Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 4
ARRET DU 04 SEPTEMBRE 2024
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 21/19852 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEVKC
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 octobre 2021 - Tribunal de Commerce de Rennes - RG n° 2021/F0084
APPELANTE
S.A.S. LES HUITRES CADORET agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculée au RCS de Quimper sous le numéro 304 498 868
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Marie-Laure Bonaldi, avocat au barreau de Paris, toque : B0936
Assistée de Me Jean-Claude Gourves de la SELARL CABINET GOURVES, D'ABOVILLE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau de Quimper
INTIMÉE
S.A.R.L. SPECIALES [J] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Immatriculée au RCS de La Rochelle sous le numéro 341 794 295
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentées par Me Frédérique Etevenard, avocat au barreau de Paris, toque : K0065
Assistées de Me Marie Duverne-Hanachowicz de la SELAS LAMY LEXEL AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de Lyon, toque : 1712
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Laure Dallery, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre
M. Julien Richaud, conseiller
Mme Marie-Laure Dallery, magistrat à titre honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : M. Valentin Hallot
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, et par M. Maxime Martinez, greffier, présent lors de la mise à disposition.
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Spéciales [J], qui a pour activité l'ostréiculture, a exporté ses huitres en Chine dès 2009 en recourant à plusieurs distributeurs sur le territoire chinois.
La société Les huitres Cadoret, qui a également pour activité l'ostréiculture, a exporté depuis 2009 dans de nombreux pays, notamment en Chine, les huitres de la société Spéciales [J].
Dans ce cadre, la société Les huitres Cadoret a acheté les huitres auprès de la société Spéciales [J] pour les revendre à un importateur implanté en Chine, la société [M].
En 2016, la société Spéciales [J], qui assurait également en direct la distribution de ses huitres en Chine auprès d'autres importateurs locaux, a créé une société appelée Synonyme pour la commercialisation de ses produits en Chine.
A compter de cette date, la distribution en Chine des huitres de la société Spéciales [J] a été assurée par Les huitres Cadoret, via son sous-distributeur [M], et par la société Synonyme.
Le 16 juillet 2020, la société Spéciales [J] a menacé la société [M] de cesser de lui fournir des huitres [J] si elle ne se conformait pas à la politique de prix de la société Spéciales [J].
Le 17 juillet 2020, la société [M], a contesté les déclarations de la société Spéciales [J] et a répondu que les baisses de prix constatées étaient le résultat du comportement d'un sous-distributeur de la société Synonyme.
A partir de cette date, toutes les commandes passées par la société Les huitres Cadoret à destination de la Chine ont été refusées par la société Spéciales [J].
Le 20 juillet 2020, la société Spéciales [J] a maintenu sa position, indiquant ne plus vouloir collaborer avec [M].
Le même jour, la société Les huitres Cadoret s'est opposée à l'arrêt brutal des livraisons d'huitres décidé par la société Spéciales [J] au regard de l'impossibilité de cesser un courant d'affaires important, de 3,2 millions d' euros en 2019, sans préavis.
Le 14 aout 2020, la société Les huitres Cadoret a mis en demeure la société Spéciales [J] de reprendre les livraisons pour la Chine sous huitaine.
Par courriel du 20 aout 2020, la société Spéciales [J] a répondu avoir été alertée depuis plus d'un an de difficultés rencontrées au niveau de la distribution de ses huitres sur le marché chinois et a soutenu que la suspension des livraisons était liée au comportement parasitaire et anticoncurrentiel de [M].
Par lettre du 9 septembre 2020, la société Spéciales [J] a indiqué accepter de reprendre les livraisons auprès de la société Les huitres Cadoret, sous réserve que celle-ci cesse sa collaboration avec la société chinoise [M] et qu'elle passe par la société Synonyme, désormais sous-distributeur exclusif en Chine des huitres [J].
Par lettre du 25 septembre 2020, la société Les huitres Cadoret a refusé la proposition de la société Spéciales [J], contestant les fautes invoquées à l'égard de son sous-distributeur [M], et a informé la société Spéciales [J] d'une retenue des factures sur les ventes en Chine.
Par lettre du 30 septembre 2020, la société Spéciales [J] a pris acte de cette situation comme constituant une rupture aux torts exclusifs de la société Les huitres Cadoret.
Par acte du 22 février 2021, la société Les huitres Cadoret ont assigné la société Spéciales [J] devant le tribunal de commerce de Rennes pour obtenir réparation du préjudice subi résultant de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Par jugement du 5 octobre 2021, le tribunal de commerce de Rennes a :
- Dit que :
* La relation commerciale de la société Les huitres Cadoret avec la société Spéciales [J] est établie du 24 novembre 2009 au 16 juillet 2020,
* Que la société Spéciales [J] a commis vis-à-vis de la société Les huitres Cadoret une rupture brutale de ses relations commerciales ;
- Débouté la société Spéciales [J] de toutes demandes principales et reconventionnelles à ce titre ;
- Accordé à la société Les huitres Cadoret une somme de 95 800 euros au titre du préjudice subi ;
- Condamné la société Spéciales [J] à verser la somme de 7 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la société Les huitres Cadoret et l'a déboutée du surplus de sa demande ;
- Condamné la société Spéciales [J] aux entiers dépens de l'instance.
La société Les huitres Cadoret a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 16 novembre 2021.
Par ses dernières conclusions déposées et notifiées le 8 février 2022, la société Les huitres Cadoret demande à la Cour de :
Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce,
- Juger recevable et fondé l'appel limité inscrit par la société Les huitres Cadoret contre le jugement rendu le 5 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Rennes ;
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que :
* la relation commerciale de la société Les huitres Cadoret avec la société Spéciales [J] est établie du 24 novembre 2009 au 16 juillet 2020, soit 11 ans et demi ;
* la société Spéciales [J] a commis vis-à-vis de la société Les huitres Cadoret une rupture brutale de ses relations commerciales ;
* il y a lieu de débouter la société Spéciales [J] de toutes demandes principales et reconventionnelles à ce titre, de condamner la société Spéciales [J] à verser la somme de 7500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile à la société Les huitres Cadoret et de condamné la société Spéciales [J] aux entiers dépens de l'instance ;
Infirmer le jugement entrepris pour le surplus et :
- Condamner la société Spéciales [J] à payer à la société Les huitres Cadoret la somme de 450 177, 92 € au titre de l'indemnisation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales ;
- Débouter la société Spéciales [J] de toutes ses demandes plus amples ou contraires ;
- Condamner la société Spéciales [J] à payer la somme de 15 000 € à la société Les huitres Cadoret sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Spéciales [J] aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 29 avril 2022, la société Spéciales [J] demande à la Cour de :
Vu les articles 1103, 1104, 1194, 1217 du code civil ;
Vu l'article L. 442-1 II du code de commerce ;
Vu l'article 700 du code de de procédure civile ;
Statuant sur l'appel principal formé par la société Les huitres Cadoret et l'appel incident forment par la société Spéciales [J] à l'encontre du jugement rendu le 5 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Rennes,
A titre principal, sur l'absence de rupture des relations commerciales à l'initiative de la société Spéciales [J],
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 5 octobre 2021 ;
- Débouter la société Les huitres Cadoret de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions tendant à voir condamner la société [J] qui n'est pas à l'initiative de la rupture de leur relation commerciale et encore moins de manière brutale,
A titre subsidiaire, sur la faute de la société Les huitres Cadoret dispensatrice de préavis si la Cour retenait une rupture des relations commerciales à l'initiative de la société Spéciales [J],
- Dire que l'arrêt par la société Spéciales [J] des livraisons des commandes passées par la société Les huitres Cadoret et destinées à la société [M] était justifié par son comportement déloyal et fautif ;
- Dire qu'en refusant d'intervenir auprès de la société [M] après plusieurs mois de connaissances de ses fautes et en continuant d'avoir recours à ses services pour distribuer les produits [J] en Chine, et qu'en retenant abusivement le paiement de plusieurs factures de la société Spéciales [J] sans raison valable, la société Les Huitres Cadoret a commis des fautes graves engageant sa responsabilité dispensatrice de préavis ;
Par conséquent,
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 5 octobre 2021 ;
- Débouter la société Les huitres Cadoret de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre reconventionnel, sur la rupture brutale de la relation commerciale par la société Les huitres Cadoret,
- Dire que la société Les huitres Cadoret a cessé brutalement et sans préavis de passer commande à la société Spéciales [J] alors qu'elle pouvait toujours commander et passer par un autre distributeur sans perte de marge ;
Par conséquent,
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 5 octobre 2021 ;
- Condamner la société Les huitres Cadoret à payer à la société Spéciales [J] la somme de 736 307,88 euros en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales ;
- Condamner la société Les huitres Cadoret à payer à la société Spéciales [J] la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice d'image ;
A titre infiniment subsidiaire, sur le préjudice subi par la société Les huitres Cadoret si par extraordinaire la Cour retenait l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales établies à l'initiative de la société Spéciales [J],
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 5 octobre 2021, tout particulièrement en ce qu'il a limité le préjudice subi par la société Les huitres Cadoret à la somme totale de 95 800 euros ;
En tout état de cause,
- Condamner la société Les huitres Cadoret à payer à la société Spéciales [J] la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Les huitres Cadoret aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 mars 2024.
*
* *
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Moyen des parties
La société Les huitres Cadoret soutient que les parties entretiennent des relations commerciales établies ayant pour objet la distribution en Chine par la société Les huitres Cadoret des huitres Spéciales [J], depuis plus de 11 ans, soit entre 2009 et juillet 2020 et que la société Spéciales [J] a cessé brutalement en juillet 2020 d'honorer ses commandes.
La société Spéciales [J], qui ne conteste ni la durée des relations commerciales, ni le caractère établi de celles-ci, soutient que la société Les Huitres Cadoret est à l'origine de la rupture comme ayant cessé de lui passer des commandes à compter du mois de septembre 2020.
Elle fait valoir que :
- Elle n'a pas rompu les relations mais a suspendu les livraisons le temps de mener des investigations sur les pratiques de la société chinoise [M] et a proposé à la société Les huitres Cadoret de passer par les services de la société Synonyme pour distribuer ses huitres en Chine ;
- La société Les huitres Cadoret n'a pas donné suite à sa proposition et ne lui a passé aucune commande à compter de septembre 2020, alors même que la société Synonyme était en mesure de maintenir le volume de commandes, préférant rompre les relations qu'entretenaient les parties pour de faux motifs ;
- Elle n'a pas imposé de prix mais a eu recours à des prix conseillés afin d'assurer une cohérence dans le réseau de distribution et sur le marché chinois ;
- Dès lors que les prix pratiqués par [M] portaient atteinte au produit et à l'image de marque [J], elle était en droit d'exiger que [M] modifie son comportement en prenant en considération les prix conseillés, également pratiqués par la société Synonyme.
La société Spéciales [J] soutient qu'en tout état de cause elle était en droit de rompre les relations commerciales établies sans préavis au vu de la gravité des fautes commises par la société Les huitres Cadoret. Elle invoque à ce titre :
- plusieurs actes illicites et graves de la société chinoise [M] nuisant de manière délibérée à l'image des huitres [J] tels que :
* de fausses déclarations en douanes à multiples reprises (3 janvier 2019, 10 janvier 2019, 17 janvier 2019 mais aussi en octobre, novembre et décembre 2018) qui ont permis à [M] d'artificiellement diminuer les taxes sur les huitres importées afin de revendre le produit à un prix très bas, décorrélé de son image de marque et de son caractère haut de gamme ;
* des reventes à perte en commercialisant les produits largement en dessous du prix de revient minimum des huitres [J], ce qui a eu pour effet de décrédibiliser la marque [J] ;
* l'ouverture des bourriches d'huitres [J] et le remplacement des huitres par des huitres de moins bonne qualité (reconditionnement des bourriches de 24 et 48 huitres livrées par elle en bourriches de 12 huitres, sans son autorisation), huitres qui ne portent pas le symbole de la marque gravée au laser ce qui constitue un acte déloyal, la société [M] se rendant contrefacteur de la marque [J] et trompant le consommateur ;
* l'apposition d'étiquettes [J] contrefaisantes (remplacement de ses étiquettes par de fausses étiquettes [J] sur des bourriches d'huitres concurrentes que [M] commercialisait).
Elle prétend en conséquence que :
- les pratiques de [M] créent une concurrence parfaitement déloyale sur le territoire chinois avec la société Synonyme et portent préjudice à l'ensemble du réseau de distribution, ce que sait parfaitement la société Les huitres Cadoret qui n'a rien fait pour que son sous-distributeur régularise la situation et fasse cesser ce trouble alors que cette dernière est pleinement responsable de son réseau de distribution et ainsi des agissements de son sous-distributeur [M] dont les actes ont été portés à la connaissance de la société Les huitres Cadoret par courriel du 28 juillet 2020, sans qu'il soit mis fin aux pratiques ;
- compte tenu de l'impact sur sa marque et son image, elle ne peut être contrainte de continuer à approvisionner directement [M] ;
- le reconditionnement des produits est manifestement contraire au règlement Européen n°853/2004 du 29 avril 2004 fixant les règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animal et peut engendrer des risques de maladie pour le consommateur final ainsi qu'une interdiction d'importation par les autorités chinoises, ce qui nuirait de manière évidente à la réputation des huitres [J] et mettrait en péril sa situation financière, réalisant en moyenne près de 30% de son chiffre d'affaires en Chine ;
- ces éléments sont constitutifs de fautes graves engageant la responsabilité de la société Les huitres Cadoret qui avait la responsabilité de son distributeur en Chine.
La société Spéciales [J] se prévaut aussi de factures impayées pour un montant de 275 131,13 euros sans raison valable, attitude constitutive d'une faute grave de la société Les huitres Cadoret, dispensatrice de préavis, ajoutant que les impayés ont duré plus d'un mois, et que la société Les huitres Cadoret n'a régularisé la situation qu'après une mise en demeure.
La société Les huitres Cadoret réplique que c'est bien la société Spéciales [J] qui a rompu les relations commerciales. Elle fait valoir que :
- le 16 juillet 2020, la société Spéciales [J] lui a annoncé par courriel ainsi qu'à la société [M] qu'elle cesserait de les livrer, si la société [M] ne s'alignait pas sur les prix de revente pratiqués par sa filiale Synonyme et a cessé d'honorer la moindre commande de sa part pour la revente de ses huitres sur le marché chinois ;
- la société Spéciales [J] savait parfaitement que la totalité des commandes d'huitres de la société Les huitres de Cadoret était à destination de [M], de sorte que lui interdire toute relation avec son distributeur la privait de la totalité de son activité en Chine ;
- La société Les huitres Cadoret était libre de pratiquer les prix de revente de son choix et n'avait aucun engagement tarifaire à la revente envers la société Spéciales [J], tout comme son distributeur [M], lequel n'avait aucun lien avec la société Spéciales [J], et encore moins d'engagement d'exclusivité ou tarifaire à respecter envers elle ;
- La rupture brutale des livraisons est intégralement à l'initiative de la société Spéciales [J], ce que confirment les courriers de cette dernière en date des 16 juillet 2020, 20 juillet 2020 et 9 septembre 2020 ;
- La décision de la société Spéciales [J] de rompre sa relation d'affaires avec elle avait pour but de maîtriser seule les prix de revente sur le marché chinois et d'éliminer toute concurrence à l'égard de sa filiale Synonyme ;
- Le contrôle par une tête de réseau de la politique commerciale de ses distributeurs est illicite et aucun manquement de la société Les huitres Cadoret à ses engagements contractuels n'est établi ;
- Les seuls griefs de la société Spéciales [J] concernent son distributeur chinois [M] sans qu'elle ait reçu la moindre information, ni la moindre mise en demeure d'agir au sujet de son distributeur ;
- Aucun manquement de sa part à ses engagements contractuels de nature à dispenser Spéciales [J] d'accorder un préavis suffisant n'est justifié ;
- La société Spéciales [J] a ainsi engagé sa responsabilité en mettant fin de manière brutale et sans préavis à sa relation commerciale avec elle relativement à la revente des huitres en Chine :
- Sur une période de plus d'un an et demi, seules 3 livraisons sur des centaines de livraisons sont concernées par des déclarations d'importation à un prix identique ou légèrement inférieur à celui vendu par la société Spéciales [J] à la société Les huitres Cadoret. Il s'agit tout au plus d'erreurs isolées et non d'une pratique régulière de [M] qui ne concernent pas que les produits de la marque [J] ;
- En tout état de cause, ces erreurs ne sont pas de son fait, n'ayant aucune responsabilité dans ces formalités administratives ;
- Ces aspects douaniers n'ont aucune incidence sur la politique de prix qui est reprochée à [M], celle-ci vendant à des boutiques et à des restaurateurs totalement libres de leur prix de revente au public ;
- La notion de revente à perte invoquée par la société Spéciales [J] pour justifier sa rupture des livraisons à [M] est une notion propre à la réglementation française et n'a pas vocation à s'appliquer sur le marché chinois de sorte que [M] était libre de fixer les prix de revente des huitres [J] en Chine ;
- Le reconditionnement par [M] des bourriques de 24 huitres en bourriques de 12 huitres, prisées sur le marché chinois, résulte du refus de la société Spéciales [J] de livrer directement à [M] des bourriques de 12 huitres qu'elle réservait à sa seule filiale Synonyme, étant observé que la société Spéciales [J] a été informée de ce reconditionnement des bourriques et l'a accepté sans difficulté ;
- Les photographies fournies par la société Spéciales [J] au soutien de ses allégations ne contiennent aucune information quant à leur origine, leur date, le lieu, la destination des huitres et aucun constat n'est produit ;
- La seule preuve apportée par Spéciales [J] est une attestation de complaisance de la dirigeante de la société Synonyme, ouvertement hostile à la société concurrente [M] et bénéficiaire directe de l'éviction de cette dernière du réseau de distribution ;
- Les huitres [J] sont tatouées, ce qui est parfaitement connu du marché chinois de sorte qu'il est impossible pour un acteur du secteur aussi important que la société [M] de revendre des bourriches d'huitres sous une marque [J] qui ne contiendraient pas de telles huitres ;
- Les bourriches sont étiquetées directement par la société Spéciales [J] en France et non pas par [M] en Chine ;
- En 11 ans, il n'a jamais été reproché le moindre élément de qualité ou de traçabilité à [M] et il n'y a jamais eu la moindre difficulté avec la qualité d'un produit vendu par cette société provenant de la société Les huitres Cadoret ;
- Elle n'a jamais manqué d'exécuter ses obligations, et notamment celle de régler sans retard les commandes passées en respectant scrupuleusement les conditions de paiement convenues pendant toute la durée de la relation et la retenue sur facture intervenue au mois de septembre 2020 ne permet pas de légitimer l'arrêt des livraisons décidé deux mois auparavant par la société Spéciales [J] ;
- La retenue sur facture ne portait que sur l'échéance d'un seul mois de facturation, dont le paiement est intervenu moins de 30 jours après l'échéance habituelle.
Réponse de la Cour
Il est établi et non contesté que les relations commerciales établies entre la société Spéciales [J] et la société Les huitres Cadoret consistant en la livraison d'huitres Spéciales [J] par la première, commandées par la seconde à destination du marché chinois a duré du 24 novembre 2009, date de la première commande jusqu'au mois de juillet 2020, date à laquelle plus aucune livraison n'est intervenue.
Chacune des parties impute à l'autre d'être à l'origine de la rupture de ces relations sur le fondement de l'article L. 442-1, II du code de commerce issu de l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige qui dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En l'espèce, il résulte des pièces produites que la société Spéciales [J] a fait savoir par courriel du 20 juillet 2020 (notamment pièces 6 et 7 de l'appelante) qu'elle cessait « dès maintenant » d'expédier des huitres à la société chinoise [M] et ainsi d'honorer les commandes d'huitres de son distributeur en Chine, la société Les huitres Cadoret.
Il est également établi que la société Spéciales [J] a invité cette dernière à abandonner son sous-distributeur chinois, la société [M], au profit de la société Synonyme, qu'elle avait créée (lettre du 9 septembre 220 pièce 10).
Les griefs qu'elle invoque à l'encontre de la société [M], relativement aux prix pratiqués et au reconditionnement des bourriches d'huitres sont inopérants dès lors que la société Les Huitres Cadoret n'était tenue par aucune politique de prix à l'égard de son fournisseur et que tant le remplacement d'huitres [J] par d'autres de moindre qualité que le changement d'étiquettes ne sont pas démontrés par les photographies sans précision de date et de lieu comme de l'attestation émanant de la gérante de la société Synonyme, concurrente de la société [M] en Chine, étant observé que les huitres objet du litige, qui sont gravées, ne sont pas interchangeables.
S'agissant encore des fausses déclarations en douane reprochées, outre que le caractère systématique de ce reproche n'est pas établi, celui-ci ne peut en tout état de cause pas être imputé à la société Les Huitres Cadoret, seule la société chinoise.
Enfin, s'agissant du retard dans le paiement de la dernière facture par la société Les Huitres Cadoret, ce motif ne saurait justifier la rupture des relations commerciales établies sans préavis suffisant, s'agissant d'un retard isolé en réponse au refus de la société Spéciales [J] d'honorer ses commandes, étant observé que la facture a été réglée dès la mise en demeure de payer.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est la société Spéciales [J] qui a rompu les relations commerciales établies sur le marché chinois depuis 10 ans et 8 mois (novembre 2009 - juillet 2020) avec la société Les huitres Cadoret sans accorder aucun délai de préavis et sans justifier d'une faute grave.
Par conséquent, la brutalité de la rupture à l'initiative de la société Spéciales [J] est établie.
Cette dernière doit en conséquence être déboutée de sa demande d'indemnisation au titre d'un préavis sollicité de 11mois pour rupture brutale des relations commerciales établies à l'initiative de la société Les huitres Cadoret.
De la même manière, elle doit être déboutée de sa demande au titre d'un préjudice d'image que lui aurait causé la société Les Huitres Cadoret par son comportement, puisqu'en effet, ainsi qu'il a été dit, un tel préjudice n'est pas établi.
Sur le montant de l'indemnisation due par la société Spéciales [J]
Moyens des parties
La société Les huitres Cadoret, qui sollicite un délai de préavis de 12 mois, soutient que :
- Le délai de préavis de 3 mois accordé par le tribunal est insuffisant et dans sa durée et dans son montant, en voulant pour preuve le courrier recommandé avec accusé de réception en date du 9 décembre 2021 par lequel la société Spéciales [J] a notifié la rupture avec un préavis de 18 mois ;
- Son activité pour la société Spéciales [J], lui permettait de percevoir en moyenne une marge annuelle de 450 177,92 euros, de sorte que le préjudice qu'elle subit du fait de la rupture brutale imposée par la société Spéciales [J] est égal à 450 177,92 euros ;
- La société Les huitres Cadoret n'avait aucune alternative à la société [M] en Chine et n'a jamais reçu la moindre commande de la société Synonyme, de sorte qu'elle ne pouvait acheter en amont des huitres auprès de la société Spéciales [J] ;
- Le tribunal, en privilégiant la notion de « valeur ajoutée » et en faisant une inexacte application de celle qu'elle apportait, l'a privée d'une juste rémunération auquel elle avait droit ;
- Elle s'occupe de la démarche commerciale (tarifs, traitement des commandes, composition des dossiers export, relations avec les transporteurs, facturation, suivi des règlements et traitement des litiges).
La société Spéciales [J] répond que :
- Les huitres Cadoret n'a pas réalisé d'efforts importants pour développer le marché chinois mais s'est contenté de transmettre des bons de commande et a laissé la société [M] agir au mépris de toutes les règles de droit sans effectuer le moindre contrôle, laissant ainsi [M] désorganiser le marché ;
- En conséquence, la valeur ajoutée de la société Les huitres Cadoret, dans le schéma de vente qui était le sien sur le territoire chinois, était manifestement faible de sorte que cette société ne peut pas prétendre à un préavis supérieur à 3 mois, délai raisonnable pour qu'elle puisse se retourner compte tenu de son faible investissement dans cette relation.
Réponse de la Cour
Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.
Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause.
Le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-a'-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompte' et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité' résultant de la rupture, durant la même période (Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940).
En l'espèce, la Cour retient qu'au regard de relations commerciales établies entre les parties sur le marché chinois de près de 11 années, du volume des commandes [M] en constante progression (1 387 794, 65 € en 2018 ' 2 589 829,90 € en 2019) et de la spécificité que constitue la distribution des huitres de grande qualité Spéciales [J] sur le marché chinois, ainsi que de l'absence reconversion possible sur ce créneau spécifique sans passer par la société Synonyme, filiale de la société Spéciales [J] laquelle au demeurant ne lui a passé aucune commande, la société Les huitres Cadoret aurait dû bénéficier d'un préavis de 8 mois de la part de la société Spéciales [J].
Au vu de l'attestation de la société d'expertise comptable Ouest Conseils du 4 novembre 2020 (pièce 3 de l'appelante), un taux de marge brute escomptée de 18, 50 % peut être retenu.
La marge brute annuelle au cours des trois dernières années précédant la rupture s'élève en moyenne à la somme arrondie de 408 706 € [325 763 € en 2017 (selon un rapport de proportionnalité entre le chiffre d'affaires [M] produits [J] et la marge brute sur les années 2018 et 2019), 316 000 € en 2018 et 584 355 € en 2019].
Par conséquent, la société Les huitres Cadoret a droit à une indemnisation de 272 470 € pour les huit mois de préavis qui aurait dû être respecté.
Il convient donc, infirmant le jugement sur le montant du préjudice, de condamner la société Spéciales [J] à payer la somme de 272 470 € à la société Les Huitres Cadoret.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société Spéciales [J] qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle est condamnée à payer sur ce fondement la somme de 10 000 € à la société Les huitres Cadoret, en sus de la somme déjà allouée par le premier juge.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement sauf sur le montant du préjudice subi par la société Les huitres Cadoret ;
Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant,
Condamne la société Spéciales [J] à payer à la société Les huitres Cadoret la somme de de 272 470 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
Déboute la société Spéciales [J] de sa demande d'indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ainsi que de sa demande au titre du préjudice d'image ;
Condamne la société Spéciales [J] aux dépens d'appel et à payer à la société Les huitres Cadoret la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE