Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 10
ARRET DU 27 JUIN 2024
(n° , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06291 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEBOJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/06125
APPELANTE
Madame [B] [T]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Alissar ABI FARAH, avocat au barreau de PARIS, toque : A0536
INTIMEE
S.A.R.L. KRO TAL prise en la personne de son représentant légal
immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 844 579 482
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Aurélie KHAYAT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0714
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique BOST, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre
Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre
Madame Véronique BOST, Conseillère de la chambre
Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE
ARRET :
- contradictoire
- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile prorogé jusqu'à ce jour .
- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 13 mars 2018, Mme [B] [T] a été engagée par la société Hippo Gestion et Cie en qualité de responsable adjointe MDHS par contrat à durée indéterminée. Cette société a été reprise par la société Kro Tal.
La convention collective applicable était celle des Hôtels, cafés et restaurant.
Le 8 juillet 2019, Madame [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 21 septembre 2020, le médecin du travail a déclaré Madame [T] inapte en précisant que son inaptitude faisait obstacle à tout reclassement.
Par courrier du 30 septembre 2020, Madame [T] a été convoquée à un entretien préalable.
Le 16 octobre 2020, la société Kro Tal a licencié Madame [T] pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 28 octobre 2021, Madame [T] a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement, demander la jonction des deux instances et solliciter diverses condamnations à l'encontre de la société Kro Tal.
Par jugement rendu le 25 mai 2021, notifié aux parties le 14 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Paris, dans sa formation paritaire, a statué comme suit :
- déboute Madame [T] de ses demandes,
- déboute la société Kro Tal de sa demande reconventionnelle,
- les parties sont déboutées du surplus, et conserveront à leurs charges respectives les frais et dépens engagés au titre de la présente instance.
Le 9 juillet 2021, Madame [T] a interjeté appel de la décision du conseil de prud'hommes de Paris.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 23 janvier 2024, Madame [T], appelante, demande à la cour de :
In limine litis
- rejeter la demande d'écarter les pièces de l'appelante telles que visées au bordereau signifié via RPVA le 8 octobre 2021
Au fond
- infirmer le jugement en ce qu'il a considéré recevable la pièce adverse n°12 constituée d'une vidéo prise par Monsieur [J] [F] le 26 janvier 2019
Statuant à nouveau,
- ordonner le rejet des débats de la pièce adverse n°12 constituée d'une vidéo prise par Monsieur [J] [F] le 26 janvier 2019 et pièce adverse n°13
Sur la rupture du contrat de travail,
- fixer la moyenne sa moyenne de salaire à la somme de 2 698,18 euros bruts
A titre principal
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de l'employeur pour manquements graves et répétés à ses obligations
Statuant à nouveau,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts et griefs exclusifs de l'employeur pour manquements graves et répétés à ses obligations,
- fixer la date de la rupture au 16 octobre 2020, date de son licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement,
- dire et juger, que cette rupture entraîne les conséquences d'un licenciement nul et à titre subsidiaire d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande à titre d'indemnité pour licenciement nul et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à verser à lui verser la somme de 21 420 euros pour nullité et mesure discriminatoire pour état de santé,
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 21 420 euros (en écartant le barème Macron) et à titre infiniment subsidiaire 9 443,63 euros pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
A titre subsidiaire
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a déclaré le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement comme reposant sur une cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
- dire et juger ce licenciement nul,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre d'indemnité pour licenciement nul et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 21 420 euros pour nullité et mesure discriminatoire pour état de santé,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger le licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle et impossibilité de reclassement dépourvu de cause réelle et sérieuse l'inaptitude résultant de manquements de l'employeur
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 21 420 euros (en écartant le barème Macron) et à titre infiniment subsidiaire 9 443,63 euros pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
En tout état de cause,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre d'indemnité de préavis et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 636,36 euros à titre de solde d'indemnité équivalente au préavis,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a débouté de sa demande à titre de dommages et intérêts pour violation de son obligation de sécurité et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 10 000 euros pour non-respect de son obligation de santé et de sécurité,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a débouté de sa demande à titre de dommages et intérêts pour paiement tardif du salaire de janvier et février 2019 et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à verser à lui verser la somme de 2 250 euros pour paiement tardif du salaire de janvier-février 2019,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre de dommages et intérêts pour absence et délivrance tardive des bulletins de paie de décembre 2018, janvier à mai 2019 et de juin 2019 à mai 2020 et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 2 250 euros pour absence et délivrance tardive des bulletins de paie de décembre 2018, janvier à mai 2019 et de juin 2019 à mai 2020,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre de dommages et intérêts pour discrimination pour état de santé et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 10 000 euros pour discrimination pour état de santé,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre de dommages et intérêts pour déclaration tardive d'accident du travail et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser la somme de 3 750 euros pour déclaration tardive d'accident du travail,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à titre de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l'absence de mise en place du CSE et statuant à nouveau condamner la société Kro Tal à lui verser 3 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l'absence de mise en place du CSE,
- condamner la société Kro Tal à la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- assortir les condamnations des intérêts au taux légal avec capitalisation,
- condamner la société Kro Tal aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 janvier 2024, la société Kro Tal, intimée demande à la cour de :
- juger irrecevables les pièces figurant au bordereau de communication de pièces n°1 de Madame [T], numérotées 1 à 56 ;
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 25 mai 2021 en ce qu'il a :
- fixé le montant du salaire mensuel brut moyen de Madame [T] à 2 300 euros ;
- débouté Madame [T] de l'intégralité de ses demandes ;
Y ajoutant :
- condamner Madame [T] à verser à la société Kro Tal la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Madame [T] aux entiers dépens de l'instance.
Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 février 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le rejet des pièces visées sur le bordereau de communication de pièces
La société Kro Tal soutient que Madame [T] n'a pas communiqué les pièces visées à son bordereau dans le cadre de la procédure d'appel.
Mme [T] soutient que le bordereau des pièces déposé le 8 octobre 2021 est strictement identique à celui des pièces communiquées en dernier état lors de la procédure de première instance. Ainsi, elle affirme que les pièces qu'elle a visées par le bordereau étaient connues de l'intimé. Elle se prévaut de la jurisprudence selon laquelle il n'y a pas lieu d'écarter les pièces non communiquées simultanément aux conclusions dès lors que le défaut de simultanéité n'a pas entravé les droits de la défense de la partie qui le dénonce et que le principe du contradictoire a été respecté.
L'article 132 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2011, dispose que la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance. La communication doit être spontanée.
Il résulte de ce texte qu'il n'y a pas d'exception à l'obligation de communiquer pour les pièces déjà produites en première instance.
La cour retient qu'il n'est pas contesté que Mme [T] n'a pas produit en cause d'appel les pièces numérotées 1 à 56 sur le premier bordereau qu'elle a notifié, arguant de ce que ces pièces avaient déjà été produites en première instance. En conséquence, ces pièces seront déclarées irrecevables faute d'avoir été régulièrement produites en cause d'appel.
Les pièces numérotées 1 à 56 sur le bordereau notifié le 8 octobre 2021 sont rejetées des débats.
Sur le rejet des pièces n°12 et n°13 produites par la société Kro Tal
Mme [T] affirme que la vidéo produite par la société Kro Tal a été réalisée à son insu et constitue une preuve illicite qui doit en conséquence être écartée des débats.
La société Kro Tal soutient que la vidéo prise de l'altercation ne provient pas d'un système de vidéo-surveillance mis en place par l'employeur à l'insu des salariés pour les surveiller dans l'exercice de leurs fonctions mais qu'elle a été prise par un collègue, témoin de l'altercation. Elle ajoute que cette vidéo a été réalisée par un salarié qui s'entretenait avec Mme [T] de sorte qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle était filmée. Elle soutient que cette vidéo est indispensable à la découverte de la vérité et à l'exercice des droits de la défense.
Dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
En l'espèce, la vidéo réalisée par un autre salarié porte atteinte à la vie privée de Mme [T], qui quand bien même elle aurait su être filmée n'a pas donné son consentement à cet enregistrement. Cependant, cette atteinte à la vie privée de Mme [T], filmée sur son lieu de travail pendant une période très brève, est limitée. L'atteinte ainsi portée à sa vie privée n'apparaît pas disproportionnée alors que la production de cette vidéo est indispensable à l'exercice par la société Kro Tal de son droit à la preuve.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la résiliation du contrat de travail
Il résulte des dispositions des articles 1224 et 1228 du code civil qu'un contrat de travail peut être résilié aux torts de l'employeur en cas de manquement suffisamment grave de sa part à ses obligations contractuelles.
Lorsque le salarié est licencié postérieurement à sa demande de résiliation, cette dernière, si elle est accueillie, doit produire ses effets à la date du licenciement.
Madame [T] soutient que le caractère grave et répété des manquements de la société Kro Tal justifie la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Elle invoque, à titre des manquements de l'employeur :
- une discrimination en raison de l'état de santé
- le manquement de l'employeur à son obligation de santé et de sécurité de moyen renforcé dans le cadre d'une agression physique
- la déclaration tardive d'accident du travail
- le retard dans le paiement des salaires
- la délivrance tardive des bulletins de paie.
Il convient d'examiner en premier lieu la discrimination dont Mme [T] se dit victime.
L'article L. 1132-1 du code du travail inclus dans le chapitre 2 fixant les règles sur le principe de non-discrimination et inclus dans le titre III intitulé Discriminations, prohibe toute mesure discriminatoire directe ou indirecte du salarié, à raison notamment de son état de santé.
Selon l'article L. 1132-4 du code du travail, toute disposition tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre est nul.
L'article L. 1134-1 du même code aménage les règles de preuve pour celui qui s'estime victime de discrimination. Aux termes de cet article, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Mme [T] soutient qu'alors que préalablement à son arrêt pour maladie, elle effectuait en alternance une semaine d'ouverture, une semaine de fermeture, le jour de son retour, Mme [V] a modifié les plannings et l'a placée en fermeture pour les trois semaines suivantes. Elle soutient que l'attitude de Mme [V] est discriminatoire et tendait à la sanctionner de ses arrêts pour maladie. Elle ajoute que cette dernière a volontairement initié une dispute et que l'employeur a réagi en tentant de l'évincer.
Les pièces de Mme [T] ayant été rejetées, celle-ci n'établit pas la matérialité des faits dont elle se prévaut pour soutenir qu'elle aurait fait l'objet d'une discrimination liée à son état de santé.
Mme [T] fait également grief à son employeur d'un manquement à son obligation de sécurité. Elle expose à cet égard qu'à son retour d'arrêt maladie, le 26 janvier 2019, alors qu'elle voulait prendre en photos les plannings établis par Mme [V], celle-ci s'est jetée sur elle et l'a griffée. A la suite de l'agression elle affirme avoir informé son employeur par SMS et avoir porté plainte au commissariat. Elle indique qu'il lui a été prescrit 10 jours d'ITT. Elle affirme que l'employeur l'a écartée avant d'avoir tenté de reconstituer les faits ou de réunir des preuves et qu'il a toujours remis en cause les conséquences que l'agression a eu sur son état. Mme [T] soutient qu'à la suite de sa plainte pénale, Mme [V] a été sanctionnée d'un rappel à la loi.
La société Kro Tal conteste la version des faits de Mme [T] et conteste avoir commis la moindre faute dans sa manière de gérer l'incident. Elle affirme qu'à son retour, Mme [T] a invectivé Mme [V] à propos des plannings alors que cette dernière lui expliquait qu'ils étaient provisoires. Elle soutient que plusieurs témoignages corroborent la version de Mme [V]. La société affirme que la vidéo démontre que Mme [T] a fait preuve d'une grande virulence. Concernant le rappel à la loi de Mme [V], la société affirme qu'il a été suivi d'un classement sans suite. Elle ajoute qu'il ne peut en être tiré aucune conséquence quant à une faute de sa part. La société Kro Tal soutient que la dispense d'activité n'a pas la nature d'une sanction, qu'elle n'a eu aucune conséquence financière pour Mme [T] et que cette dispense avait pour but de faire la lumière sur les évènements et de répondre à la demande de Mme [T] de conclure une rupture conventionnelle.
La cour relève que Mme [T] évoque les suites de l'incident du 26 juin 2019 et non l'incident lui-même. Elle ne soutient pas que l'altercation elle-même trouverait sa cause dans un manquement de l'employeur.
La cour retient que la dispense d'activité que l'employeur a accordée à Mme [T] à la suite de l'altercation du 26 janvier 2019, qui a permis à celle-ci de ne pas revenir sur son lieu de travail alors qu'elle déposait plainte pour agression, ne saurait caractériser un manquement de celui-ci à son obligation de sécurité.
Ce manquement n'est pas caractérisé.
Mme [T] soutient que la société Kro Tal n'a pas procédé dans les temps à la déclaration d'accident du travail. Elle affirme avoir demandé à son employeur de réaliser la déclaration, et avoir finalement dû la réaliser elle-même. Mme [T] soutient que cette déclaration a été faite le 9 avril 2019 pour des faits s'étant déroulés le 26 janvier 2019.
La société Kro Tal expose que lors de l'arrivée de M. [R] sur les lieux lors de l'altercation, il n'a pas constaté la moindre trace de lésion. Elle affirme que la vidéo qu'elle produit corrobore le fait que les lésions n'étaient pas visibles à l''il nu. Elle en déduit que M. [R] n'avait pas de raison d'effectuer de déclaration à ce stade. La société ajoute que Mme [T] ne lui a jamais adressé dans les délais requis les certificats de constatation des lésions qu'elle a ultérieurement produits devant le conseil de prud'hommes. Elle ajoute que Madame [T] a elle-même procédé à la déclaration de sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice.
La cour retient qu'alors que la matérialité de l'altercation entre les deux salariés au temps et au lieu du travail n'était pas contestée, l'employeur ne pouvait pas se dispenser de procéder à une déclaration d'accident du travail au motif qu'il n'aurait pas contesté de lésions sur Mme [T].
Ce manquement est caractérisé.
Mme [T] reproche à l'employeur un retard dans le paiement de ses salaires. Elle expose que le paiement de son salaire de la période du 26 janvier au 18 février 2018 a été effectué en mars 2020 et indique avoir demandé à plusieurs reprises le paiement de son salaire du 26 janvier au 18 février.
La société Kro Tal expose qu'elle a connu des difficultés en raison d'un changement de comptable et indique s'être aperçue tardivement que le virement qui devait être effectué par son ancien cabinet comptable n'était pas passé.
Ainsi, le retard de près de deux ans du paiement des salaires de Mme [T] est établi. L'employeur affirme sans apporter aucun élément de preuve à cet égard que ce retard serait lié à un changement de comptable. Il ressort des pièces qu'il produit que Mme [T] a sollicité à plusieurs reprises le paiement de ses salaires de sorte qu'il ne pouvait ignorer que le paiement n'était pas intervenu.
Le manquement de l'employeur à son obligation de paiement des salaires est établi.
Mme [T] fait enfin valoir que ses bulletins de paie de décembre 2018, de janvier à mai 2019 lui ont été délivrés tardivement et que ses bulletins de paie de juin à mai 2020 ne lui ont pas été délivrés. Elle soutient avoir demandé à plusieurs reprises à son employeur la remise de ses bulletins.
La société Kro Tal indique que ces différentes périodes (arrêt maladie, dispense d'activité rémunérée et arrêt maladie suite à l'accident du travail) ont été sources de difficultés pour le cabinet comptable car elles donnent lieu à l'application de règles différentes. La société affirme que tout a été régularisé le 9 avril 2019.
Les difficultés invoquées par l'employeur sont insuffisantes à justifier l'absence de remise de bulletins de paie à la salariée. Ce manquement est également caractérisé.
Il se déduit de ces éléments que l'employeur a manqué à plusieurs de ses obligations, dont celle de verser à Mme [T] son salaire.
Au regard de la gravité de ces manquements, il convient de prononcer la résiliation du contrat de travail à la date du 16 octobre 2020.
La discrimination dont se prévaut Mme [T] n'étant pas établie, la résiliation judiciaire aura les conséquences d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mme [T] sollicite un complément d'indemnité de préavis, indiquant que le salaire de référence retenu pour le calcul de l'indemnité de préavis que l'employeur lui a versée est erroné. Au vu des bulletins de paie produits par l'employeur, Mme [T] peut effectivement prétendre à un complément d'indemnité de licenciement à hauteur de 636,36 euros.
Mme [T] sollicite que le barème de l'article L.1235-3 du code du travail soit écarté. Elle soutient à cet égard que le barème ne permet pas une indemnisation adéquate et approprié conformément aux dispositions de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT. Elle ne s'explique néanmoins pas sur l'inadéquation qu'elle allègue au regard de sa situation.
La cour retient que les dispositions des articles L.1235-3 permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et sont de nature à permettre une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la convention n°158.
En application de l'article L.1235-3 du code du travail, Mme [T] qui comptait plus de deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant plus de onze salariés, pouvait prétendre à une indemnité comprise entre 3 mois et 3,5 mois de salaire.
Il lui sera alloué la somme de 8 100 euros.
Sur les demandes de dommages et intérêts en réparation des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail
Mme [T] sollicite des dommages et intérêts en réparation des différents manquements dont elle fait grief à l'employeur.
La cour ayant retenu que le manquement de ce dernier à son obligation de sécurité n'était pas caractérisé, Mme [T] sera déboutée de sa demande à ce titre.
En ce qui concerne le paiement tardif des salaires de janvier et février 2019, si ce manquement est caractérisé, Mme [T] sollicite des dommages et intérêts à hauteur de 2 250 euros sans alléguer aucun préjudice résultant de ce retard. Le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.
Elle sollicite la même somme au titre de la remise tardive des bulletins de paie mais là encore sans justifier du préjudice qu'elle aurait subi en conséquence de ce retard. Le jugement sera là encore confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.
Mme [T] sollicite également des dommages et intérêts au titre de la discrimination en raison de son état de santé. La cour ayant retenu que la discrimination n'était pas caractérisée, Mme [T] sera déboutée de sa demande à ce titre.
Elle sollicite encore des dommages et intérêts pour déclaration tardive de l'accident du travail. Là encore, elle ne caractérise aucun préjudice résultant de ce retard. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur l'absence de mise en place du CSE
Madame [T] soutient que le procès-verbal de carence lors des élections professionnelles contient plusieurs incohérences. Elle affirme que la mise en place du CSE a été tardive. Elle soutient que cette absence de représentation du personnel lui a causé un préjudice.
La société Kro Tal soutient qu'il n'y a pas eu de candidat aux élections professionnelles qui ont été organisées au mois d'août 2020. Elle indique que le procès-verbal de carence établi le 24 septembre 2020 n'a fait l'objet d'aucune contestation judiciaire.
La société Kro Tal ne conteste pas le retard avec lequel elle a organisé les élections. Elle souligne que ce retard n'a causé aucun préjudice à Mme [T].
La cour relève que le procès-verbal de carence est antérieur à la convocation de Mme [T] à un entretien préalable.
Le retard dans l'organisation des élections professionnelles n'a causé aucun préjudice à Mme [T].
Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les autres demandes
La société Kro Tal sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
Elle sera également condamnée à payer à Mme [T] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [B] [T] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses demandes indemnitaires subséquentes
Statuant à nouveau et y ajoutant,
REJETTE les pièces numérotées 1 à 56 sur le bordereau notifié le 8 octobre 2021 par Mme [B] [T]
DIT n'y avoir lieu à rejeter les pièces n°12 et n°13 produites par la société Kro Tal
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [B] [T] aux torts de l'employeur à la date du 16 octobre 2020
DIT que la résiliation judiciaire a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
CONDAMNE la société Kro Tal à payer à Mme [B] [T] les sommes de :
- 636,36 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement
- 8 100 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt, en application de l'article 1154 devenu l'article 1343-2 nouveau du code civil,
CONDAMNE la société Kro Tal aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE