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02/09/2024 | FRANCE | N°23/09149

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 02 septembre 2024, 23/09149


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 02 Septembre 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/09149 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHU75



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lo

rs des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 31 Mai 2023 par [U] [D]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 02 Septembre 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/09149 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHU75

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 31 Mai 2023 par [U] [D]

né le [Date naissance 3] 1981 à [Localité 5] (ALGERIE), élisant domicile Chez Me Hanna RAJBENBACH - [Adresse 1] - [Localité 4] ;

Comparant et assisté de Me Hanna RAJBENBACH, avocat au barreau de Paris ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 Mai 2024 ;

Entendu Me Hanna RAJBENBACH représentant [U] [D],

Entendu Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, substitué par Me Célia DUGUES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

[U] [D], né le [Date naissance 2] 1985, de nationalité algérienne, a été mis en examen du chef de proxénétisme aggravé par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris le 20 juin 2019, puis placé en détention provisoire le même jour au centre pénitentiaire de [7] par un juge des libertés et de la détention de cette même juridiction.

Par ordonnance du 29 octobre 2019, le magistrat instructeur a ordonné la remise en liberté du requérant qu'il a placé sous contrôle judiciaire.

Par décision du 01 décembre 2022, la 33e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a renvoyé [U] [D] des fins de la poursuite.

Le requérant a produit lors de l'audience de plaidoirie du 13 mai 2024 un certificat de non appel en date du même jour de la décision du tribunal correctionnel de Paris qui a un caractère définitif à son égard.

Le 31 mai 2023, [U] [D] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 42 300 euros au titre de son préjudice moral,

* 5 500 euros au titre de son préjudice matériel,

* 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 28 août 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

A titre principal :

- Juger irrecevable la requête de M. [D], faute de production d'un certificat de non-appel,

A titre subsidiaire :

- Allouer à M. [D] la somme de 13 000 euros en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention,

- Débouter M. [D] de sa demande au titre du préjudice matériel,

- Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 26 mars 2024, conclut à :

- La recevabilité de la requête pour une détention de 131 jours,

- La réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées,

- Le rejet de la réparation du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

[U] [D] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 31 mai 2023, qui est dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe rendue le 1er décembre 2022 est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 13 mai 2024. Cette requête est signée par le requérant et ne comporte aucun des cas d'exclusion prévu par l'article 149 du code de procédure pénale. Dans ces conditions, la requête présentée par [U] [D] est recevable.

Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 131 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

[U] [D] considère qu'en sa qualité de personne transgenre, elle a subi de nombreuses atteintes à ses droits fondamentaux dont le cumul est susceptible de constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant au sens de la convention européenne des droits de l'homme et vise à ce titre un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 25 mai 2021 et de l'Observatoire International des Prisons du 14 décembre 2021. . C'est ainsi qu'alors qu'elle suivait un traitement hormonal depuis 2013, ce dernier ne lui a plus été délivré lors de son placement en détention provisoire, ce qui a entraîné une tentative de suicide de sa part. Etant placé au quartier homme pour personne vulnérable, le requérant n'a pas pu travailler ni participer à des activités. Son choc carcéral a été aggravé par le fait qu'il n'avait jamais été détenu auparavant et qu'il a été confronté pour la première fois à l'univers carcéral. Il évoque également le sentiment d'injustice dès lors qu'il se savait innocent des faits dont on l'accusait et pour lesquels il encourrait une peine d'emprisonnement particulièrement importante. Ayant été incarcéré pendant 131 jours, il n'a pas eu le temps de connaître un phénomène 'd'habituation'. C'est pourquoi, M. [D] sollicite une somme de 39 300 euros en réparation de son préjudice moral.

Par ailleurs, il expose que qu'il a été incarcéré 131 jours en subissant une rupture de traitement hormonal, ce qui a entraîné une réapparition des attributs masculins. Il a donc subi un préjudice esthétique dont il demande réparation à hauteur de 3 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat estime que la demande d'indemnisation du préjudice moral est fondée en son principe mais ne saurait être accueillie à hauteur de la somme sollicitée. L'absence de passé carcéral du requérant est un élément d'appréciation dont il doit être tenu compte, de même qu'il était âgé de 38 ans, n'était pas marié, n'avait pas d'enfant et était une personne transgenre. Le fait d'avoir du arrêter son traitement hormonal, qui a entraîné un choc brutal, une tentative de suicide et une dépression doivent également être pris en compte. La lourdeur de la peine encourue et le sentiment d'injustice ne peuvent être pris en compte selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions. L'AJE propose donc une somme de 13 000 euros en réparation du préjudice moral de M. [D]. Par contre, il estime qu'il n'y a pas lieu de tenir compte d'un éventuel préjudice esthétique faute de justificatifs en la matière.

Le procureur général considère qu'il y a lieu de prendre en compte le fait que le requérant n'avait jamais été incarcéré et qu'il a donc subi un choc carcéral plein et entier. Par contre, il n'y a pas lieu de tenir compte de l'importance de la peine encourue, s'agissant d'une peine délictuelle et non pas criminelle. S'agissant de ses conditions de détention, les rapports visés par le requérant faisant état des difficultés des personnes transgenres en détention datent de près de 2 ans après l'incarcération de M. [D]. Il sera tenu compte du fait que M. [D] suivait un traitement hormonal depuis 2012 qui a nécessairement rendu

plus difficile les conditions de détention, et ce d'autant plus qu'il a rencontré des difficultés pour pouvoir le poursuivre en détention. Par contre, les changements physiques allégués ne sont pas démontrés.

Il ressort des pièces produites aux débats que [U] [D] était âgé de 38 ans au moment de son incarcération, vivait en concubinage et n'avait pas d'enfant à charge. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire porte trace d'une condamnation pénale en septembre 2021, mais il n'y a eu aucune incarcération. C'est ainsi qu'au jour de son placement en détention provisoire [U] [D] n'avait jamais été incarcéré et son choc carcéral initial a été important.

S'agissant de ses conditions de détention, il apparaît que les deux rapports produits par le requérant, des 25 mai et 14 décembre 2021 datent de près de deux ans après le placement en détention du requérant et ne peuvent donc être pris en compte. Pour autant, il y a lieu de retenir que pour une personne transgenre, placée à l'isolement dans le quartier pour hommes particulièrement vulnérables a nécessairement entraîné des conditions de détention difficiles. Cette situation a été accentuée par le fait que [U] [D] prenait un traitement hormonal depuis l'année 2012, qui n'a pas pu être suivi dans de bonnes conditions en détention, ce qui a entraîné des conséquences physiques et psychologiques importantes qui sont rapportées par le courrier de l'association [6] produit aux débats. Il y a donc lieu d'en tenir compte. Par contre, le sentiment d'injustice face aux poursuites dont il faisait l'objet et l'importance de la peine encourue, dix ans d'emprisonnement, ne peuvent être pris en compte s'agissant d'une peine délictuelle et non pas criminelle selon la jurisprudence de la CNRD.

De même, faute de justificatifs versés aux débats, il n'est pas démontré que l'apparence physique de [U] [D] ait été transformée alors que celui- ci se trouvait en détention. L'existence d'un préjudice esthétique n'est donc pas rapportée et ne sera donc pas retenue.

De même, la durée particulièrement longue du placement en détention provisoire de [U] [D], pendant 131jours, ne constitue pas un facteur d'aggravation du choc carcéral, mais un élément d'appréciation de celui-ci.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à [U] [D] une somme de 14 500 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

Sur les frais médicaux engagés :

[U] [D] indique que l'impact psychologique de la détention a été extrêmement important et qu'à sa sortie de détention il a été confronté à un état de stress post traumatique, d'insomnies graves et de périodes de dépression et d'anxiété. C'est pourquoi, au vu des ordonnances et des certificats médicaux produits aux débats, il sollicite l'allocation d'une somme de 3 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère qu'il appartint au requérant d'établir l'existence d'un lien de causalité entre le placement en détention et le stress post traumatique dont il fait état et qui est attesté par tris attestations de suivi psychiatrique et différentes ordonnances. Il ne communique toutefois aucune facture du coût de ces soins et de la somme qui est effectivement restée à sa charge. Il y a donc lieu de rejeter la demande.

Le Ministère Public estime que le requérant produit plusieurs certificats médicaux qui attestent de son suivi par un psychiatre et de l'état 'anxio-dépressif' réactionnel dans lequel il se trouve. Par contre, il; ne produit a ucne facture de nature à établir le montant des frais engagés pour ce suivi et le montant qui est effectivement resté à sa charge. Dans ces conditions, la demande sera rejetée.

En l'espèce, [U] [D] produit aux débats trois attestations et plusieurs ordonnances établies entre 2019 et 2023 par le docteur [E], psychiatre, qui attestent de la réalité d'un suivi psychiatrique et d'un étant anxio-dépressif consécutif à son placement en détention provisoire pendant 131 jours. Pour autant, le requérant ne verse aux débats aucune facture qui permettrait de déterminer le coût de ce suivi psychiatrique. De plus, il n'y a aucun justificatif qui indiquerait quel serait le montant resté à la charge du requérant, après prise en charge par la sécurité sociale et éventuellement par une mutuelle.

Dans ces conditions, faute de justificatifs, il y a lieu de rejeter cette demande.

Sur les frais de défense :

[U] [D] estime que ses frais d'avocat doivent lui être remboursés à hauteur des diligences effectuées en lien avec le contentieux de la détention provisoire, soit les demandes de mise en liberté et les visites à la maison d'arrêt, ainsi que les diligences relatives à la procédure administrative d'avoir à quitter le territoire national. C'est ainsi qu'il sollicite la somme de 3 000 euros à ce titre.

L'agent judiciaire de l'Etat estime qu'il appartient au requérant qui demande le remboursement des frais d'honoraires d'avocat déboursés en lien avec les prestations liées à la privation de liberté d'en justifier par la production de factures ou de comptes établis par son défenseur détaillant les démarches liées à la détention. Or, M. [D] ne communique aucune facture à l'appui de sa demande et cette dernière doit donc être rejetée.

Le Ministère Public considère que le requérant ne peut obtenir réparation pour les frais engagés dans le cadre de la procédure administrative dans la mesure où seules les prestations directement liées à la privation de liberté peuvent être réparées. En outre, aucune facture n'est produite aux débats. Il convient donc d'écarter ce poste de l'appréciation du préjudice matériel subi par M. [D].

En l'espèce, [U] [D] ne produit aux débats aucune facture d'honoraires acquittée qui serait relative à une demande de mise en liberté ou à une visite à la maison d'arrêt de [7]. Par ailleurs, la procédure administrative relative à l'OQTF n'est pas en lien directe avec le contentieux de la détention provisoire et ne peut donc être retenue.

Dans ces conditions, en l'absence de production de documents établissant la réalité de diligences effectuées en lien exclusif avec le contentieux de la détention provisoire , il y a lieu de rejeter la demande de [U] [D] de réparation de son préjudice matériel au titre de ses frais de défense. Aucune somme ne sera donc allouée à ce titre.

Il est inéquitable de laisser à la charge de [U] [D] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de [U] [D] est recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 14 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons [U] [D] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 02 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/09149
Date de la décision : 02/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-02;23.09149 ?
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