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02/09/2024 | FRANCE | N°23/08675

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 02 septembre 2024, 23/08675


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 02 Septembre 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/08675 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHTOY



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lo

rs des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 12 Mai 2023 par M. [K] ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 02 Septembre 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/08675 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHTOY

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 12 Mai 2023 par M. [K] [M]

né le [Date naissance 1] 1985 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2] ;

Non comparant et représenté par Me Delphine BOESEL, avocat au barreau de Paris ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 Mai 2024 ;

Entendu Me Delphine BOESEL représentant M. [K] [M],

Entendu Me Ali SAIDJI de la SCP SAIDJI & MOREAU, substitué par Me Divine ZOLA DUDU, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [K] [M], né le [Date naissance 1] 1985, de nationalité française, a été déféré devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny du chef de vol en réunion en vue de sa comparution immédiate devant le tribunal correctionnel, et la 17e chambre correctionnelle a ordonné le renvoi de l'affaire et le placement en détention provisoire du requérant à la maison d'arrêt de [Localité 5] le 10 octobre 2022.

Le 14 novembre 2022, la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny a renvoyé M. [M] des fins de la poursuite.

M. [M] a produit un certificat de non appel du 18 décembre 2022 de la décision du tribunal correctionnel qui a un caractère définitif à son égard.

Le 12 mai 2023, M. [M] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 4 000 euros au titre de son préjudice moral,

* 13 331,70 euros au titre de son préjudice matériel,

* 2 000 euros en remboursement des frais d'avocat en lien avec la détention provisoire,

* 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 06 octobre 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

Sur le préjudice moral

- Fixer la juste indemnisation du préjudice moral de M. [K] [M] à la somme de 2 000 euros ;

Sur le préjudice matériel

- Rejeter les demandes de M. [K] [M] formulées au titre de la perte de chiffre d'affaires de sa société ;

- Rejeter les demandes de M. [K] [M] formulées au titre du remboursement des frais d'avocat ;

Sur la demande au titre des frais irrépétibles

- Réduire à de plus justes proportions la somme sollicitée à ce titre qui ne saurait excéder la somme de 1 000 euros.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 02 avril 2024, conclut à :

- La recevabilité de la requête pour une durée de détention de 36 jours,

- La réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées,

- La réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [M] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 12 mai 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non appel en date du 18 décembre 2022 de la décision de relaxe de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris du 12 octobre 2022.

Sa requête est donc recevable pour une durée de 36 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [M] considère qu'il a subi un choc carcéral violent car, bien qu'ayant été incarcéré précédemment, il était revenu dans le droit chemin et été totalement réinséré. Il fustige ses condition de détentions à la maison d'arrêt de [Localité 5] où il était détenu dans une cellule de 9m2 avec deux autres personnes et un matelas au sol. Cette surpopulation carcérale est attestée par un document de l'administration pénitentiaire qui démontre que le taux d'occupation était de 188% en novembre 2021. Il évoque également le préjudice d'angoisse lié à l'importance de la peine encourue. Il fait état de la durée Traumatisante de sa détention pendant 36 jours qui a eu des conséquences sur son activité professionnelle dont le chiffre d'affaires a alors notablement baissé. Il était enfin éloigné de sa compagne et de ses deux filles mineures, anis que de son frère et de ses parents chez lesquels il vivait alors. Cet éloignement de sa famille et de ses proches est un facteur d'aggravation de son choc carcéral. C'est pourquoi il sollicite une somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que le choc carcéral a été atténué par le fait que la casier judiciaire du requérant porte trace de 7 condamnations dont 6 à des peines d'emprisonnement. Par contre, il y a lieu de tenir compte de sa situation familaile et du fait qu'il était le père de deux enfants de 14 ans. S'agissant des conditions de détention, il y a lieu de retenir la surpopulation carcérale de la maison d'arrêt de [Localité 5] qui était de 188,1% au moment de l'incarcération du requérant et qui est attestée par un tableau de la direction interrégionale de l'administration pénitentiaire de [Localité 6], qui constitue un facteur d'aggravation du choc carcéral. C'est pourquoi il est proposé l'allocation d'une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral.

Le procureur général indique que le casier judiciare de M. [M] fait état de 7 condamnations dont plusieurs ont donné lieu à une incarcération. C'est ainsi que son choc carcéral a été amoindri. S'agissant des conditions de détention, le requérant produit un document émanant de la direction inter régionale de [Localité 6] faisant état de ce que la surpopulation carcérale était de 188,1% dans l'établissement pénitentiaire où a été détenu M. [M], qui expose avoir été enfermé au sein d'une cellule de 9m2 avec deux autres personnes. La séparation d'avec ses parents chez lesquels il vivait et d'avec son frère et sa compagne qui demeuraient à 140 kilomètres du lieu où il était détenu constitue également un facteur d'aggravation du préjudice moral. L'importante de la peine encourue, s'agissant d'une peine délictuelle et non criminelle, ne peut être pris en compte comme facteur d'aggravation.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [M] était âgé de 37 ans au moment de son incarcération, n'était pas marié et père de deux enfants âgés de 14 ans. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire porte trace de 7 condamnations entre mars 2004 et avril 2018 dont 3 ont donné lieu à une incarcération. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été largement atténué.

La durée de la détention provisoire, 36 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

S'agissant de ses conditions de détention, la producteur par le requérant d'un document émanant de la direction interrrégionale de l'administration pénitentiaire de [Localité 6] qui fait état d'une surpopulation carcérale de 188,1% à la maison d'arrêt de [Localité 5] en novembre 2021, date à laquelle M. [M] se trouvait en détention provisoire dans une cellule de 9 m2 avec deux autres détenus, constitue un facteur aggravant du choc carcéral.

Selon la jurisprudence de la Commission National de la Réparation des Détentions (CNRD), le sentiment d'injustice ne peut être retenu comme un facteur aggravant du préjudice moral. Il en est de même de l'importance de la peine encourue, dès que celle-ci était de nature délictuelle et non pas criminelle.

Le fait d'avoir été isolé de sa famille lorsqu'il a été placé en détention à plus de 140 kilomètres du domicile de ses parents chez lesquels il vivait avant son incarcération et de la résidence de son frère et de sa compagne constitue aussi un facteur d'aggravation du choc carcéral de M. [M].

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [M] une somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

1- Sur les frais de défense :

M. [M] sollicite l'allocation d'une somme de 2 000 euros au titre des frais qu'il a engagés pour sa défense dans le cadre du contentieux de la détention provisoire, et produit une facture d'honoraires comprenant des diligences qui sont en lien avec le contentieux de la détention provisoire.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, le requérant ne produit aux débats qu'une facture d'honoraires et de diligences qui fait état de diligences qui ne sont majoritairement pas en lien avec le contentieux de la détention provisoire comme les visites au parloir et la consultation du dossier. Or, il n'entre pas dans l'office du premier président d'apprécier le montant et de déterminer lui-même la part de l'honoraire consacré au contentieux de la détention provisoire. Aussi, il y a lieu de rejeter la demande.

Le Ministère public estime que la note d'honoraires produites aux débats comprend seulement certaines diligences qui sont en lien avec le contentieux de la détention provisoire. Or, comme cette facture prévoit une rémunération globale, il n'est pas possible d'individualiser les seules diligences en lien exclusif avec le contentieux de la détention. Il y a lieu de rejeter la demande qui n'est pas justifiée.

Selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions (CNRD) , les frais d'avocat ne sont pris en compte au titre du préjudice causé par la détention qu si ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté et aux procédures engagées pour y mettre fin, et qu'il appartient au demandeur d'en justifier par la production de facture ou de compte établi par son défenseur. C'est ainsi que la CNRD exige que la facture d'honoraire énumère de façon détaillée les prestations effectuées pour obtenir la libération du requérant, ainsi que leur coût, pour admettre le remboursement de ces frais de défense.

M. [M] a versé aux débats une note d'honoraires en date du 05 novembre 2022 de son conseil faisant état de différentes diligences pour un montant total de 2 000 euros TTC. C'est ainsi que les parloirs à la maison d'arrêt de [Localité 5], la consultation du dossier au TJ de Bobigny et réception d'une copie n'apparaissent pas être des diligences en lien exclusif avec le contentieux de la détention provisoire. Par contre, le désistement de l'appel contre le mandat de dépôt et démarches à la cour d'appel, ainsi que l'audience du 14 novembre 2021 le sont. Pour autant, dans la mesure où l'avocat n'a pas individualisé le coût de chacune des diligences et a prévu une somme globale et forfaitaire de 2 000 euros TTC pour l'ensemble des diligences, il n'est donc pas possible de calculer le coût des seules diligences en lien exclusif avec le contentieux de la détention.

Faute d'individualisation, la demande au titre des frais de défense sera rejetée et aucune somme ne sera allouée à M. [M] à ce titre.

2- Sur la perte de chiffre d'affaires de la crêperie :

M. [M] sollicite une somme de 13 331,70 euros liée à la perte de chiffre d'affaire de la crêperie dont il était co-gérant avec son frère en raison de son placement en détention provisoire qui a entraîné une atteinte à l'image de cette crêperie, l'impossibilité pour son frère et le seul salarié a faire fonctionner cet établissement dans les mêmes conditions que lorsque M. [M] s'y trouvait et ce d'autant plus que le salarié s'est même retrouvé seul quand le frère du requérant est partie en voyage à [Localité 7], prévu de longue date et qui n'a pas pu être annulé. Cette perte du chiffre d'affaire est attestée par différents documents et notamment un courrier établi par l'expert comptable de la société.

L'agent judiciaire de l'Etat estime que la diminution d'u chiffre d'affaires d'une société commerciale n'est pas indemnisable, pas plus que la diminution des bénéfices de cette société. Or, M. [M] ne démontre pas que cette diminution soit exclusivement imputable à son incarcération alors que le frère du requérant a dû lui-même s'absenter un certain temps de la crêperie pour un voyage. En tout état de cause, ce préjudice est propre à la société commerciale dont M. [M] est co-gérant et ne lui est pas personnel. Il n'est donc pas indemnisable sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale.

Le Ministère Public estime qu'il y a lieu de rejeter la demande de réparation au titre de la perte du chiffre d'affaires de la crêperie dans la mesure où la production du seul bilan pour la période du 5 juillet 2021 au 30 juin 2022 de cette société est insuffisant pour démonter la réalité d'une perte du chiffre d'affaire en lien direct et exclusif au placement en détention provisoire de M. [M]. La demande en ce sens sera donc rejetée.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [M] était co-gérant avec son frère d'une crêperie intitulée '[O] [4]', située en Normandie qui comprenait un salarié. M. [O] [M] et ce salarié ont établi chacun un courrier pour expliquer que l'absence du requérant a très fortement impacté le chiffre d'affaires de cette crêperie, notamment au moment du voyage de M. [O] [M] à [Localité 7] car ce salarié s'est retrouvé tout seul pour gérer l'ensemble de cet établissement. Il est également versé aux débats une attestation de l'expert comptable de cette société qui fait état d'une perte de chiffre d'affaires de 13 331,70 euros pendant la période où M. [M] était incarcéré.

Si la réalité d'une perte du chiffre d'affaires est confirmée, il y a lieu de noter que les dispositions de l'article 149 du code de procédure pénale permettent l'indemnisation du préjudice matériel personnel de M. [M], mais pas celui d'une société commerciale qui est distinct de celui de l'un de ses deux co-gérants. Dans ces conditions, la demande en ce sens sera rejetée.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [M] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [K] [M] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 4 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [K] [M] de ses demandes au titre de la réparation de son préjudice matériel.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 02 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/08675
Date de la décision : 02/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-02;23.08675 ?
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