'entretien du pipeline, SPSE a, le 25 avril 2013, initié un arbitrage signifiant sa demande à la CCI, sur le fondement de la clause compromissoire figurant dans ses Statuts, au sein du Protocole d'accord et des Conditions générales, en réparation des pertes liées à l'arrêt de l'utilisation du Pipeline, réclamant une indemnisation environ 98.400.000 euros.

12. Le 4 mai 2016, le Tribunal arbitral a rendu une sentence partielle jugeant qu'il était compétent pour se prononcer sur les Demandes de SPSE contre ROG, Shell et Esso sur la base des Statuts, mais qu'il n'était pas compétent en vertu du Protocole d'Accord et des Conditions Générales. En particulier, le Tribunal a jugé que, s'agissant de ses demandes en vertu des Conditions Générales, SPSE devrait initier des arbitrages distincts contre chaque société individuellement.

13. A la suite de cette décision, SPSE a engagé trois procédures arbitrales distinctes contre les défendeurs et poursuivi sa demande dans le cadre de l'instance arbitrale devant le tribunal arbitral saisi sur la base des Statuts.

14.Devant le tribunal arbitral, SPSE a prétendu subir trois types de préjudices au titre desquels elle a formulé les trois demandes en réparation suivantes :

Demande n° 1

Demande relative aux Coûts de Réaménagement engagés par SPSE pour mettre à niveau la Section du Rhin Supérieur afin de conserver le Permis d'Exploiter en Allemagne et que SPSE considérait comme pure perte parce que cette Section n'était plus utilisée et que SPSE a évalué à 9 100 000,00 EUR plus les intérêts

Demande n° 2

Demande relative aux « Coûts d'Inertage » engagés par SPSE pour reconfigurer et

inerter la Section du Rhin Supérieur après la suspension des expéditions, que SPSE a évalué à 4 500 000,00 EUR plus les intérêts

Demande n° 3

Demande relative aux pertes d'exploitation que SPSE estime avoir subies du fait de la cessation, par les Défendeurs, des expéditions à destination de la Raffinerie MiRO qui selon SPSE s'élèvaient à 16 700 000,00 EUR pour la période allant de 2016 à 2019 et à 2 900 000,00 EUR par an plus les intérêts entre 2020 et (i) la reprise de ces expéditions ou (ii) la vente par chaque Défendeur de ses actions dans SPSE ou (iii) la fin de la Société en 2057

15. Les demandes n° 1 et n° 2 étaient fondées juridiquement sur l'article L. 225-251 du code de commerce français relatif à la responsabilité des administrateurs de sociétés pour faute de gestion, au motif que les frais visés seraient la conséquence du comportement des Défendeurs en leur qualité d'administrateurs de SPSE.

16. La demande n° 3 relative aux Pertes d'Exploitation était fondée sur l'article 18 du Protocole d'Accord ou, à titre subsidiaire, sur l'ancien article 1382 du code civil français relatif à la responsabilité délictuelle.

17. SPSE soutenait qu'en mettant un terme aux expéditions de pétrole brut par le Pipeline, les Défendeurs ont manqué à leur obligation d'assurer l'équilibre financier de SPSE qui découlait prétendument de l'Article 18 du Protocole d'Accord, qu'elle considère comme une stipulation pour autrui en faveur de SPSE, ou, alternativement, avaient commis un acte délictueux.

18. Par sentence finale du 6 octobre 2021, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

(i) Déclare que le Tribunal n'est pas compétent pour connaître de la Demande relative aux Pertes d'Exploitation et que, en tout état de cause, SPSE n'a pas de droit à formuler cette Demande ;

(ii) Déclare qu'il est compétent pour connaître de la demande de remboursement des Coûts de Réaménagement et de la demande de remboursement des Frais de Mise en Sommeil ;

(iii) Déclare que les Défenderesses sont conjointement et solidairement responsables en vertu de l'Article L. 225-251 pour s'être abstenues de révéler des informations essentielles lors de la réunion du Conseil d'administration de SPSE du 30 janvier 2012, et en conséquence

(iv) Condamne les Défenderesses à payer, dans les trente jours de la notification de la présente Sentence, des dommages-intérêts à SPSE d'un montant de 3 854 568,00 euros, majoré des intérêts au taux net de 2,5 % par an à compter du trente-et-unième jour suivant la notification de la présente Sentence jusqu'au paiement ;

(v) Rejette la Demande relative aux Frais de Mise en Réserve ;

(vi) Déclare que la Demanderesse supportera l'intégralité de ses frais et dépens et devra rembourser aux Défenderesses 80 % de leurs frais et en conséquence ;

(vii) Condamne la Demanderesse à payer, dans les trente jours suivant la notification de la présente Sentence : au Défendeur 1, 1 135 106,38 EUR, 28 401,34 USD et 946,5 GBP ; au Défendeur 2, 1 379 863,73 EUR et 10 790,66 USD, plus les intérêts au taux net de 2,5 % par an+ à compter du trente-et-unième jour suivant la notification de la présente Sentence jusqu'au paiement ; et au Défendeur 3, 3 649 132,46 EUR, 26 344 832 USD et 838,5 GBP ;

(viii) Rejette l'ensemble des autres demandes, demandes reconventionnelles et moyens de défense des Parties.

19. La SPSE a formé un recours en annulation partielle contre cette sentence devant la cour de céans le 10 novembre 2021.

20. Le 7 février 2023, la SPSE a saisi le conseiller de la mise en état d'un incident lui demandant de déclarer irrecevables certains moyens des défenderesses, qui a été joint au fond le 16 mars 2023.

21. La clôture a été prononcée le 7 novembre 2023, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 12 février 2024.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

22. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 septembre 2023 n° 4, la SPSE demande à la cour, au visa des articles 1520, 1527, 699 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- DECLARER recevables les moyens d'annulation formée contre la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen de RUHR OEL GMBH tendant à faire juger que la Demande n°3 n'entrerait pas dans le champ d'application de la clause compromissoire prévue à l'article 45 des Statuts dès lors que « seuls les litiges en relation étroite avec les Statuts peuvent être soumis au Tribunal arbitral » (paragraphes 211 à 229 des Conclusions responsives n°2 en date du 1er août 2023) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen de SHELL DEUTSCHLAND GMBH tendant à faire juger que la Demande n°3 n'entrerait pas dans le champ d'application de la clause compromissoire prévue à l'article 45 des Statuts dès lors que « la Demande n°3 n'était ni fondée sur les Statuts, ni ne concernait la vie interne de SPSE » (paragraphes 108 à 163 des Conclusions en réponse au recours aux fins d'annulation partielle de sentence arbitrale en date du 2 août 2023) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen d'ESSO DEUTSCHLAND GMBH tendant à faire juger que la Demande n°3 n'entrerait pas dans le champ d'application de la clause compromissoire prévue à l'article 45 des Statuts dès lors que « la clause compromissoire figurant aux Statuts limite expressément la compétence du Tribunal arbitral aux seules contestations entre SPSE et ses administrateurs ou actionnaires au sujet des 'affaires sociales' » entendues comme « celles qui ont trait strictement au fonctionnement statutaire de la société » (paragraphes 87 à 92 des Conclusions récapitulatives devant la Cour d'appel de Paris en date du 28 juillet 2023) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen de RUHR OEL GMBH tendant à faire juger que « la Demande n°3 relève de la clause compromissoire du Protocole d'Accord » (paragraphes 230 à 277 des Conclusions responsives n°2 en date du 1er août 2023) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen de SHELL DEUTSCHLAND GMBH tendant à faire juger que « la Demande n°3 doit être considérée comme relevant de la clause compromissoire du Protocole d'accord » (paragraphes 137 à 155 des Conclusions récapitulatives en réponse au recours aux fins d'annulation partielle de sentence arbitrale en date du 2 août 2023) ;

A titre principal, DECLARER irrecevable, à titre subsidiaire, REJETER, le moyen d'ESSO DEUTSCHLAND GMBH tendant à faire juger que la « la demande de SPSE [Demande n°3] découlant du Protocole d'Accord, même si elle était poursuivie sur un fondement prétendument délictuel relève nécessairement de la clause d'arbitrage du Protocole d'Accord » (paragraphes 51 à 76 des Conclusions récapitulatives devant la Cour d'appel de Paris en date du 28 juillet 2023).

- PRONONCER, au visa de l'article 1520, 1° du Code de procédure civile, à titre principal, l'annulation partielle de la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR), en ce qu'elle a jugé que le Tribunal arbitral est incompétent pour connaître de la Demande n°3 et qu'en tout état de cause la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN n'a pas de droit à formuler cette Demande (paragraphe 510, alinéa (i) du dispositif de ladite sentence et le cas échéant paragraphes 263 à 291 de la motivation de ladite sentence) ;

- PRONONCER, au visa de l'article 1520, 1° du Code de procédure civile, à titre subsidiaire, l'annulation partielle de la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR) en ce qu'elle a jugé que le Tribunal arbitral est incompétent pour connaître de la Demande n°3 (paragraphe 510, alinéa (i) du dispositif de ladite sentence et le cas échéant paragraphes 263 à 282 et 291 de la motivation de ladite sentence) ; ( motivation de la sentence sur la deuxième objection de compétence)

- PRONONCER, au visa de l'article 1520, 3° du Code de procédure civile, l'annulation partielle de la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR) en ce qu'elle a jugé qu'en tout état de cause la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN n'a pas de droit à formuler cette Demande (paragraphe 510, alinéa (i) du dispositif de ladite sentence et le cas échéant paragraphes 283 à 291 de la motivation de ladite sentence) ;

- PRONONCER, par voie de conséquence de l'annulation partielle sur l'un quelconque des deux chefs qui précèdent, l'annulation partielle de la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI, affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR en ce qu'elle a jugé que la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN doit supporter la totalité de ses coûts et frais et devra rembourser aux Défenderesses 80% de leurs coûts et en conséquence a condamné la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN à payer, dans les trente jours de la notification de la Sentence : à la société RUHR OEL GMBH, 1 135 106,38 euros, 28 401,34 dollars américains et 946,5 livres sterling ; à la société SHELL DEUTSCHLAND GMBH, 1 379 863,73 euros et 10 790,66 dollars américains, plus les intérêts au taux net de 2,5% par an à compter du trente et unième jour suivant la notification de la Sentence jusqu'à la date du paiement ; et à la société ESSO DEUTSCHLAND GMBH, 3 649 132,46 euros, 26 344,832 dollars américains et 838,5 livres sterling (paragraphe 510, alinéas (vi) et (vii) de la sentence et le cas échéant paragraphes 499 à 509 de ladite sentence) ;

En conséquence, ORDONNER la restitution, à défaut CONSTATER que l'arrêt vaut titre de restitution, des sommes versées, en exécution de la sentence du 6 octobre 2021, par la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN à (i) SHELL DEUTSCHLAND GMBH, pour un montant de 1 079 863,73 EUR et de 10 790,66 USD, (ii) ESSO DEUTSCHLAND GMBH, pour un montant de 3 649 132,46 EUR, de 838,5 GBP et 26 344,83 USD (iii) RUHR OEL GMBH pour un montant de 1 161 412,82 EUR.

- CONDAMNER solidairement les sociétés RUHR OEL GMBH, SHELL DEUTSCHLAND GMBH et ESSO DEUTSCHLAND GMBH à verser, chacune, à la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN la somme de 100 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- REJETER la demande de RUHR OEL GMBH tendant à ce que la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN soit condamnée à payer la somme de 250.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- REJETER la demande de SHELL DEUTSCHLAND GMBH tendant à ce que la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN soit condamnée à payer la somme de 280.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- REJETER la demande de ESSO DEUTSCHLAND GMBH tendant à ce que la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN soit condamnée à payer la somme de 220.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

23. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, ROG demande à la cour, au visa des articles 1506, 1520, 1527, 699 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- REJETER la demande de la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN tendant à faire déclarer irrecevable le moyen de RUHR OEL GMBH selon lequel la Demande n°3 n'entre pas dans le champ d'application de la clause compromissoire prévue à l'article 45 des Statuts et le DECLARER RECEVABLE ET BIENFONDE ;

- REJETER la demande de la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN tendant à faire déclarer irrecevable le moyen de RUHR OEL GMBH selon lequel la Demande n°3 relèverait de la clause compromissoire du Protocole d'Accord, et le DECLARER RECEVABLE ET BIENFONDE ;

- REJETER le recours en annulation formé par la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN à l'encontre de la sentence arbitrale intitulée « final award » rendue le 6 octobre 2021 à Paris par le tribunal arbitral constitué sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale dans l'affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR et la DEBOUTER de toutes ses fins et demandes tant principales que subsidiaires ;

- DEBOUTER la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN de sa demande de restitution des sommes versées en exécution de la sentence arbitrale rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n°19423/MCP/EMT/GR/PAR) ;

- DEBOUTER la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN de toutes ses fins et demandes à l'encontre de la société RUHR OEL GMBH ;

- CONDAMNER la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN au paiement de la somme de 250.000 euros à la société RUHR OEL GMBH, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; et

- CONDAMNER la SOCIETE DU PIPELINE SUD-EUROPEEN aux entiers dépens que Maître Jean-Claude CHEVILLER pourra recouvrer directement sur le fondement de l'article 699 du Code de procédure civile.

24. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, Shell demande à la cour, au visa des articles 1520, 1527, 696, 699, 122 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- REJETER les demandes de la Société du Pipeline Sud-Européen tendant à faire déclarer irrecevables les moyens de Shell Deutschland GmbH démontrant que la Demande n°3 ne relève pas du champ d'application de la clause compromissoire des Statuts mais relèverait de la clause compromissoire du Protocole d'accord ;

- DECLARER infondées les demandes subsidiaires de la Société du Pipeline Sud-Européen tendant au rejet des moyens de Shell Deutschland GmbH démontrant que la Demande n°3 ne relève pas du champ d'application de la clause compromissoire des Statuts mais relèverait de la clause compromissoire du Protocole d'accord ;

- DECLARER infondé le recours aux fins d'annulation partielle de la sentence finale rendue le 6 octobre 2021 dans l'affaire CCI n°19423/MCP/EMT/GR/PAR déposé par la Société du Pipeline Sud-Européen ;

En conséquence,

- DEBOUTER la Société du Pipeline Sud-Européen de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER la Société du Pipeline Sud-Européen à verser à la société Shell Deutschland GmbH la somme de 300.000 euros au titre de l'article du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la Société du Pipeline Sud-Européen aux entiers dépens de l'instance, dont recouvrement direct au profit de Maître Edmond Fromantin en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

25. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, Esso demande à la cour, au visa des articles 1520 et 700 du code de procédure civile, de bien vouloir :

Sur les fins de non-recevoir :

A titre principal,

- DECLARER irrecevable les demandes de SPSE tendant à faire déclarer irrecevables les moyens de la société ESSO DEUTSCHLAND GMBH.

A titre subsidiaire,

- REJETER les demandes de SPSE tendant à faire déclarer irrecevables les moyens de la société ESSO DEUTSCHLAND GMBH.

Sur le fond :

En tout état de cause,

- REJETER le recours en annulation dans sa totalité ;

- CONDAMNER SPSE à payer à Esso la somme de 220.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué [Localité 5]-[Localité 7] ;

- DEBOUTER SPSE de toute autre demande.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A) Sur le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral

' Sur l'annulation partielle de la sentence finale en ce qu'elle a décidé que le Tribunal n'était pas compétent pour connaître de la Demande relative aux Pertes d'Exploitation formées par SPSE

30. SPSE fait grief au tribunal arbitral de s'être déclaré incompétent pour connaître de sa demande n° 3 en faisant valoir que sa demande pour pertes d'exploitation rentrait bien dans le champ d'application de la clause compromissoire prévue à l'article 45 des Statuts et non dans celui de la clause compromissoire du Protocole d'accord (article 30) auquel elle n'était pas partie.

31. Elle soutient que les Statuts et le protocole d'Accord n'ayant pas été signés par les mêmes parties, il ne peut y avoir de concurrence entre les deux clauses d'arbitrage pour statuer sur sa demande.

32. A titre principal, elle retient que la question sur la compétence matérielle de la clause compromissoire des Statuts a été définitivement tranchée par le tribunal arbitral par des motifs décisoires figurant aux paragraphes 259-260 de la sentence.

33. Elle en conclut que cette question ne peut plus être réouverte par les défenderesses devant la cour.

34. A cet égard, elle soutient que le tribunal arbitral a déjà jugé que la demande n° 3 entrait dans le champ d'application de la clause compromissoire statutaire dès lors qu'elle se rapporte aux affaires sociales aux paragraphes 259 et 260 de la sentence finale.

35. Elle en déduit que l'argumentation des défenderesses consistant à soutenir que sa demande n° 3 ne relève pas du champ d'application de la clause compromissoire des Statuts se heurte à l'autorité de la chose jugée de la sentence finale et que ce moyen qui revient à former de nouveau une exception d'incompétence rejetée par le tribunal arbitral qu'aucune des parties n'a contesté dans le cadre de ce recours, est irrecevable sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile.

36. Elle fait valoir que si la fin de non-recevoir qu'elle oppose aux défenderesses ne devait pas être considérée comme telle par la cour, cette argumentation constitue, à tout le moins un moyen de défense au fond, qui se heurte l'autorité de la chose jugée attachée aux motifs de la sentence et qui doit en conséquence être écarté.

37. A supposer que l'argumentation soit recevable, elle soutient que sa demande n°3 qui vise la responsabilité des défenderesses en tant qu'administrateurs et actionnaires de SPSE relève des « affaires sociales » visées par la clause compromissoire des statuts.

38. Elle expose que selon la doctrine autorisée et la jurisprudence, la clause compromissoire se référant aux « affaires sociales » ne se limite pas aux litiges résultant des statuts de la société, mais s'applique à tous les litiges ayant une incidence sur le pacte social, étant précisé que le terme « pacte social » est « le reflet de l'engagement social qui peut se trouver éclater dans divers documents : statuts, règlements intérieurs, protocoles, accords divers entre associés ».

39. Elle prétend que son champ d'application ne se limite pas aux seules violations des Statuts eux-mêmes mais s'étend à tous les litiges ayant une incidence sur le pacte social.

40. Elle soutient que pour qu'un litige relève des affaires sociales, il faut qu'il ait une incidence sur le pacte social et que la seule présence de la société SPSE au litige suffit à démontrer l'incidence de ce dernier sur le pacte social.

41. Elle réfute l'hypothèse selon laquelle sa demande pour pertes d'exploitation relèverait de la clause compromissoire prévue à l'article 30 du Protocole d'Accord auquel elle n'est pas partie et qui ne peut lui être opposable.

42. A cette fin, elle soutient que le tribunal arbitral dans sa sentence partielle a déjà jugé de manière définitive qu'il n'était pas compétent ratione personae pour connaître de ses demandes sur le fondement de la clause compromissoire prévue à l'article 30 du Protocole d'Accord de sorte que le débat ne peut, là non plus, être réouvert.

43. Elle en tire comme conséquence que le moyen qui s'appuie sur l'application de la clause compétence du Protocole d'Accord est irrecevable sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile, par l'effet de l'autorité de la chose jugée attachée à la sentence partielle, qui est définitive.

44. Elle ajoute qu'à tout le moins il s'agit d'un moyen au fond qui devra être rejeté pour ce motif.

45. Elle fait valoir qu'en tout état de cause il n'est pas possible en sa qualité de tiers au Protocole d'Accord de lui opposer des clauses contenues dans ce contrat auxquelles elle n'a pas consenti, conformément à l'article 2061 du code civil et aux règles matérielles internationales.

46. Elle ajoute à cet égard que c'est exactement ce qu'a rappelé la Cour d'appel de Saint Denis de la Réunion dans son arrêt du 5 avril 2017, en énonçant que « l'action du tiers au contrat est ainsi soumise à un régime propre et la clause limitative de responsabilité ou les clauses compromissoires contenues au contrat ne peuvent lui être valablement opposées », ce que l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation n'a pas remis en cause. (RG 15/00876).

47. Elle soutient enfin si la cour reconnaissait que sa demande puisse entrer dans le champ d'application des deux conventions d'arbitrage, qu'elle disposait d'une option de compétence qu'elle a pu exercer en saisissant le tribunal arbitral sur le fondement de la clause compromissoire des Statuts.

48. Les défenderesses prétendent en réponse que les prétendues irrecevabilités de leurs arguments ne constituent pas des fins de non-recevoir car elles ne sont pas dirigées contre des prétentions, mais contre des moyens de défense.

49. Esso fait valoir à cet égard que SPSE ne peut dans le même temps invoquer la prétendue autorité de la chose jugée de la sentence sur la compétence tout en l'attaquant et que ses prétentions sont irrecevables sur le fondement de l'estoppel.

50. Elles contestent en tout état de cause l'autorité de la chose jugée et le caractère décisoire des paragraphes 259-260 de la sentence finale, dont le tribunal arbitral n'a pas tiré de conséquence dans sa décision finale et reprochent à SPSE de dénaturer la sentence en prétendant qu'il a jugé que la demande relevait de la clause compromissoire statutaire.

51. Elles soutiennent que la sentence partielle rendue le 4 mai 2016 qui a statué sur l'inopposabilité de la clause d'arbitrage du Protocole d'Accord à SPSE ne peut pas avoir les effets de l'autorité de la chose jugée à l'égard la demande n° 3 qui a été formée au stade du Mémoire en demande de SPSE le 13 février 2017, après la reddition de la sentence partielle.

52. Sur le fond, les défenderesses soutiennent en substance que la demande n° 3 fondée sur le Protocole d'Accord n'entre pas dans le champ d'application de la clause compromissoire des Statuts telle que voulue par les parties et qu'elle était susceptible de relever du champ d'application de la clause d'arbitrage du Protocole d'Accord prévue par l'article 30 de ce contrat.

53. Elles approuvent la décision du tribunal arbitral en ce qu'il a exclu sa compétence en retenant que SPSE avait invoqué la mauvaise convention d'arbitrage et que si elle voulait soumettre sa demande elle aurait dû tenter de le faire en vertu de la clause d'arbitrage du Protocole d'Accord (§279-280 de la sentence).

54. Elles sont de manière générale d'accord avec le fait que, quel que soit son fondement, la demande n° 3 n'entre pas dans le champ d'application de la clause compromissoire statutaire voulue par les parties dont l'intention était de ne pas inclure dans cette clause la connaissance des litiges découlant du Protocole d'Accord, qui contient sa propre clause d'arbitrage.

55. Elles soutiennent que selon la jurisprudence habituelle en matière d'arbitrage, la clause d'arbitrage du Protocole Accord, même si SPSE n'est pas partie au contrat, ne lui est pas manifestement inapplicable.

56. Elles soutiennent que c'est en considération de la clause d'arbitrage du Protocole que doit se déterminer le champ d'application de la clause compromissoire des Statuts sans qu'elle soit assimilée à une clause optionnelle offrant aux parties le choix.

57. Esso met en avant que selon le principe de la relativité de la clause compromissoire qui limite la compétence arbitrale aux seuls litiges découlant du contrat dans lequel elle est insérée, le Tribunal arbitral constitué sur le fondement de la clause compromissoire des Statuts, ne pouvait connaître que des litiges relevant des Statuts ce qui n'était pas le cas de la demande n°3 qui découle d'une prétendue violation du Protocole d'Accord qui est un contrat distinct.

58. Elle ajoute que l'argument d'inopposabilité de la clause compromissoire du Protocole d'Accord est irrecevable par application du principe de l'estoppel dès lors que SPSE s'est prévalue de cette clause en début d'arbitrage.

59. A supposer l'argument recevable, Esso fait valoir que la sentence partielle, dont la décision s'impose à SPSE, a encadré dans son dispositif sa compétence aux seules demandes découlant des Statuts de sorte que la demande n° 3, qui est fondée sur l'inexécution du Protocole d'Accord, en est exclue.

60. Esso conteste la portée de la jurisprudence de la cour d'appel de St Denis de la Réunion invoquée par SPSE, qui est selon elle contraire au droit positif en la matière, en faisant observer que l'extension à un tiers d'une clause compromissoire est largement admise en droit de l'arbitrage et que SPSE aurait pu le faire si elle avait voulu, le résultat n'étant aujourd'hui que la conséquence de sa négligence.

61. Esso ajoute qu'en tout état de cause, la clause d'arbitrage des Statuts limitée aux « affaires sociales » c'est -à-dire, selon la jurisprudence, aux affaires qui ont trait strictement au fonctionnement statutaire de la société, ne couvre pas l'examen de la demande n° 3 de SPSE dont la connaissance a été réservée à un tribunal arbitral distinct.

62. Elle ajoute que décider le contraire porterait atteinte à la volonté clairement exprimée des parties de confier la résolution de leurs litiges à des tribunaux arbitraux distincts.

63. A cet égard, elle soutient qu'en insérant une clause d'arbitrage propre au Protocole d'Accord, les parties n'ont pas eu l'intention que la clause compromissoire des Statuts puisse couvrir les différends relatifs au Protocole d'Accord et conclut que c'est à juste titre que le tribunal arbitral s'est déclaré incompétent.

64. Shell soutient dans le même sens, que la demande n° 3 faute d'avoir un lien avec les Statuts et de concerner la vie interne de l'entreprise, ne rentre pas dans le champ d'application de la clause compromissoire statutaire, peu important le fait que le tribunal arbitral ait pu dans un premier temps de son raisonnement, constater prima facie que la demande n° 3 était susceptible de relever des « affaires sociales ».

65. Shell souligne que les « affaires sociales » ont été définies par la jurisprudence comme « celles qui ont trait au fonctionnement des organes de décision, d'exécution de la société et aux relations des cocontractants » et que cette notion regroupe l'ensemble des évènements de la vie et de la gestion interne de la société tels que les décisions prises en conseil d'administration ou en assemblées générales.

66. Elle fait valoir que tel n'est pas le cas de la demande n° 3 qui découle uniquement d'une prétendue inexécution du Protocole d'Accord.

67. Shell fait observer à cet égard, que dans la mesure où les parties avaient connaissance de la clause compromissoire contenue dans le Protocole, il est évident que la volonté des parties aux Statuts était de ne pas inclure dans le champ d'application de la clause compromissoire statutaire les litiges relevant du protocole d'Accord, nonobstant la qualité de SPSE de, tiers au contrat de sorte que c'est à raison que le Tribunal arbitral s'est déclaré incompétent.

68. ROG conclut, dans le même sens que Esso et Shell, que selon la volonté des parties et l'effet relatif de la clause compromissoire à l'objet du contrat qui la contient, la clause compromissoire statutaire n'avait pas vocation à s'appliquer à la demande n°3, qui découle du Protocole d'Accord et relève de sa propre clause de compétence, ce que SPSE n'ignorait pas.

69. Elle met en avant que la notion d'affaires sociales n'est pas clairement définie par la jurisprudence. Elle fait observer que le pacte social est entendu habituellement comme les statuts eux-mêmes et soutient que cette notion ne peut avoir pour effet d'étendre la portée d'une clause compromissoire à un rapport de droit extrastatutaire.

70. Elle soutient de manière commune et pour les mêmes raisons que celles développées par Shell et Esso, que la demande n°3 relève de la clause compromissoire du Protocole d4Accord qui selon la jurisprudence en la matière, n'est pas manifestement inapplicable nonobstant la qualité de tiers de SPSE dés lors qu'elle entend se prévaloir d'un contrat dans lequel la clause est stipulée.

SUR CE

Sur les fins de non-recevoir opposées par SPSE

71. Selon l'article 122 du code de procédure civile « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

72. Au cas présent la demande de SPSE, quoique formulée comme une fin de non-recevoir, ne tend pas à écarter des demandes mais les moyens en défense des défenderesses, de sorte qu'elle sera rejetée.

73. Ces moyens de défense au fond sont recevables.

Sur l'estoppel

74. Esso soutient sur le fondement du principe de l'estoppel, selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, que SPSE ne peut à la fois se prévaloir de l'autorité de la chose jugée de la sentence et solliciter son annulation.

75. Cependant, c'est sans se contredire au détriment des défenderesses que SPSE fait valoir l'exception de la chose jugée sur certains motifs de la sentence qui ne sont pas dans le dispositif attaqué, de sorte que la règle de l'estoppel ne fait pas échec à l'examen de ce moyen qui sera examiné aux points suivants.

Sur le principal

76. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

77. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.

78. En vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, qui investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.

79. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.

80. Au cas présent SPSE fait grief au tribunal arbitral de s'être déclaré incompétent à son égard pour connaître de sa demande n°3 sur le fondement de la clause compromissoire prévue par l'article 45 des Statuts, ce que les défenderesses contestent en faisant valoir, que ce différend relève potentiellement d'une autre clause compromissoire à savoir de l'article 30 du protocole d'accord.

Sur l'autorité de la chose jugée des paragraphes 259 et 260 de la sentence

81.SPSE soutient que sa demande relève de la clause compromissoire des Statuts comme déjà jugé par le tribunal arbitral aux paragraphes 259 et 260 de sa décision et que les défenderesses ne peuvent, par l'effet de l'autorité de la chose jugée attachée à ces paragraphes, discuter de nouveau de cette question.

82.Toutefois, il ressort clairement de la lecture de la sentence que le tribunal arbitral n'a pas attaché aux paragraphes visés par SPSE les effets de la chose jugée.

83. Si le tribunal arbitral a retenu aux paragraphes 259-260 que les trois demandes de SPSE relevaient de sa compétence, c'est en réponse à la première objection de compétence opposée par Shell, qui soutenaient que les demandes concernaient toutes la relation commerciale entre SPSE et les sociétés pétrolières.

84. Cette conclusion n'est qu'une réponse limitée à une exception d'incompétence générale soulevée par Shell à l'égard de toutes les demandes de SPSE, à partir de laquelle le Tribunal arbitral n'a pas tiré de conséquence, pour apprécier par la suite l'objection de compétence spécifiquement soulevée par les trois défenderesses concernant la demande n° 3 selon laquelle la clause compromissoire était inapplicable à ce différend au motif qu'il découlait d'un autre contrat, à savoir le Protocole d'Accord.

85. C'est après un examen détaillé de la position des parties sur plusieurs pages pour des motifs développés aux paragraphes 263 à 282 dans la section consacrée à l'objection à la compétence fondée sur l'inapplicabilité de la convention d'arbitrage aux différends découlant de l'article 18 du Protocole d'Accord, que le Tribunal arbitral a décidé de ne pas retenir sa compétence pour connaître de la demande relative aux pertes d'exploitation, décision qu'il a reprise dans le dispositif de la sentence.

86. Le tribunal arbitral a en effet retenu qu'il ne pouvait pas faire valoir sa compétence fondée sur les Statuts à l'égard d'une demande découlant exclusivement du Protocole d'Accord dont les différends devaient être soumis à un tribunal arbitral spécifiquement constitué sur la base de la clause compromissoire de ce contrat.

87. Le tribunal arbitral a fait remarquer que SPSE avait choisi la mauvaise convention d'arbitrage et qu'elle aurait dû tenter de soumettre sa demande sur le fondement de la convention d'arbitrage du Protocole d'Accord nonobstant sa qualité de tiers au contrat, relevant que le débat sur l'inapplicabilité d'une clause compromissoire à un tiers n'était pas définitivement tranché.

88. Il résulte de ce qui précède que les paragraphes 259-260 ne correspondent pas à des motifs décisoires ayant autorité de chose jugée de sorte qu'il y a lieu de rejeter la demande de SPSE de voir rejeter le moyen des défenderesses tendant à faire juger que la demande n° 3 n'entrait pas dans la clause compromissoire statutaire.

89. Il appartient en conséquence à la cour, qui n'est pas tenue par l'appréciation des arbitres sur leur compétence, de vérifier si le litige entre dans le champ d'application de la convention d'arbitrage des Statuts.

Sur la compétence matérielle de la clause compromissoire statutaire prévue à l'article 45 des Statuts de SPSE

90. Suivant les principes rappelés ci-dessus, il n'appartient pas à la cour d'apprécier la pertinence de leur raisonnement dans l'appréciation de leur propre compétence, mais d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.

91. Cette appréciation doit se faire d'après la commune volonté des parties.

92. L'article 1442 alinéa 2 du code de procédure civile définit la clause compromissoire comme la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats.

93. En l'espèce, c'est sur le fondement de l'article 45 des Statuts qu'il convient de vérifier la compétence du Tribunal arbitral à l'égard de la demande n° 3, relative aux pertes d'exploitation de SPSE, et non sur le dispositif de la sentence partielle.

94. Il convient de relever en effet qu'ayant été formulée après la sentence partielle, la demande n° 3 ne peut pas être atteinte par l'autorité de la chose jugée du dispositif de cette sentence partielle qui selon l'interprétation des défenderesses aurait encadré sa compétence aux seuls litiges découlant des Statuts - « The Arbitral Tribunal has jurisdiction over the dispute between Claimant and the three Respondents arising under the Bylaws ».

95. Le tribunal arbitral ayant été saisi de cette demande sur le fondement de la clause compromissoire insérée dans les Statuts de SPSE, le pouvoir de la cour est limité au contrôle de la compétence du tribunal arbitral sur la base de cette convention d'arbitrage sans pouvoir s'étendre à l'examen de la portée de la convention d'arbitrage contenue dans la clause 30 du Protocole d'Accord.

96. Le tribunal arbitral n'ayant en effet pas été saisi sur cette base, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'opposabilité de cette convention d'arbitrage, qui selon les défenderesses et l'analyse du tribunal arbitral, serait potentiellement applicable ou non manifestement inapplicable.

97. En d'autres termes, il ne s'agit pas de trancher un conflit de compétence entre deux clauses prétendument concurrentes, mais de vérifier si le différend qui oppose les parties entre dans le champ de compétence de l'article 45 des Statuts sur la base duquel le Tribunal arbitral se trouve constitué.

98. La convention d'arbitrage fondant cette compétence résulte de la clause compromissoire contenue dans l'article 45 des Statuts qui stipule que : Sous réserve de l'application des dispositions légales de l'article 2060 du code civil, toutes les contestations qui peuvent s'élever pendant le cours de la Société ou sa liquidation, soit entre la Société d'une part, et les actionnaires ou administrateurs d'autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes au sujet des affaires sociales, sont tranchées dé'nitivement par l'arbitrage.

99. Aucun désaccord n'existe sur le fait qu'il s'agit d'un litige entre SPSE et ses actionnaires qui remplit la condition rationae personae de la clause selon les prévisions des parties.

100. L'opposabilité de la clause n'étant pas contestée, il convient de vérifier si la demande n° 3 de SPSE entre dans le champ matériel de la clause compromissoire telle que voulue par les parties aux Statuts.

101. La demande de SPSE tendait à la condamnation des défenderesses (les MiRO shippers) et à l'indemnisation des prétendues pertes d'exploitation encourues sur son activité de transport d'hydrocarbures, fondée sur la violation par ceux-ci de leurs obligations au titre du Protocole d'Accord et, en particulier, de son article 18 qui dispose que les tarifs de l'activité transport de SPSE doivent « couvrir au moins les dépenses d'exploitation, les amortissements, les taxes et impôts et les intérêts des capitaux empruntés et une rémunération raisonnable des capitaux investis, y compris de fonds de roulement. » et que « ils devront être raisonnables et compétitifs ».

102. Cette action était fondée :

- à titre principal, sur la responsabilité contractuelle des MiRO shippers à raison de la violation d'une stipulation pour autrui du Protocole d'Accord au bénéfice de SPSE et,

- à titre subsidiaire, sur leur responsabilité délictuelle à raison du préjudice causé à SPSE par la violation par les MiRO shippers du Protocole d'Accord auquel SPSE n'est pas partie

103. La société SPSE soutenait plus précisément que les dispositions de l'article 18 du Protocole d'Accord constituaient une stipulation pour autrui à son bénéficie et qu'elle était en droit de s'en prévaloir, pour demander réparation des préjudices allégués résultant de l'arrêt de l'utilisation du pipeline, même si elle n'était pas partie au Pacte d'actionnaires.

104. SPSE soutenait, à titre subsidiaire, que les défendeurs, en violant les dispositions de l'article 18 du Pacte d'actionnaires, avaient commis une faute lui causant préjudice et qu'elle était fondée à en demander réparation dès lors qu'il est admis en droit français qu'un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage.

105. Il n'est pas contesté que la demande principale et subsidiaire découle du Protocole d'Accord et non des Statuts qui sont deux instruments juridiques distincts.

106. Les Statuts sont un instrument social classique qui régit la vie de la société, notamment sa gouvernance et ses affaires internes.

107. Le Protocole d'Accord, même s'il indique « être valable pour toute la durée de la société et compléter les Statuts », est un pacte d'actionnaires typique auquel SPSE n'est pas partie, qui règle les obligations des participants, en tant qu'actionnaires de SPSE, et contient les principes généraux de la politique de financement et tarifaire.

108. Pour justifier de l'application de la clause compromissoire statutaire à sa demande n°3, SPSE prétend qu'en se référant aux « affaires sociales », la convention d'arbitrage ne se limite pas aux litiges résultant des Statuts de la société mais s'applique à tous les litiges ayant une incidence sur le pacte social entendu comme « le reflet de l'engagement social qui peut se trouver éclater dans divers documents : statuts, règlements intérieurs, protocoles, accords divers entre associés ».

109. Elle soutient que pour qu'un litige relève des affaires sociales, la seule présence de la société SPSE au litige suffit à démontrer l'incidence de ce dernier sur le pacte social.

110. L'interprétation proposée par SPSE revient à donner une compétence générale à la clause compromissoire et à donner au tribunal arbitral, dans les litiges opposant la société à ses actionnaires, une plénitude de juridiction.

111. Or, en l'espèce, la convention d'arbitrage telle que stipulée par les parties, ne vise pas « tous les litiges ayant une incidence sur le pacte social » mais les contestations « se rapportant aux affaires sociales » dont le sens, même s'il est discuté, ne peut avoir pour effet d'étendre la portée de la clause au-delà de l'objet des Statuts sauf volonté contraire des parties que SPSE qui s'appuie seulement sur des avis juridiques, s'abstient de démontrer.

112. Si les parties ont investi le tribunal arbitral d'un pouvoir juridictionnel sur les litiges « se rapportant aux affaires sociales » dont le sens communément admis renvoie à celles qui concernent la vie de l'entreprise, sa gouvernance et ses affaires internes, il ne peut s'agir que de celles qui trouvent à tout le moins leur origine ou leur fondement dans les Statuts.

113. L'inverse reviendrait à contrevenir au principe selon lequel le tribunal arbitral est compétent pour connaitre des litiges liés au contrat contenant la clause compromissoire, dont l'application ne peut être étendue à des rapports d'obligations qui n'entrent pas dans son objet.

114. Au cas présent, il n'est pas contesté que la demande en réparation des pertes d'exploitation quelle que soit la nature contractuelle ou délictuelle de l'action est exclusivement fondée sur l'inexécution de l'article 18 du Protocole d'Accord sans lien avec le contrat des Statuts.

115. Cette action a pour origine la décision propre aux sociétés pétrolières défenderesses de cesser d'utiliser le pipeline de SPSE qu'elles ont notifiée individuellement à SPSE à l'été 2012.

116. Cette demande, à la différence des demandes n° 1 et n° 2 qui ont remis en cause les décisions votées en conseil d'administration par les sociétés défenderesses, en tant qu'administratrices de SPSE, est fondée sur le Protocole d'accord contenant selon SPSE une obligation pour les actionnaires d'assurer l'équilibre financier de l'entreprise.

117. Il est ainsi clairement établi que cette action, quelle que soit son fondement, concerne un autre contrat et n'entretient aucun lien avec les Statuts de SPSE de sorte que la clause compromissoire statutaire ne peut servir de base à cette demande.

118. Il résulte de ce qui précède que cette demande n'entre pas dans le champ d'application de la convention d'arbitrage énoncée à l'article 45 des Statuts en conséquence de quoi que le moyen ne saurait prospérer, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la portée de la clause d'arbitrage insérée sous l'article 30 dans le Protocole d'Accord ni sur la recevabilité ou le bienfondé de l'argumentation portant sur l'inopposabilité à SPSE, tiers au contrat, de la clause d'arbitrage contenue dans ledit Protocole.

119. Ce moyen sera en conséquence rejeté.

' Sur l'annulation partielle de la sentence finale en ce qu'elle a jugé « et qu'en tout état de cause, SPSE n'a pas le droit de formuler cette demande »

120. SPSE demande à la cour, au visa de l'article 1520°, 1 du code de procédure civile d'annuler la deuxième partie du chef du dispositif de la sentence figurant au § 510 de la Sentence.

121. Elle soutient que la nullité qui affecte la première partie doit concerner l'ensemble du paragraphe du dispositif qui est indivisible.

122. Elle ajoute que, quelle que soit la décision de la cour sur la première partie, en se déclarant incompétent, le Tribunal arbitral qui ne pouvait pas aller plus loin, a statué sur le fond de sa demande sans convention d'arbitrage.

123. Les défenderesses soutiennent que cette partie du dispositif ne peut être annulée sur le fondement de l'article 1520°1 s'agissant d'une question concernant la qualité à agir de SPSE distincte et complètement indépendante de la décision d'incompétence.

SUR CE

124. La nullité de la première phrase du dispositif sur la compétence du Tribunal arbitral n'étant pas encourue pour les motifs retenus plus haut, elle ne peut s'étendre à la deuxième phrase du dispositif au paragraphe 510 de la sentence.

125. Il s'agit en outre d'un chef du dispositif qui concerne une question sur la recevabilité voire le bienfondé de l'action introduite par SPSE qui échappe au pouvoir de contrôle du juge de l'annulation.

126. Ce moyen sera en conséquence écarté et la demande en nullité partielle de la sentence sur le fondement du moyen tiré de l'incompétence entièrement rejeté.

B. Sur le moyen tiré du manquement par le tribunal arbitral à sa mission et défaut de motivation

127. SPSE sollicite l'annulation partielle de la sentence finale en ce qu'elle a jugé « et qu'en tout état de cause, SPSE n'a pas le droit de formuler cette demande » sur le fondement de l'article 1520,3° du code de procédure civile en faisant valoir qu'elle constitue un dépassement par les arbitres de leur mission et un excès de pouvoir.

128. SPSE estime qu'en statuant non seulement sur la recevabilité de sa demande mais aussi sur le fond, le tribunal arbitral, alors qu'il venait de se déclarer incompétent, a statué sans se conformer à sa mission et a abusé de son pouvoir juridictionnel.

129. Elle ajoute qu'en considérant que l'article 18 n'était pas une stipulation pour autrui consentie par les actionnaires au bénéfice de SPSE, le tribunal arbitral n'a pas motivé le rejet de sa demande subsidiaire fondée sur la responsabilité délictuelle.

130. SPSE soutient qu'en raison de ce défaut de motivation, la nullité partielle est encourue.

131. Les défenderesses répliquent que le tribunal arbitral qui a tranché une question qui s'inscrivait dans l'objet du litige, défini par les parties, n'a pas dépassé sa mission et que sous couvert de ce moyen, SPSE demande de contrôler la pertinence des motifs de la décision en violation du principe de non-révision.

132. ROG ajoute que ce moyen fondé sur un grief tiré d'une contradiction de motifs revient à contrôler le bienfondé de la décision, ce qui échappe au contrôle du juge de l'annulation.

133. Shell fait observer que le tribunal arbitral a souhaité répondre à l'ensemble des objections ce qui n'est pas inhabituel en matière d'arbitrage international, où les arbitres peuvent aller jusqu'à ajouter ce type de considérations aux dispositifs de leurs sentences, sans que cela les expose au risque d'une annulation.

134. Sur le défaut de motivation, elles soutiennent que ce grief n'est pas constitué dans la mesure où la motivation sur le rejet de la demande formée à titre subsidiaire existe bien dans la sentence, peu importe que SPSE l'estime insatisfaisante.

SUR CE

135. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

Sur le prétendu dépassement de la mission par le tribunal arbitral

136. Cette mission, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.

137. En l'espèce SPSE soutient que le tribunal arbitral a excédé sa mission en statuant sur la recevabilité et le fond de sa demande n° 3 alors qu'il s'était déclaré incompétent pour connaître de sa demande.

138. Toutefois SPSE ne conteste pas que la question de son droit d'agir sur le fondement de l'article 18 du Protocole d'Accord que le tribunal arbitral a tranché, faisait partie de l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions des parties.

139. SPSE fait en réalité grief au tribunal arbitral d'avoir, sans logique, statué au fond en faisant valoir que sa mission s'arrêtait au constat de son incompétence.

140. Cependant le contrôle de la mission du tribunal arbitral s'attache à vérifier que le tribunal arbitral a statué dans les limites des demandes des parties et non à contrôler sa compétence qui relève d'un autre cas d'ouverture en annulation, qui en l'espèce n'a pas abouti.

141. Le moyen sera en conséquence écarté.

Sur le prétendu défaut de motivation

142. Il n'entre pas dans la mission du juge de l'annulation de contrôler le contenu de la motivation de la décision arbitrale, ni son caractère convaincant, mais seulement l'existence de celle-ci, et que d'autre part, les arbitres ne sont pas obligés de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

143. Il ressort en l'espèce de la sentence que les arbitres ont consacré plusieurs pages de la sentence à l'examen de la demande relative aux pertes d'exploitation en faisant explicitement mention des fondements contractuel et délictuel.

144. En exposant au paragraphe 285 de la sentence sur plusieurs lignes les raisons qui l'ont conduit à considérer que « l'article 18 du Protocole ne saurait être interprété comme la source d'une obligation d'assurer l'équilibre financier de SPSE », le tribunal arbitral a motivé sa décision en expliquant que cet article ne pouvait constituer une base appropriée à la demande pour pertes d'exploitations de sorte que toute demande prenant sa source dans cette disposition qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, ne pouvait prospérer.

145. En conséquence de quoi le moyen d'annulation tiré d'un prétendu défaut de motivation n'est pas fondé.

146. Il sera en conséquence écarté.

Sur la demande en annulation de la décision du Tribunal arbitral sur la répartition des coûts et frais de l'arbitrage

147. SPSE sollicite l'annulation de ce chef du dispositif par voie de conséquence de l'annulation partielle de de la sentence.

148. Le recours en annulation partielle étant rejeté, le recours en annulation du chef du dispositif portant sur la répartition des coûts et des frais de l'arbitrage qui n'est fondé sur aucun autre moyen, ne saurait être accueilli.

149. Le recours en annulation étant entièrement rejeté, il n'y pas lieu de faire droit aux autres demandes de SPSE en restitution des sommes qu'elle a versées à ce titre, en exécution de la sentence.

Sur les frais et dépens

150. Il y a lieu de condamner SPSE partie perdante aux dépens.

151. En outre, elle doit être condamnée à verser à chacune des sociétés défenderesses, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 50 000 euros.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la Cour :

1) Déboute la société du Pipeline Sud-européen de sa demande d'irrecevabilité fondée sur l'article 122 du code de procédure civile ;

2) Déboute la société Esso Deutschland GmbH de sa demande d'irrecevabilité tirée de l'estoppel ;

3) Rejette le recours en annulation partielle formé par la Société du Pipeline Sud-européen à l'encontre de la sentence rendue le 6 octobre 2021 sous l'égide de la CCI (affaire n° 19423) ;

4) Déboute la Société du Pipeline Sud-européen de ses demandes ;

5) Condamne la Société du Pipeline Sud-européen à verser à chacune des sociétés défenderesses, Ruhr Oel GmbH, Shell Deutschland GmbH, et Esso Deutschland GmbH, la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

6)Condamne la Société du Pipeline Sud-européen aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 21/19729
Date de la décision : 30/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-30;21.19729 ?
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