REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
ARRET DU 02 JUILLET 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19209 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CITJS
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Novembre 2023 -Juge de la mise en état du Tribunal Judiciaire de PARIS RG n° 22/04356
APPELANTES
S.A. MMA IARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine EGRET de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Charlotte POIVRE, avocat au barreau de PARIS
Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Catherine EGRET de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Charlotte POIVRE, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
Madame [G] [W] [R]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Virginie KOERFER BOULAN de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0378, avocat postulant
Représentée par Me Clément RAINGEARD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant substitué par Me Manon VINCENT, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [Y] [H]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Défaillant
S.A.R.L. REUNION CHAUDRONNERIE MAINTENANCE
[Adresse 8] '
[Localité 7]
Représentée par Me Virginie KOERFER BOULAN de la SCP BOULAN KOERFER PERRAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0378, avocat postulant
Représentée par Me Clément RAINGEARD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant substitué par Me Manon VINCENT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Mme Nicole COCHET, Magistrate Honoraire juridictionnel chargée du rapport
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 02 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
La Sarl Réunion Chaudronnerie Maintenance - ci après 'la société RCM'- et sa gérante Mme [W] [R], ayant mandaté courant 2011 M. [Y] [H], avocat, pour les assister et représenter dans le cadre de litiges les opposant aux consorts [U], ont suivant acte du 25 mars 2022 engagé contre ce dernier une action en responsabilité professionnelle devant le tribunal judiciaire de Paris, lui reprochant d'avoir perdu leurs actions en justice, toutes aujourd'hui prescrites, faute qu'il ait initié les procédures qu'il avait reçu de leur part mission d'engager devant le tribunal judiciaire de Saint Denis de la Réunion.
Par acte du 25 septembre 2023, M. [H] a fait assigner en intervention forcée ses assureurs les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles et dans le même temps, par conclusions du 24 septembre 2023, il a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir dire prescrite l'action en responsabilité formée par ses clientes.
Par ordonnance du 9 novembre 2023 rendue en l'absence des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, le juge de la mise en état a rejeté la fin de non recevoir ainsi invoquée et fixé entre les parties un calendrier pour la poursuite de la procédure au fond, les dépens de l'incident étant mis à la charge de M. [H] et le surplus des frais et dépens réservés.
Par déclaration du 30 novembre 2023, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions régulièrement notifiées et transmises par voie électronique le 19 mars 2024, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :
- recevoir en leur appel, le déclarer bien fondé,
- débouter la société RCM et Mme [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
- infirmer l'ordonnance rendue le 9 novembre 2023 par le juge de la mise en état en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'elle a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [Y] [H],
- renvoyé l'affaire à la mise en état du 4 avril 2024,
- condamné M. [Y] [H] aux dépens de l'incident ;
Statuant à nouveau, de
- déclarer irrecevable comme prescrite l'action dirigée par la société RCM et Mme [W] à l'encontre de M. [Y] [H], et en conséquence,
- déclarer sans objet l'intervention forcée régularisée par M. [Y] [H] à l'encontre des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles,
- déclarer l'instance éteinte,
- condamner solidairement la société RCM et Mme [W] à leur verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens dont recouvrement direct au profit de maître Catherine Egret, qui affirme en avoir fait la plus grande avance en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions régulièrement notifiées et transmises par voie électronique le 27 mars 2024, Mme [W] [R] et la société RCM demandent à la cour de :
- confirmer l'ordonnance rendue le 9 novembre 2023 par le juge de mise en état en toutes ses dispositions, en ce qu'il a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [Y] [H],
- renvoyé l'affaire à l'audience de mise en état du 4 avril 2024 à 9 heures 30 pour être clôturée et fixée pour plaidoiries,
- condamné M. [Y] [H] aux dépens de l'incident, le surplus des frais et dépens de l'instance étant réservé ;
Statuant de nouveau, de
- débouter les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances mutuelles et M. [H] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
- déclarer leur action non prescrite,
- condamner les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances mutuelles et M. [H] à leur verser solidairement la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [H], à la personne duquel les conclusions des intimés ont été signifiées par acte d'huissier le 29 mars 2024, n'a pas constitué avocat.
SUR CE
Après avoir rappelé que la prescription applicable était la prescription de cinq ans à compter de la fin de la mission de l'avocat prévue par l'article 2225 du code civil, et que la mission confiée à M. [H] étant de conduire des procédures obéissant au régime de la représentation par avocat obligatoire, il ne pouvait selon l'article 419 du code de procédure civile en être déchargé que par son remplacement par un nouveau confrère, le juge de la mise en état a constaté que ce remplacement n'était intervenu que le 23 mai 2017, ce dont il a déduit que M. [H] échouait à rapporter la preuve, lui incombant, de ce qu'il avait été mis un terme à sa mission plus de cinq ans avant la délivrance à son encontre de l'assignation du 25 mars 2022, et il a en conséquence écarté la fin de non recevoir invoquée.
Les appelantes soulignent tout d'abord que M.[H] les a appelées à sa garantie en les faisant assigner pour une date d'audience erronée, leur interdisant d' assurer leur défense devant le juge de la mise en état.
Elles rappellent, quant aux faits qu'elles reprochent à M. [H], que sur les inquiétudes manifestées par Mme [W], ce dernier, après avoir laissé croire que les juridictions étaient saisies des assignations dont il leur avait adressé les projets, et que les procédures étaient en cours d'instruction, leur a finalement avoué courant 2017 n'avoir en réalité fait délivrer aucun acte, les procédures étant à cette date prescrites et toute possibilité d'agir éteinte. Pour autant, il n'a pas déféré à l'invitation formulée le 24 mai 2017 par leur nouveau conseil d' effectuer une déclaration de sinistre.
Elles indiquent que les dispositions de l'article 419 du code de procédure civile ne sont applicables que dans le cas où la décision de mettre un terme au mandat est à l'initiative de l'avocat lui-même, et qu'en l'occurrence la situation n'est pas celle de ce texte, mais celle de l'article 418 du même code, relatif au cas où le mandataire est révoqué par la partie elle même, la fin de mission de l'avocat ainsi révoqué intervenant dès la révocation, et la charge de pourvoir à son remplacement incombant alors au client qui a mis un terme à son mandat, sauf à voir dire sa décision inopposable à la partie adverse s'il ne procède pas à ce remplacement.
Elles considèrent qu'à la date du 5 décembre 2016 à laquelle Mme [W] a adressé au bâtonnier une plainte contre 'son ancien avocat', les recours étaient prescrits, en sorte que la mission de représentation et d'assistance de M. [H] s'est nécessairement achevée au plus tard à cette date, qui remonte à plus de cinq ans avant la délivrance de l'assignation en responsabilité à son encontre.
Elles demandent à la cour, si elle devait retenir que l'expiration des délais de prescription des actions relevant de la mission qui lui était confiée ne suffit pas à dater la fin de la mission de M. [H], de constater que toute relation entre lui et les intimées avai(en)t cessé à partir de novembre 2016, date à laquelle les dossiers lui avaient été retirés par les clientes, et en tout cas à partir de la lettre du 5 décembre 2016 dont les termes établissent sans équivoque que M. [H], qualifié 'mon ancien avocat' par Mme [W], avait été révoqué par celle-ci, en amont, et en tout cas au plus tard à cette date, sans que doive intervenir la désignation d'un nouvel avocat, puisqu'aucune action n'était engagée.
Elles soutiennent qu'en aucun cas la plainte adressée par Mme [W] n'a pu suspendre le délai de prescription, un tel effet suspensif de la saisine du conseil de l'Ordre n'étant prévu qu'en ce qui concerne les avocats aux Conseils.
Elles précisent à titre subsidiaire que si la cour devait déduire de l'inaction complète de M. [H] qu'il n'a jamais eu de mission de représentation et d'assistance, elle devrait alors constater, faisant application des dispositions de l'article 2224 du code civil, que, les appelantes avaient connaissance le 5 décembre 2016 au plus tard des faits leur permettant d'exercer l'action en responsabilité,et que plus de cinq années s'étant écoulées entre cette date et celle de la délivrance de l'assignation en responsabilité, la prescription serait tout aussi acquise sur ce fondement.
Mme [W] et la société CRM, adoptant la motivation de l'ordonnance dont appel, soutiennent que la prescription courant du jour où il est mis fin à la mission de l'avocat, et la preuve de cette date incombant à M. [H], à défaut pour lui de l'établir et notamment de prouver que Mme [W] aurait repris ses dossiers en novembre 2016 ainsi qu'il le prétend, sa décharge n'a pu intervenir qu'à la date où elles ont changé de conseil, soit le 23 mai 2017, moins de cinq ans avant l'engagement le 22 mars 2022 de l'action en responsabilité, qui n'est donc pas prescrite.
Elles ajoutent que si la cour devait estimer que le délai a commencé à courir le 5 décembre 2016, le courrier adressé à cette date au bâtonnier par Mme [W] avait pour objet une demande de taxation de ses honoraires, ce que confirment les termes de la réponse du bâtonnier en date du 13 janvier 2017, cette demande suspendant l'action en responsabilité pour le délai de quatre mois ouvert au bâtonnier pour statuer sur la demande ayant par conséquent repoussé le point de départ de la prescription jusqu'au 13 mai 2017.
Il n'est pas discuté que M. [H] ait été investi courant 2011 par Mme [W] et la société CRM de la mission de les représenter et assister dans le cadre de procédures qu'il devait engager devant le tribunal de grande instance -aujourd'hui tribunal judiciaire - de Saint Denis de la Réunion.
La prescription encourue est donc celle de l'article 2225 du code civil, lequel prévoit que 'l'action en responsabilité contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, ... se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission'.
Selon les dispositions de l'article 13 du décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession, l'avocat conduit jusqu'à son terme l'affaire dont il est chargé, sauf si son client l'en décharge ou s'il décide de ne pas poursuivre sa mission. La fin de mission peut donc procéder :
- soit de la volonté de l'avocat missionné, ce qui au terme des dispositions de l'article 419 du code de procédure civile l'oblige, pour être effectivement déchargé, à informer son client et, lorsque la procédure dont il entend se désinteresser relève comme en l'espèce du régime de la représentation obligatoire, à ne pouvoir se retirer du dossier qu'après s'être lui-même assuré d'être substitué par un autre représentant dans la défense des intérêts de ses clients,
- soit de celle de son client, auquel il incombe alors, selon l'article 418 du même code, de pourvoir lui-même au remplacement du mandataire qu'il révoque, dont la mission se termine immédiatement quoi qu'il en soit de l'effectivité ou non de son remplacement.
Il n'est pas discuté que M. [H] n'ait pas accompli la mission qui lui avait été confiée.
Pour autant, il n'apparaît pas que cette carence ait procédé d'une volonté de sa part de s'en décharger, qu'il n'a jamais exprimée auprès de ses clientes, lesquelles ont au contraire déclaré que jusque courant 2017, leur conseil leur a laissé croire qu'il menait à bien les diligences dont son mandat lui donnait la charge. Il en résulte que contrairement à ce qu'a jugé la décision dont appel, les dispositions de l'article 419 susvisé n'ont pas vocation à s'appliquer.
Les intimées ne contestant pas que M.[H] ne soit plus à ce jour leur conseil, il incombe à la cour, en l'absence de tout courrier ou échange qui ferait la preuve d'une révocation expresse de leur part, de rechercher à quelle date celle-ci est implicitement intervenue.
Aucune décision n'ayant jamais été rendue, faute qu'une juridiction ait été saisie par M. [H] de quelque demande que ce soit, aucun recours ne pouvait non plus être formé sur celle-ci. La jurisprudence invoquée par les appelantesselon laquelle la fin de mission procède de l'expiration du délai de recours 'contre la décision ayant terminé l'instance pour laquelle l'avocat avait reçu mandat...', manifestement réservée aux cas où l'avocat est recherché en responsabilité professionnelle pour n'avoir pas interjeté appel dans les délais d'une décision dont il avait conduit la procédure à terme en première instance, n'est donc pas pertinente pour déterminer la date de fin de la mission de M. [H].
Il reste dès lors à rechercher, pour déterminer cette date, à quel moment les parties ont cessé toute relation.
Il n'est pas contestable que tel était bien le cas au plus tard à la date du 5 décembre 2016 à laquelle Mme [W] a saisi le bâtonnier, pour se plaindre de l'inaction de M. [H] et réclamer le remboursement des honoraires versés en pure perte, sans formuler de réclamation relative à la restitution de pièces ou dossiers, et en le nommant comme 'son ancien avocat', ce qui établit qu'elle avait mis fin à son mandat.
Même interprétée en une contestation d'honoraires, comme l'a fait le bâtonnier en invitant M. [H] par lettre du 13 janvier 2017 à venir s'expliquer devant lui sur ce point - le seul parmi ceux invoqués dans le courrier sur lequel il avait compétence -, cette réclamation n'a pu avoir l'effet suspensif revendiqué par les intimées, prévu pour les seules procédures en responsabilité à l'encontre de membres de l'ordre des avocats aux Conseils en raison de la subordination de leur engagement à un avis préalable obligatoire de leur Conseil de l'ordre, ce qui n'est nullement le cas pour les avocats à la cour.
Ainsi, si ce courrier du 5 décembre 2016 ne fixe pas la date certaine de la révocation de M. [H] par les intimées, il établit que celle-ci avait nécessairement eu lieu antérieurement à cette date, et non pas seulement à la date de la saisine de leur nouveau conseil le 23 mai 2017, la tardiveté de cette démarche qui procède de leur seul fait ne pouvant avoir l'effet de retarder le point de départ de la prescription encourue.
La fin de mission de M. [H] étant ainsi fixée au 5 décembre 2016 au plus tard, le délai de cinq années ouvert pour engager l'action en responsabilité à son encontre expirait au 4 décembre 2021 à minuit, en sorte qu'initiée le 22 mars 2022 soit trois mois et demi après cette date, cette action est prescrite, en infirmation de la décision dont appel.
Parties succombantes, Mme [W] et la société RCM supporteront les entiers dépens de prermière instance et d'appel selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile, sans qu'il y ait lieu de mettre à leur charge une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Dit irrecevable comme prescrite l'action dirigée par la Sarl Réunion Chaudronnerie Maintenance et Mme [G] [M] [W] à l'encontre de M. [Y] [H],
Condamne solidairement la Sarl Réunion Chaudronnerie Maintenance et Mme [G] [M] [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel avec les modalités de recouvrement de l'article 699 du code de procédure civile,
Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFI'RE LA PR''SIDENTE