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17/06/2024 | FRANCE | N°23/06491

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 17 juin 2024, 23/06491


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 17 Juin 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/06491 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHNM7



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 08 Mars 2023 par M. [H] [U] n...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 17 Juin 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/06491 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHNM7

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 08 Mars 2023 par M. [H] [U] né le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 5] (TUNISIE), domicilié chez son avocat Maître Nicolas de SA-PALLIX - [Adresse 2] ;

Non comparant et représenté par Me Nicolas DE SA-PALLIX, avocat au barreau de PARIS;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me Nicolas DE SA-PALLIX représentant M. [H] [U],

Entendu Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS substituant Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [H] [U], né le [Date naissance 1] 1984, de nationalité tunisienne, a été mis en examen des chefs de viol et agression sexuelle, séquestration avec libération volontaire avant le 7e jour et vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours, le 03 août 2017, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes. Le même jour, par ordonnance du juge des libertés et de la détention, il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 3], puis au centre pénitentiaire de [Localité 4], avant de revenir à la maison d'arrêt de [Localité 3]. Le 10 juillet 2018, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de mise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire du requérant.

Le 16 janvier 2020, le magistrat instructeur a requalifié les faits et ordonné le renvoi de M. [U] devant le tribunal correctionnel d'Evry-Courcouronnes des chefs d'agression sexuelle, séquestration avec libération avant le 7e jour et vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours. 

Par jugement du 31 août 2022, la 9e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes a relaxé M. [U] des chefs poursuivis et cette décision est devenue définitive à l'égard du requérant comme en atteste le certificat de non-appel du 06 mars 2023.

M. [U] a adressé une requête le 08 mars 2023 au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il demande dans celle-ci, soutenue oralement le 06 mai 2024, de :

- Dire qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;

- Lui allouer une somme de 61 380 euros en réparation de son préjudice moral ;

- Lui allouer la somme de 11 233 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- Lui allouer la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- Ordonner l'exécution provisoire de l'ordonnance à intervenir.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 23 août 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

- Juger recevable la requête de M. [H] [U] ;

- Allouer à M. [U] la somme de 22 000 euros en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention ;

- Débouter M. [U] de sa demande au titre du préjudice matériel ;

- Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 18 mars 2024 et soutenues oralement à l'audience de plaidoiries du 06 mai 2024, conclu :

- A la recevabilité de la requête pour une détention de 341jours ;

- A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;

- Au rejet de la demande de réparation du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [U] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 08 mars 2023. La décision de relaxe de la 9e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire d'Evry-Courcouronnes a été rendue le 31 août 2022. Cette décision est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 06 mars 2023. M. [U] a ainsi présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure civile.

La demande de M. [U] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 341jours.

Sur l'indemnisation

Sur l'indemnisation du préjudice moral

M. [U] soutient que l'intensité de son choc psychologique résulte de la durée importante de sa détention provisoire injustifié, soit 341 jours, de l'angoisse face au choc carcéral alors que son casier judiciaire était vierge, qu'il était âgé de 33 ans et parfaitement inséré. L'importance de la peine criminelle encourue, 15 ans de réclusion criminelle, et le fait que le statut infamant des faits pour lesquels il était poursuivi de nature sexuelle (viol et agression sexuelle) lui a valu une hostilité, des brimades, des menaces et des violences de la part des autres détenus. Il a d'ailleurs précisé lors de l'expertise psychiatrique qu'il était stressé et anxieux et avait des difficultés avec ses co-détenus. C'est pourquoi, il a eu besoin de soins psychiatriques et son état de santé initial lié à son diabète s'est dégradé en détention et il a dû être hospitalisé. En outre, son placement en détention provisoire lui a été annoncée alors qu'il était hospitalisé en raison de son diabète, menotté à son lit d'hôpital et que l'intégralité de son traitement ne lui a pas été délivré. Enfin, les conditions de détention particulièrement indignes au sein de la maison d'arrêt de [Localité 3] ont été constatées par un rapport annuel pour l'année 2018 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, faisant état d'une importante surpopulation de près de 150%, des locaux sales et vétustes et des mauvaises conditions d'hygiène et de confort. Tous ces éléments ont eu des répercutions personnelles et familiales non négligeables. C'est pourquoi, M. [U] sollicite une somme de 61 380 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat indique que le choc carcéral n'a pas été aggravé par des violences de la part des co-détenus du requérant qui ne sont pas démontrées par le rapport d'expertise psychiatre qui ne fait que reprendre les affirmations de M. [U]. Le bulletin numéro 1 du casier judiciaire du requérant ne fait état d'aucune peine d'emprisonnement, ce qui constitue un élément d'appréciation de base de ce choc carcéral. Il en est de même du jeune âge de M. [U]. Ce dernier ne produit aucun élément sur les conditions particulièrement difficiles de la détention car le rapport évoqué, mais non produit, du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est relatif à une visite qui n'est pas concomitante à la date du placement en détention de M. [U] Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d'injustice qu'a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire ni de la lourdeur de la peine encourue. Par contre, il a bien été séparé pendant plusieurs mois d'avec son frère chez qui il était hébergé. C'est ainsi que l'agent judiciaire de l'Etat propose une somme de 22 000 au titre de la réparation du préjudice moral du requérant.

Le Ministère Public rappelle que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, 33 ans en l'espèce, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant l'absence d'une précédente incarcération, le casier judiciaire faisant état d'aucune condamnation pénale. Le choc carcéral a donc été plein et entier.

Encourant une peine de 15 ans de réclusion criminelle pour des faits de viol, il pourra être tenu compte de la lourdeur de la peine encourue comme facteur d'aggravation du choc carcéral, mais pas du sentiment d'injustice. Le fait que le requérant a été séparé de son frère chez lequel il était hébergé est un facteur d'aggravation de choc carcéral, mais pas de la séparation d'avec ses parents qui demeuraient en Tunisie. Il y a lieu également de rejeter le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans la mesure où il n'est pas produit aux débats et qu'il n'est pas contemporain à la date de détention du requérant. Il y a lieu enfin de rejeter le fait que l'état de santé de M. [U] se soit aggravé durant le temps de sa détention provisoire, dès lors que cela n'est pas démontré.

En l'espèce, M. [U] était âgé de 33 ans, célibataire et sans enfant, au jour de son placement en détention provisoire. Il demeurait alors au domicile de son frère qui l'hébergeait. Il a donc souffert d'un isolement familial en détention n'ayant pu pouvoir le voir. Par contre, sa mère habitait en Tunisie et son père effectuant des fréquents allers-retours entre la Tunisie et la France, un tel isolement à leur égard n'est pas démontré.

Le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation. C'est ainsi que le choc carcéral peut être considéré comme important.

La durée importante de détention, 341 jours, ne constitue pas un facteur d'aggravation du choc carcéral du requérant mais un élément de base d'appréciation de ce choc carcéral.

L'importance de la peine encourue, à savoir 15 ans de réclusion criminelle pour les faits de viol et le caractère infamant de ces faits a pu générer un sentiment d'angoisse de la part de M. [U] qui a d'ailleurs été relevé par l'expert judiciaire psychiatre dans ses conclusions expertales du 28 janvier 2018 qui fait état du stress et de l'anxiété du requérant à ce sujet. M. [U] évoque à cet égard l'hostilité et les brimades de ses co-détenus qui, même si elles n'ont pas donné lieu à des procédures disciplinaires en détention, sont néanmoins tout à fait plausibles en prenant en considération le statut tout à fait particulier des 'pointeurs' en détention et le fait que les détenus ont rapidement connu les motifs du placement en détention de M. [U]. Ce sentiment d'angoisse constitue donc un facteur d'aggravation.

Les conditions dans lesquelles il a été annoncé à M. [U] son placement en détention provisoire ne sont pas, selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions (CNRD), en lien direct avec la privation de liberté elle-même. Cela ne constitue pas un facteur d'aggravation.

M. [U] fait état de conditions de détention difficile en citant un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui est relatif à une visite de la maison d'arrêt de [Localité 3] du 05 au 16 novembre 2018, alors que M. [U] était sorti depuis 4 mois de cet établissement pénitentiaire C'est ainsi qu'il ne peut pas être tenu compte de ce rapport, au demeurant non fourni, qui n'est pas contemporain à la date de la détention du requérant, pour établir une aggravation du choc carcéral. M. [U] ne démontre pas non plus en quoi il aurait personnellement souffert des mauvaises conditions de détention évoquées dans ce rapport qui lui soient propres. Les conditions de détentions ne peuvent donc constituer un facteur d'aggravation du choc carcéral.

De plus, même s'il est avéré que l'état de santé antérieur de M. [U] n'était déjà pas très bon en raison d'un diabète sévère, il n'est pas démontré que cet état de santé se soit aggravé en détention ni que le requérant n'ait pas pu poursuivre son traitement en détention, alors qu'il apparait qu'il a été transféré temporairement au centre pénitentiaire de [Localité 4] pour pouvoir justement voir son état de santé évalué et pris en charge.

Le sentiment d'injustice face au caractère, selon lui, particulièrement grave des faits reprochés, n'est pas en lien avec la détention provisoire, mais avec le fond de l'affaire et ne peut donc être retenu.

C'est ainsi, qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [U] une somme 27000 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur l'indemnisation du préjudice matériel

Sur la perte de revenus :

M. [U] indique qu'il travaillait dans le secteur de la restauration au moment de son incarcération, comme cela était attesté par l'enquête sociale rapide. Il percevait environ 1 000 euros par mois. Il sollicite donc une somme de 11 233 euros en réparation de son préjudice matériel lié à sa perte de revenus.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que, selon la jurisprudence, il appartient au requérant d'apporter la preuve des éléments qu'il invoque et de produire aux débats les justificatifs de son emploi dans la restauration, ce qu'il ne fait pas. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande qui n'est absolument pas documentée.

Le Ministère Public considère que le requérant ne produit aucune pièce attestant de la réalité du travail occupé antérieurement à son incarcération et a fortiori du montant du salaire qu'il touchait. Par conséquent, la demande de réparation sera rejetée.

En l'espèce M. [U] fait référence aux conclusions de l'enquête sociale rapide réalisée avant son placement en détention provisoire, le 03 août 2017, qui indiquait que le requérant travaillait dans le domaine de la restauration. Pour autant, cette enquête s'appuyait sur les déclarations de M. [U] et n'avait pas eu le temps de vérifier ces déclarations. De plus, aucun contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée n'est produit aux débats, ni absolument aucun bulletin de paie, ni avis d'imposition. C'est ainsi que le requérant n'apporte pas la preuve de éléments qu'il invoque alors que cette preuve lui incombe. Faute de justificatifs, la demande de réparation du préjudice matériel sera donc rejetée.

Sur les frais irrépétibles :

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS,

Statuant par décision contradictoire,

Déclarons recevable la requête de M. [H] [U] pour une détention d'une durée de 341jours ;

Allouons à M. [H] [U] :

- La somme de 27 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- La somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus des demandes de M. [H] [U] ;

Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/06491
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;23.06491 ?
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