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04/09/2024 | FRANCE | N°21/18865

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 04 septembre 2024, 21/18865


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 4



ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18865 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESOL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Septembre 2021 - Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre - RG n° 2020029938





APPELANTE



S.A.R.L. YONNE DECAPAGE agissant poursuites et diligences de ses représentants lég

aux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Auxerre sous le numéro 378 745 368

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée et assistée de Me Christi...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 4

ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 21/18865 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CESOL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Septembre 2021 - Tribunal de Commerce de Paris, 13ème chambre - RG n° 2020029938

APPELANTE

S.A.R.L. YONNE DECAPAGE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Auxerre sous le numéro 378 745 368

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée et assistée de Me Christian Vignet de la SCP AVOCATS VIGNET & ASSOCIES VIGNET-NOEL-SANONER, avocat au barreau d'Auxerre, avocat plaidant

INTIMÉE

S.A.R.L. YONNE LASER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de Auxerre sous le numéro 452 669 096

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Evelyne Persenot-Louis de la SCP P.BAZIN - E.PERSENOT-LOUIS - C.SIGNORET, avocat au barreau d'Auxerre

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 24 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Agnès Bodard-Hermant, présidente de la chambre 5.4

Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

Mme Marie-Laure Dallery, présidente de chambre

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Agnès Bodard-Hermant dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie Thomas

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, la présidente empêchée, et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La société Yonne Laser est spécialisée dans la découpe laser de métaux.

La société Yonne Décapage exploite notamment une activité de traitement et de revêtement des métaux.

A compter de 2013, la société Yonne Laser a fait appel à la société Yonne Décapage pour lui confier la réalisation de prestations de peinture sur ses pièces.

Le 30 mars 2020, faisant valoir que le volume des commandes passées par la société Yonne Laser auprès de la société Yonne Décapage avait diminué en 2020, le conseil de la société Yonne Décapage a écrit à la société Yonne Laser pour l'informer qu'elle estimait avoir subi une rupture brutale de la relation commerciale entretenue entre les parties et qu'elle avait ainsi subi un manque à gagner à hauteur de 412 316, 41 euros.

Le 10 avril 2020, le conseil de la société Yonne Laser a répondu par un courrier officiel dans lequel il contestait la réclamation formulée par la société Yonne Décapage sur son principe et son montant.

La société Yonne Décapage a alors, par acte du 30 juin 2020, saisi le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 13 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Condamné la société Yonne Laser à verser à la société Yonne Décapage un montant de 71 360 euros à titre de dommages intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;

- Autorisé la société Yonne Laser à s'acquitter de sa dette par 9 versements mensuels égaux dont le premier devra s'effectuer dans les trente jours de la signification du présent jugement, et, faute pour elle de payer à bonne date une seule des mensualités prévues, la totalité des sommes restant dues deviendra immédiatement exigible ;

- Condamné la société Yonne Laser à payer à la société Yonne Décapage la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Condamné la société Yonne Laser aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.

La société Yonne Décapage a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 octobre 2021.

Vu les dernières conclusions de la société Yonne Décapage, déposées et notifiées le 26 janvier 2022 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article l442-1 il du code de commerce,

- Infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a estimé le préjudice subi par la société Yonne Décapage à la seule somme de 71 360 euros ;

Statuant de nouveau,

- Condamner la société Yonne Laser à payer à la société Yonne Décapage la somme de 425 058,66 euros H.T. Au titre des dommages-intérêts

- Condamner la société Yonne Laser à payer à la société Yonne Décapage la somme complémentaire de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

- Condamner la société Yonne Laser aux entiers dépens de la procédure d'appel

Vu les dernières conclusions de la société Yonne Laser, déposées et notifiées le 13 février 2024 par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu les pièces versées aux débats et les explications qui précèdent,

Vu les dispositions de l'article l 442-1 II du code du commerce, 1343-5 du code civil.

A titre principal,

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 13 septembre 2021 en ce qu'il a :

* Condamné la société Yonne Laser à verser à la société Yonne Décapage un montant de 71 360 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;

* Condamné la socquette Yonne Laser à payer à la société Yonne Décapage la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* Condamné la société Yonne Laser aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,01 euros dont 12,12 euros de TVA.

Et statuant à nouveau,

- Débouter la société Yonne Décapage de toutes ses demandes, fins et conclusions les conditions fixées par les articles L 442-1 II et suivants du code du commerce n'étant pas réunies,

A titre subsidiaire,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a :

* Condamné la société Yonne Laser à verser à la société Yonne Décapage un montant de 71 360 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;

* Débouter la société Yonne Décapage de ses demandes plus amples ou contraire.

En toutes hypothèses,

- Condamner la société Yonne Décapage à payer à la société Yonne Laser une somme de 6 000 euros (six mille euros), sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- Condamner la société Yonne Décapage aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 27 février 2024

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale

L'article L. 442-1, II, du code de commerce tel qu'issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur le caractère établi de la relation

La société Yonne Laser conteste le caractère établi de sa relation commerciale avec la société Yonne Décapage. Elle fait valoir, à ce titre, que la relation n'a démarré qu'en 2013, dans une proportion minime, sans contrat écrit et sans qu'aucune modalité sur le volume des commandes ou l'exécution de leur relation n'ait été définie. Elle allègue, en outre, que la société Yonne Décapage ne justifie pas avoir investi spécialement pour faire face aux commandes de la société Yonne Laser, puisqu'elle réalisait les mêmes prestations pour d'autres clients. Elle précise qu'en 2019, l'importance de l'activité entre les deux sociétés s'explique par une commande conséquente d'un nouveau client, la société Standis pour une somme de plus de 300 000 euros hors taxe. Elle insiste sur le caractère aléatoire de ses commandes qui peuvent aller d'un montant de 50 euros à un montant de 170 000 euros et en déduit qu'il n'existe, dès lors, aucune garantie d'activité entre les parties. Elle ajoute que leurs relations étaient variables, fluctuantes et aléatoires d'une année sur l'autre et qu'elles n'étaient pas exclusives.

La société Yonne Décapage ne répond pas spécifiquement sur le caractère établi de la relation commerciale mais il ressort, néanmoins, de ses écritures qu'elle soutient avoir entretenu un courant d'affaires stable et croissant avec la société Yonne Laser depuis 2013. Elle soutient que son chiffre d'affaires réalisé avec cette dernière a été de 370 954,96 hors taxe en 2019, soit 27 % de son chiffre d'affaires total, et que le volume de commandes passées par la société Yonne Laser n'a cessé d'augmenter depuis 2014, pour doubler presque chaque année entre 2017 et 2019. Elle précise, en outre, que dans son secteur d'activité la construction d'une relation commerciale stable nécessite un certain temps comme le démontre la progression des commandes passées par la société Yonne Laser au fil des années.

Réponse de la Cour,

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions de l'article L. 442-1, II, du code de commerce doit être suffisamment prolongée, significative et stable de sorte que la victime de la rupture brutale pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires.

Il est, en outre, constant, que la continuité et le caractère suivi de la relation, n'impliquent pas nécessairement que celle-ci soit formalisée par un contrat écrit (en ce sens : Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216).

En l'espèce, il ressort des pièces versées au dossier que la société Yonne Laser a passé une première commande à la société Yonne Décapage le 31 décembre 2013 pour un montant de 1726 euros HT puis a passé des commandes presque tous les mois jusqu'au 29 février 2020, date de la dernière commande.

Le volume des commandes n'a cessé d'augmenter entre 2013 et 2019 à l'exception de l'année 2016 pour laquelle une légère baisse a été enregistrée (pièces n°2 et 3, société Yonne Décapage) :

- Montant total des commandes en 2013 : 1 726 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2014 : 37 050,71 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2015 : 68 014,20 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2016 : 171 058,59 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2017 : 118 852,53 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2018 : 201 890,02 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2019 : 372 167,64 euros HT ;

- Montant total des commandes en 2020 : 746 euros HT.

La relation commerciale des parties a, ainsi, débuté le 31 décembre 2013 et s'est achevée le 29 février 2020, pour une durée totale de 6 ans et 2 mois.

L'ensemble de ces éléments manifeste l'existence d'un courant d'affaires stable et croissant entre les sociétés de nature à faire naître chez la société Yonne Décapage la croyance légitime d'une continuité de son flux d'affaires avec la société Yonne Laser.

Dans ces conditions, le tribunal a justement retenu que la relation commerciale des parties présente le caractère établi nécessaire à l'application de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Sur les circonstances de la rupture

La société Yonne Décapage reproche à la société Yonne Laser de ne lui avoir ni notifié la rupture de leur relation commerciale ni octroyé un délai de préavis raisonnable alors qu'elle avait conscience qu'elle arrêterait ses commandes au moins un an et demi avant la rupture effective des relations. Elle fait valoir, à ce titre, qu'en 2019, la société Yonne Laser a mis en place une chaîne de peinture destinée, d'une part, à internaliser les prestations de peinture et donc à ne plus recourir à ses services et, d'autre part, à se placer en concurrence directe avec elle. Elle en déduit que la rupture de leur relation commerciale a été orchestrée par la société Yonne Laser qui avait nécessairement conscience qu'elle arrêterait ses commandes et a pourtant gardé secrète la mise en place de cette chaîne de peinture jusqu'au mois de janvier 2020.

En réponse, la société Yonne Laser fait valoir que la rupture n'est pas intervenue brutalement mais progressivement à la suite de désaccords persistants entre les parties et de la réorientation de son activité concernant la finition de ses pièces. Elle allègue que si la société Yonne Décapage n'a pas reçu notification de la rupture par écrit, elle était, néanmoins, parfaitement informée des projets de travaux réalisés dans son atelier pour l'internalisation des prestations de peinture. Elle verse au dossier diverses attestations de salariés relatant que la société Yonne Décapage en a été informée en pleine transparence et a même visité l'installation de la société Yonne Laser en juin 2019. S'agissant de la dégradation des relations entre les parties, elle affirme que des litiges étaient survenus entre les parties courant 2019 sur les prix facturés par la société Yonne Décapage, en particulier s'agissant de la commande Standis, qui ont conduit cette dernière à lui octroyer des avoirs dans des montants importants et ajoute que certains de ses clients se sont plaints de la qualité des prestations de la société Yonne Décapage. La société Yonne Laser conteste, en outre, exercer une activité de concurrence directe à l'égard de la société Yonne Décapage.

Réponse de la Cour,

La rupture, pour être préjudiciable et ouvrir droit à indemnisation au sens de l'article L. 442-1 II du code de commerce, doit être brutale, c'est-à-dire effectuée sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels.

Il est, en outre, constant que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie ne prive pas celle-ci de son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis (en ce sens : Cass. com., 6 sept. 2016, n°14-25.891).

Cet article prévoit, toutefois, la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

En l'espèce, à compter du mois de janvier 2020 la société Yonne Laser a progressivement restreint les commandes passées à la société Yonne Décapage (545 euros au mois de janvier et 201 euros au mois de février contre une moyenne de 30 000 euros par mois en 2019) pour lui passer une ultime commande le 29 février 2020 et ce sans l'informer ni de sa volonté de mettre un terme à la relation commerciale ni des manquements qui lui étaient reprochés (pièces n°2 et 3, société Yonne Décapage).

Constatant que la société Yonne Laser avait cessé de lui passer commande, le conseil de la société Yonne Décapage a écrit, par courrier avec accusé de réception du 30 mars 2020, à la société Yonne Laser pour l'informer qu'elle estimait avoir subi une rupture brutale de la relation commerciale lui occasionnant un manque à gagner à hauteur de 412 316, 41 euros (pièce n°4, société Yonne Décapage).

Le 10 avril 2020, le conseil de la société Yonne Laser a répondu par un courrier officiel dans lequel il contestait la réclamation formulée par la société Yonne Décapage tant sur son principe que sur son montant (pièce n°5, société Yonne Décapage).

Certes, la société Yonne Décapage était informée des projets de travaux réalisés dans son atelier pour l'internalisation des prestations de peinture et produit, à ce titre, des attestations de ses salariés indiquant avoir été présents lors de la visite de M. [Y] [M], salarié de la société Yonne Décapage et fils des dirigeants de cette société à l'occasion de laquelle les nouvelles installations de la société Yonne Laser lui ont été présentées (pièces n°13, 14 et 20, société Yonne Laser).

Néanmoins, la circonstance que la société Yonne Décapage ait été informée de la réalisation de travaux pour la mise en place d'installations afin d'internaliser les prestations de peinture, ne dispensait pas la société Yonne Laser de lui notifier sa volonté explicite de mettre un terme à leur relation commerciale établie.

Par ailleurs, pour étayer une prétendue dégradation de leur relation, Yonne Laser produit des échanges entre les parties dont il ressort que la société Yonne Décapage a, d'une part, consenti à la société Yonne Laser des avoirs sur deux factures, respectivement du 28 février 2019 et du 30 mars 2019 (pièce n°15, société Yonne Laser) et, d'autre part, accepté de s'aligner au prix d'une offre concurrente (pièces n°24 et 25, société Yonne Laser).

Toutefois, ces échanges traduisent une négociation de prix dans un contexte concurrentiel et ne permettent pas de caractériser l'existence d'un quelconque manquement contractuel commis par la société Yonne Décapage.

La société Yonne Laser produit, en outre, deux courriels de clients mentionnant des difficultés rencontrées avec la société Yonne Décapage notamment quant au respect des délais et à la qualité des prestations effectuées (pièces n°13 et 14, société Yonne Laser).

Ces courriels qui ne sont ni circonstanciés, ni étayés par des preuves de nature à démontrer les manquements allégués, ne permettent pas davantage de caractériser l'existence d'inexécutions commises par la société Yonne Décapage.

Dès lors, la société Yonne Laser ne rapporte pas la preuve d'avoir informé la société Yonne Décapage de son intention non équivoque de mettre un terme à leur relation commerciale et ne démontre pas de manquement suffisamment grave de la société Yonne Décapage à ses obligations justifiant l'absence de préavis.

Dans ces conditions, le tribunal a justement retenu que la relation commerciale entre les parties a été rompue par la société Yonne Laser d'une manière brutale ouvrant droit à réparation.

Sur la détermination du préavis nécessaire

La société Yonne Décapage estime qu'elle aurait dû bénéficier d'un délai de préavis de dix-huit mois dans la mesure où la société Yonne Laser a fait construire, durant l'année 2019, une chaîne de peinture destinée à internaliser les prestations de peinture et qu'elle avait ainsi nécessairement conscience qu'elle arrêterait ses commandes auprès de la société Yonne Décapage au moins un an et demi avant la rupture effective des relations. Elle allègue qu'elle a été placée en situation de dépendance économique vis-à-vis de la société Yonne Laser compte tenu du volume croissant des commandes passées par cette dernière entre 2017 et 2019 et de la part importante de chiffre d'affaires que représentait la société Yonne Laser dans son chiffre d'affaires total (27 % en 2019). Elle indique que la rupture a, en outre, eu lieu quelques mois avant la crise sanitaire du Covid-19 et qu'ainsi elle n'a pas été en mesure de trouver de nouveaux clients pendant plusieurs mois de l'année 2020. Elle ajoute que son activité présente des particularités notamment géographiques rendant difficile le fait de trouver de nouveaux partenaires en particulier de rang équivalent à celui de la société Yonne Laser. Elle explique, à ce titre, qu'il existe peu de tôleries dans le département de l'Yonne de sorte qu'elle s'est vue dans l'obligation, dès le début de l'année 2020, de démarcher des tôleries des départements voisins en se conformant à des processus d'appels d'offres pour lesquels elle est moins compétitive que les entreprises locales en raison de sa situation géographique.

En réponse, la société Yonne Laser allègue que généralement un préavis de 6 mois à 1 an est retenu pour une relation de 7 ans. S'agissant de l'état de dépendance économique invoqué par la société Yonne Décapage elle rétorque qu'aucun élément produit ne permet de vérifier la notion de proportion évoquée par l'appelante, celle-ci ne produisant que des bilans partiels où n'apparaissent pas les différentes activités de la société qui a certes une activité de mise en peinture de produits, mais dont l'activité initiale est celle de décapage. Elle ajoute qu'il est de jurisprudence constante que la notion de dépendance économique ne peut être une source d'indemnisation, le fournisseur ayant accepté le risque en ne développant pas d'activité nouvelle et que la recherche de nouveaux clients, est, en tout état de cause, au c'ur de toute activité. Elle indique, à ce titre, que la société Yonne Décapage a remporté des marchés publics en 2020. Elle conclut que la durée du préavis de 18 mois sollicitée est exagérée compte tenu de la durée des relations commerciales, de l'absence d'exclusivité, de leur caractère aléatoire et de la prévenance de l'internalisation des prestations de peinture depuis le mois de juin 2019, soit 6 mois avant la fin des relations.

Réponse de la Cour,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

La caractérisation de l'état de dépendance économique, résulte de facteurs distincts, parmi lesquels l'importance du chiffre d'affaires réalisé entre les parties (en ce sens : Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-10.544), l'existence d'une exclusivité, la réalisation d'investissements dédiés (en ce sens : Cass. com., 7 janv. 2004, n° 02-12.437).

En l'espèce, la relation commerciale des parties qui a débuté au mois de décembre 2013, pour s'interrompre définitivement au mois de février 2020, a duré 6 ans et 2 mois.

L'activité de peinture a certes représenté 65 % du chiffre d'affaires global de Yonne Décapage en 2018. Pour autant, eu égard au portefeuille client de cette société et à la proportion du flux d'affaires entre les parties à savoir un tiers du chiffre d'affaires total - 27% - deYonne Décapage en 2019 (pièce n°15, société Yonne Décapage), la dépendance économique n'est pas caractérisée.

En outre, l'affirmation selon laquelle la société Yonne Laser s'est placée en tant que concurrente directe de la société Yonne Décapage lui créant un obstacle supplémentaire à sa reconversion, n'est ni étayée, ni démontrée.

Il ressort, toutefois, des pièces versées au débat que l'activité de peinture sur pièces industrielles répond à certaines spécificités de nature à rendre difficile l'instauration d'un courant d'affaires significatif, nécessitant le passage de certaines étapes notamment des essais, avant d'aboutir à une relation commerciale stable (pièces n°9, 10 et 11, société Yonne Décapage).

Au regard de ces éléments, le tribunal a, par des motifs pertinents, non utilement contredits par chacune des parties, retenu un délai de préavis nécessaire mais suffisant de 5 mois.

Sur l'évaluation du préjudice

La société Yonne Décapage estime avoir subi un préjudice qu'elle évalue à 425 058,66 euros. Elle soutient que sa marge brute moyenne a été de 76,39 % sur son activité de l'année 2018 pour un chiffre d'affaires réalisé avec la société Yonne Laser en 2019 de 370 954,96 euros HT. Elle indique que la nature de sa chaîne de peinture dans laquelle chaque employé est indispensable ne lui permet pas d'ajuster sa masse salariale en fonction du volume des commandes reçues de sorte qu'aucune charge, ni frais fixes supplémentaires n'ont été économisés. Elle calcule sa marge brute annuelle ainsi : 370 954,96 x 76,39 % = 283 372,49 euros HT par an, soit 23 614,37 euros HT par mois et estime que son préjudice peut être évalué à hauteur de 23 614,37 euros multiplié par les 18 mois de préavis qui auraient dû lui être octroyés soit 425 058,66 euros HT.

En réplique, la société Yonne Laser soutient qu'il convient de retenir la marge brute nette qui prend en compte les frais liés à l'activité de peinture, notamment les charges salariales et sociales. Elle souligne, par ailleurs, que le rapport de la compagnie d'assurance de la société Yonne Décapage avait retenu une marge brute de 74,05 % en 2015 et que ce rapport fait mention du recours important à des intérimaires, ce qui constitue une charge pouvant s'adapter en fonction du travail.

Réponse de la Cour,

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, qui doit être évalué au jour de la rupture, est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

Les parties ne contestent pas le calcul du préjudice de la marge brute.

La société Yonne Décapage verse aux débats un calcul de son taux de marge brute peinture en 2018 évalué à 76,39 % (pièce n°7, société Yonne Décapage) qui n'est, toutefois, ni circonstancié, ni attesté par un expert-comptable.

Les extraits de bilans de la société Yonne Décapage ne sont pas davantage explicités ou étayés et ne permettent pas de vérifier la marge alléguée (pièce n°12, société Yonne Décapage).

En l'état, il sera retenu une marge de 74,05 % telle que dégagée par l'état préparatoire à la fixation des dommages du 31 décembre 2015 confirmé par l'état définitif à la fixation des dommages, réalisés par l'expert en assurance intervenu pour évaluer la perte d'exploitation de la société Yonne Décapage après l'incendie ayant ravagé ses locaux en 2015 (pièces n°13 et 14, société Yonne Décapage).

Il convient, en outre, de retenir le chiffre d'affaires annuel moyen sur les trois dernières années de la relation commerciale, c'est-à-dire sur la période 2017-2019, tel que déterminé par le tribunal, soit 229 884 euros.

Dès lors, le jugement sera confirmé.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Yonne Laser à payer à la société Yonne Décapage la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Yonne Décapage, partie perdante en son appel principal, sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile en appel, la société Yonne Décapage sera déboutée de sa demande et condamné à verser à la société Yonne Laser la somme de 6 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour,

Y ajoutant,

Condamne la société Yonne Décapage aux dépens d'appel qui seront recouvrés suivant la procédure de l'article 699 du code de procédure civile,

Condamne la société Yonne Décapage à payer à la société Yonne Laser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,

Rejette toute autre demande.

LE GREFFIER P/LA PRÉSIDENTE EMPÊCHÉE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 21/18865
Date de la décision : 04/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-09-04;21.18865 ?
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