RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 17 Juin 2024
(n° , 6 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/06907 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHOOP
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 17 Avril 2023 par M. [X] [L] né le [Date naissance 1] 2004 à [Localité 4], élisant domicile au cabinet de Me Steeve RUBEN - [Adresse 3] ;
Non comparant et représenté par Me Steeve RUBEN, avocat au barreau de PARIS substitué Me Manon OUVRARD, avocat au barreau de PARIS ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;
Entendu Me Manon OUVRARD représentant M. [X] [L],
Entendu Me Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [X] [L], né le [Date naissance 2] 2004, de nationalité française, a été mis en examen du chef de tentative de meurtre en bande organisée sur personne dépositaire de l'autorité publique le 28 juillet 2021, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Villepinte par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil. Le 18 octobre 2021, le juge d'instruction de cette juridiction l'a remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Le 10 octobre 2022, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de non-lieu partiel, de requalification et de mise en accusation devant la cour d'assises des mineurs du Val-de-Marne portant non-lieu au bénéfice de M. [L]. Cette décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non appel du 13 avril 2023.
Le 17 avril 2023, M. [L] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement à l'audience du 06 mai 2024, de :
Déclarer sa requête recevable ;
Lui allouer les sommes suivantes :
6.000 euros au titre de son préjudice matériel (frais d'avocat) ;
10 000 euros au titre de sa perte de chance de suivre une scolarité ;
30 000 euros au titre de son préjudice moral ;
3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 20 septembre 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :
Réduire à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 10 000 euros, la demande formulée par M. [X] [L] au titre de son préjudice moral ;
Accorder à M. [X] [L] la somme de 5 400 euros au titre de son préjudice matériel lié à ses frais d'avocat ;
Rejeter la demande formulée par M. [X] [L] au titre de son préjudice matériel lié à la perte de chance de poursuivre sa scolarité ;
Réduire à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 900 euros, la demande formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le ministère public, dans ses dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024 soutenues oralement à l'audience, conclut :
A la recevabilité de la demande pour une détention de 82 jours ;
A la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées ;
A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.
En l'espèce, M. [L] a présenté sa requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire le 17 avril 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, ainsi que le certificat de non appel, est signée par son avocat et la décision de non-lieu n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Par conséquent, la requête est recevable pour une détention de 82 jours, soit du 28 juillet au 18 octobre 2021.
Sur l'indemnisation
Sur le préjudice moral
M. [L] soutient qu'il a été placé en détention provisoire à l'âge de 16 ans, qu'il s'agissait de sa première incarcération, et que son casier judiciaire était vierge de toute mention. Il ajoute qu'en plus du choc carcéral, il a vécu un choc psychologique en raison de la nature criminelle de la peine, car il était mis en examen pour des faits de tentative de meurtre sur des personnes dépositaires de l'autorité publique.
L'agent judiciaire de l'Etat indique que le requérant né le [Date naissance 2] 2004 et incarcéré le 28 juillet 2021, a fêté ses 17 ans en détention. Il ajoute que le jeune âge de la personne détenue provisoirement doit être pris en compte, et pourra être retenu comme facteur de majoration du préjudice moral subi. L'agent judiciaire de l'Etat fait valoir qu'il est inexact d'indiquer que le casier judiciaire du requérant est vierge, car ce dernier a été condamné le 27 janvier 2023 par le tribunal correctionnel de Créteil à 6 mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant 1 an et 6 mois pour des faits de vol aggravé et qu'au moment de son incarcération le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire portait déjà trace d'une condamnation à une admonestation pour menace de crime et violence avec usage d'une arme n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, prononcée le 09 juin 2021. Il considère ainsi que l'absence de passé carcéral ne peut pas être retenue comme un facteur de majoration du préjudice moral subi par le requérant.
L'agent judiciaire de l'Etat ajoute également qu'il n'est pas démontré que la nature des faits reprochés a rendu plus difficile les conditions de la détention de M. [L], et l'angoisse à raison de la gravité de l'infraction poursuivie ne pourra être retenue comme facteur d'aggravation de son préjudice moral. Et en ce qui concerne la prise en compte de la situation personnelle et familiale du requérant, ce dernier n'a pas de liens affectifs profonds avec sa famille et aucun élément n'indique qu'il a particulièrement souffert de la séparation avec sa famille et par conséquent la situation personnelle et familiale ne pourra être retenue comme facteur de majoration du préjudice moral subi.
Le Ministère public considère qu'il convient de prendre en considération le jeune âge du requérant, la séparation avec sa famille et le fait qu'il s'agissait de sa première incarcération malgré les deux mentions figurant au bulletin numéro 1 de son casier judiciaire.
Il ressort des pièces produites aux débats qu'au moment de son incarcération M. [L] était âgé de 16 ans, était célibataire et sans enfants. Il s'agissait de sa première incarcération malgré les 2 condamnations prononcées en 2021 et 2023, figurant sur le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire. Il relève des pièces produites aux débats qu'il habitait avec son père, sa belle-mère ainsi qu'avec ses deux frères. Il était scolarisé et devrait passer en terminale. Il a donc subi un choc carcéral important.
Il est de jurisprudence constante que la minorité du requérant au moment de son placement en détention provisoire ouvre droit à une majoration de l'indemnisation au titre du préjudice moral. La jurisprudence admet également que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence une aggravation du préjudice moral. La Commission nationale de réparation des détentions admet également qu'une majoration de l'indemnité accordée au titre du préjudice moral est attribuée lorsque la séparation consécutive au placement en détention provisoire a aggravé la souffrance psychologique inhérente à cette situation.
M.[L], placé en détention provisoire pour des faits tentative d'homicide volontaire, encourait une peine de réclusion criminelle à perpétuité, ce qui a légitimement créer un sentiment d'angoisse de sa part.
C'est ainsi que le choc carcéral subi par le requérant du fait de sa première incarcération, son jeune âge, le choc psychologique lié à la gravité de la peine encourue, ainsi que l'éloignement familial seront retenus comme des critères d'aggravation du préjudice moral.
Par conséquent, au vu de ces différents éléments, il sera alloué une somme de 12.500 euros à M. [L] en réparation de son préjudice moral.
Sur le préjudice matériel
Sur la perte de chance de suivre une scolarité
M. [L] soutient qu'il était scolarisé en classe de Première au lycée [5] à [Localité 8]. Détenu du mois de juillet au mois d'octobre 2021, il a manqué la rentrée scolaire et son entrée en classe de Terminale. Il a été déscolarisé et a abandonné ses études du fait de son incarcération.
Il ajoute qu'il entrait également dans la vie active et bénéficiait d'une promesse d'embauche au sein de la société [6], en qualité de caissier.
L'agent judiciaire de l'Etat soutient que le requérant ne justifie pas avoir été déscolarisé et avoir abandonné ses études du fait de la détention provisoire, alors qu'il avait déjà un parcours scolaire mouvementé.
Le ministère public indique qu'il est difficile de retenir le caractère sérieux de la perte de chance de reprendre le cursus scolaire, dès lors qu'il n'apporte aucune preuve en ce sens. Il ajoute que concernant la promesse d'embauche, il convient de s'interroger sur son caractère sérieux en ce qu'elle est adressée à M. [C] [L].
Il ressort des pièces produites aux débats que M. [L] était scolarisé au moment de son incarcération. Il a été libéré le 18 octobre 2021 et par ordonnance de mise en liberté assortie du contrôle judiciaire, M. [L] était soumis à l'obligation de suivre un enseignement ou une formation. Il devait ainsi poursuivre sa scolarité, ce que visiblement il n'a pas fait. Il n'est pas démontré que la non poursuite de sa scolarité par le requérant alors qu'il pouvait la reprendre dès le 19 octobre 2021, est en lien direct et exclusif avec son placement en détention provisoire.
Concernant la promesse d'embauche, cette dernière est adressée à M. [C] [L], et non à M. [X] [L], ce qui laisse à penser qu'il ne s'agit pas de la même personne.
M. [L] sera donc débouté de sa demande d'indemnisation concernant sa perte de chance de suivre une scolarité.
Sur les frais d'avocat
M. [L] sollicite l'allocation de la somme de 6 000 euros au titre des frais avocat engagé dans le cadre de son placement en détention provisoire.
L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public indiquent que, d'après la jurisprudence constante de la Commission Nationale de la Réparation des détentions, (CNRD), les frais d'avocat ne sont pris en compte, au titre du préjudice causé par la détention, que s'ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté pour y mettre fin. Seules peuvent être pris en compte les factures d'honoraires permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté, dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'indemnisation de la détention de procéder lui-même à cette individualisation.
En l'espèce, M. [L] produit une note d'honoraires de son conseil du 30 janvier 2023, d'un montant total de 9 000 euros HT, soit 10 800 euros TTC.
Cette note d'honoraires est détaillée comme suit :
Interrogatoire de première comparution du 28 juillet 2021 (2000 euros HT) ;
Débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention du 28 juillet 2021 (2500 euros HT) ;
Visite à la maison d'arrêt de [Localité 7] (500 euros HT) ;
Rédaction et dépôt d'une demande de mise en liberté du 8 octobre 2021 (2000 euros HT) ;
Interrogatoire au fond du 4 janvier 2022 (2000 euros HT).
Cependant, seules doivent être prises en considération les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté.
C'est ainsi que seront prises en compte les prestations devant le juge des libertés et de la détention du 28 juillet 2021 et la rédaction et le dépôt d'une demande de mise en liberté du 18 octobre 2021, ce qui correspond à un montant de 4 500 euros HT.
Il sera donc alloué à M. [L] la somme de 4 500 euros HT, soit 5400 euros TTC.
Sur les frais au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons recevable la requête de M. [X] [L] pour une détention d'une durée de 82 jours ;
Allouons à M. [X] [L] :
La somme de 12 500 euros en réparation de son préjudice moral ;
La somme de 4 500 euros HT, soit 5400 TTC en réparation de son préjudice matériel ;
La somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [X] [L] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.
Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ