La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/05/2024 | FRANCE | N°17/14263

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 31 mai 2024, 17/14263


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 31 Mai 2024



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/14263 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4QVN



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Septembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de creteil RG n° 15-00554



APPELANTE

Madame [J] [X] épouse [R] [N]

[Adresse 1]

[Localité 5]

repr

ésentée par Me Jessica CHEVALIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R241 substituée par Me Sophie THONON-WESFREID, avocat au barreau de PARIS



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Tot...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 31 Mai 2024

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/14263 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B4QVN

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Septembre 2017 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de creteil RG n° 15-00554

APPELANTE

Madame [J] [X] épouse [R] [N]

[Adresse 1]

[Localité 5]

représentée par Me Jessica CHEVALIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R241 substituée par Me Sophie THONON-WESFREID, avocat au barreau de PARIS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/008698 du 11/05/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEES

CPAM 94 - VAL DE MARNE

Division du contentieux

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

SAS [7]

[Adresse 8]

[Localité 3]

représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020 substitué par Me Laure ALVINERIE, avocat au barreau de GRENOBLE, toque : B108

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Philippe BLONDEAU, Conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller

Monsieur Philippe BLONDEAU, Conseiller

Greffier : Madame Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 10 mai 2024, prorogé au 31 mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente de chambre et par Madame Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur la liquidation du préjudice de Mme [R] [N] (la salariée) après un arrêt de la cour d'appel de céans du 4 mars 2022 ordonnant une expertise judiciaire dans un litige opposant celle-ci à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne ( la caisse) et la Sas [7] ( la société).

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil dans son jugement du 7 septembre 2017 et par la cour dans son arrêt du 4 mars 2022 au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Mme [R] [N], salariée depuis 2006 de la société [7] (magasin d'[Localité 6] 94), a été victime le 16 avril 2009 d'un accident du travail, chutant au sol d'un escabeau qu'elle utilisait ; l'état de santé de la salariée a été déclaré consolidé au 2 janvier 2012 avec attribution d'une rente sur la base d'un taux d'IPP de 10 % en rapport avec un traumatisme cervical et scapulaire gauche chez une droitière, consistant en une raideur légère à modérée du rachis cervical et de l'épaule.

Par ailleurs, la salariée a fait l'objet le 28 décembre 2012 d'un licenciement contesté, le litige est actuellement devant la cour d'appel de Paris.

Après vaine tentative de conciliation, Mme [R] [N] a, le 13 mai 2015, saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Par jugement du 7 septembre 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil, a rejeté les demandes de Mme [R] [N] et a débouté la société de sa demande en frais irrépétibles.

La salariée a, le 7 novembre 2017, interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifiée le 18 octobre 2017, la cour d'appel de Paris par arrêt du 4 mars 2022, a :

- infirmé le jugement déféré et jugé que l'accident du travail dont Mme [R] [N] a été victime le 16 avril 2009 est dû à la faute inexcusable de la société [7],

- fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente allouée à Mme [R] [N], et dit que la CPAM du Val-de-Marne devra verser directement cette majoration à Mme [R] [N],

- avant-dire droit sur la réparation des préjudices personnels de Mme [R] [N] a ordonné une expertise médicale judiciaire et a désigné pour y procéder le docteur Yves [C].

- dit que la CPAM du Val-de-Marne est fondée à exercer son action récursoire contre la société [7] au titre des sommes allouées à Mme [R] [N] en application des dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du code de la sécurité sociale, en ce compris les frais d'expertise,

- débouté la société [7] de sa demande en frais irrépétibles,

- condamne la société [7] à payer à Mme [R] [N] une somme de 2500 euros en remboursement des frais irrépétibles,

- condamne la société [7] aux dépens.

L'expert après examen de la salariée a conclu aux préjudices suivants:

Le docteur [C] procédait à l'examen médical de Madame [R] [N] le 13 juin 2022

- Déficit fonctionnel temporaire partiel :

. 20% du 16.04.2009 au 22.06.2009 :

. 15% du 23.06.2009 au 16.03.2010

. 10% du 17.03.2010 au 02.01.2012

- Aucun besoin en tierce personne

- Souffrances endurées : 2,5/7

- Aucun préjudice esthétique temporaire

- Aucun préjudice esthétique définitif

- Préjudice d'agrément : légère gêne à la pratique de la natation

- Aucun préjudice sexuel

- Aucune perte de chance de promotion professionnelle.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son conseil, Mme [R] [N] demande à la cour

- la liquidation de son préjudice de la façon suivante :

Au titre des préjudices patrimoniaux

28 994,91 euros au titre de la perte de gains professionnels

20 000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle

28 710 euros au titre de l'assistance par tierce personne

Au titre des préjudices extrapatrimoniaux

3 294,20 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

6 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

6 000 euros au titre des souffrances endurées

6 000 euros au titre du préjudice d'agrément

5 000 euros au titre du préjudice sexuel

3 000 euros au titre du préjudice moral et psychologique.

- Juger et ordonner que l'ensemble des postes de préjudices sera versé directement à Mme [R] [N] par la caisse qui en récupérera le montant auprès de l'employeur la société [7],

- Dire et juger commun et opposable à la CPAM la décision à venir,

- Débouter les parties intimées de toutes leurs demandes fins et conclusions plus ou contraires,

- Condamner la société [7] à payer une somme de 4000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et au titre de l'article 37 sur l'aide juridique,

- Condamner la société aux entiers dépens,

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son conseil, la caisse demande à la cour de :

- Débouter Mme [R] [N] de ses demandes d'indemnisation au titre de la perte de gains professionnels actuels, la perte de chance de promotion professionnelle, l'assistance par une tierce personne, le préjudice esthétique temporaire, le préjudice sexuel, le préjudice moral et psychologique-Donner acte que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne s'en remet à l'appréciation de la cour en ce qui concerne l'indemnisation des souffrances endurées,

-Ramener à de plus justes proportions les demandes formulées au titre du déficit fonctionnel temporaire et du préjudice d'agrément,

- Dire que la caisse fera l'avance de l'ensemble des sommes allouées à Mme [R] [N],

- Dire que la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne récupérera auprès de l'employeur les montants versés à l'assurée, c'est-à-dire la majoration de rente et les sommes versées au titre de chaque poste de préjudice, et qu'elle récupérera également auprès d'elles les frais d'expertise,

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience par son conseil, la société demande à la cour de :

- débouter Mme [R] [N] de ses demandes formulées au titre de la perte de gains professionnels, de la perte de chance de promotion professionnelle, de l'assistance par tierce personne, du préjudice d'agrément, du préjudice esthétique et définitif, du préjudice sexuel et du préjudice moral et psychologique,

- réduire à de plus justes proportions les demandes de Mme [M] (sic) formulées au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- débouter Mme [M] (sic) de sa demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties déposées à l'audience pour un plus ample exposé de leurs moyens.

SUR CE, LA COUR

Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

Pertes de gains professionnels

Mme [R] [N] expose qu'entre son accident de travail et sa reprise le 1er avril 2011, elle est restée 23 mois et 15 jours sans activité, elle demande paiement de la différence entre les indemnités perçus de la caisse et ce qu'elle aurait perçu en travaillant en compris les heures supplémentaires.

La société réplique que cette demande ne saurait aboutir puisque le versement de la rente à un salarié victime d'un accident du travail indemnise déjà la perte de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité en application des articles L.434-1, L.434-2 et L.452-2 du code de la sécurité sociale.

La caisse rappelle également que la rente versée à la victime d'un accident du travail et sa majoration en cas de faute inexcusable de l'employeur indemnisent les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle

Il résulte de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation d'autres chefs de préjudice que ceux énumérés par le texte précité, à la condition que les préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. Or, la perte de revenus professionnels pendant la période antérieure à la consolidation est compensée par le versement d'indemnités journalières correspondant en cas d'accident du travail à la moyenne des salaires perçus avant l'accident.

Mme [R] [N] ne peut donc qu'être déboutée de cette demande.

Préjudices patrimoniaux (après consolidation)

Perte d'une chance professionnelle

Mme [R] [N] expose que conformément à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de la sécurité sociale la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ; que si initialement elle avait été engagée pour exercer les fonctions de vendeuse caissière, à partir du mois d'avril 2007 elle procédait à l'arrêté des comptes de la caisse et assumait la formation des nouveaux caissiers vendeurs ; qu'à partir du mois d'août 2007, elle avait de nouvelles responsabilités correspondant au poste de responsable adjoint .

La société réplique en indiquant que l'expert n'a pas retenu la perte de chance professionnelle, Mme [R] [N] n'apportant aucun élément en ce sens ; que de plus Mme [R] [N] a connu tout au long de sa présence au sein de l'entreprise des problèmes relationnels avec tous ses supérieurs hiérarchiques ; qu'à l'évidence, elle n'avait aucune chance sérieuse de promotion professionnelle au sein de la société ;

La caisse pour sa part soutient que s'il est vrai que conformément à l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de la sécurité sociale la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, encore faut-il que les chances de promotion alléguées aient un caractère sérieux et certain et ne soient pas seulement hypothétiques (Soc.,11 mars 2010, n°09-12.451) ; que Mme [R] [N] ne démontre pas qu'il existait avant son accident de travail des chances de promotion professionnelles sérieuses et certaines ; que de plus l'expert note dans son rapport qu'il n'existe aucune perte de chance de promotion professionnelle ;

Si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale permet au salarié victime d'un accident du travail imputé à la faute inexcusable de l'employeur de demander réparation de la perte et/ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, c'est à la condition d'apporter la preuve qu'à la date de la demande en réparation, il bénéficiait d'une formation ou d'une situation professionnelle de nature à lui laisser espérer une promotion.

Il doit s'agir, en outre, de chances sérieuses et pas simplement hypothétiques, d'obtenir une telle promotion. Le préjudice doit être distinct de celui résultant d'un déclassement professionnel déjà compensé par l'attribution de la rente majorée

L'appréciation de la réalité de cette perte de chance profesionnelle appartient au juge, l'expert se contentant d'apprécier l'impossibilité physique de la promotion.

Le contrat de travail liant Mme [R] [N] à la société précise dans son article 5 que les fonctions du salarié sont susceptibles d'évoluer, tant en fonction des contraintes ponctuelles ou permanentes liées à la nécessité d'assurer le fonctionnement normal de la société (') dans cet esprit le salarié pourra être amené à participer, occasionnellement, à des travaux ne relevant pas spécifiquement de sa qualification (notamment pièce n°5 de la requérante).

Il était par conséquent prévu contractuellement que de façon occasionnelle et temporaire, le salarié pouvait exercer des travaux qui ne relevait pas de sa qualification. Et effectivement la salariée s'était vue attribuer des fonctions élargies, notamment d'adjoint et de responsabilité d'ouverture et fermeture.

Cependant Mme [R] [N] elle-même avait fait savoir qu'elle ne souhaitait plus avoir de tâches ne relevant pas de ses fonctions, qu'elle avait des relations très conflictuelles avec sa hiérarchie et que ses chances de promotion alléguée par celle-ci ne présentaient aucun caractère sérieux et certain.

Mme [R] [N] sera donc déboutée de sa demande d'indemnisation à ce titre.

Assistance par tierce personne

Mme [R] [N] sollicite au titre de l'assistance par tierce personne la somme de 28 710 euros, elle chiffre ce besoin à 1914 heures, soit 6 heures par jour du 16 avril au 16 juillet 2009, puis 2 heures par jour jusqu'au 1er avril 2011 et 4 heures par semaine jusqu'à la date de consolidation, soit du 1er avril 2011 au 2 janvier 2012.

Elle soutient qu'elle a été contrainte d'utiliser des cannes anglaises durant 6 mois du fait de sa fracture au bassin ainsi que d'une entorse à la cheville, qu'elle a porté un collier cervical durant 6 mois et a été en incapacité de lever le bras gauche durant plusieurs années.

Elle rappelle que la Cour de cassation a jugé que l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être réduite en cas d'assistance par un proche de la victime (Cass.2ème Civ, 15 avril 2010, n°09-14.042) ;

La société réplique que Mme [R] [N] a chiffré son besoin en tierce personne sur la base d'un préjudice qui n'a pas été retenu par l'expert médical ; qu'elle ne produit devant la cour aucun élément nouveau qui permettrait de conclure à la nécessité d'une aide par tierce personne à hauteur de 1914 heures ; que l'expert, notamment, relève que les certificats médicaux de prolongation ne relatent aucun retentissement fonctionnel et qu'aucun ne fait état de difficulté à la marche et de la nécessité d'utiliser des cannes anglaises ;

La caisse soutient pour sa part que l'expert ne retient aucune assistance par tierce personne ; qu'il précise n'avoir aucun élément médical objectif permettant de retenir une aide d'une tierce personne ;

La tierce personne est la personne qui apporte de l'aide à la victime incapable d'accomplir seule certains actes essentiels de la vie courante. Ce besoin d'aide concerne les actes essentiels de la vie courant, à savoir : l'autonomie locomotive (se laver, se déplacer, se coucher), l'alimentation (manger, boire) et procéder à ses besoins naturels.

A l'appui de sa demande Mme [N] verse au débat une attestation sur l'honneur émanant de sa fille [T] [N] (pièce n°120 de la requérante) où celle-ci déclare qu'elle faisait les repas et le ménage au sein de la famille, qu'elle aidait sa mère à se laver et ce suite à l'accident de travail dont cette dernière avait été victime. Cependant, aucune élément objectif ne permet de corroborer la réalité de témoignage, qui ne donne aucune précision sur les heures à l'aide apportée à sa mère, ni même les périodes retenues pourtant avec précision par Mme [R] [N].

L'expert, sollicité spécifiquement par la victime indique dans son rapport : "comme indiqué de façon répétée nous n'avons aucun document faisant état du retentissement fonctionnel, et donc aucun élément médical objectif permettant de retenir une utilisation prolongée de deux cannes anglaises et de la nécessité d'une aide par tierce personne au décours du fait traumatique. Rappelons que nous ne pouvons retenir aucune lésion osseuse avérée au niveau du pubis".

Malgré les doutes affirmés de l'expert sur la réalité d'une fracture du bassin et de la nécessité de béquilles, la salariée n'a apporté aucune preuve de ces lésions et de cette nécessité de béquilles.

Mme [R] [N] n'établissant ni la réalité ni la nécessité d'une aide apportée par un tiers, contestée par l'expert elle sera donc déboutée de cette demande.

Préjudices extrapatrimoniaux (avant consolidation)

Déficit fonctionnel temporaire

La salariée fait valoir qu'en 2022 la moitié du smic est égale à 839,475 euros par mois et demande donc une indemnisation sur la base de 28 euros par jour et demande par conséquent de lui octroyer à ce titre, 369,6 euros pour la période du 16 avril 2009 au 22 juin 2009, 1104,6 euros pour celle du 23 juin 2009 au 16 mars 2010 et 1820 euros pour la dernière période, 17 mars 2010 au 2 octobre 2010 ; soit la somme de 3294,2 euros ;

La société réplique que la base habituellement retenue par la cour de céans est de 25 euros ; qu'il est donc sollicité la diminution du montant réclamé par Mme [R] [N], soit une somme qui ne saurait être supérieure à 2981 euros ;

La caisse indique qu'il convient de ramener la somme indemnisable à la somme de 3068,75 euros en retenant pour base d'indemnisation de 25 euros par jour, soit :

A 25 % (sic) : 25x 25 % x 68 = 425 euros

A 15 % : 25 x 15 % x 267 = 1001,25 euros

A 10 % : 25 x 10 % x 657 = 1642,50 euros

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c'est à dire jusqu'à sa consolidation et est donc sans lien avec la rémunération professionnelle de la victime, laquelle est d'ailleurs déjà réparée par le versement des indemnités journalières. Son montant est apprécié en fonction de la gêne subie par la victime dans sa vie de tous les jours.

Une base horaire de 25 euros est régulièrement retenue, et parait suffisante en l'état compte-tenu du léger handicap temporaire de la salariée, et la somme de 2 979 euros sera attribuée à Mme [R] [N] en réparation de ce chef de préjudice soit:

25€ x 20% x 67 jours = 335€

25€ x 15% x 267 jours =1001,50€

25€ x 10% x 657 jours = 1642, 50€

Souffrances endurées

Mme [R] [N] expose que le rapport d'expertise évalue les souffrances endurées à 2,5/7, compte tenu de l'ensemble des documents médicaux vus, avec un traitement médicamenteux assez lourd, mais sans aucun élément clinique rapporté ; que cependant l'expert ne prend pas en compte ses souffrances psychiques et morales ; qu'elle a été victime de troubles mnésiques ; que de plus la Cour de cassation (Civ. 2, 16 janvier 2020 n°18-23556) justifie de voir majorer l'indemnisation des souffrances endurées en raison de l'incidence professionnelle subie à titre temporaire ; que dès lors, il convient de réévaluer ce poste de préjudice et de le fixer à 3/7 ; qu'il est sollicité à ce titre la somme de 6 000 euros ;

La société réplique que [R] [N] reprend ses arguments au titre de ses chances de promotion professionnelles et qu'elle sollicite la double indemnisation d'un même préjudice ; que l'arrêt sur la base duquel elle fonde sa demande ne peut être transposable à l'espèce dans la mesure où il était question de l'indemnisation de préjudices suite à un accident de la circulation, et non un accident du travail ; que la cour ne pourra que diminuer le montant des dommages et intérêts sollicités ;

La caisse pour sa part s'en remet à l'appréciation de la cour en ce qui concerne l'indemnisation de ce poste de préjudice ;

Le rapport d'expertise évalue les souffrances endurées à 2,5/7, compte tenu de l'ensemble des documents médicaux vus, qui ne précisent pas les éléments médicaux (préjudices physiques notamment), étant cependant relevé que le certificat médical initial évoquait une entorse de la cheville sans en préciser la gravité. Mme [R] [N] sollicite la réévaluation de ce poste de préjudice en fondant sa demande sur la souffrance morale de ne pouvoir bénéficier de la promotion attendue.

Cependant, ainsi que relevé plus haut la preuve d'une promotion imminente n'a pas été rapportée et le rapport de l'expert étant clair, précis et dénué de toute ambigüité, il convient d'en entériner les conclusions et de retenir les souffrances endurées à 2,5/7.

Ce poste de préjudice sera justement réparé par l'attribution d'une somme de 5000 euros.

Préjudice esthétique temporaire

Mme [R] [N] expose que l'expert ne retient aucun préjudice esthétique alors qu'il est d'usage constant que dès lors qu'il y a port d'un collier cervical, le niveau de préjudice esthétique temporaire est d'au minimum 1/7 ; qu'elle a été contrainte de porter ce dispositif durant 6 mois ; qu'elle sollicite à ce titre la somme de 6000 euros ;

La société réplique que l'expert n'a retenu aucun préjudice esthétique temporaire ; que le rapport d'expertise souligne l'absence d'éléments probants permettant de corroborer les dires de la requérante ;

La caisse indique que Mme [R] [N] soutient avoir porté un collier cervical pendant 6 mois ; qu'elle n'en rapporte pas la preuve ; qu'il n'y a donc pas lieu à indemnisation ;

Les pièces 94 et 95 de la requérante évoquent soit le port d'une minerve mousse port 8 jours si douleurs dans l'ordonnance du docteur [H] [S] du 16 avril 2009 (pièce n° 95) soit d'un collier cervical ortel C3 sans précision de durée dans celle du docteur [G] [L] du 11 mai 2009 (pièce n°94). Mme [R] [N] ne rapporte pas la preuve qu'elle a dû porter un collier cervical pendant une durée de six mois, comme du reste le notait l'expert qui précisait qu'il ressort à deux périodes des prescriptions d'un collier cervical, dont nous ne connaissons pas la durée du port.

Compte-tenu du caractère inesthétique du port d'une minerve qui est établi, mais compte-tenu du peu d'indications sur la durée, il convient d'accorder à Mme [R] [N] la somme de 300€ au titre du préjudice esthétique temporaire.

Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)

Préjudice d'agrément

Mme [R] [N] indique qu'au titre du préjudice d'agrément l'expert note qu'il y lieu de retenir à la date de la consolidation une légère gêne à la pratique de la natation, et ceci compte-tenu des séquelles rapportées au niveau de l'épaule gauche ;

La société réplique que selon la chambre sociale de la Cour de cassation, le préjudice d'agrément visé par l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale concerne l'indemnisation du préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs (Cass.2ème Civ. 16 juin 2016, n°15-18.592) ; que Mme [R] [N] ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle pratiquait régulièrement la natation et qu'elle est désormais dans l'impossibilité de le faire tout comme elle ne rapporte pas la preuve d'avoir pratiqué antérieurement à son accident du travail les activités simples et ludiques qu'elle évoque dans ses écritures ;

La caisse soutient pour sa part que le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs, que cela est régulièrement rappelé par la Cour de cassation (Civ.2, 3 juin 2021, n°20-13.574) ; qu'il appartient à la victime de justifier la pratique de ces activités, notamment par la production de licences sportives, d'adhésions d'associations, d'attestations ; que la requérante ne fournit aucune de ces pièces ;

Le préjudice d'agrément réparable en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale est constitué par l'impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité antérieure sportive ou de loisirs et ce à l'exclusion des troubles ressentis dans les conditions d'existence, ce poste de préjudice incluant cependant la limitation de la pratique antérieure (Civ 2, 10 octobre 2019, n°18-11.791).

Aussi la victime d'un accident du travail imputable à la faute inexcusable de l'employeur ne peut obtenir une indemnisation complémentaire au titre du préjudice d'agrément qu'à la condition d'établir judiciairement la pratique régulière d'une activité sportive ou de loisir qu'elle aurait dû interrompre suite à l'accident du travail.

Le préjudice d'agrément peut aussi se composer par la seule limitation d'une pratique antérieure dès lors qu'elle ne se fait plus avec la même intensité mais de façon modérée et dans un tout autre but. L'expert notait dans son rapport que Mme [R] [N] déclarait : Natation, le dimanche matin, 2 à 3 fois par semaine durant 1 heure, en nageant le crawl ou la brasse, et qu'effectivement il pouvait y avoir une certaine gêne à cette activité. Ce sport peut se pratiquer sans aucune licence et personne ne garde ses tickets d'entrée à la piscine, mais la pratique de cette activité aurait pu néanmoins être établi par au moins une attestation et en l'état en l'absence de la moindre preuve Mme [R] [N] sera déboutée de sa demande

Préjudice sexuel

Mme [R] [N] rappelle que le préjudice sexuel comprend tous les préjudices touchant à la sphère sexuelle ; que c'est à tort que l'expert n'a pas retenu de préjudice sexuel au regard des faits et des pièces qui lui ont été exposés ; qu'elle a énormément souffert des nombreuses procédures contentieuses engagées ; que cela a entraîné des répercussions importantes sur l'ensemble de sa vie dont sa vie intime et sexuelle au sein de son couple ; que le certificat médical de son médecin en 2017 (pièces 105 et 106) atteste de son état psychologique fragile ;

La société réplique en indiquant que l'expert n'a retenu aucun préjudice sexuel précisant qu'il ne dispose pas de document faisant état d'un éventuel retentissement sexuel ; que se fondant sur le certificat de 2017, elle en conclut à un retentissement sur sa vie sexuelle mais ne l'établit pas ;

La caisse indique que ce préjudice recouvre trois aspects, à savoir, l'aspect morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels, le préjudice lié à l'acte sexuel, la fertilité ; qu'en l'espèce, Mme [R] [N] ne démontre pas qu'elle a été atteinte d'un préjudice sur l'une, ou plusieurs, de ces trois aspects ;

Ce poste concerne la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle. Il convient de distinguer trois types de préjudice de nature sexuelle :

- le préjudice morphologique qui est lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi ;

- le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) ;

- le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical).

Ce préjudice doit être apprécié in concreto en prenant en considération les paramètres personnels de la victime.

Mme [R] [N] ne rapporte aucune pièce clinique au soutien de sa demande, elle invoque seulement l'existence d'un état dépressif ayant un retentissement négatif sur sa vie sexuelle. L'expert a indiqué dans son rapport, clair, précis, dénué de toute ambigüité, qu'il n'est pas vu de document médical faisant état d'un éventuel retentissement sexuel.

Par suite, Mme [R] [N] sera déboutée de ce chef de préjudice.

Préjudice moral et psychologique

Mme [R] [N] expose qu'outre les blessures et les souffrances physiques, elle a subi un préjudice moral incontestable ; qu'elle a dû prendre des anxiolytiques sur une longue période suivant son accident du travail ; qu'elle a également dû prendre d'autres antidépresseurs comme le Seroplex, le Laroxyl ou le Rivotril ; qu'elle sollicite que son préjudice soit entièrement réparé et à ce titre réclame la somme de 3000 euros ;

La société réplique, notamment, en soulignant que les troubles dépressifs que fait valoir Mme [R] [N] sont déjà évoqués pour l'indemnisation du préjudice lié aux souffrances endurées ; qu'elle ne peut obtenir la double indemnisation d'un même préjudice ;

La caisse pour sa part souligne que l'expert ne s'est pas prononcé sur ce chef de préjudice ; que cependant, l'expert a évalué le préjudice des souffrances physiques et morales endurées à 2,5/7 ; que l'expert dans son rapport retient au titre des souffrances endurées un traitement médicamenteux assez lourd ; le préjudice moral ne peut pas être indemnisé deux fois ;

Mme [R] [N] fait, notamment, état d'un préjudice moral et psychologique dans la mesure où elle a dû prendre des anxiolytiques sur une longue période suivant son accident du travail tout comme d'autres antidépresseurs comme le Seroplex, le Laroxyl ou le Rivotril ; qu'elle était en 2021 toujours en recherche d'emploi ;

Les souffrances évoquées par la requérante ont fait l'objet d'une prise en compte par l'expert puisqu'il les a évaluées à 2,5/7, mais il s'agit de souffrances avant consolidation.

Compte-tenu de ce que au vu des éléments apportés par Mme [R] [N] et contenus dans le rapport d'expertise, compte-tenu de séquelles, la salariée a toujours un préjudice de souffrances après consolidation qu'il convient d'indemniser avec la somme de 2.000€ .

La société [7], qui succombe, sera condamnée aux dépens et au paiement de la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

FIXE ainsi le préjudice de Mme [R] [N]

- au titre du déficit fonctionnel temporaire: 2 979 euros,

-au titre des souffrances endurées avant consolidation : 4 000 euros,

- au titre du préjudice esthétique temporaire : 300€

- au titre des souffrances après consolidation : 2 000€

DEBOUTE Mme [R] [N] de sa demande d'indemnisation du préjudice de la perte des gains professionnels actuels, de perte de chance de promotion professionnelle, de l'assistance par tierce personne, du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel ;

DIT que la CPAM du Val-de-Marne devra payer à Mme [R] [N] la somme de 9 279 euros en liquidation de son préjudice ;

DIT que la CPAM du Val-de-Marne pourra demander à la société [7] remboursement de cette somme et de toutes les sommes dont elle aura fait l'avance, en ce compris les frais d'expertise ;

CONDAMNE la société [7] à payer à Mme [R] [N] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes ;

CONDAMNE la société [7] aux dépens d'appel.

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 17/14263
Date de la décision : 31/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-31;17.14263 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award