Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 5
ARRET DU 20 JUIN 2024
(n° 2024/ , 13 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09789 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEXJV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 20/04644
APPELANTE
Madame [L] [I]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Manuel DAMBRIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C 1894
INTIMEE
S.A.S. SPALLIAN
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Guillaume DAUCHEL, avocat au barreau de PARIS, toque : W09, avocat postulant, ayant pour avocat plaidant Me Delphine DAVID-GODIGNON, avocat au barreau de PARIS, toque : K 31
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre et de la formation
Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre
Madame Séverine MOUSSY, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Joanna FABBY
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, prorogée à ce jour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, et par Madame Joanna FABBY, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat de travail à durée indéterminée du 27 novembre 2017 à effet de cette date, la société Spallian (ci-après la société) a embauché Mme [L] [I] en qualité de « comptable unique », statut cadre, classification cadre, position 3.1, coefficient 170 moyennant une rémunération brute annuelle de 50 000 euros payable sur douze mois moyennant une durée de travail hebdomadaire de 35 heures.
Mme [I] a été promue au poste de responsable comptable en juillet 2019.
La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (SYNTEC) et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.
Par lettre recommandée envoyée le 12 mai 2020 et reçue le 18 mai suivant, la société a convoqué Mme [I] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 mai suivant et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée datée du 9 juin 2020, la société a notifié à Mme [I] son licenciement pour faute grave.
Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 9 juillet 2020.
Par jugement du 18 novembre 2021 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Paris a :
- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société Spallian de sa demande reconventionnelle ;
- condamné Mme [I] aux dépens.
Par déclaration du 30 novembre 2021, Mme [I] a régulièrement interjeté appel du jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 octobre 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [I] demande à la cour de :
infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
et, statuant à nouveau,
- juger que son licenciement ne repose pas sur une faute grave ;
- condamner, en conséquence, la société à lui payer :
* 4 583,33 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 5 208,67 euros au titre du salaire durant la mise à pied conservatoire ;
* 520,87 euros au titre des congés payés afférents ;
* 15 000 euros au titre du préavis (3 mois) ;
* 1 500 euros au titre des congés payés afférents ;
- juger que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- condamner, en conséquence, la société à lui payer :
* 17 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (3,5 mois) ;
- dire et juger que le licenciement est intervenu dans des circonstances brutales et vexatoires et condamner de ce chef la société à lui payer :
* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire ;
- condamner la société à lui payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux éventuels dépens ;
- fixer à 5 000 euros la moyenne mensuelle des douze derniers mois de salaire ;
- ordonner d'office à la société le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage qui lui ont été versées en application de l'article L.1235-4 du code du travail ;
- débouter la société de toutes ses demandes ;
- rappeler que les condamnations à intervenir produiront intérêt à compter de la réception de la requête par la société pour les sommes à caractère salarial et à compter du jugement à intervenir pour les autres sommes.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 octobre 2023 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :
confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [I] de l'intégralité de ses demandes ;
- débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
y ajoutant,
- condamner Mme [I] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamner aux dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2023.
MOTIVATION
Sur la rupture du contrat de travail
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
« (') A la suite de cet entretien, nous vous informons que nous avons pris la décision de vous licencier pour faute grave pour les faits exposés ci-après.
Vous avez été embauché le 27 novembre 2017 en qualité de Comptable Unique, statut Cadre, classification cadre position 3.1, coefficient 170 de la convention collective Syntec.
Aux termes de votre contrat, vos principales attributions étaient les suivantes :
Archiver et saisir les données commerciales et patrimoniales sur le logiciel Cegid
Enregistrer les opérations comptables dans les livres comptables
Elaborer les documents de synthèse : comptes de résultat, balances de comptes, comptes d'exploitation ou de résultat, bilans comptables, etc., qui seront vérifiés par l'expert-comptable
Suivre le traitement des factures clients et fournisseurs
Dresser un état mensuel de la situation comptable de l'entreprise et tout reporting nécessaire à la gouvernance et au pilotage du groupe Spallian
Etablir les éléments pour les fiches de paie du personnel, les déclarations sociales et fiscales
Relancer les clients qui n'ont pas payé leurs factures
Gérer les notes de frais
Par la suite, votre poste a évolué et vous êtes devenue Responsable Comptable à compter du mois de juillet 2019.
Malheureusement, nous avons à déplorer plusieurs faits dont la gravité nous amène à vous licencier.
En effet, le 11 mai 2020 au matin, premier jour du déconfinement faisant suite à la crise sanitaire du COVID-19, vous avez été contactée par mail par un individu vous écrivant de l'adresse mail : [Courriel 4]" .
Cette personne se faisait manifestement passer pour Monsieur [R] [D], Président de la société, puisque le courriel était signé « [R] [D] » et qu'il vous écrivait comme s'il était le dirigeant de la société.
Dans ce mail, il vous indiquait que dans le cadre d'une opération financière confidentielle, il était en train de racheter une société basée à l'étranger et il vous invitait à prendre contact avec un certain « Maître [B] » notaire exerçant au sein du cabinet KPMG.
Il précisait qu'il ne devait être fait aucune allusion à ce dossier que ce soit par téléphone ou de vive voix.
Il vous demandait ensuite de virer la somme de 196.770,26 euros dans le cadre de cette opération, à une société chinoise, sur un compte bancaire domicilié en Chine.
Vous avez accusé réception de ces courriels et vous avez ensuite consulté l'état financier de l'ensembles des comptes de la société SPALLIAN, de sa holding, de sa filiale, mais aussi de toutes les sociétés dans lesquelles Monsieur [D] détient des participations, afin de pouvoir réaliser ce virement.
Votre première tentative de virement, réalisée dès le 11 mai 2020, s'est soldée par un échec compte tenu du dépassement du plafond de virement autorisé.
Vous avez alors demandé au prétendu Maître [B] si vous pouviez diviser le paiement en deux virements de 100.000 euros et 96.770,26 euros, ce qu'il a accepté.
Vous avez donc réalisé un virement de 100.000 euros et vous avez tenté de réaliser le second de 96.770,26 euros, mais à nouveau cette tentative n'a pu aboutir compte tenu des plafonds de virements bancaire.
Vous avez dans le même temps été contactée depuis des numéros étrangers à de nombreuses reprises et vous avez même appelé vous-même depuis votre poste fixe, un numéro étranger le 11 mai 2020 à 18h51.
Vous avez par ailleurs été contactée de nombreuses fois sur votre téléphone portable, après avoir vous-même communiqué le numéro via des numéros différents à chaque fois et provenant de l'étranger sans que cela ne vous interpelle, ce que nous avons pu constater lorsque vous nous avez montré votre journal d'appel.
Sans manifestement vous poser plus de questions alors qu'une nuit était passée, le lendemain, vous avez effectué en ligne le second virement de 96.770,26 euros.
Puis, vous étonnant que les virements n'aient pas été effectués suffisamment rapidement, vous avez interpelé le chargé d'affaires de la BNP PARIBAS, banque de la société.
De même, le mardi 12 mai au matin, vous avez interrogé le chargé d'affaires BNP PARIBAS sur les plafonds de découvert par virement bancaire en ligne, et vous avez doublé votre demande en le questionnant sur l'existence ou non d'autorisations de découvert pour toutes les sociétés du Groupe en ce compris les SCI personnelles de Monsieur [D].
Enfin, vous avez communiqué au commanditaire, via l'adresse mail utilisée pour vos échanges, le solde des comptes de toutes les sociétés du groupe et celui des SCI personnelles de Monsieur [D].
Interpelé par ces virements inhabituels, votre focalisation et votre insistance sur le sujet, le conseiller financier de la BNP PARIBAS a contacté Monsieur [D] le 12 mai 2020 afin de s'assurer du bienfondé de ces virements, Monsieur [D], découvrant la supercherie et pensant immédiatement à une escroquerie, a alors immédiatement donné ordre de stopper tout virement et a en outre suspendu toute possibilité d'effectuer des virements depuis l'interface bancaire à distance et bloqué les accès à distance sur les comptes de la société.
Devant la gravité de la situation, vous avez été mise à pied à titre conservatoire, le temps nécessaire à la réalisation d'une enquête interne nous permettant de comprendre le déroulement des faits. Une plainte pénale a également a été déposée.
Il ressort des éléments que nous avons recueillis et de votre témoignage durant l'entretien préalable, que vous avez commis de nombreuses fautes dont l'importance et la gravité sont très préjudiciables pour la société.
*
* *
Vous avez tout d'abord réalisé ces virements en totale violation avec vos attributions.
En effet, en votre qualité de Responsable Comptable et conformément à vos attributions, il vous appartenait de réaliser les virements courants tels que ceux permettant à la société de s'acquitter de ses charges sociales et de la TVA, ou encore les virements auprès de nos fournisseurs et créanciers habituels, soit des entreprises ou organismes situés en France et notoirement connus.
Vous n'êtes pas sans ignorer que nos structures fonctionnent de manière régulière et récurrente, notre association avec la Caisse des Dépôts et des Consignations, nous impose en effet une gestion plus que drastique de nos créanciers et un suivi très rigoureux.
Ainsi, dans le cadre de vos fonctions, et depuis que vous avez intégré la société, vous n'avez jamais été amenée à réaliser d'autres virements que ceux précités.
Vous avez donc effectué les virements frauduleux en totale violation avec vos attributions.
Ensuite, vous avez commis une série de fautes qui constituent des fautes graves.
Il est en effet invraisemblable, a fortiori au regard de votre qualité de Responsable Comptable, que vous ayez ordonné de tels virements et qu'il vous ait échappé que l'ensemble de l'opération était éminemment suspecte.
En premier lieu, parce que vous ne pouvez pas ignorer que la société SPALLIAN ne peut pas avoir comme partenaire commercial une entreprise chinoise puisque notre activité de gestion de data serait impossible à exercer sur le territoire chinois compte tenu de leur politique actuelle, aussi bien d'un point de vue technique que légal.
En deuxième lieu, vous n'ignorez pas que nous n'avons jamais, depuis la création de la société en 1998, procédé au moindre virement à l'international, puisque nous n'avons aucune filiale ni aucun fournisseur en dehors de l'Union Européenne.
En troisième lieu, le montant des virements demandé ne pouvait que vous alerter. En effet, ces montants sont colossaux eu égard aux virements habituellement ordonnés, ce dont vous étiez parfaitement consciente, compte tenu de votre poste de travail.
Lors de notre entretien et lorsque nous vous avons demandé de nous expliquer pour quelles raisons vous aviez communiqué le solde de tous les comptes bancaires de société du Groupe, vous nous avez indiqué que les sommes virées correspondaient en réalité à un acompte de 10% sur le prix de cession annoncé par l'escroc et que vous deviez donc à terme virer 2.000.000 € !
Vous n'avez pourtant et manifestement pas été alertée par ce montant colossal et ce alors que vous n'ignoriez pas non plus que, compte tenu de la crise sanitaire liée au COVID 19, la société faisait face à des défauts de paiement de ses clients et se trouvait alors face à une trésorerie faible. C'est ainsi d'ailleurs que début avril vous avez attiré notre attention sur les difficultés de trésorerie de notre filiale ALTHING si les règlements clients attendus n'arrivaient pas.
Malgré cela, vous n'avez pas hésité à réaliser les virements demandés 'et à rechercher dans les comptes des filiales, mère et SCI personnelles de Monsieur [D] un moyen d'augmenter la capacité de paiement, allant jusqu'à communiquer le solde des comptes de toutes les sociétés.
En quatrième lieu vous n'avez pas été alertée par le mélange des finances des sociétés, parfaitement inhabituel eu égard à notre gestion scrupuleuse.
Par ailleurs, lorsque vous avez demandé par courriel à l'escroc quelle était l'entité concernée, le faux Monsieur [D] vous a rétorqué que cela n'était pas encore défini !.
A cet instant et quelques minutes avant de donner l'ordre de virement, vous n'avez pas été interpelée par le fait que l'entité acheteuse n'était toujours pas définie...
Cette réponse de l'escroc, totalement incohérente compte tenu du caractère prétendument urgent de l'opération (qui devait en être à son terme puisqu'il ne manquait plus que le virement), aurait dû là encore vous faire réagir...
En cinquième lieu, vous n'avez pas non plus été alertée par le fait que les instructions reçues de celui qui ne peut qu'être qualifié d'escroc étaient souvent incohérentes ou incomplètes, non accompagnées d'un justificatif comptable/financier et truffées de fautes d'orthographe, alors que vous savez parfaitement que Monsieur [D] est très attentif à l'orthographe et à la syntaxe.
A titre d'exemple, il était indiqué le « bénéficière » sur le RIB ...
En sixième lieu, vous connaissez parfaitement le nom des conseils avec lesquels nous travaillons. Or, nous n'avons jamais travaillé avec aucun « Maître [B] », ni avec le cabinet KPMG, qui n'emploie d'ailleurs aucun notaire, comme vous le savez parfaitement, ayant déjà travaillé dans un cabinet d'avocat.
De plus, l'adresse donnée de M. [B] était pour le moins étrange « [Courriel 6] ». Pourtant, vous n'avez pas été étonnée qu'un cabinet notoirement connu comme KPMG ait une adresse « protonmail.com ».
En septième lieu, les courriels que vous avez reçus ont été envoyés depuis un Iphone.
Or puisque vous réglez les factures de téléphonie de la société, vous savez parfaitement que Monsieur [D] n'a pas d'Iphone mais un Samsung, comme l'ensemble des salariés de la société ayant des téléphones professionnels.
S'agissant précisément des courriels émanant prétendument de Monsieur [D], vous n'avez pas non plus été interpelée par le fait que l'escroc vous demande d'échanger avec le prétendu Monsieur [D] sur son adresse de messagerie personnelle alors que vous savez parfaitement qu'il n'en a pas, et que pour cette raison vous n'avez jamais pu échanger avec lui par ce biais.
En huitième lieu, vous n'avez pas été interpelée par la modification dans le déroulement des opérations indiqué par celui que vous pensiez être Monsieur [D] dans ses premiers mails.
Malgré ces différences, vous n'avez à aucun moment cherché à voir le vrai Monsieur [D] pour lui faire part de ces difficultés alors même qu'il était toujours dans le bureau d'à côté.
Aucun de ces indices pourtant flagrants, n'a manifestement attiré votre attention.
Au surplus, le bureau de Monsieur [D] est situé à côté du vôtre. Vous le voyez régulièrement pour faire le point sur différents sujets (et ce même durant le confinement), vous êtes en contact régulier par téléphone, ou par mail.
Malgré tout, vous n'avez pas cru devoir le solliciter pour obtenir confirmation de la véracité de la prétendue opération.
Cette attitude est d'autant plus curieuse et fautive que Monsieur [D] était physiquement présent dans les locaux et facilement joignable par téléphone.
L'étendue et l'incongruité de ces fautes et erreurs pourraient même nous pousser à nous questionner sur votre rôle dans l'escroquerie dont la société a été victime'
Durant l'entretien préalable, vous n'avez apporté aucune réponse à ces interrogations légitimes. Nous avons au contraire été encore plus interpelés d'apprendre que les 196.770,24 euros n'étaient qu'un acompte de 10% que vous deviez envoyer aux escrocs et qui expliquait la raison pour laquelle vous vous interrogiez sur les autorisations de découvert et les plafonds de paiement en ligne.
En définitive, vous avez donc réalisé des virements à destination de la Chine pour un montant de 196.770,26 Euros et vous étiez prête à envoyer 1.967.702,60 Euros, ce qui représente plus que le chiffre d'affaires annuel de la société, sur ordre d'une adresse mail suspecte, à destination d'une entreprise avec laquelle la société n'a aucune chance de travailler compte tenu de sa nationalité, alors que le dirigeant, Monsieur [D], se trouvait dans le bureau adjacent au votre et alors que vous n'aviez pas l'autorisation de réaliser des virements autres que des virements courants.
Nous vous informons qu'une plainte a été déposée et que nous nous réservons le droit de porter cette affaire en justice en fonction des résultats de l'enquête.
Compte tenu de ce qui précède, nous sommes contraints, en conséquence, de mettre un terme à votre contrat de travail.
Au regard de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien, même temporaire, dans la Société s'avère impossible. Votre licenciement prend donc effet immédiatement à la date des présentes, sans indemnité de préavis ni de licenciement. (') »
* sur le bien-fondé du licenciement
Mme [I] soutient que son licenciement ne repose ni sur une faute grave ni sur une cause réelle et sérieuse. A cet égard, Mme [I] fait valoir qu'elle a été victime d'une « arnaque au président » qui, grâce à des techniques de manipulation mentale bien étudiées, permet à un escroc d'obtenir des fonds en se faisant passer pour le dirigeant de l'entreprise : repérage d'un maillon faible ; demande de confidentialité ; urgence invoquée pour créer un stress chez la victime et lui faire perdre tout sens du discernement ; mission de confiance pour flatter la victime et la valoriser. Mme [I] fait également valoir que de grandes sociétés ont été piégées par cette arnaque (La Poste, la Caisse d'Epargne, les Galeries Lafayette, Michelin, Intermarché, le promoteur immobilier SEFRI-CIME) ainsi que des collectivités territoriales ; que cette arnaque est connue depuis plusieurs années et que les entreprises sont donc à même d'adopter des mesures de sécurité informatique et de formation des salariés. Mme [I] fait encore valoir qu'elle en a été victime dans un contexte particulier : le premier jour du déconfinement après avoir été la seule salariée présente dans les locaux de l'entreprise pendant le confinement et la seule à côtoyer le dirigeant, M. [R] [D], très nerveux au regard du contexte ; que Maître [B], la personne à contacter lui a été présentée comme étant non pas un notaire mais un avocat du cabinet KPMG par l'escroc qui se faisait passer pour M. [R] [D] ; que la société insiste, avec le recul, sur les indices qui auraient dû la conduire à trouver la demande de virement d'argent suspecte (messages envoyés d'un Iphone alors que M. [D] utilise un Samsung ; adresse électronique protonmail.com utilisée par le bénéficiaire des virements ;') alors que M. [D] ne lui avait pas adressé la parole depuis plusieurs jours et qu'elle s'était donc sentie flattée de la confiance qu'il plaçait en elle en lui demandant de s'occuper des virements en respectant une confidentialité absolue et qu'elle n'avait pas voulu remettre en doute les instructions reçues ; que la double validation exigée par la banque à titre de process de sécurité n'existant pas en interne dans l'entreprise a permis d'interrompre les opérations et d'éviter un préjudice financier. Enfin, Mme [I] fait valoir qu'aucun élément du dossier ne permet dire que le virement de 197 000 euros représentait seulement 10% de la somme demandée ; qu'elle aurait interpellé à plusieurs reprises le chargé d'affaires de la banque pour faire virer les fonds et qu'elle aurait communiqué à l'escroc le solde des comptes des sociétés du groupe et de la SCI personnelle du président. Mme [I] rappelle qu'elle avait déjà eu ponctuellement à s'occuper d'un virement au montant très élevé.
Mme [I] estime que la société s'est emparée de cette arnaque pour la licencier à moindre frais dans un contexte économique tendu et souligne que la société ne lui reproche pas d'avoir méconnu des règles ou des procédures internes de nature à prévenir ce type d'arnaque puisqu'aucune mesure de prévention n'avait été mise en place et ce, alors même que la société se prévaut de liens institutionnels avec le groupe Caisse des Dépôts.
Ce à quoi la société réplique que Mme [I] est une professionnelle avertie disposant d'une grande expérience en qualité de comptable et qu'elle faisait preuve de rigueur dans l'exercice de ses fonctions ; que, dans ces conditions, il est très surprenant et grave qu'elle n'ait pas procédé à des vérifications élémentaires lorsqu'elle a reçu les courriels de l'escroc le 11 mai 2020 et avant de procéder rapidement à des ordres de virement. A cet égard, la société reproche à Mme [I] de ne pas avoir fait de vérifications élémentaires sur le destinataire et d'avoir manqué à son devoir de prudence et de vigilance. Ainsi la société fait-elle valoir que Mme [I] aurait dû obtenir la validation de M. [D] en présence d'une tâche qui n'était pas courante ; qu'en l'occurrence, l'escroc lui avait demandé de réaliser un virement de 200 000 euros sur un compte tenu par une banque en Chine et que, ce montant dépassant le plafond de virement autorisé, Mme [I] avait pris l'initiative de fractionner le virement en deux. La société fait également valoir que Mme [I] ne s'est pas émue de la supposée décision de racheter une société chinoise (entité non précisée ; absence de pièce justificative étayant la demande de virement pour la comptabilité) avec des fonds propres alors qu'elle savait que la société avait des difficultés de trésorerie et qu'au demeurant, l'activité de gestion de data sur le territoire chinois n'est techniquement et légalement pas possible. La société fait encore valoir que Mme [I] aurait dû être alertée par l'amateurisme de l'escroc qui a multiplié les incohérences (faute d'orthographe alors que M. [D] fait attention à l'orthographe ; entité à racheter non définie ; absence de notaire au sein du cabinet KPMG.
En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-9 du code du travail, la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et nécessite son départ immédiat sans indemnité. L'employeur qui invoque une faute grave doit en rapporter la preuve.
La société invoque les griefs suivants :
- la violation par la salariée de ses attributions en procédant aux virements frauduleux ;
- une « série de fautes qui constituent des fautes graves » qui résulte, selon la société, de ce que Mme [I] ne pouvait ignorer les éléments suivants qui auraient dû lui permettre de détecter le caractère suspect de la demande de virement :
* l'activité de la société consistant en la gestion de data est impossible à exercer sur le territoire chinois de sorte qu'avoir une société chinoise comme partenaire est impossible ;
* l'absence de virement à l'international depuis la création de la société en 1998 car la société n'a ni filiale ni fournisseur en dehors de l'Union européenne ;
* le montant du virement demandé était colossal au regard des virements habituellement ordonnés, au surplus dans le contexte de crise sanitaire et de faible trésorerie ;
* le mélange des finances inhabituel et l'entité concernée non encore définie ;
* des instructions incohérentes ou incomplètes de la part de l'escroc, une absence de justificatif comptable / financier, des fautes d'orthographe ;
* la société ne travaille pas avec un Maître [B] ni avec le cabinet KPMG qui n'emploie aucun notaire, l'utilisation par ce cabinet d'une adresse électronique protonmail.com ;
* les courriels reçus ont été envoyés par l'escroc depuis un Iphone alors que M. [D] a un Samsung comme tous les salariés de la société qui ont un téléphone professionnel ; la demande d'échanger sur l'adresse de messagerie personnelle de M. [D] alors qu'il n'en a pas ;
* l'absence de réaction malgré la modification du déroulement des opérations indiqué par l'escroc utilisant l'identité de M. [D] et aucune démarche pour échanger avec le vrai M. [D] alors que celui-ci était dans le bureau à côté du sien et présent physiquement dans les locaux.
Sur la violation par la salariée de ses attributions en procédant aux virements frauduleux
Il résulte des éléments de la cause, notamment du courriel de la personne usurpant l'identité de M. [R] [D] en date du 11 mai 2020 à 17h48, qu'il a été demandé à Mme [I] de virer une somme de 196 770,26 euros au bénéfice de « Qingtian Bozai Trading Co, Ltd » domiciliée en Chine sur un compte ouvert auprès de la banque Shanghai Pudong Development Bank Hangzhou Branch, Lisui Sub-Branch.
La société, qui produit des éléments tendant à démontrer que Mme [I] était habituellement très rigoureuse et scrupuleuse dans la tenue de la comptabilité, ne fournit aucun élément établissant qu'elle ne faisait aucune opération bancaire en dehors de l'Union européenne et ne rapporte pas la preuve du seuil au-delà duquel Mme [I] devait solliciter et obtenir l'accord d'un supérieur hiérarchique avant de valider un virement. Au demeurant, le virement litigieux a été demandé à Mme [I] par une personne qui a utilisé l'adresse électronique habituelle de M. [R] [D] à savoir [Courriel 4] de sorte que, de prime abord, il n'apparaît pas surprenant que Mme [I] n'ait pas sollicité de validation de la part de celui qui lui donnait l'instruction et qui était en principe celui à qui elle demandait une validation.
Par conséquent, ce grief n'est pas constitué.
Sur la série de fautes
L'examen des courriels litigieux des 11 et 12 mai 2020 versés aux débats par la société fait apparaître que :
- dans le premier courriel reçu le 11 mai à 16h06, [R] [D] écrit à [L] [I] :
« [L],
Je traite actuellement une opération financière confidentiel concernant le rachat d'une société basée à l'étranger.
Ce dossier doit rester strictement confidentiel jusqu'à l'annonce officielle qui aura lieu dans nos locaux le mercredi 20 mai 2020.
J'ai mandaté Maître [B] pour traiter ce dossier, merci de prendre contact avec lui par mail afin d'effectuer les paiements nécessaires ([Courriel 5]).
(Ps : j'ai signé une charte de confidentialité totale, ce qui m'amène à ne faire aucune allusion sur ce dossier de vive voix, ni même par téléphone uniquement sur mon mail personnel selon la procédure en vigueur imposée par l'AMF (autorité des marchés financiers). » ;
- en réponse, Mme [I] s'enquiert de l'entité concernée par cette opération financière à 16h09 et à 16h18, elle reçoit comme réponse que l'entité n'est pas encore définie et que Maître [B] lui transmettra plus d'informations.
Les échanges qui s'ensuivront jusqu'au 12 mai 2020 à 9h46 montrent que Mme [I] a eu à c'ur de se montrer efficace dans la réalisation du virement demandé, notamment en procédant à deux virements en raison du seuil maximum autorisé pour un virement.
Dans ce contexte, la société ne produit aucun élément permettant d'étayer son assertion selon laquelle Mme [I], responsable comptable, avait connaissance de la situation mondiale en matière de gestion de data et de ce que son activité se limitait à l'Union européenne (fournisseurs ; flux financiers).
De par sa fonction de responsable comptable, Mme [I] disposait certes des éléments relatifs à la trésorerie de la société et à celle des autres sociétés du groupe et pouvait donc mesurer l'importance du montant de virement au regard des besoins de trésorerie qu'elle avait communiqués à M. [D] le 3 avril 2020 mais les instructions reçues étaient censées émaner du dirigeant de la société. Il ne peut être reproché à Mme [I] de ne pas avoir détecté la fraude aux seuls motifs de la mention « envoyé de mon Iphone » alors qu'il n'est pas démontré qu'elle savait que M. [D] utilisait toujours un Samsung.
La société n'établit pas que Maître [B] s'est présenté à Mme [I] au téléphone avec la qualité de notaire et non d'avocat attaché au cabinet KPMG ni d'ailleurs que Mme [I] ait initié un ou plusieurs appels à destination de Maître [B].
Le courriel du 11 mai 2020 à 16h52 dans lequel se trouvent les soldes de trésorerie de trois sociétés du groupe Spallian émane certes de Mme [I] mais le destinataire n'apparaît pas.
La société n'établit pas non plus que Mme [I] avait connaissance des conseils habituels de la société ni n'explique et ne démontre en quoi la référence à une adresse électronique protonmail.com était suspecte.
Il demeure donc que Mme [I] n'a pas prêté attention à des fautes d'orthographe que M. [D] n'aurait jamais commises (exemple : « bénéficière ») ni à la mention de l'usage d'une messagerie personnelle alors que la messagerie utilisée est professionnelle ; que la réponse selon laquelle l'entité concernée par l'opération justifiant la demande de virement n'était pas encore définie n'a pas éveillé les soupçons de Mme [I] et que celle-ci n'a pas demandé de vive voix à M. [D] s'il était bien l'auteur de la demande de virement à destination d'un compte tenu par une banque chinoise.
Aucun élément du dossier ne permet de considérer que Mme [I] n'a pas été la victime de cette « arnaque au président » - aucune plainte pénale n'ayant été déposée à son encontre.
L'employeur loue les qualités professionnelles habituelles de Mme [I], notamment sa rigueur en matière comptable, et s'en prévaut ici pour considérer que ce qu'il s'est passé les 11 et 12 mai 2020 constitue un manquement à la prudence et à la vigilance qu'il était en droit d'attendre d'une professionnelle comme Mme [I].
Toutefois, Mme [I] verse aux débats des éléments notamment des extraits de la presse écrite sur le développement de ces « arnaques au président » dont d'autres entreprises, y compris de grandes entreprises, ont été victimes et qui mettent en lumière l'habileté des escrocs et la manipulation mentale à laquelle ils ont recours.
La cour observe également que l'employeur ne démontre pas avoir mis en place une procédure interne de sécurisation de la validation des flux financiers pour se protéger de ce type d'arnaque ni avoir dispensé une formation à ses salariés sur les risques liés à la cybercriminalité.
La cour observe encore que la manipulation qui est à l''uvre de la part de l'auteur d'une « arnaque au président » ne peut être ignorée et qu'elle a précisément pour objet de déstabiliser la cible identifiée comme maillon faible.
Il ne peut être reproché à la salariée de ne pas avoir repéré immédiatement les indices qu'une analyse a posteriori révèle alors qu'aucune procédure interne de double validation n'avait pas été mise en place dans l'entreprise.
Pour l'ensemble de ces raisons, le deuxième grief n'est pas caractérisé.
La société ne rapporte pas la preuve de la faute grave alléguée et ne démontre pas non plus l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
Par conséquent, le licenciement de Mme [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* sur les conséquences du licenciement
* sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
En application des articles L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail et 15 de la convention collective, l'indemnité compensatrice de préavis due à Mme [I] correspond au montant des salaires et avantages que la salariée aurait perçus si elle avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis d'une durée de trois mois, soit la somme de 15 000 euros que la société sera condamnée à payer à Mme [I], outre la somme de 1 500 euros au titre des congés payés afférents. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* sur l'indemnité conventionnelle de licenciement
En application des articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail et 19 de la convention collective et eu égard à l'ancienneté de la salariée de deux ans et neuf mois (préavis inclus), la société sera condamnée à payer à Mme [I] une somme de 4 583,33 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau soit en l'espèce entre 3 et 3,5 mois de salaire brut.
Mme [I] a été embauchée en contrat à durée indéterminée à compter du 4 janvier 2021 par le cabinet Norton Rose Fullbright, « partnership de droit étranger », à temps complet en qualité de comptable senior, statut cadre, niveau 2 échelon 2, coefficient 410 de la convention collective du personnel salarié des cabinets d'avocats, moyennant une rémunération annuelle forfaitaire brute de 50 000 euros incluant la prime conventionnelle de 13e mois. La salariée, qui a versé aux débats son contrat de travail, fait valoir qu'elle a certes retrouvé un emploi mais qu'elle a subi une décote sur son salaire de 17% par rapport à celui qu'elle percevait de la société Spallian.
Ce à quoi la société réplique que le quantum sollicité est excessif compte tenu de l'absence de justificatifs et considère que la salariée ne démontre pas avoir subi un préjudice à la hauteur du montant demandé. La société réplique encore que Mme [I] n'a pas justifié des recherches entreprises par elle pour retrouver un emploi puisqu'il apparaît qu'elle a très rapidement retrouvé un travail à compter de janvier 2021.
Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge - 57 ans - de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il sera alloué à Mme [I], en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 15 500 euros, suffisant à réparer son entier préjudice. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.
Sur les autres demandes
* sur le rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire
La cour ayant jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [I] est fondée à obtenir le paiement de la somme de 5 208,67 euros correspondant à la retenue de salaire par suite de la mise à pied à titre conservatoire telle qu'elle résulte du bulletin de paie de la salariée du mois de mai 2020, outre la somme de 520,87 euros au titre des congés payés afférents. La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.
* sur les dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire
Mme [I] soutient qu'elle a été victime d'une « arnaque au président » et que sa probité n'était pas en cause - l'employeur reconnaissant qu'elle était habituellement rigoureuse dans son travail ; qu'en raison de ce contexte, il n'était pas nécessaire de la stigmatiser et de l'accabler en la mettant à pied à titre conservatoire et en la suspectant d'avoir été partie prenante à l'escroquerie.
Ce à quoi la société réplique qu'il incombe à la salariée de démontrer les circonstances vexatoires alléguées et un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi. Elle fait valoir que la mise à pied à titre conservatoire était justifiée le temps pour elle de faire toute la lumière sur les événements compte tenu de la gravité et de l'étrangeté de la situation, d'autant que Mme [I] occupait un poste important dans l'entreprise et qu'elle avait accès aux comptes bancaires et à des informations stratégiques. La société fait encore valoir qu'elle n'a pas abusé de cette procédure puisque l'entretien préalable s'est tenu deux semaines après la convocation et que la notification du licenciement est intervenue une semaine après cet entretien.
Le licenciement peut causer au salarié, en raison des circonstances brutales et vexatoires qui l'ont accompagné, un préjudice distinct de celui résultant de la perte de son emploi et dont il est fondé à demander réparation.
En l'espèce, le seul fait de mettre à pied à titre conservatoire la salariée ne suffit pas à caractériser les circonstances vexatoires alléguées par Mme [I] alors que sa mise à pied à titre conservatoire est intervenue dans un contexte où la situation était grave pour l'entreprise.
Par conséquent, Mme [I] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.
* sur les intérêts
Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.
* sur le remboursement des indemnités de chômage
Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne à la société de rembourser à l'organisme intéressé les indemnités de chômage versées à Mme [I] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités.
* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile
La société sera condamnée aux dépens de première instance et en appel, la décision des premiers juges étant infirmée sur les dépens.
La société sera également condamnée à payer à Mme [I] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée en ce qu'elle a débouté la salariée de sa demande au titre des frais irrépétibles et confirmée en ce qu'elle a débouté l'employeur de sa demande au titre de ces mêmes frais.
La société sera enfin déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [L] [I] de sa demande en dommages-intérêts pour rupture dans des circonstances brutales et vexatoires et en ce qu'il a débouté la société Spallian de sa demande au titre des frais irrépétibles ;
Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que le licenciement de Mme [L] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Spallian à payer à Mme [L] [I] les sommes suivantes :
* 15 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
* 1 500 euros au titre des congés payés afférents ;
* 4 583,33 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 15 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 5208,67 euros à titre de rappel de salaire correspond à la mise à pied à titre conservatoire ;
* 520,87 euros au titre des congés payés afférents ;
Dit que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;
Ordonne à la société Spallian de rembourser à l'organisme intéressé les indemnités de chômage versées à Mme [I] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d'indemnités ;
Condamne la société Spallian à payer à Mme [L] [I] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Spallian aux dépens de première instance et en appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE