JYF/SD
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRET DU 12 JUIN 2007
ARRET N 392
AFFAIRE N : 05/02215, 05/2216, 05/2217 et 05/2218
AFFAIRE : Société VOYAGES RIGAUDEAU, Société HERVOUET FRANCE C/ Nathalie Y..., Michelle Z..., Bruno A..., Delphine B...
APPELANTES :
Société VOYAGES RIGAUDEAU
85110 ST PROUANT
Représentée par Me Servane JULLIE (avocat au barreau de NANTES)
Société HERVOUET FRANCE
...
St Georges de Montaigu
85607 MONTAIGU CEDEX
Représentée par Me Luc VIOLLE (avocat au barreau de LA ROCHE SUR YON)
Suivant déclaration d'appel du 21 juillet 2005 d'un jugement au fond du 30 juin 2005 rendu par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE LA ROCHE SUR YON.
INTIMÉS :
Appelants Incidents
Mademoiselle Nathalie Y...
La Péronnière
85700 MONTOURNAIS
Madame Michelle Z...
Puy Morin
85700 MONTOURNAIS
Monsieur Bruno A...
...
85400 LUCON
Mademoiselle Delphine B...
...
BAT D3 - apt 354
49300 CHOLET
Représentant : Me Danielle C... (avocat au barreau de NANTES)
Substituée par Me D... (avocat au barreau de NANTES)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Président : Yves DUBOIS, Président
Conseiller : Isabelle GRANDBARBE, Conseiller
Conseiller : Jean Yves FROUIN, Conseiller
Greffier : Eric PRÉVOST, Greffier, uniquement présent aux débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 02 mai 2007,
Les conseils des parties ont été entendus en leurs explications, conclusions et plaidoiries.
L'affaire a été mise en délibéré et les parties avisées de la mise à disposition de l'arrêt au Greffe le 12 juin 2007.
Ce jour a été rendu contradictoirement et en dernier ressort, l'arrêt suivant :
ARRÊT :
EXPOSÉ DU LITIGE
Mmes Y..., Z..., B..., et M. A..., engagés respectivement le 1er mai 2001, le 4 septembre 2001, le 2 mai 2002, et le 5 janvier 2002, en qualité de conductrices tourisme et scolaire pour les deux premières, de conducteurs scolaires pour les deux autres par la société Voyages Rigaudeau, ont été licenciés pour motif économique, le 10 février 2003, après que la société a perdu le marché des transports scolaires qui lui avait été confié par le Conseil général de Vendée, ce marché ayant été attribué à compter du 1er décembre 2002 à la société Hervouet France à la suite d'une décision du tribunal administratif de Nantes.
Mme Y... et les trois autres salariés ont saisi la juridiction prud'homale d'une demande dirigée contre les sociétés Voyages Rigaudeau et Hervouet France tendant à faire juger que leur licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et à obtenir leur condamnation in solidum à leur payer des sommes à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugements en date du 30 juin 2005, le conseil de prud'hommes de La Roche sur Yon a accueilli les demandes
La société Voyages Rigaudeau a régulièrement interjeté appel des jugements dont elle sollicite l'infirmation. Elle soutient que le licenciement des salariés reposait sur une cause économique réelle et sérieuse et qu'en toute hypothèse la société Hervouet France a manqué à ses obligations résultant de l'accord collectif de travail en date du 18 avril 2002 en ne reprenant pas les salariés à la suite de la reprise du marché et conclut, à titre principal au rejet des demandes et à la condamnation de chacun des intimés à lui payer la somme 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et, subisidiairement, à la condamnation de la société Hervouet France à la garantir de toutes condamnations qui seraient prononcées contre elle au profit des salariés.
La société Hervouet France fait valoir que les conditions d'applications de l'article L. 122-12 et de l'accord du 18 avril 2002 n'étaient pas réunies, que les contrats de travail des salariés ne lui ont donc pas été transférés, et elle conclut au rejet de l'ensemble de leurs demandes et à leur condamnation à lui payer la somme de 400 euros, chacun, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Mmes Y..., Z..., B..., et M. A... concluent à la confirmation du jugement sur la non-validité de leur licenciement et sur la co-responsabilité des sociétés Voyages Rigaudeau et Hervouet France dans cette situation, tant en application de l'article L. 122-12 du code du travail qu'en application de l'accord collectif du 18 avril 2002, mais ils forment appel incident sur la somme qui leur a été allouée à titre de dommages et intérêts et concluent à la condamnation in solidum des sociétés à payer de ce chef à Mme Y..., la somme de 29 760 euros, à Mme Z..., la somme de 27 000 euros, à Mme B..., la somme de 13 300 euros et à M. A..., la somme de 13 320 euros. Ils demandent également la condamnation in solidum des mêmes société à leur payer, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, et celle de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la jonction d'instances
Il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de juger ensemble les instances inscrites sous les numéros de répertoire général 05/2215, 05/2216, 05/2217, et 05/2218.
Il convient donc d'en ordonner la jonction.
Sur l'application de l'article L. 122- 12 du code du travail
Selon l'article L. 122-12, alinéa 2 du code du travail tel qu'interprété au regard de la directive no 98/50/CE du Conseil du 29 juin 1998, les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise en cas de transfert d'une entité économique, conservant son identité, dont l'activité est poursuivie ou reprise ; constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Il suit de ces éléments qu'en cas d'exécution d'un marché de prestation de services par un nouveau titulaire, le texte ne reçoit application que si le changement dans la personne du prestataire titulaire du marché s'accompagne du transfert d'éléments d'exploitation propre à caractériser le transfert d'une entité économique.
En l'espèce, il ressort des éléments du dossier, et il n'est d'ailleurs par discuté par les parties, que la reprise par la société Hervouet France de l'exploitation de lignes de transports scolaires auparavant confiée à la société Rigaudeau a consisté en une simple succession de titulaires du marché entre les deux société et n'a pas été accompagné par le transfert d'une société à l'autre de matériels ou d'éléments (bâtiments, autocars) nécessaires à l'exploitation des lignes de transport.
Il n'y a donc pas eu transfert d'une entité économique lorsque la société Hervouet France a repris l'exploitation de lignes de transport scolaire à la suite de la société Rigaudeau, en sorte que les conditions d'application de l'article L. 122-12 n'étaient pas réunies.
Sur l'application de l'accord collectif de travail en date du 18 avril 2002
Aux termes du titre VI, article XXVIII, de l'accord collectif de travail en date du 18 avril 2002 sur l'aménagement, l'organisation et la réduction du temps de travail et sur la rémunération des personnels des entreprises de transports routiers de voyageurs, "les parties prévoient la continuité du contrat de travail des salariés affectés à un marché faisant l'objet d'un changement de prestataire" (introduction), "le nouveau prestataire s'engage à garantir l'emploi du personnel affecté au marché faisant l'objet de la reprise et remplissant certaines conditions" (article 28.2.1), "le maintien de l'emploi entraînera la poursuite du contrat de travail au sein de l'entreprise entrante" (article 28.2.2), "le contrat de travail du personnel remplissant les conditions requises pour bénéficier d'un maintien de son emploi et de son ancienneté se poursuivra au sein de l'entreprise entrante. A l'exception d'une modification d'un élément essentiel de celui-ci par l'entreprise entrante, le salarié qui refuserait son transfert dans les conditions stipulées par le présent accord serait considéré comme ayant rompu de son fait son contrat de travail" (article 28.4).
Il suit de ces dispositions que l'accord collectif en cause organise le transfert conventionnel du contrat de travail des salariés compris dans le champ d'application de l'accord, en cas de succession de prestataires ("les présentes dispositions s'appliquent pour des transports à caractère régulier en cas de succession de prestataires", article 28.1), ce dont il résulte que le contrat de travail des salariés remplissant les conditions prévues par le texte est transmis dans tous ses éléments au nouveau prestataire.
En l'espèce, il est constant que la société Hervouet France était liée par les dispositions de cet accord collectif.
Il n'est, par ailleurs, pas discuté que les salariés en cause dans la présente instance remplissaient les conditions prévues par l'article 28.2.1 de l'accord collectif pour prétendre à la garantie d'emploi qu'il institue.
La société Rigaudeau n'était certes pas signataire de l'accord collectif du 18 avril 2002, ni membre d'une organisation signataire de l'accord, lequel n'avait pas encore été étendu au moment du transfert.
Cependant, il résulte des pièces produites au dossier qu'elle en a fait une application volontaire en communiquant à la société Hervouet, par deux courriers du 26 et 28 novembre 2002 visant expressément l'application de l'article 28 de l'accord collectif du 18 avril 2002, la liste de son personnel affecté au marché repris accompagné de tous les documents exigés de l'entreprise sortante par ledit accord et en assumant l'ensemble des obligations imposées par l'accord à l'entreprise sortante.
Sans doute les courriers du 26 et 28 novembre 2002 émanent-ils de la société Vendée Translignes et non de la société Rigaudeau elle-même, mais il n'y a pas lieu de distinguer dès lors que la société Vendée Translignes était un groupement d'employeurs comprenant la société Rigaudeau en sorte que c'est bien du même employeur dont il s'agissait au regard de l'application volontaire de l'accord collectif du 18 avril 2002.
Il n'est, en outre, pas discuté que les salariés concernés par la reprise, et notamment les quatre salariés en cause dans la présente instance, se sont tenus à la disposition de la société Hervouet France, le lundi 2 décembre 2002, pour poursuivre leur contrat de travail avec le nouveau prestataire, comme prévu par l'accord.
Il apparaît ainsi, au vu de ces éléments, que les conditions d'application de l'accord collectif de travail du 18 avril 2002 étaient réunies et que cet accord a emporté, en l'absence de refus des salariés, continuité de leur contrat de travail dans tous ses éléments avec la société Hervouet France, à compter du 2 décembre 2002, ce dont il résulte que la société Rigaudeau, qui n'était plus l'employeur de Mmes Y..., Z..., B... et de M. A... après le 2 décembre 2002, doit être mise hors de cause dans la présente instance. Les jugements attaqués seront donc réformés en ce qu'ils ont condamné la société Rigaudeau.
Cela étant, il ressort des pièces produites aux débats que la société Hervouet France, après avoir d'abord accepté le principe de la reprise des contrats de travail, a entendu ensuite subordonner cette reprise à une modification du contrat de travail de chacun des salariés consistant notamment en une réduction de leur temps de travail que les salariés ont refusé.
Or, l'accord collectif de travail du 18 avril 2002 prévoyait la continuité du contrat de travail dans tous ses éléments, sans autoriser une quelconque modification par le nouveau prestataire. La société Hervouet France était donc tenue de poursuivre les contrats de travail sans pouvoir y apporter une modification sauf accord des salariés concernés. Il s'ensuit qu'en subordonnant le maintien des contrats de travail des salariés à une modification que ceux-ci étaient en droit de refuser, la société Hervouet France a méconnu ses obligations conventionnelles et provoqué la rupture des contrats de travail qui s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient donc de confirmer les jugements attaqués en ce qu'ils ont dit que les licenciements étaient dépourvus de cause réelle et sérieuse et ont condamné la société Hervouet France à payer aux salariés une somme à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu, également, de les confirmer sur le montant de la somme allouée de ce chef à chacun des salariés, qui constitue une juste appréciation, au vu des pièces produites aux débats du préjudice ayant résulté pour eux de la perte de leur emploi.
Sur la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
En application de ce texte, il convient de condamner la société Hervouet France, partie perdante et tenue aux dépens, à payer à chacun des salariés, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, tels les honoraires d'avocat, une somme qui sera déterminée dans le dispositif ci-après.
Il n'y a pas lieu, en revanche, à condamnation des salariés, sur le fondement de ce texte, au profit de la société Rigaudeau.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Ordonne la jonction des instances inscrites sous les numéros de répertoire général 05/2215, 05/2216, 05/2217, et 05/2218,
Confirme les jugements attaqués sur l'absence de cause réelle et sérieuse des licenciements, sur la somme allouée à chacun des salariés à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur la condamnation de la société Hervouet France au paiement de cette somme,
Les réforme pour le surplus et, statuant à nouveau,
Met Hors de cause la société Rigaudeau et rejette en conséquence la demande des salariés en tant qu'elle est dirigée contre cette société,
Condamne la société Hervouet France à payer à chacun des salariés la somme globale de 3 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Rejette la demande de la société Rigaudeau à l'encontre des salariés,
Condamne la société Hervouet France aux dépens d'appel.
Ainsi prononcé et signé par Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, assisté de Mme Sylvie E..., faisant fonction de Greffier.
Le Greffier, Le Président.