Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024
(n° /2024, 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06904 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEEJO
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 20/00616
APPELANTE
Madame [K] [W]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Christopher REINHARD, avocat au barreau de LYON, toque : 1687
INTIMEE
La société IQVIA RDS FRANCE dont le siège social est situé [Adresse 2] venant aux droits et intérêts de la société CLINTEC INTERNATIONAL Agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Maxime PIGEON, avocat au barreau de PARIS, toque : C1965
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Florence MARQUES, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme. MEUNIER Guillemette, présidente de chambre
Mme. NORVAL-GRIVET Sonia, conseillère
Mme. MARQUES Florence, conseillère rédactrice
Greffier, lors des débats : Madame Clara MICHEL
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Guillemette MEUNIER, Présidente de chambre, et par Clara MICHEL, Greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
Faits, procédure et prétentions des parties
La société Clintec international est spécialisée dans la recherche et le développement de médicaments, occupant à titre habituel plus de 11 salariés.
Elle a engagé Mme [K] [W] suivant contrat à durée indéterminée en date du 7 mars 2016, en qualité de « senior clinical trial coordinator », statut Employé, niveau IV, échelon B.
Au dernier état des relations contractuelles, Mme [W] percevait une rémunération de 3 824,47 euros brut.
La convention collective applicable est celle de l'industrie pharmaceutique.
Mme [W] a été arrêtée en raison de son état de grossesse à compter du 12 juin 2019.
En décembre 2019, Mme [W] a été élue membre suppléante du Comité Social et Économique de la société Clintec international, pour une durée de trois ans.
Lors de sa reprise du travail, en mars 2020, Mme [K] [W] a été placée en situation d'intercontrat.
Par courrier en date du 30 mars 2020, la salariée a présenté à son employeur sa démission, dont il a accusé réception par courriel du 7 avril 2020, la fin du contrat étant fixée au 10 avril suivant.
Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes, le 16 octobre 2020 aux fins de voir requalifier sa démission en un licenciement nul et voir la société Clintec international condamner à lui payer diverses sommes, dont celle de 23 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul et celle de 114 734,10 à titre de dommages-intérêts pour violation du statut protecteur.
Par jugement en date du 5 juillet 2021, le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes, a :
- dit que la rupture du contrat de travail de Mme [W] [K] est une démission,
- dit que les demandes supplémentaires de Mme [W] [K] sont infondées,
- déboute la SARL Clintec de sa demande reconventionnelle et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- mis la totalité des dépens à la charge de Mme [W] [K].
Par déclaration au greffe en date du 28 juillet 2021, Mme [W] a régulièrement interjeté appel de la décision.
La société Clintec international a été radiée le 6 octobre 2023, suite à sa fusion avec la société IQVIA RDS France, à effet du 1 octobre 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 12 mars 2024, Mme [W] demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu le 05 juillet 2021 par le conseil de prud'hommes d'Evry dans toutes ses dispositions,
Puis,
- prononcer la nullité de la rupture du contrat de travail,
- condamner en conséquence la société IQVIA RDS France à lui payer les sommes suivantes:
* indemnité compensatrice de congés payés : 11 473,41 euros,
* congés payés afférents : 1 147,34 euros,
* indemnité de licenciement : 4 582,36 euros,
* dommages et intérêts pour licenciement nul : 23 000 euros,
* dommages et intérêts pour violation du statut protecteur : 114 734,10 euros,
- condamner la société IQVIA RDS France à lui remettre l'ensemble des documents de rupture (bulletin de salaire, reçu pour solde de tout compte, attestation Pôle Emploi, certificat de travail) rectifiés en fonctions des condamnations prononcées le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir,
- se réserver le droit de liquider l'astreinte,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société IQVIA RDS France a versé à Mme [W] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société IQVIA RDS France aux entiers dépens,
- prononcer l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société IQVIA RDS France tendant à la condamnation de Mme [W] à hauteur de 10 000 euros,
En tout état de cause,
- débouter la société Clintec de ses demandes reconventionnelles.
Aux termes de ses conclusions remises via le réseau virtuel des avocats le 16 avril 2024, la société IQVIA RDS France venant aux droits de la société Clintec International demande à la cour de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a considéré que la démission de Mme [W] en date du 30 mars 2020 était claire et non équivoque et ainsi parfaitement régulière,
En conséquence,
- débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes,
A titre reconventionnel,
- condamner Mme [W] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1240 du code civil,
- condamner Mme [W] à verser à la société IQVIA RDS FRANCE la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'exécution de l'arrêt à venir.
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et, en application de l'article 455 du code de procédure civile, aux dernières conclusions échangées en appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 avril 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
1-Sur la démission
En application de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord dans les conditions prévues par les dispositions du présent titre.
La démission est définie comme la manifestation d'une volonté claire et non équivoque du salarié de mettre fin à son contrat de travail. En principe, la démission est définitive. Toutefois, la rétractation du salarié, qui n'est soumise à aucune condition de forme, peut révéler l'ambiguïté de sa volonté de démissionner, surtout si elle est exprimée à bref délai.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison des faits imputables à l'employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement nul ou d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse selon le cas, si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.
Au cas d'espèce, le courriel de démission envoyé par Mme [W] le 30 mars 2020 à 15h12 est rédigée comme suit:
« Chère [V],
Suite à notre discussion, je t'informe de ma décision de démissionner de mon poste en tant que senior CTA au sein de CLINTEC que j'occupe depuis le 7 mars 2016.
Conformément aux dispositions de mon contrat de travail, je suis tenue de respecter un préavis d'une durée de 3 mois.
Étant en intercontrat, je te demande de lever cette obligation et de me libérer de mes fonctions au 30 avril 2020.
Comme discuté, je ne souhaite pas soumettre le dossier de rupture conventionnelle qui prendrait trop de temps, ainsi je préfère démissionner.
Je demandais lors de ma demande de rupture, 4 mois de salaire, mes indemnités légales et l'intégralité de mes congés payés.
Je n'aurai pas d'indemnité légale ni de chômage dans le cadre d'une démission, ainsi je souhaite 6 mois de salaire et mes congés payés en intégralité.
J'ai été longtemps en intercontrat, je le suis encore, je le resterai longtemps car CLINTEC n'a pas de projet pour moi.
Ainsi, pour éviter un dossier compliqué devant l'Inspection et le CSE, il me semble que 6 mois de salaire est raisonnable.
En effet, si je n'avais pas décidé de partir, Clintec aurait continué de me payer en intercontrat plus de 6 mois ( compte tenu de la situation avec le confinement et le manque de projet) alors que 6 mois de salaire me permettront de palier au manque des allocations chômage auxquelles je renonce en démissionnant pour éviter à Clintec et à moi-même un dossier fâcheux face au inspecteurs du travail
(...)'
Ce courriel avait été précédé, 26 mars 2020, d'une demande de la salariée à son employeur pour savoir s'il était 'possible ... de faire une rupture à l'amiable de mon contrat '.
Par courriel en date du 7 avril 2020, intervenu après de nombreux échanges entre les parties, la société a ainsi répondu :
« Bonsoir [K], je te confirme par écrit la réception de ta démission et ta demande d'être libérée de ton obligation de donner un préavis de 3 mois, demande que nous acceptons.
Après nos discussions, nous avons conclu ce qui suit :
- Fin de contrat au vendredi 10 avril 2020 ;
- Paiement de ton salaire du 1er au 10 avril 2020 ;
- Paiement de 30 jours de congés payés ;
- Paiement d'un bonus de sortie.
La somme totale brute à payer est de 23 000 € ».
Mme [W], représentante suppléante au CSE, rappelle que L. 1237-15 du code du travail prévoit que la rupture conventionnelle est soumise à l'autorisation de l'inspecteur du travail, pour les salariés protégés. Elle souligne qu'une rupture amiable du contrat intervenue en dehors de ces dispositions est donc nulle et de nul effet, étant précisé que cette nullité est une nullité d'ordre public auxquelles les parties ne peuvent déroger par des conventions particulières, le salarié protégé ne pouvant renoncer à cette disposition protectrice. Elle indique que la sanction est que la rupture s'analyse en un licenciement nul.
Mme [W] expose qu'à son retour de congé maternité, elle a été placée en intercontrat, que dans ce contexte, elle a pris l'initiative de solliciter la rupture amiable de son contrat de travail dans le cadre d'un processus de rupture conventionnelle. Elle précise que, cependant, la société l'a informée qu'en raison de son statut de salariée protégée, le contrôle opéré par l'administration du travail constituant un obstacle à la rupture, il était préférable qu'elle démissionne, ce qu'elle a fait mais uniquement à la condition d'obtenir le versement d'une indemnité de rupture, si bien que sa démission était équivoque, l'existence d'une contrepartie pécuniaire négociée excluant par essence que la rupture intervenue puisse être qualifiée de démission, laquelle n'emporte pas de contrepartie financière.
Elle soutient que son employeur a imaginé une fraude aux dispositions du code du travail organisant la rupture conventionnelle du contrat de travail, mais également aux dispositions relatives aux salariés protégés dès lors qu'une telle rupture conventionnelle, lorsqu'elle concerne un salarié protégé, doit faire l'objet d'une autorisation expresse de la part de l'inspecteur du travail, autorisation qui n'a jamais été sollicitée en l'espèce.
La société s'oppose à l'argumentation de Mme [W] et soutient qu'elle n'a jamais initié d'échanges afin d'organiser la rupture du contrat de travail de la salariée, pas plus qu'elle n'a orienté les discussions aux fins de la tromper et la mener à poser sa démission en lieu et place d'une potentielle rupture conventionnelle.
Elle en veut pour preuve un mail du 26 mars 2020 par lequel la salariée s'est rapprochée de la DRH, afin d'obtenir la rupture de son contrat et, après une discussion au téléphone, les nombreux échanges de mails intervenus entre Mme [W] et Mme [V] [U], RH manager, entre le 26 mars 2020 et le 7 avril 2020.
Elle précise que Mme [U] a clairement laissé le choix à la salariée de conclure soit une rupture conventionnelle, soit de démissionner de sa propre volonté, en lui rappelant uniquement les règles applicables à chacune de ces modalités de rupture.
La société souligne que par un email du 30 mars 2020, Madame [H] [E], représentante de section syndicale au sein de la société, est intervenue dans les discussions entre Mme [W] et la Société, et a rappelé la procédure applicable en matière de rupture conventionnelle d'un salarié bénéficiant d'un mandat de représentant du personnel et ainsi, les délais.
La société souligne que les échanges démontrent que la salariée avait conscience qu'elle perdrait son droit à indemnités de chômage en cas de démission mais qu'elle a préféré privilégier un retour rapide dans l'emploi auprès d'un autre employeur. Elle fait encore valoir que c'est la salariée qui est à l'initiative de discussions, afin d'obtenir une indemnité de départ et que ce n'est qu'une semaine après sa démission, après d'âpres discussions, que Mme [W] a finalement obtenu l'accord de la Société pour lui verser un « bonus de sortie », totalement indu.
Il résulte des éléments du dossier que Mme [W] est la seule à avoir pris l'initiative d'une fin de contrat, d'abord dans le cadre d'une rupture conventionnelle, puis, les conditions de mise en oeuvre et notamment de délais ne lui convenant pas en raison de la nécessité de solliciter l'autorisation de l'inspection du travail ( renseignements qui ont été portés à sa connaissance par Mme [E], représentante de section syndicale, par mail du 30 mars 2020 à 14h05), dans le cadre d'une démission, dont les termes ne sont absolument pas équivoques, sa volonté de quitter la société étant certaine et réitérée à l'occasion des nombreux mails échangés avec la DRH.
Aucune pièce ne laisse penser que la société lui a suggéré de démissionner plutôt que d'engager une demande de rupture conventionnelle.
C'est d'ailleurs à la suite de l'information par Mme [E] de la procédure à mettre en oeuvre pour une rupture conventionnelle que Mme [W] a adressé à la société son mail de démission.
Si Mme [W] précise qu'elle 'souhaite 6 mois de salaire et ses congés payés en intégralité ', elle n'en fait pas une condition de la validité de sa démission.
La lettre du 30 mars 2020 n'est pas un courrier de négociation, mais bel et bien un courrier de démission, non soumis à condition suspensive de l'obtention d'une indemnité de 6 mois de salaires et de l'ensemble de ses congés payés.
La cour constate qu'à la suite de ce mail du 30 mars 2020, la DRH a sollicité sa hiérarchie, que la salariée est venue régulièrement aux nouvelles, les parties négociant les conditions du départ et notamment l'obtention d'un bonus de départ, et a, par courriel du 7 avril 2020 à 16h49, donné son accord pour un 'package' à 23000 euros, la DRH admettant un départ début avril au lieu de fin avril.
Les parties se sont ainsi finalement entendues pour une sortie des effectifs au 10 avril 2020, le paiement du salaire afférent, celui de 30 jours de CP et le paiement d'un bonus, pour un montant cumulé de 23000 euros, étant rappelé qu'en cas de démission, il n'est dû par l'employeur aucune indemnité.
Il est certain que la salariée a choisi de démissionner souhaitant quitter l'entreprise au plus vite, et est à l'initiative de la demande d'une indemnité de départ, au paiement de laquelle la société n'était pas tenue.
Il est ainsi établi que la société n'a nullement amené sa salariée à démissionner afin de contourner les régles protectrices de son statut de salariée protégée et que la salariée n'a pas conditionné sa démission à l'octroi d'un bonus de 6 mois de salaire, étant souligné qu'elle a néanmoins bénéficier d'un bonus.
La démission de Mme [W] était ainsi parfaitement claire et non équivoque.
Le jugement déféré qui a jugé en ce sens et a débouté la salariée de sa demande de requalification de sa démission en licenciement nul et de l'ensemble de ses demandes financières afférentes, y compris de sa demande de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur, est confirmé.
2-Sur la demande de dommages et intérêts de la société IQVIA RDS FRANCE, venant aux droits de la société Clintec International pour procédure abusive
La société réclame une somme de 10000 euros de ce chef.
En application des articles 1240 et 32-1 du code de procédure civile, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus de droit que lorsqu'il procède d'une faute et notamment s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol ; l'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.
Au cas d'espèce, il n'apparaît pas que la salariée a abusé de son droit d'agir en justice.
La société est déboutée de ce chef et le jugement confirmé
3-Sur les demandes accessoires
Le jugement est confirmé sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.
Partie perdante, Mme [K] [W] est condamnée aux dépens d'appel et à verser à la société la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [K] [W] à verser à la société IQVIA RDS FRANCE venant aux droits de la société Clintec international la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
CONDAMNE Mme [K] [W] aux dépens d'appel.
Le greffier La présidente de chambre